Hébergement D'Urgence (6)
Elle était attablée, dans la cuisine, les seins nus, devant un grand bol de café au lait et quatre immenses tranches de pain braisé quelle avait recouvertes dune épaisse couche de beurre.
Tu vas manger tout ça ?
Et comment ! Je crève la dalle, moi, ce matin !
Il dort encore, Baptiste ?
Non, il est parti bosser. Complètement sur les rotules. Parce que je sais pas si vous avez entendu, mais on a joué les prolongations, nous, après.
Et elle a mordu, à pleines dents, dans sa deuxième tartine.
Je peux vous demander
vous avez aimé ça, nous voir ?
Tu parles si jai aimé !
Vous prétendriez le contraire
Non, vous étiez à la fête, cest clair. Oh, mais on recommencera, hein, vous inquiétez pas ! Parce que vous avez pas idée de comment il y tient, Baptiste, à que ça se passe devant vous. Au moins de temps en temps. Il y avait plus de huit jours quau téléphone il me parlait plus que de ça. Et comme moi, de mon côté, je suis prête à en passer par tout ce quil veut pour quon narrête pas de se voir tous les deux. Et quand je dis se voir, cest façon de parler. Parce quaucun mec ma jamais fait jouir comme ça avant, moi. Jamais ! Et Dieu sait pourtant que jen ai eu.
Elle sest attaquée à une nouvelle tartine.
Cela étant, faut pas croire non plus que cétait juste pour lui faire plaisir à lui, hein ! Jy ai trouvé mon compte, moi aussi
Oh, ben oui, attendez ! Avoir quelquun, comme ça, à côté, qui regarde, et qui se contente pas de regarder, cest ment un plus.
Elle a esquissé un demi-sourire.
Et puis, ça ma donné loccasion de faire un vu. Parce que cétait la première fois que jen voyais une en vrai, une queue de quelquun de votre âge.
Et cétait quoi, le vu ?
Parce que vous croyez que je vais vous le dire ? Non, mais vous rêvez pas un peu, là ?
* *
*
On venait tout juste douvrir le magasin quand son portable a sonné.
Cest lui ! Allô, oui, Baptiste ! Quoi ? Comment ça ? Dans la cabine dhier ? Tes vraiment complètement fou. Mais oui, je vais le faire, oui. Tu veux tout de suite, là ? Non ? Quand alors ? Tes vraiment tordu un max, toi, hein ! Oui, cest ça, à tout à lheure. Moi aussi, je tembrasse.
Et elle a raccroché.
Il va rappeler. À onze heures. Cest là quon a le plus de monde. Il veut quon fasse un truc, lui et moi.
Quoi, comme truc ?
Que jaille dans la cabine où on était hier et que je massoie sur le tabouret, la culotte descendue sur les chevilles, en marrangeant pour que mes pieds dépassent sous le rideau. Et un peu la culotte aussi, du coup. Mais pas trop quand même. Lui, pendant ce temps-là, il me chauffera plein pot au téléphone. Et la prochaine fois que vous vous verrez, tous les deux, il vous demandera si je lai vraiment fait et comment ça sest passé.
Faut pas que tu te sentes obligée à quoi que ce soit non plus, hein ! Je peux avoir beaucoup dimagination quand je veux.
Oh, non, non ! Ça me porterait malheur de lui mentir. Et puis nimporte comment
Ça te déplaît pas vraiment.
Elle na pas répondu. Elle sest éclipsée en réserve.
* *
*
Il a appelé à onze heures tapantes. Un bref regard sur les quatre clientes qui tournaient ça et là dans le magasin et elle a pris le chemin de la cabine dont elle a tout aussitôt tiré le rideau sur elle.
Ça na dabord été, presque tout de suite, que le bout des pieds. Le bout du bout. Et sa voix au téléphone. Tout bas. Tout feutré. Cinq bonnes minutes durant. Au bout desquelles ses pieds ont fini par apparaître dans leur intégralité, maintenus étroitement liés lun à lautre par la culotte tombée sur les chevilles, une jolie petite culotte verte qui a affleuré, en bas, à la lisière du rideau.
Les clientes allaient, venaient, sans paraître se rendre compte de quoi que ce soit. À lexception dune jeune femme blonde, tout de noir vêtue, qui a longé la cabine à plusieurs reprises, qui a ralenti à sa hauteur, tendu loreille et qui, après être sêtre emparée dune robe au hasard, en toute hâte, sur le premier portant venu, sest engouffrée dans celle dà côté.
