Histoire Des Libertines (27) : Ninon De Lenclos, La Courtisane Intellectuelle.

Anne « Ninon » de Lenclos (1620-1705) est une courtisane et femme de lettres. Scandaleuse, indépendante, cultivée, douée d’un grand esprit de répartie, faisant partie du cercle des Précieuses, Ninon, cette épicurienne moderne, fut sans doute la plus célèbre des courtisanes de Paris. Lettrée mais non imbue de son savoir. Possédant la beauté mais aussi l’esprit, brillamment cultivée, musicienne et danseuse à ses heures, maîtrisant l’italien et l’espagnol, tout en étant versée en sciences, Ninon de Lenclos sut se forger une philosophie épicurienne parfaitement accordée à ses idées et à son mode de vie. Elle ne cachait pas son athéisme à une époque où cela n’était pas imaginable.

Tous s’accordèrent à louer son esprit et sa beauté. Sa taille était élégante et parfaite. Son teint blanc, où deux yeux d’un noir velouté étaient “ceux de la décence, de l’amour de la raison et de la volupté”. On apprécie la grâce de ses gestes. Mais elle a surtout les qualités d’une femme d’esprit. Elle vouait un véritable culte à l’intelligence et acquit une culture déjà très vaste au contact de différentes brillantes personnalités. Ninon de Lenclos symbolise avant tout, le courant sceptique et libertin qui, apparu en force sous le règne de Louis XIV, s’épanouira au siècle des Lumières.

D’autres femmes de lettres figureront dans cette rubrique des grandes libertines, comme Madame de Staël, Georges Sand, Colette, Renée Vivien, Anaïs Nin ou Simone de Beauvoir.

LES DEBUTS D’UNE INGENUE

Fille d’Henri de Lanclos, gentilhomme tourangeau libertin et de Marie-Barbe de la Marche, elle se révèle une prodige au luth, qui citait Montaigne et les grands classiques et qui fut promenée par sa mère bigote de salon en salon, où elle faisait sensation. Plus tard, elle apprit le clavecin.

Elle a une dizaine d’années lorsque son père, pris dans une sombre histoire d’adultère, assassine Louis de Chabans, sieur du Maine, gentilhomme ordinaire de la Chambre, Conseiller d’Etat, gouverneur de Sainte-Foy et général d’artillerie de la Sérénissime de Venise.



Une vilaine affaire qui ruina définitivement la réputation des de l’Enclos. Henri fuit Paris, il va se cacher durant plus de 16 ans dans le Dauphiné et Ninon va pleurer ce père, recherché et jamais retrouvé par la justice du roi. Ce malheureux épisode n’arrangera guère le caractère de sa mère qui, elle aussi, pleura beaucoup sur sa honte et sa ruine en égrenant son chapelet dans son logis vidé par les saisies judiciaires.

Les années passent et voici que Ninon a quinze ans. A son adolescence, Ninon refuse de cacher sa gorge. Les jeunes damoiseaux se regroupent autour d’elle jusqu’à ce qu’elle se laisse courtiser par un jeune et beau vicomte perfide, qui en profite : c’est sous le respectable prétexte du mariage que s’introduisit Charles Beaumont de Saint-Etienne chez les dames Lenclos. Les chroniques de l’époque affirmèrent qu’il abusa d’elle. Toujours est-il qu’il s’éclipsa aussi vite.

Le scénario se renouvela avec le futur Duc de Chatillon: la peu farouche Ninon jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y reprendrait plus. Sa vertu notoirement envolée, le mariage ne pouvait plus décemment être envisagé. Il lui fallait survivre malgré tout; elle refusait de se passer des plaisirs d’une douce existence, pour vivre en femme libre, indépendante... et respectée.

Sachant le mariage impossible à une fille laissée sans un sou par un père criminel et désireuse d’assurer l’avenir de Ninon, une seule solution apparaît aux yeux de sa mère et des dévotes qui la soutiennent financièrement : le couvent. Et mieux encore : le carmel qui accueille les postulantes sans dot !

