Jérém&Amp;Nico Saison 2 Episode 01 Recommencer Sans Lui.
Précédemment, dans Jérém&Nico.
Nico, cest moi : jai 18 ans, jhabite Toulouse, et je viens de passer mon bac.
Jérém, cest le garçon dont je suis fou depuis le premier jour du lycée. Brun, gaulé comme un dieu, avec une petite gueule à faire jouir durgence ; rugbyman et coureur de nanas, depuis trois ans il occupe toutes mes pensées et toutes mes branlettes.
Cest par une belle journée de mai que jai trouvé le courage de lui proposer de réviser les maths chez lui. Il a dit oui.
Mais au lieu de réviser, il a voulu que je le suce ; alors, je lai sucé. Il a aussi voulu me baiser : là non plus, je nai pas dit non. Je nai pas pu dire non. Jen avais tellement envie.
Depuis ce jour, on sest vus régulièrement pour de très plaisantes « révisions » : chez lui, dans les chiottes du lycée, dans les vestiaires du terrain de rugby, chez moi.
Le sexe avec Jérém, cest explosif. Il fait ça comme un Dieu. Il fait ça plusieurs fois dans une nuit ou dans un après-midi. Un jeune mâle inépuisable.
Le sexe, cest le moteur de notre « relation » : et Jérém, nen demande pas plus.
Mais pour moi, cest différent : car moi, je suis amoureux de lui.
Pendant des mois, avant le bac, notre relation a connu des hauts et des bas, principalement à cause du fait que le bobrun nassume pas nos coucheries et le plaisir quil prend avec moi ; une relation houleuse qui aurait pu se compliquer encore lorsque, le lendemain du bac, Jérém a commencé à travailler comme serveur dans une brasserie à Esquirol, ce qui ne justifiait plus non « révisions » ; et encore plus, lorsquil a été expulsé de son appart rue de la Colombette et quil a emménagé chez son pote Thibault.
Pourtant, contre tout attente, ces deux évènements ont semblé ouvrir de nouvelles perspectives pour notre relation : ainsi, pendant une semaine que jai appelée « magique », le bobrun est venu me voir chez moi chaque jour pendant sa pause ; une semaine pendant laquelle notre complicité semblait se faire de plus en plus forte ; une semaine où sa carapace de serial baiseur dénoué de tout sentiment (notamment « pour un pd ») semblait en train de tomber pour révéler un être sensible et passionnel.
Une semaine pendant laquelle javais vraiment commencé à croire que tout devenait possible avec le gars que jaimais.
Puis, la nouvelle de son probable recrutement par un club de rugby de la capitale était tombée ; Jérém avait alors aussitôt remonté toute sa carapace, et il avait fini par me quitter. Brutalement.
Après deux semaines de tristesse, de manque, de souffrance, deux semaines qui ont été les pires de ma vie, je lavais recroisé une nuit, fin août : je nétais pas seul, jétais avec Martin, un moniteur dauto-école que javais croisé dans une boite gay aux Carmes.
Jérém, lui, était seul, mais saoul : il sest montré jaloux, méchant, possessif. Il est reparti en colère.
Deux heures plus tard, lors dune bagarre, il avait cogné la tête contre un mur et il avait perdu connaissance.
Le fourgon noir à la silhouette carrée quitte lavenue de Grande Bretagne, traverse la Patte dOie, St Cyprien, le pont St Pierre ; il franchit la Garonne et il rentre dans la ville, il parcourt les rues aux façades en brique rose ou jaune, ces lieux familiers qui ont été le théâtre de ta courte vie.
Maudit accident, arrivé par une chaude nuit dété, alors que tu navais même pas vingt ans !
Pourquoi, mais pourquoi il a fallu que les choses se passent ainsi ? Pourquoi il a fallu que tu partes si tôt ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi, alors que tu avais de si grandes choses à accomplir ?!
Cest horrible, cest injuste. Jai envie de pleurer, de me taper la tête contre le mur : pourquoi, toi ?
Comment recommencer à vivre après ça ? Comment recommencer à vivre, sans toi ? Comment recommencer à vivre, sans toi sur cette terre ?
Depuis trois jours, je ne dors plus, je ne mange plus : la douleur me tue. Je nai jamais ressenti rien de plus insupportable de ma vie.
Ça ne faisait que quelques mois que tu étais entré dans ma vie, au printemps dernier ; et quelques mois plus tard, en cette amère fin dété, je me retrouve en voiture avec ton meilleur pote pour taccompagner dans ton dernier voyage.
Je le regarde, effondré dans le siège passager, il narrive pas à contenir ses larmes, il est défait, anéanti.
« Thibault B., pompier volontaire et espoir du rugby toulousain, victime dun accident de la route dimanche dernier, succombe des suites de ses blessures » : voilà comment la « Dépêche du Midi » a raconté le chapitre final de ton existence. Ce nétait pas dans la partie « Dépêche de Toulouse », cétait dans le supplément « Sport » : car même si tu navais pas encore été titularisé dans le maillot rouge et noir, tu étais déjà considéré comme un pro.
Il y a tellement de choses que jaurais envie de te dire et que je regrette de ne tavoir jamais dites : mais avant tout, je voudrais avoir eu le temps de te dire à quel point ça a été un honneur pour moi de tavoir pour ami.
Le fourgon noir s'arrête sur le parvis de l'église, devant l'entrée principale. Le hayon vitré s'ouvre, laissant apercevoir le cercueil couvert de fleurs. Tu es là-dedans, c'est vraiment ça.
Les agents des pompes funèbres font glisser la boîte en bois brillant et cèdent la place à quatre hommes que je ne connais pas mais qui doivent faire partie de ta famille.
Une musique résonne sous les voutes romanes de l'église : « November rain ». Cette chanson devait représenter quelque chose pour toi. Je nose pas poser la question à Jérém, brisé par la douleur.
La grande foule venue te dire au revoir sinstalle peu à peu, la chanson prend fin. Le curé dit quelques mots. Puis, ta famille et tes potes viennent pour te rendre un dernier hommage.
Dans son costard bleu foncé, défait par le chagrin et pourtant beau comme un mannequin, Jérém monte au pupitre à son tour. En quelques mots, en laissant par moments pleurer son émotion, il nous raconte votre amitié.
« Tu nauras jamais 20 ans, ni 30, ni 50 : tu ne connaitras ni les bonheurs ni les déceptions de la vie
mais tu resteras à tout jamais mon meilleur pote, mon grand frère, le gars qui ma rendu heureux
».
Jérém quitte le pupitre et revient sasseoir à côté de moi. Le curé reprend la parole ; et là, je le vois me regarder, puis annoncer : « Nous allons maintenant écouter lhommage de Nicolas
».
