Histoire Des Libertines (17) : Marguerite D'Anjou, La Rose De Lancastre
Je vais à nouveau déroger (par rapport au récit 15, consacré à Lucrèce Borgia) à la règle chronologique que je suis depuis le début de ces récits historiques et revenir au milieu du XVème siècle, à l'Angleterre de la fin de la guerre de cent ans, dans les années qui vont déclencher une longue guerre civile de plus de 30 ans, la guerre des deux roses, entre les deux branches rivales de la dynastie Plantagenets, les Lancastre et les York.
J'ai pensé en effet que Marguerite d'Anjou, reine d'Angleterre et épouse d'Henri VI avait toute sa place dans cette rubrique. Juliette Benzoni lui a d'ailleurs consacré un chapitre dans son ouvrage consacrée aux grandes libertines, « Dans le lit des reines » (Perrin 1984).
Certes, Marguerite, même avec les amants qu'on lui a attribués, est très loin des « performances » de bien d'autres libertines dont les exploits sont racontés dans cette série de récits.
Comme Isabeau de Bavière, Marguerite a été l'épouse d'un roi fou, qui était d'ailleurs le petit-fils de Charles VI. Cependant, même ses pires ennemis n'ont jamais osé comparer la « rose de Lancastre » à la « reine catin », celle qui perdit la France.
FILLE DU « BON ROI RENE »
Marguerite d'Anjou (1430-1482) est la fille du célèbre Roi René, roi titulaire de Naples, comte de Provence, duc d'Anjou, de Bar et de Lorraine.
Sa tante Marie avait épousé le roi Charles VII et sa grand-mère était la célèbre, Yolande d'Aragon, qui a joué un rôle décisif auprès de Charles VII et dont on dit qu'elle « inventa » le personnage de Jeanne d'Arc.
Mariée à Henri VI, un petit-fils de Charles VI, chez qui la folie de son aïeul se manifestait par des crises passagères de démence douce, Marguerite se trouva, par suite des circonstances, appelée à personnifier la « rose rouge de Lancastre », dans la guerre civile atroce, au nom poétique, qui ensanglanta l'Angleterre, décima sa noblesse et ruina son peuple, pendant 35 ans.
« AUCUNE FEMME NE LA SURPASSAIT EN BEAUTE »
La Guerre de cent ans commence à mal tourner pour l'Angleterre, depuis la brève épopée de Jeanne d'Arc et le retournement du Duc de Bourgogne, qui a conclu en 1435 la paix avec Charles VII.
L'entourage d'Henri VI, en particulier le cardinal de Beaufort et le comte de Suffolk, William de la Pole, convainquent Henri VI que le meilleur moyen de conclure la paix avec la France consiste à épouser Marguerite d'Anjou, nièce du roi Charles VII. Henri donne son accord et charge Suffolk d'aller négocier avec le roi de France.
Ce dernier accepte, à condition qu'il n'ait pas à payer de dot et qu'il reçoive en échange le Maine et l'Anjou, alors sous domination anglaise. Ces conditions s'officialisent dans le traité de Tours en 1444, la cession des terres reste cependant cachée au Parlement.
Le 23 avril 1445, Marguerite est mariée par procuration, en la collégiale Saint-Georges de Nancy, à Henri VI. Le mariage est ensuite célébré en la cathédrale de Westminster, le 30 mai de la même année.
Le 30 mai 1445, jour de son couronnement, les bourgeois de Londres, pour fêter « la princesse lointaine », Marguerite d'Anjou, avaient arboré la marguerite, dont les blanches fleurettes émaillaient, en ce jour de printemps, les vertes prairies du royaume. Ni la beauté, ni les talents, ni la vaillance de cette « reine de mai » ne l'empêchèrent d'être infortunée entre toutes.
On disait d'elle qu'«aucune femme ne la surpassait en beauté et aucun homme en courage », on pourrait ajouter que, de toutes les reines françaises couronnées à Westminster, elle fut la plus malheureuse.
SUFFOLK ET MARGUERITE : UN AMOUR TRAGIQUE
William de la Pole (1396-1450) fut un des grands capitaines anglais de la guerre de cent ans. Il avait combattu à Azincourt. Il sera fait prisonnier par Jeanne d'Arc après le siège d?Orléans.
Il avait 25 ans de plus que la reine et pourtant tout semble confirmer que Suffolk plus que le favori de la reine.
