Hébergement D'Urgence (18)

On a regardé, par la fenêtre, Étienne s’éloigner, déambuler jusqu’à sa voiture. En mode mec, cette fois.
Elle s’est appuyée contre moi.
– Non, mais c’est complètement fou. T’hallucines. T’arrives pas à y croire. Il est à la fois complètement homme et complètement femme. Comme il veut. Comme ça l’arrange. Ou comme il a envie. Sans que personne puisse se douter de quoi que ce soit.
Il a disparu au coin de la rue. On a quitté notre poste d’observation.
– En tout cas, je sais pas ce que vous en pensez, vous, mais, on a eu le nez fin. On aurait pu plus mal tomber.
– Ah, ça, c’est sûr…
Elle s’est perdue dans ses pensées.
– Je me demande quand même bien ce que c’est que l’endroit où il a dit qu’il voulait nous emmener la prochaine fois.
A hoché la tête.
– De toute façon, avec lui, on n’est sûrement pas au bout de nos surprises.
Et arboré un sourire ravi.
– En tout cas, il se passe plein de choses en ce moment. C’est génial, non ? Bon, mais c’est pas tout ça. Va falloir que j’y aille, moi.
– Tu t’en vas ?
– Oui. J’ai rendez-vous. Avec la fille du resto, là. Romaine. Celle qu’Alexis prétend qu’on est copies conformes toutes les deux. Je suis vraiment curieuse de voir à quoi elle ressemble.

* *
*

– Alors ?
Elle a pris tout son temps. Pour se déshabiller. Se faire couler un café. Jeter un œil à son courrier.
– Des pubs, des pubs et encore des pubs !
– Tu l’as vue ?
– Évidemment que je l’ai vue.
– Et ben alors ? Raconte, quoi !
– Non, mais v’là un type, son patron, devant qui tout le monde rampe. Qu’est adjoint au maire. Président de tout un tas de sociétés de ceci et de cela. Propriétaire d’un chalet à Courchevel. D’un cheval de course. J’en passe, et des meilleures. Eh bien, ce type, tout grand monsieur qu’il soit, il y a une fille de cuisine, dans son resto, qui lui fait faire ce qu’elle veut. Tout ce qu’elle veut.

Et dans tous les domaines. C’est elle qui décide des menus, qui gère les embauches, qui choisit comment il va s’habiller. Et tout à l’avenant. Dans le plus grand secret.
– Elle couche avec ?
– Non. C’est hors de question, à ce qu’elle m’a dit. « Surtout pas ! Si je veux qu’il continue à venir me manger docilement dans la main, surtout pas ! » Par contre, sur le plan sexuel justement, elle lui fait quand même faire tout un tas de trucs. Avec la complicité d’Alexis. Et d’un autre type. Je sais pas qui. À part eux, personne, absolument personne, n’est au courant.
– Si ! Toi, maintenant !
– Elle m’a fait jurer de ne rien dire.
– Et moi.
– Vous direz rien non plus. De toute façon, à mon avis, elle a une idée derrière la tête. Vu toutes les questions qu’elle m’a posées sur nous. Et la façon dont on vit tous les deux.
– Une idée ? Quelle idée ?
– Ah, ça ! Mais on en saura peut-être plus tout à l’heure. On va dîner là-bas. Et elle a décidé que ce serait le patron lui-même qui viendrait nous prendre la commande.

