Jn0203 Une Route Longue Et Sinueuse.
« Hey, mon pote, comment vas-tu ? ».
Le sms de Julien arrive à point nommé : peu après le coup de fil de Jérém, alors que je marche sur les Berges de Garonne, la tête et le cur en vrac, incapable de trouver le chemin de la maison.
Inattendu. Bouleversant. Ce coup de fil ma fait leffet dune bombe ayant explosé dans ma poitrine. Mon cur sest emballé dès linstant où jai vu son numéro safficher à lécran ; pendant la durée de nos échanges, jai été comme en apnée, les jambes tremblantes, une sorte de vertige altérant mes sens et mes perceptions.
Je viens de raccrocher et je me sens secoué, assommé, retourné comme une chaussette. Jai chaud, jai froid, jai des sueurs, jai des frissons, jai limpression de trembler, de flotter. Jai beau marcher, je narrive pas à me calmer : sa voix, ses mots me suivent où que jaille, ils me hantent.
Car chacun de ses mots ma fait vibrer ; la vibration masculine et sensuelle de sa voix a fait remonter des souvenirs, des ressentis, des émotions, des sentiments, des images, des odeurs, des sensations : ce coup de fil a fait rejaillir en moi toutes les couleurs dont étaient composés mes espoirs de bonheur, tout un monde, un Paradis perdu.
Alors, oui, le sms de Julien est plus que bienvenu : un sms auquel je mempresse de répondre, comme une bouée de sauvetage à laquelle je mempresse de maccrocher :
« Salut, dispo pour un verre maintenant ? ».
« Ds 15 min au Quinquina ».
Un quart dheure plus tard, je suis installé à une table du Quinquina ; et je viens de réaliser que le Quinquina, cest un bar gay. Je me demande si Julien est au courant de ce petit détail. Je regarde à nouveau son sms, et cest bien marqué « au Quinquina ».
Cest la première fois que je mets les pieds dans un bar gay après la soirée au B-Machine. Définitivement, je ne suis toujours pas à laise avec ce genre dendroit : jai toujours limpression de ne pas être à ma place, limpression quon me regarde comme un OVNI, limpression de ne pas être « assez » : assez bien sapé (dautant plus ce soir, où je navais pas du tout prévu de « sortir »), assez stylé, assez pd tout court.
Je croise quelques regards, mais je nessaie pas de les accrocher. Je nai pas envie de tenter de savoir ce que ma présence inspire : cest suffisamment le bordel dans ma tête, à cause du coup de fil de Jérém.
De toute façon je ne suis pas là pour tenter de draguer ; je suis là pour prendre un verre avec un pote, et pour me confier à lui. Mais quest-ce quil fiche Julien ?
Cest moins pour étancher ma soif que pour tenter de me donner une contenance, que je commande une bière blanche ; en attendant Julien, je commence à feuilleter une publication posée sur la table, une sorte de brochure détaillant le Toulouse Gay ; page après page, elle recense les lieux où sortir, les évènements gay friendly du moment ou à venir ; on y trouve également des appels à la sensibilisation pour la prévention de MST, avec les lieux où se faire dépister, ainsi que des petites annonces de rencontre entre garçons.
Quelques instants plus tard, larrivée de Julien ne passe pas inaperçue, pas du tout, car elle a des allures dentrée en scène de rockstar : le boblond est habillé dun t-shirt blanc de marque, un petit bout de coton fin bien ajusté à son torse musclé ; il porte un short bleu mettant en valeur son magnifique fessier ; il arbore un brushing canaille, les cheveux courts autour de la nuque, beaucoup plus longs au-dessus, rabattus vers larrière et fixés avec une profusion de gel, une barbe blonde de plusieurs jours ; et, touche de maître, il porte laccessoire qui tue et qui séduit : des grandes lunettes de soleil (il faut un sacré culot pour oser les lunettes noires, alors quil fait nuit).
Mais aussi, et surtout, il débarque, il avance, il fonce vers moi avec sa dégaine, sa démarche, son allure, son attitude de mec très sûr de lui et de son charme, il fonce en mode conquérant, se mouvant avec aisance dans lépais faisceaux de regards et de désirs qui essaient de le retenir comme autant de fils invisibles.
Oui, larrivée de Julien au Quinquina est du genre plutôt remarquée, car le bogoss dégage un charme et une sexytude presque palpables : sa présence attire et aimante les regards, et les têtes se tournent sur son passage. Larrivée de Julien me fait penser à larrivée de Jérém au On Off, le soir où il my avait embarqué, le même soir où il avait également embarqué le bobarbu Romain.
Lorsquil arrive près de moi, il relève les lunettes au-dessus de la tête, il dégaine un sourire à faire fondre la banquise en 10 secondes chrono, et se penche pour me faire la bise. Son parfum de mec percute mes narines comme un coup de fouet : ah, putain, quest-ce quil sent bon ! Quand je pense que jai fait toutes mes leçons de conduite assommé par ce parfum, et par ce sourire : je ne sais pas vraiment comment jai réussi à me concentrer sur les cours.
« Alors, cétait quoi cette urgence de prendre un verre ? » il me lance à la cantonade.
« Tes au courant quici cest un bar gay ? ».
« Oui, monsieur
».
« Tu vas attirer lattention
».
« Cest déjà le cas
».
« Cest la première fois que tu viens dans un bar gay ? ».
« Non, je viens trois fois par semaine
» il se moque.
« Je croyais que tétais hétéro
».
« Et tu as raison de continuer à le croire
mais oui, cest la première fois
javais envie davoir un nouveau public
».
« Tas pas peur de te faire draguer
? ».
« Je me suis dit que tu surveillerais mes arrières
».
« Je pense que tu vas savoir faire tout seul
».
« Bon, si tu me racontais ce qui tarrive ? ».
En quelques mots, je lui raconte le coup de fil de Jérém, ses « presque excuses » vis-à-vis de son comportement à mon égard, son invitation à le rejoindre dans les Pyrénées, dès le lendemain ; et aussi mes réticences à envisager ces retrouvailles, après tout ce qui sest passé, ma peur dentendre ce quil a à mannoncer, la peur de souffrir encore, la peur de rouvrir une plaie qui a déjà tant de mal à cicatriser.
Julien me laisse parler, sans minterrompre, impassible, ses yeux coquins plantés dans les miens ; puis, après avoir bu une bonne gorgée de la bière quon vient de lui apporter, il me balance, les yeux dans les yeux :
« Mais ta gueule, Nico ! ».
« Quoi, ma gueule ? ».
« Mais putain, tu meurs denvie dy aller, ça crève les yeux ! ».
« Cest vrai
».
« Alors, vas-y, putain ! Fonce ! ».
« Je ne peux pas, jai la visite pour lappart à Bordeaux ce week-end
».
« Tu ten bats les couilles, tu appelles le proprio, tu inventes un bobard, et tu files voir ton rugbyman
».
« Je ne peux pas faire ça
».
« Putain, Nico
bien sur que tu peux faire ça ! Si tu es fou de ce mec comme tu le prétends, tu peux faire ça ! Tu dois y aller, tu DOIS y ALLER ! La vie, toffre une occasion unique, ton mec te tend une perche monumentale, tu ne peux pas la laisser passer ! Parfois, il faut savoir forcer le destin, bon sang ! ».
Je sais que Julien a raison. Je savais ce quil allait me dire avant même quil ne débarque. Mais ça fait du bien de lentendre.
« Attention, on va avoir de la visite
» me prévient discrètement Julien, les sourcils en chapeau, une étincelle bien coquine dans le regard.
« Bonsoir beau mec
».
Sans que je laie vu venir, un mec vient dapprocher de notre table. Il est brun, plutôt fin, il a un beau visage, avec le charme intense de son âge, la vingtaine, un regard qui dévisage, ce petit con de Julien.