On imagine la réaction de Ninon : elle refuse absolument cette idée qui la révulse. Elle crie, elle menace, elle argumente, elle se révolte tant, qu’en toute conscience et parce qu’elle craint d’être laissée sans ressources, la mère de Ninon laisse sa fille libre de ses actions.

Ninon sera une courtisane professionnelle, sorte de catin de luxe et sa mère, toute dévote qu’elle soit, espère en tirer quelques bénéfices.
Sans le sou, décidant de ne pas se marier, la jeune fille doit assumer son avenir. En rencontrant Jean Coulon, Conseiller au Parlement (un juge !), elle établit les règles du jeu et le déclare comme étant son protecteur.

Ninon, l’esprit libre, décida donc de faire commerce de ses charmes. Elle tenait à son indépendance et ne supportait pas le statut alors inférieur des femmes. On lui prêtera des liaisons, et non des moindres, jusqu’à un âge fort avancé.

Dès lors insouciante, elle prend le nom de Ninon (surnom dont l‘avait déjà affublé son père) et affiche une extraordinaire liberté de mœurs, « collectionnant », au mépris du scandale, plusieurs amants venant de tout part.

En 1642, à la mort de sa mère, son libertinage et son athéisme affirmés alors que sa respectabilité n'est pas encore acquise font que les grandes dames du salon du Marais se détournent d'elle, si bien qu'elle vient habiter chez Marion Delorme, une autre courtisane, qui devient son professeur.

NINON LA SCANDALEUSE ET SES 5000 AMANTS

Belle et séduisante, Ninon attire autant par ses charmes que par la qualité de sa conversation. Ses amants lui conservent leur amitié longtemps après la fin de leur liaison.

Quand un homme lui plaisait, Ninon prenait les devants et le lui faisait savoir. Rares furent ceux qui refusèrent. Son pouvoir était de choisir et rejeter selon son humeur. Un jour qu’elle passait en carrosse Cour La Reine, elle se fit arrêter car elle avait aperçu un jeune homme fort beau. Le soir même, il dînait chez la belle. On disait d’elle qu’elle avait “une jolie façon de faire l’amour”.

Ninon choisit ses amants, reste exclusivement fidèle à l'élu tout le temps que dure la liaison, quitte vite, et plus souvent qu'on ne la quitte et demeure « toujours l'amie de ses anciens amants » (Voltaire).

Ninon satisfait ses galants, mais les considère comme des passants. Une fois qu’elle a épuisé leur capacité de plaisir, ils quittent son alcôve, mais en général ils demeurent amis.


Ninon devint un “phare” du milieu parisien. Elle choquait et émerveillait par tant de spontanéité, séduisait les hommes par son naturel; se faisait l’ennemie des femmes. Ce fut un défilé d’amants, certains prestigieux.

NOTRE DAME DES AMOURS

Sa femme de chambre aurait pu en réciter une liste aussi longue que celle du valet de Don Juan : on lui a prêté jusque 5.000 amants tout au long de sa vie ! On hésite seulement sur la date et sur l'issue de sa dernière passade, et sur le nom de son ultime amant.

Aimée pendant plus de soixante ans des plus grands seigneurs de la cour, Ninon de Lenclos a « étendu la carrière de la galanterie au-delà de toutes ses bornes" (Roger Duchêne, « Ninon De Lenclos ou la manière jolie de faire l’amour », publié en 2000 aux éditions Fayard).

Elle eût son premier amant à 16 ans. Voltaire affirme que le cardinal de Richelieu fut son amant tandis qu'elle fut pour le prélat la dernière maîtresse. Parmi ses amants, sont connus, sans que la liste ne soit exhaustive, on peut citer :

• le Grand Condé (1621-1686), grand général de l’armée du roi, membre de la famille royale et chef de la Fronde. Toute sa vie, il fut le chef du « parti libertin », opposé au parti dévot.

• François-Jacques d'Amboise, comte d'Aubijoux (1606-1656), ami de Gaston d’Orléans (frère de Louis XIII) et ennemi de Richelieu.

