Sur Le Fauteuil
Tout a commencé comme ça : quelquun avait oublié une revue sur la banquette du café que nous fréquentions beaucoup plus assidûment, Amaelle et moi, que les amphis de la Fac de droit. Je lai distraitement feuilletée.
Tiens, cest marrant, écoute ! Un sondage : 87% des hommes et 69% des femmes reconnaissent se masturber régulièrement. Quelle conclusion on peut en tirer à ton avis ?
Pas la moindre idée.
Que 13% des hommes et 31% des femmes sont encore trop coincés pour lavouer.
Elle a éclaté de rire.
Cest pas complètement faux !
Tu te ranges de quel côté ?
Elle a haussé les épaules.
Jirais pas le chanter sur les toits, mais je vois pas pourquoi je men défendrais. Jai toujours considéré ça comme parfaitement naturel. Pas toi ?
Moi ? Je suis un fervent pratiquant depuis de longues années. Depuis que je suis en âge de lêtre en fait.
Elle en a reparlé le lendemain.
Il le sait Fabrice que tu toffres des petits câlins toute seule ?
Oui, ben alors là ! Cest un sujet quil est hors de question daborder avec lui ! La seule chose quil serait capable den conclure, cest quil ne me satisfait pas puisque jai besoin dautre chose. Ça na strictement rien à voir, mais ce quelle en prendrait un coup sa fierté de mâle ! Et toi, Anne, elle est au courant ?
Oh, Anne, ça lui viendrait même pas à lidée que je puisse en avoir envie, puisque je laime.
Le surlendemain aussi.
Ça non plus jirais pas le raconter à nimporte qui pour quoi je passerais ? mais un type, le plus souvent, il te gâche ton plaisir plus quautre chose. Il est dans sa tête à lui. Même sil te connaît bien, sil essaie de te faire des trucs que taimes, cest presque jamais ceux que tu aurais voulu à ce moment-là. Ou pas de la façon quil aurait fallu à ce moment-là. Tandis que toute seule ! Cest toi qui mènes le jeu. À ton rythme. Avec tes images.
Elle a voulu savoir.
Mais tes pas obligé de me répondre. À quoi tu penses, toi, quand tu te le fais ?
Ça dépend. Des jours. Du moment. De mon humeur. De tas de choses. Souvent ça part dun petit rien. Dun coup de vent qui fait voltiger une robe, qui me laisse furtivement entrevoir une petite culotte. Du rideau dune cabine dessayage mal tiré. Dun regard croisé particulièrement appuyé. Dès que je suis seul, je revis la scène, je la fais durer, je brode tant et plus. Ça part dans tous les sens. Ça memmène où ça veut. Dans les endroits de moi-même les plus invraisemblables.
Je connais ça aussi.
Et puis jai mes histoires, des histoires qui me suivent depuis toujours. Qui sont chevillées à moi. Qui simposent quand elles lont, elles, décidé.
Et qui ne doivent surtout pas être racontées. Elles en perdraient tout leur pouvoir. Ça aussi je le sais.
Elle a plongé ses yeux droit dans les miens
Et à moi, tu y penses des fois pendant ?
Si je te dis que non, tu me croiras ?
Pas le moins du monde.
Jy ai toujours pensé. Au lycée, il y avait trois ou quatre filles de la classe que je ramenais avec moi presque tous les soirs. Tu en faisais partie.
Cétait qui les autres ?
Anaïs
Caelia
Romane
Amina
Tu as bon goût. Et maintenant ?
Maintenant ? Maintenant on est tout le temps ensemble tous les deux. Toute la journée. Partout. En amphi. En TP. À la bibliothèque. Au resto U. Ici, au café. Tu es là, constamment à portée de regard. On se parle. On en parle. Alors ment tu es aussi avec moi quand je le fais. Il y a même des fois où
Où ?
Où jai hâte de te quitter pour aller te retrouver. Et toi ? Tu me fais venir ?
Oui. De plus en plus souvent.
Et tu imagines quoi ?
Quon le fait tous les deux ensemble. Côte à côte. Sans quil se passe rien dautre.
Ça, cest vraiment pas difficile à réaliser
On na pas voulu que ce soit tout de suite. Pour avoir le temps dy penser. Den avoir envie. De limaginer, chacun de son côté. Ou ensemble. On en parlait. On se racontait comment ce serait. Ça se déployait en mots. Ça existait. Cétait comme si ça avait eu vraiment lieu. Alors on changeait. Autre chose. Autrement. Jusquau jour où
On le fait ? On le fait vraiment ?
On a roulé jusquà la mer. On la longée. On la laissée nous lécher les pieds. On a imprimé nos pas dans le sable. On a beaucoup parlé. Mais pas de ça. Pas une seule fois. Et puis elle a voulu se baigner et on sest poursuivis en grandes gerbes déclaboussures heureuses.