« Bonsoir » fait ce dernier, un sourire ravageur au coin des yeux, au coin des lèvres.
« Bonsoir
» je lâche à mon tour, juste pour signaler ma présence.
« Ah, oui, bonsoir
» il se ratt maladroitement ; puis, il sadresse à nouveau à Julien « tas pas arrêté de me mater depuis que tes arrivé
».
« Tu veux dire plutôt que cest toi qui na pas arrêté de me mater depuis que je suis arrivé
».
« Cest exact
» avoue linconnu, tout en affichant un petit sourire fripon.
« Normal, je suis bogoss
» fait Julien, bomec et fier de lêtre.
« Tu ne te la pètes pas un peu, avec tes airs de bogoss ? ».
« Oui, je me kiffe, je ny peux rien
».
« Moi aussi je te kiffe
».
« Ça, javais compris
».
« Alors, si tu veux quon aille faire un tour là-bas (linconnu plie la tête en direction de la porte des toilettes dans un coin de la salle), tu vas pas le regretter
».
« Ça a le mérite dêtre clair
».
« Alors, tu en dis quoi ? ».
« Je dis non
désolé mon pote
je ne cherche pas des aventures avec des mecs
».
« Tes quun allumeur, alors
».
« Va voir ailleurs
» fait Julien.
« Ok, allez vous faire voir tous les deux ! » nous balance le mec, en repartant bredouille et un tantinet agacé.
« Tu lavais vu venir ? » je demande à Julien.
« Il a commencé à me mater dès que je suis arrivé
mais je naurais jamais pensé quil aurait le cran de venir me brancher
surtout que je suis avec toi
».
« Et toi, tu ne las pas un peu cherché ? ».
« Non, pas du tout
».
« Tu parles
tu savais très bien en venant ici que tu ne serais pas passé inaperçu
».
« Nico, promets-moi daller voir ton rugbyman
» il change de sujet « tu crèves denvie dy aller et tu as surtout besoin dentendre ce quil a à te dire
».
Définitivement, avec Julien, jai gagné un pote. Ses mots me portent pendant le trajet de retour vers la maison, alors que le vent dAutan a repris à souffler de plus belle, secouant les cimes des arbres, brassant les feuilles mortes au sol.
Je me sens léger, jai envie denvoyer un sms à Jérém pour lui confirmer ma venue ; pourtant, quelque chose men empêche : car, au fur et à mesure que je méloigne de Julien, une sorte de bataille commence à faire rage dans mon cur.
Dun côté, il y a mon amour, cet amour qui fait que jai une envie folle de le revoir, de croire à la sincérité de ses mots, de croire aux promesses de cette voix privée de toute arrogance, de cette attitude si différente de celle que je lui connais, ponctuée par de touchantes hésitations ; de lautre côté, il y a mon amour propre, celui qui a peur de replonger, celui qui ne veut retomber dans le piège de se créer de nouveaux espoirs, de nouvelles attentes que Jérém pourrait briser à la première occasion ; cet amour propre qui veut me protéger.
Lorsque je me réveille le lendemain matin, vendredi, le tiraillement entre mon amour et mon amour propre est toujours là, je ne sais toujours pas si je vais partir.
Il est 7h30 lorsque jouvre les yeux, puis les volets, et je découvre une journée grise et froide, un ciel de plomb doù tombent des cordes.
Je reste longuement à regarder la pluie incessante, je passe la matinée à ressasser les mots de Julien, ainsi que les échanges, les émotions et les frissons provoqués par le coup de fil de Jérém.
Il est 11h37, lorsque la seule décision possible simpose à mon esprit : je passe un coup de fil à Bordeaux, jinvente un bobard ; lorsque je raccroche, je prends mon courage à deux mains et je vais voir maman.
« Un pote ma invité à aller le rejoindre chez lui ce week-end
» jattaque droit au but.
« Mais il y a la visite de ton appart demain matin ! ».
« Je nai pas oublié, maman
jai appelé le proprio, et il accepte de me rencontrer vendredi prochain
».
« Vendredi prochain, je ne sais pas si je pourrai tamener
».
« Cest pas grave, jirai en train
».
« Cest qui ce pote ? ».
« Un camarade de lycée
».
« Cest celui que jai vu lautre jour ? ».
« Oui, cest lui
».
« Jérémie, cest ça ? ».
« Oui, cest ça
».
« Vous nallez pas encore vous battre ? ».
« Non, jespère pas
».
« Et il est où ton pote ? ».
« A Campan
dans les Pyrénées
».
« Je sais bien où est Campan
et cest loin
et en plus, tas vu le temps quil fait ? ».
« Je sais, je sais
mais je dois y aller
».
« Tu nas le permis que depuis quelques jours
tu te vois rouler pendant des heures sous la flotte ? ».
« Je roulerai doucement, je ferai attention
».
« Tu es vraiment le fils de ton père, tu as le gène de limprudence bien développé quand il sagit damour ! Mais tu as raison, tu dois y aller, autrement tu vas le regretter
tu pars quand ? ».
« Tout à lheure, vers 15 h
je prévois large
».
« On a bien fait de changer les pneus à ta voiture ! ».
« Merci maman
tu le diras à papa ? ».
« Oui, oui, je lui dirai
».
« Merci ! ».
« Tu es vraiment fou de ce garçon, nest-ce pas ? ».
« Oui, je crois
».
« Cest un beau garçon
».
« Oui
».
Ma décision est prise, jai la bénédiction de maman, et dans 6 heures je vais retrouver Jérém ; je me sens soulagé, je me sens tellement « léger » que jai limpression de flotter à un mètre au-dessus du sol.
Une heure plus tard, maman part travailler. Il est 13 heures, jai deux heures pour décider comment mhabiller pour aller retrouver le gars qui me fait tourner la tête et que je nai pas vu depuis un mois.
Je frémis, je bouillonne, je tremble, je ne tiens plus en place ; jai le ventre comme un tambour de machine en mode essorage, jai limpression que tous mes sens sont en état dhyper-sensibilité. Mon corps tout entier est parcouru par une sorte dexcitation insoutenable qui me donne des ailes et massomme tout à la fois.
Je me douche et je me rase, je passe un t-shirt blanc, puis une veste que jai achetée quelques jours plus tôt : cest un blouson détudiant américain bleu foncé, avec les manches blanches ; je passe mon plus beau jeans, ainsi que des baskets noires qui remontent bien sur la cheville ; et je mets du gel dans les cheveux, comme ma cousine ma appris à le faire.
Je me regarde dans le miroir, habillé sur mon 31, le brushing soigné, et je me trouve presque pas mal.
Je mets quelques affaires dans un sac et je descends dans le séjour : il est tout juste 14h30, jatt mon téléphone et jenvoie un sms à Jérém pour lui confirmer ma venue :
« Salut, cest ok pour le week-end, je serai à Campan à 18h ».
Je narrive pas encore à croire que je vais rejoindre Jérém à 200 bornes de là, car il my a invité.
Mais les minutes passent et mon sms reste sans réponse. Est-ce quil capte, là-haut ?
15 heures : il est temps de partir. Je ferme la maison, je glisse mon sac dans la voiture, je minstalle devant le volant et je tourne la clef. Et là
Et là, le bruit étouffé du démarreur envoie un message très clair : la batterie est à plat.
Ah, non, je ne vais pas louper mon Jérém à cause dune putain de batterie déchargée !
Et alors que la panique commence à semparer de moi, jessaie de réfléchir pour trouver une solution : papa, maman sont au travail, je ne peux pas les déranger ; la voisine non plus nest pas là, je ne peux appeler personne ; je retourne dans la maison pour chercher le numéro dun dépanneur.
Je suis en train de feuilleter nerveusement lannuaire, lorsque je reçois un sms.
« Alors, tes parti ? ».