• François de La Rochefoucauld (1613-1680), lui aussi écrivain célèbre, auteur notamment des « Maximes » Lui aussi était un proche de Gaston d’Orléans et fut frondeur.

• le maréchal François-Annibal d'Estrées (1573-1670), frère de Gabrielle d’Estrées dont nous avons parlée.

• l'astronome Christian Huygens (1629-1695) lequel écrit à propos de la jeune femme : « Elle a cinq instruments dont je suis amoureux : Les deux premiers, ses mains ; les deux autres, ses yeux. Pour le dernier de tous et cinquième qui reste, Il faut être galant et leste ».


On surnommera Ninon « Notre Dame des amours ». Sa réputation devient telle que les courtisans lui confient leurs fils, pour qu'elle leur apprenne les bonnes manières et la façon de bien traiter les femmes !

Elle classait ses amants en « payeurs », « martyrs » (soupirants sans espoir) et « caprices » (élus du moment).

Edmé de La Châtre, colonel général des Cent-Suisses et grisons, fut l'un d'entre eux. A son sujet Voltaire relata : « M. de La Châtre avait exigé de Mlle de Lenclos, un billet comme quoi elle lui serait fidèle pendant son absence ; et, étant avec un autre, dans le moment le plus vif elle s'écria : « Le beau billet qu'a La Châtre ! »

Elle eut des s, dont un fils, le chevalier Louis de la Boissière, qui deviendra brillant officier de marine, fruit de ses amours avec Louis de Mornay, marquis de Villarceaux et proche du roi Louis XIV.

Quelques Grands, malgré leur argent et leur position, n’auront pas ses faveurs parce que c’est elle qui choisit ! Tel fût le cas d’Alexandre de Vendôme, le Grand Prieur. Il s’étonne d’être repoussé, il se met en colère, il supplie, rien n’y fait. Après de nombreux billets, il renonce et deviendra son ami et confident.

Ninon ne sera déçue que rarement :

• le comte de Navailles s’endort pendant qu’elle se prépare !

• Pierre de Villars quitte Paris pendant la Fronde, sans l’emmener. Elle le poursuivra jusque Lyon et tombe sur le frère de Richelieu, le Cardinal Alphonse Duplessis. Rebutée par les indélicatesses du prélat, le peu de croyances qui subsistait en elle, disparait à jamais.

On a dit aussi de Ninon qu’elle était bisexuelle. A-t-elle eu une relation avec la reine Christine de Suède ? On a aussi évoqué son intimité avec Françoise d’Aubigné, la future Mme de Maintenon.

LIBERTINE TOUT AU LONG DE SA VIE

Dans sa vieillesse, Ninon avait conservé « de la fraîcheur et des appas ». Elle restait entourée de soupirants. Selon certains, elle les tenait dans le respect, "ayant renoncé sérieusement aux amourettes".

Rémond de Saint Marc, conseiller au Parlement et helléniste connu, était le plus emporté. « Un jour qu'il la pressait avec beaucoup de vivacité de lui accorder ce qu'il lui demandait depuis si longtemps, elle dit enfin qu'elle y consentait, à condition que ce ne serait que dans huit jours. Le jeune homme, content de cette parole, attendit ce terme avec grande impatience et, le voyant enfin arriver, courut avec empressement chez Ninon à l'heure marquée. C'était sur les onze heures du matin. Mais Ninon, l'ayant amusé jusqu'à midi, n'eut pas plutôt entendu sonner cette heure à sa pendule qu'elle lui dit : "Voilà, monsieur, l'heure du berger qui sonne. Je viens justement d'entrer dans ma 81ème année. Si le cœur vous en dit, vous êtes le maître. » A ce discours, Rémond eut si honte de sa sottise qu'il gagna la porte au plus vite.

Jusqu’au bout en effet, Ninon sera une libertine. Le jour de ses 77 ans, Ninon eut une aventure avec l'abbé de Châteauneuf.