Soudainement, mon cur se met à taper si fort que jai limpression quil va exploser, limpression quil est dans ma tête, limpression que mon crâne va souvrir dun instant à lautre
« Nicolas, venez, tout le monde attend dentendre votre hommage à Thibault
».
Cest là que je me réveille de mon horrible cauchemar
Soudainement, je réalise que je métais endormi sur le canapé. Cest le bruit de la voiture dans lallée du garage qui ma réveillé. Et aussi les aboiements de Simba, mon labrador sable.
Ce soir, il revient plus tôt du boulot. Jespère quil a pensé à passer au supermarché, nos amis ne vont pas tarder à débarquer pour la crémaillère.
Une minute plus tard, la porte du cellier souvre et Jérém apparaît, les bras chargés de courses ; Simba lui emboîte le pas, lui fait la fête ; puis, lorsquil me voit, le labrador fonce vers moi, il vient sessuyer ses pattes boueuses sur mon pantalon et sur le tissu du canapé.
De lair froid rentre par la porte du cellier mais dans la pièce il fait bon, un bon feu crépite dans la grande cheminée.
Jérém pose les courses sur la table, il approche et membrasse tendrement. Je glisse ma main dans ses beaux cheveux bruns, je suis heureux.
Simba aboie à nouveau. Je regarde par la baie vitrée. Une autre voiture arrive dans le jardin, puis une autre et dautres encore : voilà mes parents, ma cousine Elodie, Thibault (ouf, il est vivant !) et les copains du rugby, avec leurs nanas.
Jérém saffaire aux fourneaux, et moi je reste collé à la baie vitrée, je regarde les invités qui discutent sur la pelouse par petits groupes, dans le froid glacial, sans quaucun deux nait lidée dentrer dans la maison pour venir se réchauffer à côté du feu et nous dire bonjour.
Simba est à nouveau dehors, Jérém a dû le sortir ; il jappe comme un malade, passant dun invité à lautre, semblant vouloir rabattre tout le monde vers la maison ; pourtant, personne ne semble y prêter attention.
Jérém a fini de préparer le dîner. Je me retourne et je suis surpris de remarquer que sur la table il ny a quun seul couvert. Jérém sassoit et commence à manger.
Je lui demande ce qui se passe mais il ne me répond pas. Il continue à dîner tout seul.
La nuit tombe dehors et les phares des voitures sallument à nouveau. Les voitures sortent de la cour une à une, les invités sen vont lun après lautre, sans même être venus nous dire bonjour. Sacrée crémaillère, curieuse façon de recevoir des invités
Je le fais remarquer à Jérém. Cest là quil me répond enfin.
« Tu sais, Nico, tout ça, ça narrivera jamais, entre nous cest que de la baise
alors viens me sucer
».
Jentends quelquun frapper violemment à la porte ; ça résonne dans ma tête, cest assourdissant ; jessaie de protéger mes oreilles avec mes mains.
« Tu attends quoi, de moi, Nico ? ».
« Je ne sais pas
».
« Tu tes jamais posé la question de savoir ce que jattends de toi ? ».
Mais les coups sont de plus en plus forts, tout tremble autour de moi, jusquà ce que
Jusquà ce que je me réveille de mon horrible cauchemar, un autre
Je suis sur le canapé, chez moi. Oui, quelquun tape à la porte, et à cette heure ça ne peut être que Jérém. Il revient de la brasserie, il est en pause et il est venu me baiser : il mavait prévenu, mais je me suis endormi en lattendant.
Jouvre la porte, le bogoss rentre aussitôt et il me colle direct au mur ; il me roule une longue, intense pelle : sa fougue est si bouillante quelle me coupe le souffle.
Je le repousse, le temps dun geste vital, celui de le débarrasser de son t-shirt blanc qui me rend dingue depuis le premier jour, le temps dassouvir un besoin tout aussi vital, celui de me retrouver devant son torse de rugbyman.
Le bogoss revient à la charge, il membrasse comme un fou ; je suis chauffé à bloc et je laisse mes mains dériver sur la peau douce de son torse.
Je le sens sursauter dexcitation, je sens sa queue gonfler dans son jeans ; mes lèvres quittent les siennes et je ne peux résister à la tentation de passer ma langue autour de ses tétons, si saillants, si doux ; de descendre le long de la ligne médiane de son torse, de mattarder dans ce nombril entouré de tablettes de chocolat ; et, pour finir, de glisser le long de ce chemin du bonheur, de cette pilosité fine, douce, tiède.
Me voilà à genoux, en train de défaire sa ceinture, sa braguette, de sortir sa bite du boxer.
Elle est droite, belle, bien tendue, avec un beau gland qui donne instantanément envie de le prendre en bouche. Alors je le prends en bouche et, en quelques coups de langue, je le rends dingue de plaisir. Et je me rends dingue de plaisir. Je fais monter la sauce progressivement, lentement, je ne veux pas quil jouisse trop vite. Jai envie de le chauffer, avant quil ne me fasse lamour.
Je suis sur le canapé, et Jérém est en moi, en train de me baiser divinement. Jadore me sentir possédé par sa queue, dominé par sa puissance virile. Le plaisir est tellement intense que je ne peux pas me retenir, je perds pied, je ferme les yeux et je viens
Pendant que je jouis, je lentends me balancer : « Vas-y, mouille bien petite pute, tu mouilles comme toutes les pisseuses et les autres tafioles que je menfile
profite bien de ma queue, parce que cest la dernière fois que tu y goûtes ! ».
Cest là que je me réveille, en nage.
Lorsque je rouvre les yeux, il fait noir autour de moi. Que se passe-t-il ? Où suis-je ? Suis-je enfin réveillé ou cest encore un cauchemar ? Jai du mal à émerger après tous ces enchaînements oniriques.
Jai le souffle agité, je suis en nage. Je me pince la peau pour en avoir le cur net. Je ressens une petite douleur, ça doit donc être bon.
Des bruits remontent à mes oreilles : ça tape, ça tape, ça tape. Papa doit encore être en train de bricoler : quoi de mieux quun bon petit vacarme domestique pour revenir les pieds sur terre ?
Je tourne la tête : mon radio-réveil mannonce :
Jeudi 6 septembre 2001, 6h41.
Dieu merci, je suis dans ma chambre et tout cela nest que rêve : rêve multiple, certes, mais rêve quand même. Petit à petit, je retrouve mes esprits : et je repense au coup de fil de Thibault, il y a dix jours.
Dimanche 26 août 2001.
7h12 : cest ce quaffiche mon radio réveil alors que mon portable vient de sonner et de me réveiller. Enfin : « réveiller » cest un bien grand mot pour létat dans lequel je me trouve après un sommeil dà peine deux heures. Je suis complètement dans les vapes : le temps que je réalise que cest bien la sonnerie du téléphone, le silence est revenu dans ma chambre.