Non, ce nest pas le sms que jattends, celui de Jérém, mais cest le sms quil me faut à ce moment précis, celui de Julien.
« Non, la voiture démarre pas ! » je mempresse de lui répondre.
« Batterie à plat ? ».
« Oui
».
« Bouge pas, jarrive dans 10 minutes »
Cest exactement ce que javais besoin de mentendre dire à cet instant précis.
« Tu veux que jaille où avec la batterie à plat ? » je fais de lhumour, soudainement soulagé de mon angoisse de ne pas pouvoir partir.
« Ah oui, bien vu lol ».
Lattente me paraît interminable : à chaque minute qui passe, je vois mon retard se cumuler. Je regarde mon portable trois fois par minute, toujours pas de nouvelles de Jérém, toujours pas de réponse à mon message.
Je décide de lappeler pour le prévenir que jaurai un peu de retard, mais je tombe direct sur son répondeur :
« Vous êtes sur le répondeur de Jérémie, vous pouvez me laisser un message, mais il se peut que je ne lécoute pas tout de suite, car je suis dans un bled où ça ne passe pas partout, pas toujours ! ».
Je men doutais, je nai aucun moyen de le joindre. Donc, je nai pas de droit à lerreur : si je narrive pas à lheure, il sera reparti et je laurai loupé.
Julien débarque 20 minutes plus tard : il est 15h35 et il pleut toujours. Il débarque en dégainant son plus beau sourire, un véritable rayon de soleil dans cette journée maussade.
« Dis-donc, tu tes fait beau mon salop, tas envie quil te fasse ta fête, hein ? ».
« Arrête de te moquer ! ».
« Je ne me moque pas, tu es tout en beauté, Nico
».
« Merci Julien
».
« Je croyais que tu navais pas envie daller voir ce mec, et patati et patata
» il se moque vraiment, ce coup-ci.
« La ferme, Julien et aide-moi à démarrer ! ».
« Allez, rigole un peu
détends-toi
tes tendu comme un string
».
« Alleeeeeez, je suis pressé
on va rigoler une autre fois
».
Pendant un instant, le bogoss me regarde fixement, sans prêter attention à la pluie qui tombe sans discontinuer, qui défait peu à peu son brushing de bogoss, qui mouille son t-shirt noir ; puis, avec des gestes bien assurés, très « mec », il ouvre le capot de sa voiture, puis celui de la mienne ; il ouvre sa malle, il en extrait deux câbles épais, lun rouge, lautre noir, avec des grosses pinces au bout et il les branche sans hésiter.
Le bogoss revient à son volant et me lance :
« Allez, vas-y, essaie de démarrer
».
Je reviens devant mon volant, je tourne la clef ; et alors que Julien appuie sur laccélérateur pour envoyer le jus, ma voiture démarre comme par enchantement.
« Ne cale pas au premier stop comme tu faisais pendant les cours
tu ne repartirais pas
» il se paie ma tête une fois de plus, pendant quil range les câbles de démarrage.
« Jai eu mon permis depuis
».
« On se demande comment
».
« Cest clair, avec un instructeur aussi naze
».
« Allez, casse-toi et fais gaffe sur la route ! ».
« Merci pour tout Julien
».
« Merci de quoi ? Cest à ça que servent les amis ! ».
« Alors merci dêtre mon ami ! ».
« Tu es un bon gars, Nico
».
« Toi aussi tu es en bon gars
».
« Non, moi je suis une bombasse
».
« Aussi
» jadmets sans difficulté.
Julien me prend dans ses bras, il me serre contre lui. Lorsquil relâche son accolade, je le sens touché ; moi aussi je suis touché.
« Jy vais, alors
».
« Attends une seconde
».
Le boblond plonge dans la voiture, il trifouille dans le vide poches ; un instant plus tard, il en ressort avec une petite bouteille de parfum à la main, il sapproche de moi et il masperge plusieurs fois dans le cou.
« Cest quoi ça ? » je feins de métonner, en reconnaissant illico la fragrance de bogoss qui a failli métourdir à chaque fois dans le petit espace de lhabitacle pendant les cours de conduite. Ah, putain, quest-ce que ça sent bon son parfum !
« Cest ton assurance-baise
» il me balance, tout en approchant le nez de mon cou ; avant de continuer, railleur : « hummmmm
tu sens bon
comment il va te démonter le gars ! ».
« Mais la ferme ! ».
« Tu men donneras des nouvelles ! ».
« Tu ménerves
».
« Allez, file, Nico ! » il lâche, en madressant un petit clin dil en guise dencouragement.
Lorsque je « décolle », il est 15h45 ; je viens de quitter ma rue pour affronter un voyage somme toute assez long, sous un pluie battante, vers une destination que je ne connais pas ; je viens de quitter Julien et sa présence rassurante : je nai pas encore quitté la ville que je suis à nouveau assailli par langoisse, le doute, la peur ; je ressens à la fois lenvie dappuyer sur un bouton pour arriver à destination dans la seconde et la peur au ventre dy être trop vite.
Comme tous les vendredi en fin daprès-midi, il y a de la circulation en ville, et également sur le périphérique ; la pluie ralentit encore le mouvement : résultat de courses, je ne serai jamais à Campan à 18h00 ; si tout va bien, jaurai au moins une demi-heure de retard.
Je profite de larrêt à un feu rouge pour tenter dappeler Jérém une nouvelle fois, mais je tombe à nouveau sur son répondeur ; rien que le fait dentendre sa voix enregistrée me fait frissonner. Quest-ce que ça va être de me retrouver devant lui !
Je retente au feu suivant, et au suivant encore, puis lorsque je suis dans la file dattente au péage de Muret : et je retombe toujours et encore sur son répondeur.
A hauteur de Cazères, après une dizaine de tentatives, je me dis que je ne vais jamais pouvoir le joindre : je me dis également que, sil le faut, jarriverai trop tard, lorsquil sera déjà parti, et que je vais faire toute cette route sous la pluie pour rien. Mais désormais je suis parti, et je ne peux plus faire marche arrière.
Je prends sur moi et je continue à rouler ; je viens de passer le péage et je repense au coup de fil de Jérém de la veille, au frisson inouï qui ma foudroyé lorsque jai vu son numéro safficher sur mon portable.
Jamais je naurais imaginé quil fasse ce pas ; jamais je naurais imaginé entendre à nouveau sa voix, cette vibration sensuelle et virile. Et encore moins, jaurais cru que cette voix, dhabitude si assurée, puisse être traversée par une sorte dhésitation, presque un malaise : comme sil avait vraiment pris conscience de sêtre mal comporté avec moi, comme sil avait peur que ça puisse être « trop tard » pour rattr le coup, comme sil craignait que je lenvoie balader.
« Je voulais savoir comment tu allais
».
Je nai pas été commode avec lui, je suis resté tout le temps sur la défensive : pourtant, ça ma pas drôlement fait plaisir de lentendre demander de mes nouvelles.
Le mauvais temps rend la circulation difficile : la pluie tombe à seau, et le vent sen mêle lui aussi ; leau réduit la visibilité, les rafales me surprennent, me déstabilisent ; je roule doucement, vraiment doucement, je ne quitte pas la voie de droite ; tout le monde me double, y compris les poids lourds ; ces derniers projettent dimportantes quantités deau, ce qui rend la conduite encore plus pénible ; ils provoquent également des appels dair qui se combinent avec le vent et semblent aspirer ma voiture ; jai du mal à garder le contrôle du volant, jai limpression de dér, cest stressant, cest fatiguant.
Je ne peux pas continuer à rouler comme ça, la peur au ventre : alors, même si je sais que ça va me mettre encore plus en retard, tant pis, je vais quitter lautoroute.
La sortie de Martres Tolosane ne tarde pas à se dresser devant mes yeux. Je lemprunte et je marrête sur le bas-côté pour regarder mon plan. Verdict : il faut suivre la direction St Gaudens.