La voix de Coralie, au téléphone, sétait faite plus rauque, plus hachée. Son souffle, quand elle ne parlait pas, quelle écoutait, se faisait plus court, plus haletant. En bas, la petite culotte verte était écartelée par deux pieds deux jambes qui ne rêvaient manifestement que de se dépêtrer delle pour souvrir au large. Ce quils ont fini par faire, dun coup, rageusement, séloignant, leur liberté pleinement retrouvée, tout aussitôt au maximum lun de lautre.
Elle a balbutié son plaisir, à petits sanglots contenus, étouffés, le pied gauche dressé sur la pointe des orteils, le droit râclant furieusement la moquette. Le silence. Il sest passé un peu de temps et puis elle est venue me rejoindre à la caisse, les yeux brillants, les pommettes écarlates.
Tu devrais quand même aller récupérer ta culotte !
Wouah ! Cest pas vrai que
Elle sest précipitée, la promptement renfilée, à labri du rideau, est revenue.
Je sais plus où jai la tête.
Je vois ça, oui !
Mais cétait trop bien. Il sait trouver les mots quil faut, ce salaud ! Et puis refaire ça exactement au même endroit quavec lui hier
Sur le même tabouret
La fille est sortie à son tour, est allée tranquillement remettre la robe sur le portant.
Mais il y avait quelquun à côté !
Ben oui, comme tu vois
Je savais pas. Je me suis pas rendu compte. Elle a entendu, vous croyez ?
Ça, ça fait pas lombre dun doute. Vu que moi, dici, à la caisse, jentendais, tu penses bien quelle, juste à côté
Quand il va savoir ça, Baptiste
Eh bien ?
Ça va le mettre dans tous ses états. Surtout que je me sois aperçue de rien. Il va adorer. Mais je faisais vraiment tant de bruit que ça ?
Oui, enfin, faut rien exagérer. Cétait pas le récital de la Callas non plus. La preuve : les trois autres, là-bas, elles ny ont vu que du feu.
La fille en noir sest approchée de la caisse, tout sourire.
Jai pas trop le temps aujourdhui, mais je reviendrai.
Quand vous voudrez. Avec plaisir
Coralie la regardée sen aller, séloigner, au-dehors, sur le trottoir.
Vous croyez quelle se lest fait, elle, à côté ?
Tu laurais fait, toi, à sa place ?
Oui, ben, en tout cas, elle a pas dû être déçue du voyage. Parce que, question vocabulaire, comment cétait débridé.
* *
*
Elle était au téléphone, dans sa chambre.
Je lai appelée.
Tu viens manger ? Ça va être froid.
Jarrive !
Ce quelle a presque aussitôt fait.
Désolée, mais il a fallu que je lui raconte. Tout. Bien en détail.
Et alors ?
Il a bien aimé la fille dans la cabine dà côté. Mais ça, jen étais sûre. Et il ma posé beaucoup de questions sur vous. Comment vous avez réagi. Ce que vous avez dit. Ce que vous avez fait. Avant. Après. Si vous vous êtes approché du rideau. Si vous lavez soulevé. Il arrêtait pas. Et il ma encore parlé en long, en large et en travers dhier soir, quand on sest envoyés en lair devant vous. Sil y a un truc qui lexcite, cest bien ça. Et je sais pourquoi
Cest le genre de choses qui excite beaucoup de monde
Bien sûr, oui. Non, mais là, lui, il y a pas que ça
Il y a quil sait que vous avez envie de moi et que ça débouche sur rien. Alors que lui, si ! Et il veut vous le mettre tant et plus sous le nez.
Elle est à moi, pas à toi, na na naire !
Cest à peu près ça, oui. Et vous savez quoi ? Eh bien, je suis pratiquement sûre que sil y avait pas ça, que si vous étiez pas là, je lintéresserais plus vraiment. Il me mettrait vite fait sur la touche
Et ça, il nen est pas question
Vous savez bien, je vous ai dit. Mais je culpabilise, du coup. Je me dis que je me sers de vous. Et que cest moche.
Tinquiète pas pour ça, va ! Je le vis pas si mal. Et jai de très agréables compensations.
Oh, mais vous en aurez dautres.
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