Le soir, on a dîné aux chandelles, dhuîtres, de moules et de vin blanc dans une petite auberge à glycine et volets bleus. On est restés à discuter, les yeux dans les yeux, jusquà ce que, autour de nous, toutes les autres tables aient été libérées.
Je me suis couché le premier. Elle ma rejoint dans lobscurité, sest silencieusement coulée auprès de moi dans le lit. Il sest passé du temps. Beaucoup de temps. Et puis comme un frémissement à côté. Une vibration. Un tremblement. Mes doigts sont descendus se refermer sur moi. Elle a respiré plus vite, plus profond. Ça sest affirmé, amplifié, en moutonnements délivrés. Une jambe est venue se poser contre ma cuisse, sy est appuyée, ancrée. Jai accéléré mon mouvement de va-et-vient. Elle a haleté, doucement gémi, sest plainte, cabrée. Elle a déferlé. Je me suis répandu au hasard. Elle ma recueilli, du bout des doigts, et est retournée vers elle
Au réveil il faisait grand jour. Appuyée sur un coude, le menton dans la main, elle me regardait. On sest souri.
Tu pensais à quoi, pendant, cette nuit ?
Quon le faisait dans notre café.
Elle a ri.
En plein amphi. Sans nous cacher. Avec tous les regards sur nous. Tu aurais vu leurs têtes ! Elle a repoussé drap et couverture jusquau pied du lit.
On recommence ?
Cétait deux jours plus tard. Dans le grand amphi. Pendant le cours de droit administratif. On était assis côte à côte. Elle avait étalé son manteau sur ses genoux. Elle sest appuyée contre moi, épaule contre épaule. Et elle a bougé. Imperceptiblement. Un remous qui a gagné tout le bras. Qui a pris consistance. À rythme plein. Échevelé. Elle a renversé la tête en arrière, sest abandonnée contre moi. Elle sest redressée, a chuchoté
Ce sera ton tour tout-à-lheure au café.
Eh ben vas-y !
À la table juste à côté la fille semblait absorbée par son livre. Plus loin deux types étaient engagés dans une conversation à grands gestes animés. Plus loin encore, un couple damoureux sembrassait à bouche-que-veux-tu. Jai glissé ma main dans mon pantalon. Jai laissé mes yeux dans les siens. Jusquau bout
Tu sais quoi ? Te retourne pas, mais je crois bien que les trois filles derrière elles se sont aperçues de quelque chose.
On repart le week-end prochain ?
Tas pas peur quil finisse par se poser des questions, Fabrice ?
Oh, Fabrice ! Il y en a que pour le foot en ce moment ! Ils partent en déplacement je sais pas trop où. Il sapercevra même pas que jétais pas là. Et toi, Anne ?
Elle va chez ses parents. Et comme je suis indésirable là-bas.
Eh bien on part alors ! Tu me laisses faire. Je moccupe de tout.
Cétait un château de rêve perdu au milieu des bois. Une suite avec lit à baldaquin et baignoire à remous.
Tes complètement folle ! Ça doit coûter les yeux de la tête un truc pareil.
Toccupe ! Cest mes oignons.
On a passé laprès-midi à arpenter lentement, au hasard, les rues dune ville inconnue.
Elle a appelé de la chambre à côté
Ça y est ! Tu peux venir. Allume ! Elle était assise, complètement nue, sur lun des deux grands fauteuils droits, une jambe passée, de chaque côté, par dessus les accoudoirs. Elle ma fait signe. Je me suis déshabillé et me suis installé dans lautre, tout près, mes genoux contre les siens. Et je lai regardée. Les seins lourds, fermes, veinés de bleu. Lencoche en bas, à nu sur ses replis dentelés, feuilletés, ombrés. Lentrée offerte de son réduit damour. Jai regardé. Et elle ma regardé regarder. Longtemps
Et puis elle sest posé une main en bas.
Ils sont là
Tu les vois ?
Qui ça ?
Eux. Fabrice. Anne. Les copains de la fac. Ceux du café. Tous ceux de tous les jours. Tous. Ils sont tous là.
Elle sest lissée. Avec impatience. Avec emportement. De haut en bas. De bas en haut.
Oui. Ils sont là.
Longs mouvements circulaires. Pressés. Insistants. Avec obstination. Avec délices. Je lai accompagnée.
Tas vu comment ils nous regardent ? Tas vu ? Ils nen peuvent plus.
Son souffle sest fait plus court. Ses lèvres se sont entrouvertes. Ses yeux se sont embrumés.
Comment ils sont dressés ! Cest vers moi. Cest pour moi. Rien que pour moi. Et les filles ! Tas vu les filles ?
Elle sest cabrée, a doucement sangloté son bonheur.
Jai libéré le mien.
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