Grands Moments De Solitude (8)

Ana, la cousine de Chloé, nous a accueillis à bras ouverts.
– Ça mettra un peu d’animation dans la maison. Et ça me changera les idées.
Son mari l’avait quittée.
– Ça fait pas loin d’un an. Mais j’arrive toujours pas à m’en remettre. Je suis conne, hein ?
Chloé s’est inquiétée.
– C’est pas à cause de la nuit où on nous avait piqué nos vêtements au moins ? (*)
– Oh, non ! Non ! Il en a jamais rien su. Non, c’est le cas de figure classique. Il en a rencontré une autre. Qui a su y faire. Bon, mais allez ! On n’en parle plus. On parle d’autre chose.

On a effectivement parlé d’autre chose. Sur la terrasse, au soleil. On a raconté à Ana notre semaine tous ensemble. Elle a évoqué, avec Chloé, toutes sortes de souvenirs qu’elles avaient en commun. On a eu, à plusieurs reprises, d’interminables fous rires. Et puis, la nuit à peine tombée, Julien a suggéré…
– Et si vous nous emmeniez voir à quoi elle ressemble, cette plage mythique ?
Aussitôt, aussitôt fait. On y est descendus.
– C’était là.
Un peu à l’écart. Dans la semi-obscurité des lampadaires de l’avenue, éloignés d’une bonne centaine de mètres. Au moins. Des conditions idéales pour subtiliser des vêtements.
– Surtout quand on se méfie pas.
Des gens sont passés. D’autres.
– Parce qu’il est tôt. Mais dans deux heures, trois maximum, il y aura plus personne…
On a refait avec elles le chemin qu’elles avaient emprunté alors, dans le plus simple appareil, pour rentrer.
– C’était là, l’épicier qui déchargeait sa camionnette.
– Ce détour que ça nous avait obligées à faire, n’empêche ! De près de deux cents mètres ça nous avait rallongées.
Et on l’a refait avec elles, ce détour.
– Et là, tenez, regardez, c’est la porte cochère sous laquelle on a attendu que le vieux ait fini de faire pisser son chien.
– Et ça durait. Ça durait ! À croire qu’il le faisait exprès !
Un peu plus loin il y avait eu les fêtards ! Non, mais ces poussées d’adrénaline que ça lui avait envoyées à Chloé !
Ana l’a attrapée par le cou.


– Ce que t’as pas trouvé si désagréable que ça au fond, non ?
Elles se sont murmuré quelque chose à l’oreille. Et elles ont ri.

La soirée était d’une exceptionnelle douceur et on l’a indéfiniment prolongée, sur la terrasse. Jusqu’à ce que Chloé nous fasse signe, à Pauline et à moi, nous entraîne à l’écart.
– Ils se plaisent bien, Ana et Julien. On les laisse un peu ? On va faire un tour ?
Pauline n’était pas trop chaude.
– On risque de rater quelque chose d’intéressant.
– Qui n’aura probablement pas lieu si on reste là. Elle est pas aussi libérée que nous, Ana.
Et on a tout naturellement repris, toutes les trois, la direction de la plage.
Pauline a proposé.
– On se baigne ?
– Allez !
– Mais reste là à surveiller les vêtements, Chloé, si tu préfères.
– Oh, non ! Non ! Je viens avec vous. Faut pas être parano non plus ! Ça va pas être à chaque fois… Et puis n’importe comment…
– N’importe comment ?
– Non. Rien.
Et on est entrées dans l’eau. En jetant, au début, de temps à autre un petit coup d’œil sur nos vêtements. Au début ! Parce qu’on a fini par n’y plus penser, tout occupées qu’on était à nager et à faire les folles. Tant et si bien que, quand on s’est enfin décidées à sortir…
– Non, mais c’est pas vrai ! Me dites pas que ça a recommencé !
Eh bien si, si ! Nos vêtements avaient disparu.
On s’est concertées un petit moment. Pas bien longtemps. La seule solution… On la connaissait, la solution. Il y en avait pas trente six mille.
– Allez !
Et on s’est bravement engagées sur le chemin du retour.
La situation mettait Pauline dans tous ses états.
– Comment c’est trop, finalement ! Même si ça fout quand même un peu les boules. De pas savoir. De se demander. De se dire qu’à tout moment… Vous trouvez pas, vous ?
Elle aussi, elle trouvait ça grisant, Chloé, de jouer avec le feu.
– À condition de pas se brûler.
– Oh, mais il y a personne.