7h13 : mon cerveau rame sérieux ; les logiciels en démarrage automatique se lancent et buggent lun après lautre. Première notification de système : « Cest dimanche, cest tôt : veuillez vérifier vos paramètres et redémarrer à une heure plus convenable ».
Deuxième notification de système : « Cest bizarre que quelquun mappelle à cette heure-ci, surtout un dimanche
».
Je respire un bon coup, je fais appel aux dernières ressources de mes batteries presque à plat, jatt mon portable.
« Appel en absence Thibault ».
Soudain, un mauvais pressentiment prend violemment forme en moi ; très vite, linterpolation des données (sortie au B-Machine la veille, rencontre avec Martin, retour avec Martin, apparition de Jérém saoul, sa mauvaise réaction) aboutit à seul match possible.
Mon cur fait une accélération de 0 à 1000 en un temps record. Jai les mains qui tremblent, je narrive même pas à afficher la liste des appels récents.
Sans encore avoir la moindre idée de ce qui sest passé, je sens les larmes monter aux yeux. Car dans ma tête le pressentiment sest déjà mué en certitude : quelque chose de grave est arrivé à Jérém.
Avant que jarrive à rappeler, licône du message vocal apparaît en haut de lécran.
Je lance le répondeur.
« Nico, cest Thibault
rappelle-moi
dès que tu peux
sil te plaît, Nico
».
Ses mots, ses pauses, ses hésitations, la désolation et linquiétude que je perçois dans le ton de sa voix, sa respiration angoissée : tout participe à confirmer mes craintes.
Je rappelle, la mort dans le cur :
« Nico
» fait-il en décrochant. Un « Nico
» qui est à la fois :« merci davoir appelé », « javais besoin de tavoir au téléphone », « jai un truc grave à tannoncer ».
Un silence suit, un silence que ni lui ni moi navons envie de briser, dernier rempart avant la rencontre avec la dure réalité.
« Il est arrivé quelque chose à Jérém ? » je vais droit au but.
« Oui
oui
comment tu sais ? » fait-il, la voix faible et émue.
« Il est vivant ? ».
« Oui, oui ! Mais il est inconscient, depuis trois heures maintenant
».
Jai la tête qui tourne, je ne me sens partir. La fatigue, le stress, la peur : je sens la migraine monter à grand pas, jai du mal à respirer.
« Il est où ? ».
« A Purpan
en neurologie
».
« Quest-ce quil sest passé ? Un accident de voiture ? ».
« Non, il y a eu une bagarre
».
« Une bagarre ? ».
« Apparemment, il était saoul
il sest pris le bec avec un mec dans la rue
ils se sont battus, il a trébuché, et sa tête a heurté violemment contre un mur
et il a perdu connaissance
».
« Tu es avec lui ? » je tente de me rassurer, comme si la présence de Super Thibault à ses côtés était un gage du fait que les choses ne puissent pas tourner au pire.
« Oui, jy suis depuis deux heures
depuis quun pote pompier ma appelé
».
« Pourquoi tu ne mas pas appelé plus tôt ? ».
« Je voulais avoir des infos plus précises avant
je ne voulais pas tinquiéter pour rien
jespérais quil se réveillerait rapidement
».
« Quest-ce que disent les médecins ? ».
« Il est en train de passer un scanner en ce moment même
ils ne peuvent pas se prononcer sans examens
».
Je pleure en silence. Les secondes senchaînent, je narrive plus à décrocher un mot, jai limpression que le monde seffondre autour de moi.
« Sil te plait, Nico, viens vite
» jentends Thibault chuchoter en pleurant.
« Tu crois quil pourrait
».
« Je nen sais rien, je me refuse de penser au pire, mais viens
viens, Nico
».
Sentir un mec aussi solide que Thibault complètement anéanti, cest insoutenable. Même par téléphone interposé.
« Jarrive
».
Je prononce ces mots mécaniquement, comme dans un état second. Je narrive même pas à réaliser ce qui en train de se passer ; je narrive pas à me dire que Jérém pourrait ne pas sen sortir ; à me dire que je pourrais perdre Jérém non seulement à cause de nos différences ; mais carrément parce quil ne pourrait plus être là, demain.
Je mhabille en catastrophe, en sanglotant ; je laisse un mot pour maman sur la table de la cuisine : « Je vais courir sur le Canal ».
Et je sors. Dans la rue, je suis confronté à la fraîcheur du matin, plutôt mordante ; au vent dAutan, toujours présent, toujours aussi puissant.
Mais aussi à lodeur de pain chaud et de croissant sortant dune boulangerie, à la bonne humeur de deux passants qui se croisent, se lancent des sourires, se disent bonjour, sarrêtent pour discuter ; à la fleuriste en train de rigoler avec le gars du kiosque à journaux ; à un beau garçon qui promène son Spitz sur le trottoir den face.
Bref, la ville se réveille peu à peu, une nouvelle journée commence. Une journée comme toutes les autres, pour tous les autres : mais pas pour moi.
Car pour moi, accablé par cette horrible nouvelle, assommé par un état de fatigue extrême, tenaillé par la migraine, le mot bonheur na plus de sens : car tout me semble désormais tristesse et désespoir.
Je prends le bus direction lHôpital de Purpan, les larmes aux yeux.
Deux arrêts plus loin, un mec monte et sinstalle pile en face de moi. Cest un mec très brun, autour de vingt ans, un mètre quatre-vingts, des épaules bien redessinées par un t-shirt gris, col en V, duquel dépassent un triangle de peau finement velue ; un t-shirt qui porte le logo dune équipe de foot amateur, sur lequel est posé une solide chaînette de mec, et qui retombe sur un short noir ; des baskets aux pieds, un sac de sport à la main, une jolie gueule dange brun sur un beau corps de footeux.
Le mec tient une cigarette entre les lèvres, et la « Dépêche » dans une main, dont il commence aussitôt à feuilleter lannexe sport. Je le regarde jongler entre le journal à tenir, les pages à tourner, la lecture et la cigarette maintenue entre ses lèvres et qui se consume plus que de raison.
Très joli garçon, en route vers un dimanche partagé avec ses potes, autour de la passion commune ; très joli garçon, si beau et si brun quil me fait penser direct à mon Jérém.
Mais à une différence près. Le regard de cet inconnu est serein, apaisé, un regard de mec bien dans ses baskets : alors que celui de mon Jérém, notamment les trois dernières fois où je lai vu, était torturé, en colère, plein de sentiments négatifs.