Jai toujours autant de mal à me dire que je suis en train de rouler pour aller voir mon Jérém. Son coup de fil, son invitation, mon départ, tout arrive si vite. Cest tellement inespéré, tellement soudain ; alors que je métais tellement fait à lidée que je ne le reverrai jamais !
Et à chaque fois que jessaie dimaginer nos retrouvailles de plus en plus proches, un frisson géant surgit de mon ventre, se propage dans mon corps, sur ma peau toute entière ; tout mon être frémit, des pieds jusquau cuir chevelu, tous mes poils se dressent.
Jarrive à Martres Tolosane depuis lautoroute et je rentre directement sur son « périphérique intérieur » : en effet, le village nest pas structuré le long dun axe principal, mais plutôt en forme de bastide circulaire ; l« hypercentre », avec son église et ses vieilles bâtisses, constitue une sorte dimmense rond-point situé à lintérieur de la boucle de circulation.
A partir de cette dernière, un certain nombre de routes partent dans différentes directions, lensemble dessinant autant de points dinterrogation géants posés à plat : une structure urbaine qui semble faire écho à mon état desprit, rempli dinterrogations.
« Je me disais que si tu avais ton permis
et une voiture
».
Jai été très touché par sa façon dessayer de me tirer les vers du nez, tout en douceur, comme sil « avait peur » de ma réaction.
« Ça me ferait plaisir de
de te voir ce week-end
».
« Tes sérieux ? ».
« Oui, Nico
».
Mon prénom paraît si beau, lorsquil sort de la bouche de Jérém.
« Tes où ? ».
« A Campan
dans la maison de mon papi
».
Dans sa façon de dire « mon papi », jai ressenti chez mon Jérém un côté choupinou qui le rend à mes yeux terriblement touchant ; et jai réalisé que le serial baiseur musclé et viril a conservé une âme d : jai eu envie de le serrer dans mes bras et de le couvrir de bisous.
« Viens me rejoindre, Nico
».
Lentendre insister ma fait un drôle deffet ; cest la première fois quil me montre quil a vraiment envie de me voir ; et son attitude semble bien loin de celle du petit con qui encore il y a pas longtemps menvoyait des sms bourrés de fautes lorsque lenvie de me baiser lui prenait.
« Je ne tai jamais remercié de mavoir aidé à avoir mon bac
».
Cest gentil quand même
« Nico
».
« When you call my name, its like a little prayer
« Like a prayer » de Madonna et je me sens bien.
« Je tattendrai sur la place du village demain à 18 heures
».
Il ma vraiment ému ce petit con
« Je sais que je me suis comporté comme un con avec toi
».
ému aux larmes, même si je luttais pour ne pas pleurer.
« Les chanceux cest nous, cest toi qui me las dit une fois
».
Il sest même souvenu de cette phrase que je lui avais lancée, comme un cri de désespoir, comme une façon de le supplier de ne pas me quitter, la dernière fois quil était venu chez moi.
« Si tu viens, fais gaffe sur la route, ils annoncent de la flotte dans les heures à venir
»
Il sinquiète pour moi
« Salut Nico
».
Jai ressenti beaucoup de tendresse dans ses dernier mots, et notamment dans sa façon de prononcer « Nico » : définitivement, mon prénom est musique pure lorsque cest Jérém qui le prononce.
En arrivant à St Martory, je me fais la réflexion quau fil des kilomètres la typologie constructive du bâti change de façon perceptible : la brique et la tuile toulousaines cèdent la place à la pierre et lardoise ; la chaleur des bâtisses de la plaine cède la place à la sobriété des constructions de la montagne.
Je regarde ces façades grises, ces rues sans couleurs, et jai limpression que lhiver est déjà là, alors que nous ne sommes quen septembre, et quil va commencer à neiger dun moment à lautre ; et là, je suis saisi par une intense envie de me calfeutrer bien au chaud, devant un bon feu de cheminée, avec mon Jérém à moi.
Porté par la monotonie dun temps pluvieux, par la mélancolie dun paysage empreint de solitude, mon esprit divague ; certains souvenirs viennent à moi, si beaux et pleins de jolies couleurs quils arriveraient presque à réchauffer cette journée froide et maussade.
Le souvenir du premier jour du lycée, une chaude journée de septembre, la cour bondée de têtes inconnues ; souvenir du choc que jai ressenti la première fois que jai aperçu ce petit brun au sourire ravageur : cétait comme recevoir un coup de poing dans le ventre, comme ramasser une gifle capable de me faire tomber à la renverse ; nouveau choc, souvenir de son regard qui soutient le mien, la crainte de me faire capter, la peur de le vexer. Souvenir de ce tout premier instant où tout a commencé, cet instant où « être amoureux » a pris un véritable sens dans mon esprit et dans mon cur.
Un autre souvenir, rappel dun moment magique dans une vigne du Vaucluse, le dernier jour du voyage en Italie, vers la fin de lannée de seconde.
Nadia et Malik étaient parti se rouler des pelles, et je me suis retrouvé seul avec Jérém. Le bogoss fumait debout, un pied appuyé à un grand arbre, et moi jétais assis sur une pierre juste à côté.
Javais essayé de lui faire un peu la conversation, il navait pas été très bavard, le silence me pesait.
Il faisait très chaud et le bogoss était torse nu, il avait même défait sa ceinture et les deux premiers boutons de son jeans.
Les départs des plis de laine, bien saillants, se dévoilaient sous mes yeux ; les poils au-dessus de lélastique bleu de son boxer étaient trempés : son boxer devait être bien humide.
Javais limpression de deviner, de sentir lodeur de sa transpiration, et même lodeur de sa queue. Je narrivais même pas à imaginer le bonheur de poser mon nez sur ce tissu imbibé de ses petites odeurs de jeune mâle ! Jétais fou de désir
Mais à cet instant précis, jétais persuadé que je naurai jamais ce gars, je pensais que je nexistais même pas pour lui ; je naurais jamais imaginé quun jour jaurais le cran de lui proposer de réviser, et encore moins que ce même jour, il aurait envie de me faire goûter à sa queue.
Mais, putain, qu'est-ce quil était beau, Jérémie, en ce beau jour de printemps, dans cette vigne du Vaucluse ! *
La route de contournement de St Gaudens moffre une vue rapprochée avec un paysage vallonné et boisé. Les Pyrénées approchent, je suis à peu près à mi-chemin, japproche de Jérém ; mon ventre tourbillonne, je trépigne dimpatience, la peur au ventre.
En première, il y avait eu un voyage en Espagne. Un voyage dont le premier souvenir est ma jalousie vis-à-vis de ma copine Valérie, que javais surnommée « la fille qui ne perd pas de temps », lorsque je lavais surprise en train de rouler des pelles à Jérém dès le matin du premier jour.
Un autre souvenir de ce voyage, était Laurent, un gros con dune autre classe, un type franchement trop chiant qui avait commencé à me taxer de largent pour sacheter des clopes. Je lui en avais donné une fois, pour quil arrête de me faire chier. Il avait fumé son paquet et il était revenu à la charge ; il mavait coincé un soir, dans un couloir de lhôtel où nous séjournions. Je ne voulais plus lui donner dargent et le type me menaçait pour me faire céder.
Et là, Jérém avait débarqué, lui avait filé des clopes et il lui avait bien mis les points sur les « I » :
« Demain tu tachètes des clopes et tu arrêtes de lui casser les couilles, cest compris ?! ».
« Ok, ok, ténerves pas
».
Sur ce, Laurent sétait tiré, tout comme Jérém. Je lavais regardé séloigner dans le couloir alors que javais tellement envie de le retenir.
« Merci, Jérémie ! » je lui avais lancé, le cur qui battait à tout rompre.