– Pour le moment…
Il n’y avait effectivement pas âme qui vive par les rues. La plupart des fenêtres étaient éteintes, mais d’éventuels observateurs insomniaques pouvaient être postés derrière l’une ou l’autre d’entre elles et cette perspective me troublait. Énormément. Comme me troublait l’idée de déambuler nue là où, quelques heures auparavant, se pressait une foule nombreuse. Et, du coup, c’était de plus en plus humide entre mes cuisses.
– Attention ! Une voiture !
On s’est réfugiées contre la vitrine d’un magasin. On s’est dissimulées, tant bien que mal, de nos bras ramenés précipitamment sur nos seins, de nos mains plaquées contre nos chattes. Les phares nous ont aveuglées, projetées en pleine lumière. Ça a ralenti à notre hauteur. C’est reparti. Ça s’est éloigné.
– On l’a échappé belle !
– Ils étaient deux, on aurait dit…
– Qui ont bien dû se régaler en tout cas !
On s’est remises en marche. À peine le temps de faire cinquante mètres et on l’a à nouveau entendue, la voiture. Derrière nous. Elle a remonté la rue en trombe. On s’est jetées en catastrophe sur le trottoir. Elle a pilé à nos côtés. La glace s’est baissée.
C’était Julien et Ana.
– Ce que vous pouvez être cons, tous les deux !
– Oh, vous croyez ?
– Non ! On est sûres.
– On vous ramène ?
On s’est consultées toutes les trois du regard.
– Non, merci. Ça ira. On préfère marcher.
– C’est vous qui voyez ! Vos vêtements sont sur le siège arrière. Si vous voulez les récupérer…
– Pas la peine, non ! Il fait bon. On n’a pas froid.
– Ben, à tout-à-l’heure alors !
– C’est ça ! À tout-à-l’heure.
La voiture a hésité. S’est éloignée. On a éclaté de rire. Le plus silencieusement possible.
– C’est pas à ça qu’ils s’attendaient.
– Non, mais on n’allait quand même pas leur laisser le dernier mot !
– Il nous le paiera, Julien. Il perd rien pour attendre, alors là !
On a poursuivi notre chemin, bifurqué à droite.
Une silhouette, dans les lointains, nous a obligées à nous dissimuler quelques instants dans un petit renfoncement, aux abords d’une boulangerie.
– Oh, putain ! Vise-moi ça ! Elles sont à poil, les filles.
D’en-dessous ça venait. En espagnol. D’un soupirail. Le boulanger, sans doute, en plein travail avec ses commis. Il y a eu des rires. Des sifflets. On a pressé le pas. Tourné à gauche. Et on s’est trouvées nez à nez avec un vieux monsieur qui nous a considérées, des pieds à la tête, d’un air éberlué et qui s’est enfui à toutes jambes. Dans le bas de la rue qu’habitait Ana, une femme est sortie sur le pas de sa porte, a donné quelques coups de balai sur le trottoir, a levé les yeux vers nous, fait mine de ne pas nous avoir vues. À l’horizon, le jour commençait à poindre. Il était plus que temps d’arriver.

De la terrasse, on les entendait. Ou, plutôt, on l’entendait, elle. Elle gémissait et feulait tout ce qu’elle savait.
– Non, mais écoutez-moi ça ! Ça les a mis en appétit, on dirait, leur petite plaisanterie.
On est entrées. Et Chloé a, d’autorité, allumé le plafonnier.
– À chacun son tour d’être en pleine lumière…
Ils ne se sont pas interrompus pour autant. Ana était nouée autour de Julien. Des jambes et des bras, la tête renversée en arrière. On les a regardés se ruer à qui mieux mieux l’un contre l’autre. Le ryrhme s’est accéléré. Éperdu. Effréné. Et elle a joui. À longues plaintes rauques furieusement déployées.
Chloé a constaté.
– Eh ben, dis donc, faut pas t’en promettre à toi !
On s’est assises. Ils se sont lentement dénoués. Ana s’est ébrouée.
– Hou là là ! Comment ça fait du bien !
Julien s’est redressé.
– Et vous ? Comment ça s’est passé, vous ?
C’est Pauline qui a répondu.
– Nous ? On a croisé la route d’une troupe de militaires en exercice. Une quarantaine, ils étaient. Qui nous sont tous passés dessus, les uns après les autres. C’était génial !
– Non.
Sérieux…
– Sérieux ? On est tombés sur deux enfoirés. Qui nous ont piqué nos vêtements. Et qui nous ont pourchassées pleins phares. En faisant un raffût de tous les diables. Histoire d’ameuter les populations. Ah, il devait y en avoir du monde discrètement aux fenêtres ! Sinon, ben à part ça, il y a eu un boulanger avec ses commis. Ils ont apparemment beaucoup apprécié. Un petit vieux qu’on a traumatisé. Et une bonne femme qu’a fait semblant de rien voir, mais qu’en n’a pas perdu une miette.
J’ai murmuré…
– Ce que je me demande, moi, c’est combien il y en a qui nous ont vues au final.
Elle s’est penchée vers moi.
– Ah, ça te plaît, ça, hein, comme idée qu’il y en ait eu plein.
Elle m’a attirée contre elle. A passé ses mains entre mes cuisses.
– Et pas qu’un peu, dis donc !
– Pauline…
– Chut ! Dis rien ! Laisse-moi faire…
Elle m’a écartée. Feuilletée. À petits bouts de pouce très doux. Je me suis blottie contre son épaule. Elle a cherché mes lèvres. On s’est passionnément embrassées. Elle est descendue. M’a fait dresser, au passage, la pointe des seins. À petits coups de langue impatients. Est encore descendue. A enfoui sa tête entre mes jambes. Dans mes replis secrets. M’a dégustée. Savourée. Experte. Si savante. Mon plaisir m’a submergée. Je l’ai hurlé.
Quand je suis enfin revenue à moi, Chloé, son gode préféré entre les cuisses, ne quittait pas des yeux Ana et Julien qui s’étaient lancés, une nouvelle fois, dans une chevauchée à perdre haleine.

(*) voir le chapitre un.

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