Peut-être quà ce bobrun inconnu aucun camarade na jamais demandé de « réviser » ; peut-être quil na pas été confronté à des envies et à des sentiments quil ne saurait pas comment gérer ; peut-être que sa vie suit son cours, sans quaucun élément perturbateur ne soit venu la troubler.
Peut-être quil na jamais été exposé à la tentation, peut-être tout simplement quil nest pas sensible à ce genre de tentation ; ou bien il la été avec un pote, à un moment, mais cela ne la pas perturbé plus que ça : tout simplement, cest arrivé, il a aimé, il a assumé, il ne sest pas pris la tête.
Au fond, avec Jérém, ça aurait aussi pu se passer comme ça. Pourquoi ça na pas été le cas ? Je sais quil a bien kiffé coucher avec moi : pourtant, il ne la jamais assumé. Pourquoi ?
Peut-être que si je ne lui avais pas proposé de réviser, il aurait été mieux dans ses baskets ; il ne se serait pas posé tant de questions, il ne se serait pas pris autant la tête ; la nuit dernière nous ne nous serions pas croisés comme des étrangers, et nous ne nous serions pas quittés en colère lun vers lautre ; peut-être alors que ce qui est arrivé cette nuit naurait jamais eu lieu
Pourquoi il a fallu que le destin provoque cette rencontre ? Pourquoi il a fallu que je sois avec Martin ? Pourquoi ne nous sommes-nous pas rencontrés seul à seul ? Pourquoi en sommes-nous arrivés là ?
Je revois son regard vide, désemparé, perdu, rempli de désolation, le même que jai vu dans ses yeux la dernière fois quil était venu chez moi, juste avant quil ne passe la porte dentrée pour partir ; ce regard qui jurait avec son attitude agressive, méprisante, offensante, ce regard qui était certainement le reflet de son véritable état desprit au-delà de sa colère, de sa vulgarité, de son mépris, de son état divresse : létat desprit dun gars paumé.
Je me suis souvent demandé quel était le vrai Jérém, celui de ses actes et de ses mots, impulsifs, virulents, dictés par ses craintes, par son ego ; ou bien celui de ses regards, des regards qui ne mentent pas.
Maintenant, je sais ; maintenant, jen suis certain, Thibault avait raison : au fond, Jérém, nest quun animal blessé qui se débat, qui réagit à sa souffrance par la violence.
Thibault avait pris la mesure du danger bien avant et bien mieux que je ne lavais fait ; il mavait prévenu que Jérém nétait pas bien, et quil risquait de partir en vrille au moindre grain de sable.
On ne peut rien contre le destin : pourtant, dans des moments comme celui-ci, cette évidence ne nous est daucun secours.
Ce matin, je regrette profondément l'impression que jai donnée à Jérém la nuit dernière : limpression que, pour la première fois, c'était moi qui méloignais de lui.
En choisissant de partir avec Martin, jai voulu lui montrer que je ne suis pas son petit chien, ni son punching-ball ; jai aussi voulu tester sa jalousie, tester ce que je représente à ses yeux, au-delà de ses mots mauvais de ses attitudes de macho. Mais avant tout, jai voulu me préserver de souffrir à nouveau à cause de lui. Pour la première fois, jai pensé à moi, avant de penser à lui.
Si seulement javais su trouver les bons mots pour le retenir, la soirée aurait pu être différente. Et à lheure quil est, Jérém ne serait pas inconscient dans un lit dhôpital.
Mais est-ce que les bons mots pour retenir quelquun daussi paumé que Jérém, existent seulement ?
Ce matin, je me dis que oui, ils existent.
Jaurais pu commencer par mexcuser de lavoir frappé, par lui dire quil est la plus belle chose qui me soit arrivée dans la vie ; à sa question : « Ça y est, tu es à nouveau « amoureux » ? », jaurais dû répondre que je nai jamais cessé de lêtre, mais de lui, et de lui seul ; jaurais dû lui dire ce que je me suis retenu de lui jeter à la figure : lui dire que Martin navait pas pris sa place, quil était juste là pour me faire oublier ma tristesse de ne pouvoir être avec lui ; jaurais dû lui dire que mon cur naspirait quà le retrouver, lui ; jaurais dû le prendre dans mes bras, le serrer très fort contre moi, et me laisser aller, lui dire et lui redire à quel point je laime comme un fou, lui en donner le preuve en laissant partir Martin une nouvelle fois.
Et jaurais dû lui proposer de rentrer avec lui. Je naurais jamais dû le laisser seul, dans létat quil était. Rentrer où, dailleurs ? Il na plus de chez lui, il est parti de chez Thibault : je nallais pas quand même laccompagner chez sa pouffe. Si, jaurais dû.
Non, jaurais pu linviter dormir à la maison : bien sûr, maman et papa nauraient rien compris. Mais quimporte ?
Ou alors, on aurait pu prendre une chambre à lhôtel, passer la nuit ensemble en terrain neutre. Recommencer à zéro. Passer la nuit à faire lamour, à discuter. Lhôtel : tellement évident, tellement limpide comme solution !
Mais est-ce quil se serait laissé faire ?
Après que nous ayons couché ensemble, Martin sétait endormi. Jétais sorti sur son balcon prendre lair : je regrettais déjà ce qui venait de se passer, bien quil avait été adorable. Le fait est que Martin nest pas le gars que jaime.
Javais regardé en direction de la rue de la Colombette et je métais dit que je ne pouvais pas me résigner à perdre Jérém de cette façon, sans tenter une dernière fois de lui faire comprendre à quel point on pourrait être bien ensemble ; je métais rassuré en me disant que, dès le lendemain, jallais lappeler, et le convaincre de se voir pour discuter calmement ; je métais dit que oui, le lendemain je trouverais les mots.
Cest horrible de me dire que Jérém sest peut-être bagarré pendant que je couchais avec Martin, ou pendant que je regrettais de lavoir fait.
Le bus arrive à larrêt de Purpan ; je nai pas envie de descendre, jai peur de ce que je vais apprendre dans les minutes à venir.
Je me fais violence pour me lever de mon siège. Je me sens épuisé, oppressé, la migraine est de plus en plus forte, ma respiration de plus en plus difficile ; jai le vertige, ma vue se brouille, le cur tape dans ma gorge ; jai une boule incandescente dans le ventre, jai envie de crier, jai envie de mourir.
Je suis tellement HS que, lorsque je me lève enfin, je heurte violemment le genou du beau footballeur. Je trébuche et le mec matt par lavant-bras, il maide à me remettre.
« Je suis désolé » je me morfonds.
« Tinquiète
» fait-il, tout en ajoutant : « ça va ? ».
« Pas vraiment
».
« Quest-ce qui tarrive ? »
« Je viens voir un pote qui a eu un accident cette nuit
».
« Cest grave ? ».