Le bogoss ne sétait même pas retourné, se limitant à me lancer un geste de la main qui semblait signifier : « cest rien, laisse tomber », juste avant de disparaître au tournant du couloir.
Le dernier souvenir de ce voyage est celui du trajet retour, de nuit, le souvenir de Jérém endormi, avec la tête posée sur mes cuisses !
Et cest à la fois un moment de pur bonheur et dimmense angoisse.
Tout semmêle dans ma tête, jai peur de mes sentiments.
Malgré cela, jai hâte de retrouver Jérémie en cours
**
Je suis tellement happé par mes souvenirs que je finis par me tromper de route : sans vraiment savoir comment, je me retrouve dans un bled du nom de Ponlat Taillebourg.
Au village, je dois marrêter à un passage piéton : une femme blonde, tenant dune main un gosse de 4-5 ans, blond et aux grand yeux clairs, et de lautre main la laisse dun gros labrador chocolat tout mouillé, est en train de traverser la route.
Je profite de larrêt pour ouvrir la vitre et prendre un peu lair, tout en suivant le petit sketch qui se joue devant mes yeux.
La scène est assez hilarante car, tout autant le gosse que le labrador semblent se démener pour tenter déchapper au contrôle de la femme, pour sauter de flaque en flaque ; le gosse pousse des cris aigus pour exciter le labrador, ce qui a lair de bien marcher.
« Jordan, arrête dembêter Attila
et toi, Attila, avance ! » je lentends la femme tenter de maîtriser à la fois l et lanimal, lair à la fois débordée et amusée par cette petite mutinerie.
Je quitte le petit village et je mets le cap sur Montréjeau. Campan approche à grand pas, jai limpression que mon cur a des ratés.
Désormais, la montagne sannonce aussi par le changement des cultures : le maïs de la plaine de Garonne laisse la place aux prairies posées sur des pente de plus en plus prononcées ; par endroits, des vaches ou des brebis paissent sans même calculer la pluie qui ne cesse de tomber.
Plus japproche de ma destination, plus je me sens agité, fiévreux, tendu : heureusement, les souvenirs occupent mon esprit.
Je repense à ce fameux soir à lEsméralda où, une fois encore, Jérém était venu à mon secours, alors quun type bourré dans les chiottes exigeait une pipe, sans quoi il allait certainement me frapper. Jérém avait débarqué et avait joué de ses gros bras pour faire dégager le type. Putain, quest-ce quil était furieusement sexy !
Cette nuit-là avait été la nuit des « premières fois » : la première fois que javais ressenti sa jalousie, la première fois que javais eu limpression quil mavait fait lamour ; mais aussi la première fois quil mavait demandé de rester dormir chez lui, la première fois que javais pu le prendre dans mes bras, la première fois que je métais retrouvé dans les siens, bien au chaud ; la première fois que javais ressenti cette sensation qui mavait submergé de bonheur, la sensation que rien ne puisse marriver, une sensation de bonheur intense et ultime.
En arrivant à Montréjeau, cest le souvenir dune autre nuit magique qui remonte à mon esprit : celle qui avait suivi le plan avec Romain, le bobarbu que Jérém avait levé au On Off ; cette nuit-là, alors que Jérém essayait de jouer au mec détaché, en baisant avec le bobarbu et en me laissant baiser avec lui, sa jalousie sétait manifestée une nouvelle fois ; cette nuit-là aussi, il mavait demandé de rester dormir. Et ça avait été une nouvelle nuit de bonheur.
A lapproche de Lannemezan, je repense à cette semaine magique, un mois plus tôt ; je repense à tous ces après-midi chez moi, à faire lamour avec un bobrun souriant, ouvert, bien dans sa peau ; je repense à la complicité quil y avait entre nous à ce moment-là, au bonheur de notre entente, sexuelle mais aussi sur tous les autres plans ; je repense aux câlins ; et je repense aux attentes que cette semaine avait fait naître en moi : lespoir que notre relation était en train évoluer, que lon puisse surmonter la distance et nimporte quel obstacle qui se dresserait entre nous, parce que nous le voudrions tous les deux.
Puis, je repense à Thibault ; Thibault qui avait lair si fuyant lorsque je lai eu au téléphone la veille ; Thibault que je dois recontacter et essayer daller voir dès mon retour sur Toulouse ; Thibault, que je regrette de ne pas avoir été voir plus tôt, pour lui permette de sexpliquer, pour savoir ce qui sétait vraiment passé, et pour quelles raisons ça sétait passé, entre Jérém et lui. Et pour savoir comment il le vivait, ce qui se passait dans sa tête, dans son cur.
Quand je repense à qui sest passé entre Jérém et lui, je ressens à chaque fois une flambée de jalousie remonter violemment en moi et me brûler de lintérieur.
Pourtant, si quelquun est bien placé pour comprendre ce qua pu vivre Thibault, cest bien moi. Oui, je peux comprendre ces envies déchirantes, et la frustration qui sy accompagne, pour un garçon à la fois si proche mais si inaccessible. Et cette frustration, Thibault la vécue pendant des années, depuis ladolescence, il la vécue avec une acuité, une proximité que moi-même ne connaîtrai pas.
Comment alors ne pas comprendre que Thibault ait pu céder à loccasion qui sest présentée, sans penser à faire du mal à qui que ce soit et au contraire à penser à se faire du bien à lui, à lui et à Jérém ?
Je ne peux pas affirmer que je naurais pas agi de la même façon à sa place, probablement jaurais agi de la même façon. Comment aurait-il pu agir autrement ?
Quand je repense à cette nuit que nous avions passée tous les trois chez Jérém, jy repense souvent comme à une erreur : pendant cette nuit, javais cru déceler une sorte dattirance entre les deux potes, attirance à laquelle eux-mêmes avaient été confrontés peut-être pour la première fois, et qui pourrait réveiller des désirs et des envies jusque-là latents. Dès le lendemain, je métais dit que cette nuit pouvait faire des dégâts dans les relations entre nous trois, et dans chacun de nous.
Erreur ou pas, cette nuit a eu des conséquences sur tous les trois.
Sur Jérém, car il a été une fois de plus déstabilisé et jaloux de me voir coucher avec un autre gars, même si cest lui qui avait provoqué ce plan pour me prouver, pour se prouver quil nen avait rien à faire de moi ; jaloux de le même façon que lors du plan avec le bobarbu Romain, jaloux de me voir coucher avec son pote de toujours, alors quil lavait lui-même invité à participer à nos ébats.
Cette nuit a eu des conséquences sur moi, car jai découvert la rassurance douceur de Thibault ; une découverte qui a contribué à me faire prendre conscience que je ne devais pas tout accepter de Jérém.
Et sur Thibault aussi, car cette nuit la certainement remué de fond en comble, lui qui aimait secrètement son pote depuis si longuement ; cette nuit a certainement réveillé en lui des désirs quil essayait de maîtriser, non sans peine ; cette nuit a été létincelle qui les a fait flamber jusquà les rendre insupportables.
Dès lors, ces désirs ne lont plus quitté, et lui ont échappé des mains : jusquà ce fameux soir où il a fini par coucher avec Jérém.
Au fond, jai moins du mal à accepter que Jérém ait couché avec Thibault quavec dautres gars, des inconnus.
A Tournay, je repense à cet adorable Maxime : est-ce que Jérém sait que son frérot ma vu le caresser sur son lit dhôpital, quil ma posé des questions, et quil a certainement tout compris de ce quil y a entre lui et moi, sans que ça semble lui poser de problème ?
En arrivant à Bagnères de Bigorre, je me sens comme une casserole de lait en pleine ébullition, prête à déborder : les retrouvailles approchent à grand pas, jen ai mal au ventre.
« Tu pars quand à Paris ? ».
« Quand le médecin me donnera le feu vert
je dois passer des visites médicales à la fin du mois
».