* *
*

– Mademoiselle… Monsieur… Je suis absolument ravi de vous accueillir, ce soir, dans mon établissement. Que pourrions-nous vous servir qui vous fasse plaisir ?
On ne savait pas. Pas vraiment. Il y avait tellement de choix…
– Si je puis me permettre, nous avons une lotte de toute première qualité. Et cuisinée dans les règles de l’art. Un vrai régal pour le palais.
Eh bien va pour la lotte. Et les croustades d’écrevisses en entrée.
Il s’est incliné. Éloigné.
– Ça se voit pas… J’ai bien regardé. Ça se voit pas du tout.
– Quoi donc ?
– Il a une cage.
– Une cage ?
– Ben oui ! De chasteté. Faut pas vous faire un dessin quand même ! Et c’est Romaine qu’a la clef. Évidemment. Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce vous avez à me regarder comme ça ? Ça existe, hein ! Faut sortir un peu de temps en temps…
C’est Alexis qui nous a apporté l’entrée.
Avec un petit sourire de connivence.
– Elle dit que c’est trop génial. Parce que, tant qu’elle l’a pas déverrouillé, il peut pas jouir, le pauvre. Il peut même pas bander. Et il pense qu’à ça. Il est prêt à tout pour ça. À tout te promettre. À tout te donner. Gicler. Il a plus que ça en tête. Gicler… Gicler… Gicler… « Mais c’est toi qui décides quand. Qui décides comment. Il est à ta merci. Tu es toute puissante. Et il adore ça. » Elle aussi. Et pas qu’un peu. Ça se sent. Ça se voit.
Il s’est approché. En naviguant entre les tables.
– Tout va comme vous voulez ?
Ça allait, oui. Merci.
Elle l’a regardé s’éloigner.
– Vous savez ce qu’elle pense, Romaine ? Que moi aussi, je pourrais vous la mettre en cage, si je voulais. Que vous vous laisseriez faire. Parce que j’ai complètement pris l’ascendant sur vous.
Je n’ai pas cillé.
– Je sais pas si c’est vrai, mais je crois pas que j’aurais vraiment envie de vous l’enfermer en fait. Enfin, si, dans un sens. Si, bien sûr que si ! Évidemment ! Mais dans un autre, j’aime trop ça vous surprendre à bander toute la journée. Pour moi, oui, ça, bien sûr. Pour d’autres nanas également. Et aussi pour des trucs dont il me serait jamais venu à l’idée qu’un mec, il puisse l’avoir en batterie pour ça. Alors vous l’emprisonner ? Ben oui, mais je pourrais plus vous déchiffrer ce que vous pensez et ce que vous ressentez dessus. Ce serait bien trop triste. Frustrant.

Il est encore revenu, le patron. Au dessert.
– Elle vous a parlé, Romaine ?
– Oui.
Il avait le regard fuyant.
– Alors ce qu’elle voudrait… Enfin ce qu’elle aimerait… C’est que vous veniez… Que vous assistiez tout-à-l’heure à… à mon… à ma…
– Libération.
– Voilà, oui.
– Sinon ?
– Ben, sinon…
– Elle aura pas lieu. Bon, mais on viendra. Promis. On viendra.
Il lui a jeté un regard de reconnaissance éperdue.
– Oh, merci. Merci.

* *
*

Romaine n’était pas laide.
Elle n’était pas belle non plus. Pas du tout le genre de fille qui retient spontanément l’attention. Pas du tout le genre de fille, en tout cas, dont on irait soupçonner qu’elle mène son patron à la baguette.
Elle m’a souri.
– Ça va vous intéresser, je suis sûre.
Et s’est tournée vers son patron.
– Venez là, vous !
Ce qu’il a docilement fait.
– Vous allez avoir des spectateurs aujourd’hui. Ça vous plaît ?
Il a fait signe que oui. Oui.
– Eh bien, allez, alors ! Descendez-le, le bénard !
Sur les chevilles.
Elle était tout à l’étroit, sa queue, toute penaude, dans sa prison de métal chromé.
Dont Romaine l’a extirpée. Elle a fait, aussitôt, un bond gigantesque qui a arraché un petit rire à Coralie.
– Hou là ! Ce morceau !
– Tu veux la branler ?
Elle disait pas non, Coralie. Oui. Elle voulait bien. Elle a approché la main pour s’en saisir, mais elle n’a pas eu le temps de s’en emparer vraiment. Il a déchargé, très vite, à longues giclées blanches qui lui ont enrubanné le poignet et l’avant-bras.
Ce qui a rendu Romaine furieuse. Du moins en apparence.
– Non, mais alors là, c’est la meilleure ! Vous n’avez pas honte, espèce de grand dégoûtant ? Comme ça, devant du monde… Bon, mais allez, on remballe pour la peine. Ça vous apprendra.
Et elle la lui a réenfermée.
Il s’est laissé faire. Sans élever la moindre protestation.
Coralie s’est penchée à mon oreille.
– Il adore ça, en fait.
Elle a marqué un court temps d’arrêt.
– Oui, mais en attendant, moi, si je devais un jour la lui enfermer à un mec, j’aimerais mieux que ça lui plaise pas, voire même qu’il ait horreur de ça, mais qu’il accepte quand même. Juste parce que ça me fait plaisir à moi.

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