« Je ne sais pas encore
».
« Courage, ça va aller
» fait-il en accompagnant ses mots par un sourire beau et doux, en prenant ses mains dans les siennes et en les serrant pendant une poignée de secondes.
Jespère que ça va aller. Adieu et merci bobrun inconnu, merci pour ta gentillesse et ton empathie.
Lorsque jarrive en neurologie, Thibault nest pas seul ; il est avec Maxime, le frère de Jérém et dun homme dune quarantaine dannées, brun lui aussi, que je devine être le père de Jérém et de Maxime.
Je sens les larmes me monter aux yeux. Je suis tétanisé, jai peur de savoir ; jai aussi peur de ne pas avoir ma place dans cette petite réunion de famille et de très proches.
Me voyant arriver en larmes, Thibault se lève, vient à ma rencontre et me serre dans ses bras.
« Ça va aller
ça va aller
» il tente de me rassurer.
Un instant plus tard, le jeune pompier fait les présentations.
« Mr Tommasi, Maxime, voilà Nico, un camarade de lycée de Jérémie
Nico, voilà Mr Tommasi et Maxime, le papa et le frère de Jérémie
».
Serrer la main au petit frère et au père de mon Jérém, voilà une étrange sensation : en me laissant me présenter comme « un camarade » de Jérém, jai limpression de les tromper, de mentir.
Cependant, ce nest ni le lieu ni le moment pour avoir des états dâme : alors, je me laisse porter par la situation.
« Il y a du nouveau ? » je demande, sans bien savoir à qui madresser.
« Non, il est toujours au scanner
» fait Mr Tommasi.
« Ils devraient venir nous dire ce qui se passe ! » fait le jeune Tommasi, dont langoisse sexprime sous forme de colère. Comme il me fait penser à son frère, en cela également !
« Patience, ils vont bientôt venir nous parler
» fait Thibault, toujours aussi rassurant et adorable.
Nous allons nous asseoir. Thibault me raconte brièvement ce quil a appris sur les circonstances de laccident ; pendant ce temps, mon regard se fige sur le genou de Maxime en train de sautiller nerveusement : le petit mec se fait visiblement violence pour réussir à tenir en place ; ses yeux noirs ont lair davoir versé beaucoup de larmes ; il est mignon et touchant, jai envie de le serrer dans mes bras et de le réconforter. Il est aussi beau que son frère, et il sent aussi bon.
Mr Tommasi a un regard très brun, très sombre ; un regard qui, lui aussi, me rappelle celui de Jérém, parfois.
« Mais quest-ce qui lui a pris de se battre ? » fait-il, de but en blanc.
« Je pense quil avait pas mal bu
des fois il suffit de pas grand-chose pour que ça parte en vrille
» tente dexpliquer Thibault.
« Il nallait pas bien
» fait Maxime.
« Pourquoi tu dis ça ? » sinsurge Mr Tommasi « il allait partir à Paris, avec une carrière dans le rugby toute tracée
il est jeune et beau et les nanas se battent pour lui
pourquoi il nirait pas bien ? ».
« Tu las laissé tomber
».
« Arrête, Maxime
ça lui a fait le plus grand bien de commencer à sassumer ! ».
« Je te jure quil nallait pas bien depuis quelques jours » insiste Maxime « je lai vu la semaine dernière et je lai trouvé bizarre
il était fatigué
il ne parlait pas, il faisait la tête
».
« Cest peut-être à cause dune nana
» fait Mr Tommasi.
Sur ce, un infirmier approche.
« Comment il va ? » fait Maxime, impatient et inquiet, en bondissant de son siège.
« On vient de terminer le scanner
».
« Il sest réveillé ? » enchaîne Maxime, sans presque respirer.
« Non, pas encore
».
Je vois les larmes remplir ses beaux yeux bruns, je vois les larmes aux yeux marron-tirant-sur-le vert de Thibault, alors que la main de ce dernier se pose sur lépaule du premier pour tenter de le calmer ; je vois le front de Mr Tommasi se froncer un peu plus. Et je sens mes larmes monter à nouveau.
« Le médecin veut voir la famille
vous Monsieur Tommasi
qui dautre est de la famille ? ».
« Moi ! » fait Maxime, impatient.
« Venez avec moi
».
Nous restons là, Thibault et moi, plantés dans le hall, à regarder linfirmier, Mr Tommasi et Maxime disparaître derrière la porte du service.
Le bomécano sassoit. Je massois à mon tour. Je lentends pousser un grand soupir. Un instant plus tard, Thibault seffondre, sa détresse se révèle au grand jour ; ses larmes coulent à flots sur son visage.
« Thibault
» jessaie de le consoler, le serrant contre moi.
Nous pleurons lun dans les bras de lautre.
« Merci dêtre venu
javais besoin que tu sois là
».
« Je suis là
»
« Je ne sais pas ce que je vais devenir si jamais
» fait-il.
« Il ny a pas de « si jamais »
il va être vite remis sur pattes, cest obligé
».
On se découvre parfois une force insoupçonnée lorsquil sagit de réconforter les autres.
« Je le savais
je savais que ça allait lui arriver un truc
».
« Tu savais quil nallait pas bien, mais tu ne pouvais pas deviner quil allait se battre
».
« Je le connais, quand il nest pas bien, il cherche la bagarre, comme sil cherchait le danger, comme sil cherchait à se foutre en lair
jaurais dû être là pour lui
jy ai pensé toute la nuit en plus
javais prévu de lappeler aujourdhui
».
Je suis ému de savoir que pour Thibault aussi le temps sest dérobé sous ses pieds.
Thibault prend son visage dans ses mains tremblantes et je lentends sangloter en silence.
Il est tellement touchant.
« Cest de ma faute tout ça
» il insiste.
« Cest de ma faute aussi
je lai croisé cette nuit
».
« Ah oui ? Et il était comment ? ».
« Il était saoul et il avait fumé
».
« Il ta dit quoi ? ».
« Il ma jeté
jétais avec un gars
».
« Un gars ? ».
« Oui, un mec que jai rencontré en boîte
».
Thibault se tait, pensif.
« Jérém ma quitté
» jai le réflexe de me justifier.
« Je sais
je sais
je sais
».
« Ca sest mal passé
il ma mis plus bas que terre et il est parti super vénér
».
« Jaurais dû lappeler cette nuit
mais pourquoi jai attendu ? » il souffle « quest-ce qui men a empêché ? ».
« Ce sont les mêmes questions que je me pose aussi
jai eu envie de lappeler toute la nuit
mais même si on lavait appelé, quest-ce quon aurait pu faire pour lui ? ».
« On aurait pu lui empêcher de se faire tabasser
».