Il va partir de toute façon, il va partir bientôt : alors, à quoi ça rime son initiative de reprendre contact avec moi ? A quoi ça rime cette invitation ? Est-ce quil veut me voir pour me dire « adieu » ? Mais à quoi bon se revoir, si cest pour se quitter à nouveau de suite après ? Pourquoi ne pas laisser les choses se tasser, laisser au Temps le temps de faire le deuil, le temps de nous oublier ?
Comment ça va se passer cette rencontre ? Je marche vers linconnu, et cet inconnu me fait peur.
En sortant de Bagnères, la montagne est là, devant moi, tout autour de moi ; le ciel est très gris, très lourd ; il pleut de façon insistante et lhumidité remonte les pentes sous forme de brouillard, jusquà cacher les sommets.
Un panneau routier indique : « Campan 10 km ».
Dix kilomètres, dix minutes. Dans dix minutes, je serai arrivé à destination ; dans dix minutes, je saurai sil ma attendu, malgré ma demi-heure de retard : sil nest plus là, jaurai fait toute cette route, longue, sinueuse et difficile, pour rien, une route qui ma amené de Toulouse à Campan, une route qui démarre le premier jour de lycée et qui me mène ici, dans les Pyrénées, le cur en vrac.
Mais sil est là, et jespère encore et malgré tout quil est là, je vais devoir affronter son regard, endurer sa présence, maîtriser les battements de mon cur qui, je le sens, vont encore saccélérer, qui vont taper tellement fort dans ma poitrine que jaurai du mal à tenir debout ; sil est là, et lorsque je serai devant lui, je vais devoir essayer de maîtriser mes émotions, garder mes moyens, ne pas pleurer, ne pas ménerver. Et ne pas céder au désir brûlant, à cette envie de lui, de son corps, de son odeur, de sa proximité, de cette sensualité qui va me happer à coup sûr.
Je ne sais pas comment je vais faire, je ressens tellement démotions à la fois puissantes et contrastantes vis-à-vis de ce mec
Quelle attitude adopter ? Comment me comporter avec lui ? Comment ne pas craquer ?
Un panneau routier indique : « Campan 3 km ».
A lapproche de Campan, je repense au moment où jai appris pour son accident, à ces trois jour pendant lesquels jai eu la peur de ma vie : la peur quil ne se réveille pas, la peur de le perdre, pour toujours ; et quand je pense au soulagement que jai ressenti lorsque Thibault ma annoncé quil sétait réveillé de son coma, je me sens prêt à tout lui pardonner ; je crois que de toute façon, rien quen le revoyant, je vais fondre.
Je ressens une soudaine et folle envie de le serrer contre moi, de le couvrir de bisous ; je me sens prêt à tout recommencer, à prendre tous les risques ; à lui dire et lui redire clairement quil est la plus belle chose qui me soit arrivée dans la vie, que je ne peux pas renoncer à le voir, que je ferai tout ce quil faut pour continuer à le voir, que jirai le voir à Paris, que je serai discret, que je ne lui demanderai pas plus quil ne peut me donner.
Ma playlist sur cassette accompagne mes pensées, avec lune des dernières chansons, et certainement lune des plus poignantes, signées Beatles :
The long and winding road that leads to your door/La longue et sinueuse route qui mène à ta porte
Will never disappear, I've seen that road before/Ne disparaîtra jamais, j'ai déjà vu cette route.
It always leads me here/Elle me conduit toujours ici,
Leads me to your door/Elle me conduit à ta porte.
Linstant « T » approche à grand pas, tout se bouscule dans ma tête, je narrive plus à me focaliser sur quoique ce soit, et encore moins à me fixer sur lattitude à adopter vis-à-vis de Jérém : désormais il nest plus temps de prendre des résolutions.
Alors, ma seule « résolution », ce sera celle de me laisser porter par les évènements, découter ce quil a à me dire et de me comporter en fonction ; inutile de prévoir ce que je vais lui dire, ou de me fixer une attitude plutôt quune autre ; inutile denvisager quil va se comporter de telle ou telle façon, quil va dire ceci ou cela : de toute façon, rien ne se passera comme je pourrais limaginer. Et surtout pas avec Jérém. Et, au fond, cest bien ainsi : cest cet inconnu qui fait battre si fort mon cur : ça fait mal parfois, mais ça me fait me sentir tellement, tellement, tellement vivant.
« CAMPAN ».
Lorsque le panneau dentrée dagglomération rentre dans mon champ de vision, les six lettres me percutent comme une gifle puissante : je ressens une intense chaleur se propager dans mon ventre, tout se brouille dans ma tête, jai limpression de planer.
Le ciel lourd se combine à merveille avec les nuances de gris de la pierre des murs, de lardoise des toitures pentues ; je suis sous le charme de cet environnement tout en pierre et sobriété, de ce paysage comme en « noir et blanc », qui semble tout droit sorti dune ancienne carte postale ; le village a lair dun bijou posé sur un coussin de nuages gris, et tout autour de moi semble parler de lhiver, de journées froides, humides, dune nature hostile jusquau printemps.
Voilà la halle en pierre, avec ses pentes très inclinées couvertes dardoises, ses piliers en pierre, ronds et massifs mais pas très hauts, empêchant la lumière de pénétrer à lintérieur, notamment par une journée aussi grise ; je ralentis, et je regarde vite fait si je vois mon Jérém quelque part dans la pénombre, mais je ne vois rien. Pourvu quil soit encore là.
Je mengage dans le petit boulevard juste en face, là où il semble y avoir des parkings.
18h38. Presque 40 minutes de retard. Je sors de la voiture sans attendre, alors quil tombe toujours des cordes. Pourvu quil ne soit pas déjà reparti ! Car, sil nest plus là, et comme je narrive pas à le joindre, je vais devoir le retrouver : non, je ne repartirai pas à Toulouse sans lavoir vu, ou sans avoir retourné le village tout entier pour le débusquer.
Je remonte le petit boulevard, je me hâte en direction de la halle en pierre : je me « hâte » comme je peux, alors que jai les jambes en coton, le souffle coupé, le cur dans la gorge, les mains moites, la tête qui tourne.
Je nai plus que la route à traverser pour atteindre mon but : et cest là que japerçois une présence dans la pénombre, une carrure et une attitude de mec qui pourraient bien être les siennes. Je vois un mec de dos, lépaule appuyée contre le pilier dangle du bâtiment, habillé dun pull gris dont la capuche est remontée sur la tête, et dun short en jeans assez long. Le mec semble regarder la pluie tomber, mais dans la direction opposée.
Cest lui, je suis sûr et certain que cest lui.
Jai le tournis, puis le vertige, ma vue se brouille ; je traverse la route mais je ne me sens pas le courage daller directement vers lui : alors, je me cache derrière langle de la maison jouxtant la halle.
Je viens tout juste de lapercevoir, et tellement de choses remontent en moi, cest insoutenable, insupportable, jai envie de pleurer, jai envie de faire demi-tour et de repartir.
Je reste ainsi, comme tétanisé, mes larmes se mélangeant à la flotte qui tombe sur ma tête et sur mes épaules, pendant quelques longs instants.
Jusquà ce quune voix au fond de moi se lève pour crier :
« VAS-Y ! ».
Je reconnais cette voix, cest la même qui sétait levée le jour de la première révision, pendant mon trajet à pied vers lappart de la rue de la Colombette ; elle sétait fait entendre alors que je traversais le Grand Rond à Toulouse, et que jhésitais à faire demi-tour, là aussi. Malgré tout, je me dis que cette voix avait eu raison, et que javais eu raison de lécouter. Et si cette voix a eu raison hier, je ne vois pas pourquoi il nen serait pas de même aujourdhui.