La mission que lui confie Henri VI de le représenter en France à l'occasion du mariage par procuration va bouleverser sa vie. Il tombe immédiatement amoureux de Marguerite. Henri est l'époux de Marguerite, mais son coeur appartient à Suffolk.
Victime des intrigues de la Cour, la Française sera vite détestée de son peuple. Et cette haine se reporte sur son favori.
Il semble que c'est peu après un attentat dans les rues de Londres contre Suffolk que lui et Marguerite deviennent amants.
C'est alors (février 1447) que Marguerite fait écarter celui qui entretient l'hostilité contre elle, l'oncle du roi, Gloucester. Disgracié, il meurt en prison. Il se dit que ce sont Marguerite et son amant qui sont responsables de cette mort.
Leur ennemi ce sera alors Richard d'York, le chef de l'autre branche des Plantagenet, héritier du trône tant que Marguerite n'a pas donné d' à Henri.
Les amants font alors exiler Richard en Irlande.
La perte de la Normandie face aux armées de Charles VII en 1450 va permettre de mettre en cause l'amant de la reine. Pensant le sauver, Marguerite se résigne à envoyer Suffolk en exil pour cinq ans.
Le bateau l'emmenant en France est intercepté par une bande de soldats mécontents appartenant au duc d'Exeter, qui le condamnent à mort et le décapitent le 2 mai 1450.
Cet assassinat transformera profondément la belle Marguerite : la jeune femme amoureuse va devenir la reine impitoyable de la guerre des deux roses.
UN NOUVEL AMANT ET L'ACCUSATION DE BATARDISE
Edmond de Beaufort, duc de Somerset (1406-1455) succède à Suffolk dans la direction du royaume et, probablement, dans le lit de la reine. Somerset fait partie de la famille royale, son père étant un demi-frère d'Henri IV, le premier des roi Lancastre.
La position de Somerset auprès du roi et sans doute dans le lit de la reine, est vivement contestée par Richard d'York.
Le couple royal a enfin un fils, Édouard de Westminster, né le 13 octobre 1453.
York et ses alliés soupçonnent le duc de Somerset Edmond Beaufort d'être le véritable père du petit prince, alors que le roi a, depuis août 1453, des accès de démence, héritage de son grand-père Charles VI.
L'infidélité de Marguerite envers Henri VI a été prouvée, mais de là à l'accuser d'avoir donné naissance à un « bâtard » !
Bien que les historiens n'aient jamais trouvé aucune preuve pour confirmer cela, une grande partie du public a cru à ces accusations, d'autant plus qu'ils rejetaient une reine d'origine étrangère.
Le retour du roi à ses sens à la Noël 1454 contrarie les ambitions de Richard, qui est écarté de la cour en février 1455 par Marguerite d'Anjou, laquelle réinstalle dans sa puissance son amant Somerset. Marguerite noue des alliances contre Richard et conspire avec d'autres nobles pour réduire son influence. Elle forme ainsi le clan des Lancastriens.
Richard, de plus en plus pressé, recourt finalement aux armes en mai 1455. Les troupes royales, commandées par Somerset, sont battues. Edmond Beaufort est tué pendant le combat et le roi, blessé, est fait prisonnier. Richard d'York est le maître de l'heure.
L'AME DU CLAN DES LANCASTRIENS
Il n'est pas dans l'objet de ce récit de raconter les détails de la terrible guerre des deux roses, avec sa succession de fortunes et de revers, mais qui verra Marguerite, au bout du compte perdre son mari, son fils et sa couronne.
Les problèmes à l'origine du conflit ressurgissent quand il s'agit de savoir si c'est le duc d'York ou le jeune fils d'Henri et Marguerite, Édouard de Westminster, accusé d'être un illégitime, qui doit succéder à Henri sur le trône.
Marguerite refuse toute solution qui déshériterait son fils et il devient clair qu'elle ne tolère la situation qu'aussi longtemps que le duc d'York et ses alliés gardent la suprématie militaire.
A partir de 1461, les York semblent l'emporter, Henri, devenu définitivement fou, est détrôné par Edouard IV d'York, fils de Richard. Il sera capturé en 1465.
LA REINE ET LES BRIGANDS
Une anecdote célèbre raconte qu'en 1463, peu après avoir été vaincue par Édouard IV, la reine s'engage, accompagnée de son fils Édouard, dans une forêt où des brigands la dépouillent.