« Est-ce quil nous aurait écoutés ? Cest lui qui sest éloigné de toi, de moi
il ma largué parce quil nassume pas notre relation
il sest éloigné de toi à cause du recrutement du Stade
».
« Je me sens tellement mal
» fait Thibault, lair démuni devant son immense chagrin.
« Ce nest pas de ta faute sil na pas été retenu par le Stade
».
« Mais je le suis pour ce qui sest passé le dernier soir
».
« Quel soir ? Quest ce qui sest passé ? ».
Thibault se tait, le regard perdu, fuyant, rempli dangoisse : un regard dans lequel je retrouve la même sensation que javais ressentie la veille, lorsque javais été le voir au garage : la sensation que le bomécano ne ma pas tout dit au sujet de cette dernière fois où il a vu son Jéjé ; et à cet instant précis, jai soudainement peur dentendre ce quil va me raconter.
« Quest-ce qui sest passé, dis-moi
» je répète, presque mécaniquement.
Maxime et son père sortent des urgences ; ce dernier tient son bras autour du cou de son fils cadet ; Maxime a lair dun qui a besoin dêtre rassuré ; il est terriblement émouvant.
« Alors ? » fait Thibault soudainement ranimé.
« Il a un traumatisme crânien plutôt grave
» explique Mr Tommasi « pour linstant le médecin ne veut pas savancer
».
« Le pronostic vital est engagé ? ».
« Oui, pendant 48 heures
».
« Il ne sait même pas sil va se réveiller ! » fait Maxime, dans un cri de désespoir.
« Si, il va se réveiller
» fait le bomécano en endossant à nouveau sa cape de Super Thibault, tout en posant à son tour la main sur lépaule du jeune loup à la crinière en bataille « il va se réveiller, cest obligé
il a tellement de Brennus à gagner ! ».
Maxime se dégage et séloigne, en pleurs.
« Cest vrai » fait Mr Tommasi en baissant le ton de la voix « ils ne savent ni quand et ni sil va se réveiller
ni comment
le traumatisme est grave et il pourrait y avoir des séquelles
».
« Du genre ? » je fais.
« Perte de la mémoire, ou pire encore
troubles moteurs, du langage, de lépilepsie
les 24-48 prochaines heures vont être décisives
».
Un silence chargé dangoisse sinstalle dans le sillage de ses mots.
« Allez prendre un café, les gars
je vais rester là
» finit par nous suggérer Mr Tommasi.
« Vous avez besoin de quelque chose ? Vous voulez que je ramène Maxime ? » fait Thibault.
« Non, ma compagne va venir le chercher
».
« Quest-ce quon peut faire pour vous, alors ? » insiste Thibault, serviable au possible.
« Rien, il ny a quà attendre et espérer
si vous êtes croyants, prier
».
Dans ma tête, une seule prière saffiche instantanément : je donnerais tout, pourvu quil sen sorte ; tout, y compris renoncer à lui, si cest ce quil souhaite vraiment.
Je repars avec Thibault, nous marchons en silence. Pas après pas, la question que je lui ai posée par deux fois et qui est restée sans réponse résonne dans ma tête de façon de plus en plus obsédante.
Dans lascenseur, le malaise est palpable. Thibault nest pas bien : je ne veux pas lui prendre la tête mais jai besoin de savoir.
Lascenseur vient de sarrêter au rez-de-chaussée, les portes souvrent. Cest là que je me lance :
« Thibault
».
« Viens avec moi, Nico, on va prendre un truc à la cafet
».
A la cafet, nous nous sommes installés dans un coin, lun face à lautre.
Je nai pas eu besoin de répéter la question qui me brûlait les lèvres ; après avoir avalé une gorgée de café, Thibault ma tout raconté.
Il ma raconté que la dernière fois que Jérém avait dormi chez lui, dix jours plus tôt, il nétait pas bien ; quil stressait à cause de son départ à Paris ; quil était miné par sa peur de devenir pd à cause de sa relation avec moi ; mais, surtout, à son dire, quil était peiné par lidée de séloigner de moi, même sil ne voulait pas ladmettre.
Il ma parlé de ses tentatives de le réconforter, de le rassurer ; il ma raconté de comment il sétait trouvé allongé sur le clic clac, avec son pote dans les bras ; et il ma raconté de comment la proximité et laffection avaient dérapé à un moment ; il ma avoué que cette nuit-là lui et son Jéjé sétaient donnés du plaisir.
Il ma raconté que Jérém était parti de chez lui au petit matin, sans un mot.
Il ma raconté comment ce moment de faiblesse avait mis un grand coup à leur amitié ; il ma raconté à quel point il le regrettait : par rapport à Jérém, par rapport à moi.
Il ma demandé pardon, en larmes.
Je lai laissé parler, le cur un peu plus meurtri à chacun de ses mots.
Depuis quelques heures, au gré de récits divers et variés, je découvrais un nouveau Jérém ; et ça continuait avec Thibault ; au point où jen étais, autant aller au bout des choses et tout savoir, tout connaître de cette énigme quest le gars que jaimais.
Je lui ai demandé si cétait la première fois que cela arrivait.
Thibault ma alors parlé de cette nuit, sous une tente, en camping, lété de leurs 13 ans ; il ma raconté quils sétaient faits du bien comme le font parfois les ados, mais que ça navait été quune fois et quils nen avaient jamais reparlé depuis.
Il ma aussi raconté de cette branlette quil avait faite à son pote la semaine avant la finale du tournoi de rugby.
« Cest pour ça que tu étais si distant quand je suis venu te voir à mon retour de Londres
».
« Je nétais pas fier
je regrettais ce qui sétait passé, je voulais loublier, je voulais faire en sorte que ça ne se reproduise pas
».
Il ma raconté comment ça avait pourtant à nouveau failli dér, dautres fois, par la suite.
Il ma raconté comment, à chaque fois, il avait eu le cur lourd, et sétait senti de plus en plus perdu.
« Je ne voulais pas que ça gâche mon amitié avec Jérém et avec toi
».
Il ma dit et redit quil regrettait ce qui sétait passé avec Jérém ; car il savait que cétait ça, bien plus que la jalousie par rapport à son recrutement par le Stade Toulousain, qui avait éloigné son pote de lui.
Il ma dit quil regrettait de ne pas mavoir tout dit la veille, quand javais été le voir au garage.
Jai laissé Thibault parler, abasourdi par son récit ; jai encaissé, encaissé et encaissé, sans vraiment arriver à ressentir grand-chose ; toutes mes émotions semblaient planer sur le brouillard épais de ma fatigue extrême ; ma conscience harassée a traité toutes ces informations avec distance, en mode « auto préservation ».
Jétais juste sonné, comme si je venais de recevoir un coup de massue sur la tête et que tout était devenu noir.