Jessuie mes larmes, je prends une profonde inspiration et je franchis le seuil de la halle, laissant à nouveau le garçon que jaime pénétrer à son insu dans mon champ de vision, dans ma tête, dans mon cur, dans mes tripes.
Javance doucement et jai vraiment limpression de planer, le bruit de mes pas est couvert par le son de la pluie qui tombe sur les ardoises et qui résonne dans le grand espace à la lourde charpente de bois.
Et à chaque pas, jai limpression de sentir un peu plus fort sa présence, comme une radiation qui se dégage de lui, comme quelque chose de palpable, comme une sorte de brouillard épais qui menveloppe, comme quelque chose d'électrique qui perturbe toutes les fibres de mon corps et de mon cur.
Alors même quil nest que de dos, quil ne sest même pas rendu compte de ma présence.
Sa présence irradie, mon amour et mon désir amplifie. Ce mec me fait un effet de dingue.
Jai envie de faire durer cet instant le plus longtemps possible, cet instant où tout est possible, où je ne connais pas encore ses intentions, où je nai pas encore croisé son regard de braise, où je nai pas encore entendu sa voix, ni ses mots, cet instant où il mattend encore, où il se demande peut-être si je vais venir ou pas, où il est peut-être déçu de ne pas me voir ; oui, jai envie de faire durer le plus longtemps possible la perfection de cet instant où tous les espoirs sont encore possibles.
Le pull à capuche souligne le V de son dos, le short laisse dépasser ses mollets, cest sexy à tomber. Il est en train de fumer.
Je ne suis désormais quà cinq mètres de lui ; et alors que le bruit de la pluie couvre toujours le bruit de mes pas, le bogoss se retourne soudainement, comme si je lavais appelé.
Sous lample capuche, les traits et le regard de mon Jérém me frappent comme un poing en plein ventre.
Il écrase son mégot contre le pilier, il le glisse dans sa poche et il bascule sa capuche : ses cheveux bruns apparaissent et, surprise, ils sont laissés en bataille, sans aucune fixation, ils sont même un peu plus longs que dhabitude, magnifique crinière virile de beau mâle brun ; sa barbe aussi est plus longue que dhabitude, dune semaine je dirais, et elle habille à merveille la peau mate de son visage ; visage qui porte des marques de coups, qui ne sont pas celles provoquées par ma main, mais certainement les suites de la bagarre qui la conduit dans le coma pendant trois jours. Je fonds.
« Salut
» il me lance en sefforçant dafficher un beau sourire.
« Salut
» je lui réponds, en mefforçant de ne pas bégayer, en prenant sur moi pour le regarder dans les yeux.
« Ça va ? » il enchaîne.
« Oui
et toi ? ».
« Ça va
».
Et là, au bout de deux échanges de politesses, le silence sinstalle entre nous. Je suis mal à laise et jai limpression que Jérém nest pas plus à laise que moi, comme si son assurance de petit con qui na peur de rien sétait soudainement envolée.
Jaurais envie de trouver un moyen de briser la glace, je ny arrive pas. Je suis perdu, troublé par sa présence : je ne sais pas où nous en sommes vraiment, jai limpression quaprès tout ce qui sest passé, après un mois sans se voir, une nouvelle distance sest glissée entre nous. Comme si nos existences jadis synchronisées étaient désormais en décalage.
Les secondes senchaînent et le bruit de la pluie devient presque assourdissant.
« Tes beau, dis-donc
» il finit par me balancer, après avoir allumé une nouvelle clope.
Cest la première fois que Jérém me fait un vrai compliment. Je suis à la fois flatté et déstabilisé.
« Tu parles
».
« Si, si, tu es très beau, tes très bien sapé
».
« Oui, ce sont les fringues qui font tout
».
« Oui
enfin
non
cest pas ce que je voulais dire
euh
tes vraiment pas mal, Nico
».
« Arrête ton baratin
».
« Cest pas du baratin
».
« Si
».
« Tas mis un parfum
».
« Non
enfin
si
».
« Tu sens bon
».
« Merci
».
Nos regards se croisent, nos silences sadditionnent, nos malaises samplifient mutuellement.
Puis, un détail attire mon attention : le zip du pull à capuche est légèrement ouvert et un bout de tissu plié dépasse ; on dirait un col de maillot de rugby, mais pas nimporte lequel. Du blanc, du rouge : on dirait bien le maillot que je lui avais acheté à Londres et qui avait désormais une longue histoire : ce maillot que javais gardé longtemps chez moi avant de me décider à lui offrir, ce maillot quil mavait balancé à la figure lorsque javais enfin voulu le lui donner, ce maillot que javais laissé à son patron, à la brasserie, ce même maillot quil mavait crié avoir jeté à la poubelle : cétait la nuit avant son accident, lors de cette rencontre houleuse en présence de Martin.
Sans vraiment réfléchir, je m'approche de lui, j'ouvre un peu plus le zip. Mes gestes sont déterminés, et le bogoss se laisse faire : oui, c'est bien le maillot que je lui avais offert. Mes doigts effleurent au passage sa peau mate, douce et tiède ; mille frissons se dégagent de ce simple contact, comme des étincelles qui se propagent dans tout mon corps, mapprochant dangereusement de la surcharge et du court-circuit émotionnel.
« Je croyais que tu lavais jeté
».
« Tu crois que je pourrais jeter le maillot de Johnny ? ».
« Non, bien sûr
le maillot de Johnny
».
« Et puis, cétait un beau cadeau
».
« Je voulais te faire plaisir
».
« Et cest réussi
»
Le silence sinstalle à nouveau entre nous ; le bruit incessant de la pluie a quelque chose dhypnotique, et jai limpression de perdre pied.
« Tu es vraiment un gars adorable
» il me lance.
« Si tu le dis
».
«
et je me suis vraiment comporté comme un con avec toi
».
« Tu m'as fait trop mal
».
« Je sais
».
Je pleure.
Jérém sapproche de moi et il me prend dans ses bras.
« Je suis vraiment, vraiment désolé
».
Je me dégage de son étreinte, je lui fais face, je plante mon regard dans le sien.
« Je taime, Jérém, je taime comme un fou, je nai pas arrêté de penser à toi un seul instant depuis le premier jour du lycée
quand jai su pour ton accident, jai eu tellement peur de ne plus jamais te revoir ! Jai réalisé à quel point tout est si fragile, et que tout peut finir sans prévenir
jai envie quon soit ensemble, jai envie de passer du temps avec toi, pas seulement pour le sexe, même si cest génial avec toi comme avec personne dautre ; jai envie dêtre là pour toi, et que tu sois là pour moi, jai envie de te dire à quel point tu es quelquun de spécial pour moi
».
Silence de sa part, il fume. Les secondes senchaînent.
« Tu ne dis rien, Jérém ? ».
« Nico
je te lai déjà dit, je ne peux pas toffrir une vie de couple comme tu le voudrais
cest très dur pour moi
».
« Quest-ce qui est trop dur ? ».
« De vivre « ce truc » quil y a entre nous
toi tas envie de le vivre à fond, moi ça me fait peur
».
« Pourquoi ? ».
« Je ne peux pas texpliquer pourquoi
je ny arrive pas, cest tout
».
« Cest pour ça que tu mas fait venir ? Je viens de me taper 200 bornes sous la flotte et tout ce que tas à me dire que tu nas pas les couilles pour nous donner une chance ? ».
« Non, je tai demandé de venir parce que javais envie de te voir, et parce que je te devais des explications
».
« Elles sont nulles tes explications
».
Jérém se tait à nouveau, il se réfugie derrière sa cigarette.
« Alors on fait quoi, maintenant ? On reste potes ? » je tente de le secouer.
« Jaimerais quon y arrive
».
« Et ça te suffirait, à toi, quon reste potes ? ».
« Il va falloir
».
« Je men fiche de ce quil faut, je veux savoir si à toi ça te suffirait
».
