Grands Moments De Solitude (1)
Une petite semaine au bord de la mer, ça vous dirait, les filles ?
Tu parles si ça nous disait ! Tu parles ! Surtout quaprès la licence quon venait toutes les trois dobtenir haut la main on avait sacrément besoin de décompresser.
Alors, on y va. Je vous emmène. La seule chose, cest quil est pour quatre, le truc que jai trouvé. Et quil nous en faudrait une autre du coup. Que ça nous fasse moins cher.
Une autre ? Daccord, oui, mais qui ? On en connaissait des filles. Des quantités. Cétait pas là le problème. Seulement il en fallait une avec qui on soit sûres de sentendre au moins un minimum. Cétait pas la peine sinon. On en a passé tout un tas en revue, mais il y avait toujours quelque chose qui coinçait. Dune façon ou dune autre.
Jai fini par proposer, en désespoir de cause.
Et si on demandait à Julien ?
Chloé a bien fait un peu la moue.
Un type ? On prend des risques.
Mais Pauline sest tout de suite montrée enthousiaste.
Oh, oui, Julien, oui ! Il est adorable, Julien.
Cétait vrai. Pas prise de tête. Attentionné. Drôle. Et beau mec. En plus ! Là-dessus on était toutes daccord. Alors va pour Julien ! Qui ne sest pas fait prier.
Bien sûr que je viens, les filles ! Bien sûr !
Et, le samedi suivant, on a pris la route.
Mais alors on est bien daccord ! Pas un mot sur les études et tout ça. On est en vacances.
* *
*
On a passé des heures et des heures dans les bouchons sous une chaleur torride.
Ça attaque fort.
Tant et si bien que, quand on est arrivés à destination, il était pas loin de dix heures du soir.
Cest là ? Oh, mais cest pas mal du tout, dis donc !
La mer était effectivement toute proche. Le bruit des vagues allait nous bercer la nuit. Et les voisins nétaient pas si voisins que ça. À bonne distance.
Je sens quon va se plaire. Quon va vraiment se plaire.
À lintérieur, cétait coquet. Pas très grand, mais coquet : une cuisine avec un coin repas, une salle de bains assez spacieuse et une chambre comprenant un lit et deux couchettes, dans le prolongement lune de lautre, le long de la cloison.
Chloé en a voulu une, celle quétait près de la porte.
Que je puisse sortir, si jai des insomnies, sans déranger personne.
Julien a pris lautre et nous, Pauline et moi, on sest vu attribuer le grand lit.
Le temps de sapproprier les lieux, de sinstaller, de manger un morceau et il était minuit.
Et minuit, cest ?
On sest tous exclamés en chur.
Lheure du bain !
Ce qui, avec cette chaleur, allait nous faire le plus grand bien.
On y va à poil ?
Évidemment, Pauline, évidemment quon y va à poil ! Ce serait pas un vrai bain de minuit sinon
Allez, le premier à leau !
On sest désapés, tous les quatre, à toute allure, et on a couru, dans le sable, jusquà la mer.
Cest Julien qui est arrivé le premier.
Comment elle est bonne !
Cétait vrai quelle était bonne ! Un véritable délice.
Aux alentours tout était éteint. Rien. Personne. Quun croissant de lune qui scintillait, argenté, à la surface des flots.
On a nagé. On sest poursuivis. On a fait les fous. On a sauté dans les vagues.
Pauline sest discrètement penchée à mon oreille.
Jadore ça voir lattirail de Julien sagiter dans tous les sens.
Ça lui fait peut-être pareil avec nos nénés. Sûrement, même.
Quand on sest enfin résignés à sortir de leau, il était plus dune heure du matin.
* *
*
Chloé sest assise, en pyjama, sur sa couchette.
La dernière fois que jai pris un bain de minuit, moi, ça a été plutôt rocknroll. Un grand moment de solitude !
Comment ça ? Eh bien, raconte, quoi !
Mais Pauline a pas voulu.