Enivrés d'une telle capture, ils se querellent sur le partage du butin, et Marguerite saisit cette occasion pour s'échapper.
Accablée de lassitude, elle s'enfonce dans le plus épais du bois, lorsqu'elle est à nouveau abordée par un voleur.
Marguerite ranime son courage, présente au voleur son fils Édouard et d'un ton de dignité qui lui est naturel, lui dit : « Mon ami, sauve mon fils et ton roi. » À cette injonction, le voleur laisse tomber son épée, et offre à la reine et son fils tous les secours dont elle peut le croire capable.
Ils sortent tous les trois de la forêt ; quelques seigneurs du parti des Lancastre les rencontrent heureusement sur leur chemin et tous ensembles fuient en Écosse, et peu de temps après en France.
Belle histoire en effet. On ne saura jamais si la belle Marguerite utilisa d'autres moyens pour convaincre ce brigand de l'épargner, elle et son fils, et de se mettre à leur service!
WARWICK LE DERNIER ALLIE
Marguerite d'Anjou souhaite remettre son mari sur le trône, en majeure partie pour que son fils puisse prétendre à sa succession et permettre à la maison de Lancastre de continuer à régner.
Richard, comte de Warwick (1428-1471) fut un des grands acteurs de la guerre des deux roses, en passant souvent de l'un à l'autre camp. Marguerite le considérait comme son pire ennemi.
Marguerite profite qu'Édouard IV ne s'entende plus avec son principal allié, le comte de Warwick pour, sous la houlette de Louis XI, conclure une alliance avec lui à l'été 1470.
Jusqu'où est allée la réconciliation de Marguerite avec celui qui avait été son ennemi le plus acharné ?
Fut-elle seulement politique, ou bien Marguerite est-elle allée plus loin pour assurer la succession à son fils Edouard de Westminster ?
Marguerite et Warwick avaient presque le même âge et la reine restait une belle femme.
Une telle liaison scellait leur réconciliation autant que le mariage de l'héritier du trône. De là à penser que Warwick fut son dernier amant et qu'en quelque sorte elle lui porta malheur, comme ce fut le cas pour son mari et ses autres amants ?
La seconde fille de Warwick, Anne Neville, épouse Édouard de Westminster le 13 décembre 1470. Ce mariage lie les destins de Warwick et de Marguerite. L'objectif final de cette alliance improbable entre les deux anciens ennemis mortels est de rendre le trône à Henri VI.
Henri VI retrouve temporairement son trône pour quelques mois, mais c'est Warwick, nommé lieutenant du royaume qui exerce le pouvoir, tandis que Marguerite reste de l'autre côté de la Manche.
Edouard IV va vaincre successivement Warwick et les Lancastriens de façon définitive. Marguerite, qui était revenue en Angleterre, est capturée tandis qu'Édouard de Westminster est décapité.
DEFINITIVEMENT VAINCUE
Marguerite est transférée à la Tour de Londres le 21 mai 1471. Son époux Henri VI y meurt le même jour, probablement assassiné sur ordre d'Édouard IV.
Marguerite est confiée en 1472 à la garde d'Alice de la Pole, la veuve du duc de Suffolk, son premier amant!
Son père, le bon roi René, doit payer une rançon de 50 000 écus pour la libération de sa fille, mais l'état de ses finances ne le permet pas. Louis XI, son cousin, qui avait favorisé son mariage, accepte de verser la rançon, mais à condition que le roi René lui cède ses duchés d'Anjou, de Bar, de Lorraine et de Provence.
Marguerite est libérée le 29 janvier 1476. Elle rejoint son père à Aix-en-Provence.
En 1480, après la mort de son père, Marguerite d'Anjou termine sa vie entre le manoir de Reculée, à Angers, et celui de Saumur. En faveur de Louis XI, elle renonce de nouveau à ses droits sur les duchés de Bar et de Lorraine.
Elle meurt en Anjou en août 1482 à l'âge de 52 ans.
Sur un mur du château de Souzay, à Dampierre-sur-Loire, il existe une plaque :
« Marguerite d'Anjou Reine d'Angleterre, l'Héroïne de la Guerre des Deux Roses, la plus malheureuse des reines, des épouses et des mères »
La reine Marguerite figure parmi les personnages de Henry VI et de Richard III, tragédies historiques de Shakespeare.
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