« Je nai pas le choix, Nico
Paris cest loin, et là-bas ça va être impossible de vivre ça
».
« Oui ou non ? Réponds à ma question ! » je memporte.
« Il ny a pas de solution
».
« OUI ou NON ??? ».
« Non ! » il finit par lâcher, un « NON ! » claquant, définitif.
Un nouveau silence suit ce petit coup de tonnerre, cet éclair qui vient de me foudroyer.
« Non, ça me suffit pas
» il reprend, le regard fuyant, lair remué comme jamais « mais cest comme ça, je ny peux rien, Nico
».
« En gros, tu mas fait venir pour me dire adieu
».
« Je voulais mexcuser pour mes mots et mon comportement des dernières fois quon sest vus
je suis désolé de tavoir frappé
».
« Je tai frappé en premier
».
« Je lavais bien cherché
je suis aussi désolé de tavoir foutu la honte avec ce gars la dernière fois
tu as le droit de voir qui tu veux, bien sûr, et je nai pas le droit de te demander des comptes
».
« Ce gars nest personne pour moi ! Si je suis sorti ce soir-là, si je me suis laissé embarquer par ce mec, cétait pour ne pas rester seul, pour essayer darrêter de ressasser ce qui sétait passé entre nous
jétais tellement malade quand tu mas quitté
je pensais que tu étais passé à autre chose, je croyais que je ne te reverrais jamais
et pourtant, quand je tai croisé sur les allées, je navais quune envie
».
Je suis à nouveau submergé par lémotion, mes mots se coincent dans ma gorge.
« Quelle envie ? ».
« Celle de laisser tomber Martin et de repartir avec toi
mais tas été tellement relou, tellement mauvais
».
« Jai été nul
».
Ses excuses tardives, ce sentiment de gâchis, de nous être ratés tant de fois, sa façon de baisser les bras face aux obstacles que la vie est en train de mettre entre nous : je suis dégoûté, jai envie de pleurer et de menfuir ; je ne sais plus quoi lui retorquer, je me sens désemparé, aucun mot me vient à lesprit : jai juste envie de repartir et de menfermer dans ma chambre pour pleurer.
Je regarde Jérém et jai impression quil est dégoûté tout autant que moi : il respire bruyamment, il ne tient pas en place, il semble trépigner, on dirait quil tape du sabot comme un petit taureau dans larène, mais un petit taureau plutôt nerveux quénervé ; comme sil avait des trucs à me dire et quil se faisait violence pour ne pas les lâcher.
Jai terriblement envie de lembrasser : alors, sans plus réfléchir, javance vers lui et je lembrasse. Et à linstant même où je retrouve la chaleur et la douceur de ses lèvres, une décharge électrique parcourt ma colonne vertébrale, jai limpression de changer de dimension, dêtre soudainement projeté dans un monde de bonheur absolu où nous serions plus que tous les deux, où tout serait simple et beau.
Hélas, la décharge de bonheur est de courte durée : elle est stoppée net par lattitude de Jérém, qui fait un pas en arrière pour se dérober à mes lèvres.
Je sens ma colère monter, colère fille de frustration face à cette barrière invisible infranchissable qui nous sépare.
« On ny arrivera vraiment jamais, alors
».
« Je ne peux pas Nico, je ne peux pas
».
« Tu ménerves Jérém » je finis par lui balancer «
je ne sais même pas pourquoi je suis là
je naurais pas dû venir
».
« Ne dis pas ça
».
« Tu ne veux pas dune relation, mais je crois surtout que tu nes pas prêt à assumer qui tu es et ce dont tu as envie
alors, ça rime à quoi tout ça ? Pourquoi tu mas fait venir, pourquoi ??? Tu ne mas pas fait assez de mal ?!?! ».
Nouveau silence de sa part. Jai envie de lui dire tant de choses et pourtant tous les mots du monde me semblent impuissants à le toucher, à le convaincre à vaincre ses peurs, à lui donner confiance en « nous ».
« Ça veut dire quoi MonNico ? » je lui balance de but en blanc, sans réfléchir.
« De quoi ? ».
« La fois où je tai appelé, quelques jours avant ton accident, jai entendu cette nana te demander : « Cest qui MonNico ? » ; alors, je te demande ce que ça veut dire MonNico
si toutefois ça veut dire quelque chose
».
Jérém ne répond pas, il continue de fumer sa cigarette. Cen est trop pour moi.
« Va te faire voir, Jérém, je me tire ! » je lui balance, tout en me retournant pour repartir, en essayant de retenir mes larmes.
Je nai pas fait un pas que je sens sa main attr mon avant-bras, mobligeant à me retourner.
« Attends, Nico
».
« Lâche-moi ! » je lui lance sèchement, tout en me dégageant de sa prise et en repartant vers la voiture.
Et là, Jérém matt une nouvelle fois par lavant-bras, la puissance de sa prise traduisant sa détermination ; une nouvelle fois, il moblige à marrêter, à me retourner ; et cette fois-ci, son mouvement mattire vers lui.
Je me retrouve les épaules collées contre le mur en pierre, enveloppé par son parfum qui me met en orbite, ses yeux noirs pleins de feu plantés dans les miens, nos nez à vingt centimètres lun de lautre.
Sa pomme dAdam sagite nerveusement ; dans son regard, une étincelle que je lui connais bien, une flamme incandescente qui ressemble et tout et pour tout à celle qui brûlait dans son regard pendant la semaine magique ; la même, mais avec plus dintensité, car mélangée à une sorte dangoisse, de peur.
Le temps est comme suspendu, figé ; comme si plus rien nexistait au monde, à part nos regards qui se cherchent, saimantent.
Un grand homme disparu a dit : il y a des jours, des mois, des années interminables où il ne se passe presque rien ; et puis il y a des minutes et des secondes qui contiennent tout un monde.
Et ce monde, ce nouveau monde, je lai vu, à cet instant précis, dans son regard.
Sa main glisse doucement derrière ma nuque, sa paume est si chaude, si délicate, elle fait plier légèrement mon cou ; le sien se plie aussi, et nos visages se rapprochent : jusquà ce que ses lèvres tremblantes se posent sur les miennes. Puis, très vite, son baiser se fait plus appuyé, et sa langue sinsinue entre mes lèvres.
Jérém membrasse et dans ma tête cest le blackout ; je lembrasse à mon tour, heureux, en larmes.
Dans un coin de la halle de Campan, pendant que la pluie tombe dehors, voilà enfin le premier vrai baiser de Jérém, à la fois fougueux et presque désespéré.
Jérém membrasse longuement, le goût de ses lèvres est délicieux. Un instant plus tard, son nez, son souffle et ses lèvres effleurent la peau de mon cou : je vais devenir dingue.
« Ça te convient comme réponse ? ».
« Quelle réponse ? » je fais, perdu, désorienté.
« Tu voulais savoir ce que ça veut dire MonNico
»
« Ah, oui
cest un bon début
».
« Tu mas manqué
» il me chuchote.
« Toi aussi tu mas manqué
»
Je pleure.
« Ne pleure pas Nico
».
Je le sens lui aussi au bord des larmes.
« Jai eu tellement peur
».
« Je suis là, je suis là
».
« Je suis content que tu sois là
» il me glisse à loreille, alors que la chaleur de son corps, la puissance de son étreinte, ses bisous dans le cou, son parfum métourdissent.
« Tu veux toujours repartir à Toulouse ? » il me nargue, adorable.
« Je crois que je vais attendre un peu
».
The long and winding road that leads to your door/La longue et sinueuse route qui mène à ta porte
Will never disappear, I've seen that road before/Ne disparaîtra jamais, j'ai déjà vu cette route.
It always leads me here/Elle me conduit toujours ici,
Leads me to your door/Elle me conduit à ta porte.
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