Attends ! Attends ! Quon soit tous là. Quon soit couchés.
Elle a éteint.
Là ! Ça y est ! Vas-y !
Cétait en Espagne. Jai de la famille là-bas. Il faisait une chaleur comme aujourdhui. Peut-être même en pire. On narrivait pas à dormir, ma cousine et moi. Alors on est allées faire un tour. Un peu au hasard. Et on a fini par se retrouver en front de mer, à sept ou huit cents mètres de chez elle. Se baigner ? Cétait tentant. On navait pas nos maillots, mais bon ! Il était deux heures du matin, il y avait pas âme qui vive dans les parages et il faisait nuit noire. Alors
Un bon moment on y a passé dans leau. À se laisser porter et bercer par les vagues. Sauf que, quand on en est sorties, quon a voulu se rhabiller
Pauline a suggéré
Il y avait plus vos vêtements.
Voilà, oui. On a eu beau chercher à droite, chercher à gauche, plus loin, encore plus loin, revenir sur nos pas, recommencer, il a bien fallu finir par se rendre à lévidence : on nous les avait piqués.
Oh, la vache ! Et alors ?
Et alors, ben et alors on était là, complètement à poil, au milieu de la nuit, sur une plage. Sans portable ni rien. Même pas nos godasses. Et sans avoir la moindre idée de la façon dont on allait bien pouvoir se tirer daffaire. Jai bien proposé quon aille sonner à la première porte venue, quon explique notre cas et quon se fasse prêter des vêtements, mais Ana na jamais voulu. « Non, mais attends, je suis connue, moi, ici ! Je tiens pas à être la risée de tout le pays. Et que mon mari apprenne que je me baigne sans rien. Cest vraiment pas le genre de choses quil apprécierait. » On a désespérément cherché une solution, mais on a eu beau tourner et retourner la situation dans tous les sens, il y en avait pas. Pas de vraiment satisfaisante en tout cas. Elle sest décidée dun coup. « On rentre
» « Comme ça ? » « On na pas le choix. Dans une heure, il fera jour. » Et on a pris le chemin du retour.
Wouah ! Le stress
Je te le fais pas dire. Ana essayait bien de se rassurer. « Tout le monde dort.
Mais cest quand même arrivé
Non. Enfin, si ! À un moment on est tombés sur un épicier en train de décharger sa camionnette de fruits et légumes. Il nous a pas vues, je crois pas du moins, mais ça nous a obligées à faire un grand détour. Un peu plus loin, il y avait un vieux monsieur qui faisait pisser son chien. Qui prenait tout son temps. On a dû se cacher près dun quart dheure sous une porte cochère, à attendre que la voie soit libre. Un peu plus loin encore, on est tombées sur un groupe de fêtards éméchés. Rebelote : on a dû se réfugier en catastrophe dans une petite ruelle. Et avec tout ça le jour qui commençait à poindre. Alors je vous dis pas quel soulagement on a éprouvé quand on a enfin touché au but, quon a refermé la grille derrière nous.
Et le mari ?
Pedro ? Il dormait du sommeil du juste, Pedro. Ce qui valait mieux dailleurs.
Vous avez jamais su ce qui sétait vraiment passé, du coup, pour vos vêtements.
Oh, que si ! On nous les a renvoyés. Le surlendemain. Par la poste. Avec un petit mot : « Vous êtes remarquablement bien foutues. On en a allègrement profité. Merci. Et il y avait des signatures. Sept en tout. Parfaitement illisibles.
Ah, ben, daccord ! Et vous avez jamais su qui. Ni où. Ni comment.
Jamais.
Il sest fait un long silence. Que Pauline a fini par rompre.
À toutes il nous est arrivé de nous trouver, un jour ou lautre, dans une situation pas très confortable. À toutes.
Jai abondé dans son sens.
Ça cest sûr ! Tiens, moi, par exemple
Mais elle ma fait taire.
Ah, non ! Demain, tu nous raconteras, Océane. Demain. Je tombe de sommeil.
(à suivre)
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