La détresse de Thibault aurait dû me toucher. Ça na pas été le cas. Javais limpression de ne rien ressentir, de regarder ma vie partir en sucette, mais de la regarder de lextérieur, comme si jétais sorti de mon corps et que jobservais la scène depuis le plafond.
Mon esprit a du mal à se défaire du choc de ce triple cauchemar en cascade, commencé par l« enterrement » de Thibault.
Mon radio-réveil indique toujours le jeudi 6 septembre 2001, mais il est désormais 7h05 ; je suis toujours dans ma chambre, plongé dans le noir.
Aujourdhui encore, comme chaque matin depuis la rupture avec Jérém, et encore plus depuis son accident, je nai pas envie de me lever. Quand je serai à la fac, jaurai une raison pour me lever ; mais jusquà là, dormir est une bonne façon pour ne pas ressasser mes démons. Ainsi, je disparais sous ma couette et je me rendors.
Lorsque je me réveille, il est 10h15.
Jai limpression que laccident de Jérém, cétait il y a tellement longtemps. Il sest passé tellement de choses en dix jours.
Après que Thibault a vidé son sac à la cafétéria de lhôpital, je me suis levé et je suis parti. Je lai entendu me promettre quil me tiendrait au courant quand il y aurait du nouveau. Je nai pas le souvenir de lavoir remercié, je crois que je ne lui ai même pas dit au revoir. Je crois que jétais en mode zombie, et que je navais même pas lénergie pour réagir.
Je ne sais même pas comment je suis rentré chez moi ; je nai aucun souvenir de ce triste voyage de retour en ville ; je me souviens être rentré, et que maman était en train de préparer des lasagnes. Elle ma demandé si je pouvais laider, jai fondu en larmes. Par chance, papa nétait pas là. Je nose pas pleurer devant papa ; et là, jai vraiment besoin de pleurer, plus encore que le jour où Jérém ma quitté.
Maman ma fait asseoir, elle ma demandé ce qui se passait. Je lui ai raconté que le gars quelle avait croisé quelques semaines plus tôt à la maison avait eu un grave accident. Maman a immédiatement saisi ma souffrance, et elle a su trouver les mots pour calmer mes larmes. Vraiment, jai de la chance davoir une maman si formidable.
Le lendemain, lundi, Julien ma appelé pour mannoncer quil y aurait une place pour passer la conduite le mercredi 5 septembre ; rien quau téléphone, il a décelé que je nallais pas bien ; il a insisté pour quon se voit pour prendre un café. Jai été chez lui le soir même, et je lui ai tout raconté : lui aussi a su trouver des mots qui mont fait chaud au cur, il a été adorable. Définitivement, le petit con coureur de nanas a vraiment un bon fond, cest un bon gars.
Martin a pris des nouvelles, mais je nai pas eu envie de lui parler de laccident de Jérém ; il a fini par me proposer de passer chez lui, à loccasion : je nai pas eu envie de le revoir non plus.
Mardi, je suis revenu à Purpan revoir Jérém. Voir ce beau garçon, musclé et dhabitude si vigoureux, dans une chambre dhôpital, inanimé, allongé sur un lit, sous perfusion, branché à un respirateur : ça ma arraché le cur.
Je me suis senti tellement impuissant. Jaurais donné tout ce que je possède pour laider à se réveiller. Jai réitéré la prière que javais faite le dimanche matin : si Jérém se réveille, et sil se réveille comme il sest endormi, sans séquelles, je vais le laisser vivre sa vie comme il lentend ; même si dans cette vie, il ny a pas de place pour moi.
Une fois ce vu prononcé, je me suis senti un peu soulagé ; puis, jai regardé ses yeux fermés, et je nai pas pu résister à lenvie de passer mes doigts dans ses cheveux bruns.
Jai repensé à un truc que javais lu ou entendu à propos des personnes qui sont dans le coma : comme quoi, dans certains cas, elles entendent les mots qui leur sont adressés, et que le fait de leur parler pourrait les aider à revenir.
Je me suis accroche à cet espoir, jai attrapé une chaise, je me suis assis à côté du lit, et je lui ai pris la main. Elle était chaude, lourde, une belle main de mec : mais elle était inanimée.
Jai commencé à lui parler. Je lui ai parlé du frisson que javais ressenti le premier jour du lycée lorsque je lavais vu dans la cour ; je lui ai raconté mon bonheur de le côtoyer depuis trois ans ; je lui ai raconté de comment il avait bouleversé ma vie ; je lui ai dit et redit de comment il était important pour moi, tout comme pour tant de personnes, quil revienne et quil accomplisse son destin.
Sans jamais cesser de tenir sa main entre les miennes, je me suis lancé dans un long monologue ; les yeux fermés, je guettais la moindre réaction de sa part. Par moments, javais limpression quil mécoutait, et que dun moment à lautre il me parlerait à son tour.
Je nai pas entendu la porte de la chambre souvrir ; et je nai entendu Maxime approcher que lorsquil ma demandé :
« Tu kiffes mon frangin, cest ça ? ».
« Oui
».
« Et lui, il te kiffe aussi ? ».
Je nai pas sur quoi lui répondre.
« Je crois quil te kiffe, lui aussi
».
Si tu savais, Maxime, à quel point cest compliqué entre ton frangin et moi !
Mercredi, jai passé laprès-midi avec Elodie, et ça ma fait le plus grand bien. Jétais toujours avec elle, il était est 18h15, lorsque javais reçu un coup de fil de Thibault : Jérém sétait enfin réveillé, et tout semblait normal ; à première vue, il semblait pouvoir bouger chaque partie de son corps, et se souvenir de tout.
La chape de plomb qui pesait sur mon esprit depuis quatre interminables journées sétait enfin dissipée : jai pleuré et Elodie a été adorable. Vraiment, jai une chance inouïe de lavoir, elle aussi.
Samedi midi, nouveau coup de fil de Thibault pour mannoncer que Jérém allait quitter lhôpital dans le week-end. Je crois que jai été plutôt distant avec lui. Jai senti quil a senti cette distance. Jai senti que ça lui faisait mal. Dune certaine façon, dans une certaine mesure, jai eu mal pour lui. Mais sur le coup, je nai pas su faire autrement. La conversation a tourné court.
Je nai rien foutu du week-end ; je ne suis pas sorti, je nai pas été courir, jai ruminé sur tout ce qui sétait passé depuis la rupture avec Jérém, je me suis enfoncé dans un abyme de tristesse.
Pour tenter de refaire surface, jai essayé de me souvenir de la dernière fois où jai été heureux : pour ce faire, jai dû remonter jusquà cette semaine magique, un mois plus tôt, où tout était si beau. Jai repensé aux fois où javais fait lamour avec le garçon que jaimais, jai repensé à ces bisous que javais pu lui faire, quil sétait laissé faire, enfin ; je me suis dit que je donnerais une fortune, ma vie toute entière, pour revivre ne serait quun après-midi de la semaine magique, de ces après-midi fabuleux chez moi, avant le clash fini à coups de poings dans la gueule.
Du coup, jétais encore plus mal : car le fait de repenser aux bons moments ma donné la mesure de tout ce que jai perdu depuis.
Jai essayé de maccrocher au fait que le plus important est là, Jérém est vivant, et cest tout ce qui compte.
Jai également pensé à Thibault ; jai repensé à ce qui mavait raconté, à ce qui sétait passé entre Jérém et lui. Jai repensé avec tristesse aux bons moments quon avait passé ensemble, à cette belle amitié que jai perdue aussi : car jai limpression que quelque chose a cassé en moi, et je n'arrive pas à imaginer qu'un jour on puisse retrouver la relation qu'on avait avant.
Pendant ce week-end, il ny a pas eu une heure sans que jaie eu envie de hurler : « Vivement que je me casse de cette chambre, de cette ville, que je méloigne des souvenirs quelles contiennent, des espoirs meurtris accrochés à chaque objet, à chaque endroit ».
Jai envie de tourner la page. Quitter Toulouse, partir loin.
Mercredi 5 septembre, jai passé ma conduite avec succès ; Julien ma longuement félicité. Il ma même payé un verre. Pourtant, je nai pas pu me réjouir davoir franchi cette petite, grande étape de ma vie. Je métais souvent dit que je fêterais ça avec Jérém
Ce jour-là, Jérém me manquait horriblement, plus encore que les autres jours : pourtant, je me suis martelé sans cesse que je ne chercherais pas à le revoir ; je lai promis sur son lit dhôpital, je vais my tenir. De toute façon, je lai perdu, à tout jamais. Et lorsquil sera à Paris, il ne pensera plus à moi.
Thibault aussi me manquait. Pourtant, je navais pas envie de le revoir. Javais encore trop mal : aveuglé par ma jalousie et par ma colère, embourbé dans ce sentiment de trahison de la part des deux potes dont je narrivais pas à me défaire, je ne réalisais pas encore, comme je le ferai plus tard, à quel point jétais dur et injuste avec Thibault ; Thibault qui souffrait lui aussi : car, tout comme moi, et bien plus encore, il culpabilisait pour ce qui était arrivé à son pote ; Thibault qui sen voulait sincèrement pour ce qui sétait passé ce soir-là, sur le clic clac, avec son Jéjé ; Thibault qui, après ce soir-là, avait tant perdu, et son meilleur pote avant toute chose.
Oui, il me faudra encore un peu de temps pour arriver à comprendre que je navais pas le droit de laisser le bomécano seul avec ce fardeau, lui qui avait toujours été si adorable avec moi. Car, malgré ce qui sétait passé, il navait jamais eu lintention de me faire du mal.
Cest avec ma cousine et son charmant Philippe que jai fêté mon permis le soir même, c'est-à-dire, hier soir. Je navais pas le cur à faire la fête mais je me suis .
Ce jeudi 6 septembre, après ce triple cauchemar, je me lève triste et abattu, pire encore que les jours précédents. La météo est grise sur Toulouse, tout comme elle lest dans mon cur ; le ciel de plomb et le vent frais annoncent les prémices de lautomne.
Je ne sais pas comment me secouer la morosité qui me plombe en cette interminable attente de la rentrée à la fac.
Comment faire pour recommencer sans lui ? Jérém, mon amour perdu, où es-tu mon Jérém ?
En selle dun pur-sang arabe à la robe bai foncé et à la crinière noire, un cavalier à la peau mate brave lair déjà froid du matin ; il regarde la brume se dissiper peu à peu, il guette le lever de soleil sur les sommets immuables, il observe le matin redessiner le profil de la montagne verdoyante.
Les pointes des boots posées sur les étriers, les talons vers le bas, les genoux légèrement pliés, les jambes imperceptiblement en tension, les rênes courtes, le jeune cavalier exerce sa maîtrise silencieuse sur lanimal.
Habillé dun pantalon déquitation noir et dun pull gris à capuche, cette dernière rabattue sur sa belle chevelure brune, le cavalier se tient bien droit sur sa monture, faisant presque un seul avec elle : un étalon porté par un autre étalon, sorte de magnifique centaure.
Il allume une cigarette, en se disant que la fumée le réchauffera au moins de lintérieur.
Le bruit dune cloche de troupeau parvient à ses oreilles ; ce qui lui rappelle, si besoin était, que le mois de septembre est arrivé et que lété vit ses derniers jours : bientôt les troupeaux à lestive vont redescendre dans la plaine ; bientôt il devra partir lui aussi, loin.
Le cavalier reste longuement à simprégner des odeurs, des bruits et des silences de la montagne, il sattarde à balayer du regard lespace ouvert qui se dévoile peu à peu devant lui.
Pourtant, si on suivait ce regard, on sapercevrait que ses yeux ont cessé depuis un bon moment déjà de parcourir lhorizon, pour se figer en direction de sa ville, à 150 bornes de là, cette ville rose quil avait été pressé de quitter quelques jours plus tôt.
Sil était parti de Toulouse pour atterrir dans ce petit village des Pyrénées, cétait pour se ressourcer et se changer les idées, comme il lavait fait depuis son enfance : car la montagne lavait toujours apaisé.
Pourtant, cette fois-ci, ça na pas vraiment été le cas : quelque chose titille le beau cavalier, le hante, lui empêche de se sentir vraiment bien dans ce cadre naturel magnifique.
Cest comme si une partie de lui était restée à Toulouse, et se refusait de la quitter, malgré ses efforts pour tenter de ly arracher ; comme si, dans son départ précipité, il avait oublié quelque chose dimportant. Ou quelquun.
Le soleil perce enfin lhorizon, les premiers rayons de soleil commencent à réchauffer sa peau mate ainsi que la robe brune de sa monture ; le cavalier éteint sa cigarette entre deux doigts, bien quelle ne soit fumée quà moitié, et la glisse dans la petite poche du pantalon déquitation : il prend une profonde inspiration et il réalise que la migraine quil ne lavait pas lâché depuis sa sortie de lhôpital semble enfin disparue. Ça le rassure.
Puis, il penche légèrement le dos vers larrière, il lâche un peu ses rênes, il met un tout petit coup de talon dans le flanc du cheval ; ce dernier prend le pas, puis le trot, et enfin le galop ; en quelques secondes, les deux mâles bruns disparaissent dans la forêt dense.
La suite sur jerem-nico.com
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