Sorti à 29 ans des Jésuites, cet abbé s'attache aussitôt, malgré les cinquante et un ans qui les séparent, à Mlle de Lenclos dont, selon son biographe Bret « le goût et les lumières étaient des guides si sûrs». Bientôt, la reconnaissance se joint à l'estime et à l'admiration, « et le jeune disciple sentit des désirs qu'on ne crut d'abord pas réels ». Son empressement et ses insistances finirent pourtant par réveiller, « dans un cœur presque éteint, une faible étincelle du feu dont il avait brûlé jadis ». Et l'amoureux abbé, « qui connaissait l'axiome de la courtisane Phryné selon lequel le vin doit sa noblesse au nombre des années », ne se rebuta pas d'entendre Ninon lui promettre le terme de ses rigueurs pour le jour de ses 80 ans. Il força sa bienfaitrice à lui tenir sa parole au temps qu'elle lui avait fixé. »

Selon Voltaire, l'abbé de Châteauneuf a, "fini l'histoire amoureuse de cette personne singulière. C'était un de ces hommes qui n'ont pas besoin de l'attrait de la jeunesse pour avoir des désirs, et les charmes de la société de Mlle de Lenclos avaient fait sur lui l'effet de la beauté. Elle le fit languir deux ou trois jours, et enfin l'abbé lui ayant demandé pourquoi elle lui avait tenu rigueur si longtemps, elle lui répondit qu'elle avait voulu attendre le jour de sa naissance pour ce beau gala ».

À la même époque, elle menait en fait de front une autre liaison avec le chanoine Nicolas Gédoyn !

Tardifs et contradictoires, ces témoignages établissent surtout, qu'au milieu du XVIIIe siècle, il était encore glorieux, même pour de jeunes abbés, d'avoir été distingués par Ninon de Lenclos. Ses dernières faveurs leur ont été données en récompense de leur patience, en complément de leur éducation.

PERSECUTEE PAR LE PARTI DEVOT

Toutefois, elle ne manquait pas d'ennemis. Dans sa jeunesse, la Compagnie du Saint-Sacrement demanda à la reine Anne d'Autriche de la châtier parce qu'elle ridiculisait le mariage et réclamait pour les femmes les mêmes droits que les hommes.

Ninon s’était établie au Faubourg Saint-Germain, nouveau quartier résidentiel de la Cour. “Plus proche du payeur” disait-on. Saint-Germain était religieusement sous la haute moralité du dévot curé Olier. Ninon était visée par la Compagnie du Saint Sacrement, institution très inquisitive qui faisait la chasse aux dévoyés sur la moindre dénonciation où suspicion, dans le but de purifier les mœurs. On traquait pêle-mêle prostituées, jansénistes, où libertins.

La venue de Ninon la pécheresse fut une occasion en or. “On parlait”: elle chante des refrains sacrilèges. Et on fit surveiller son logis d’où s’échappent rires, et va et vient incessants. “On y voyait” des orgies.

Ce fut lors d’un Carême qu’ils pensèrent la coincer: un prêtre sous ses fenêtres reçut sur la tête un os de poulet. Le curé fila chez le bailli qui hésita à sévir. Ninon avait des amis très haut placés et l’affaire fut étouffée. Pour se faire oublier, elle récita ses prières devant ses fenêtres grandes ouvertes. Elle tira de cette aventure une nouvelle maxime : « pense à ta guise mais pratique comme les autres »

Cet incident du poulet sera retenu par Molière lorsqu’il écrira le Tartuffe, charge cruelle contre les dévots et dont Ninon sera la première correctrice chez le célèbre dramaturge.

Pour Anne d’Autriche, Ninon n’est qu’une débauchée. Elle fut incarcérée à la prison des Madelonnettes, après qu’une ligue de bonnes dames patronnesses de la Cour s’associèrent en comité d’action morale, et dénoncèrent “le lieu de débauche, de libertinage et d’impiété...” “où leurs fils, leurs maris... et leurs amants se rendaient. Elle fut arrêtée sur l’ordre verbal d’Anne d’Autriche. Elle en ressortit plus que triomphante après un séjour en province, au couvent de Lagny, avec des marques de considération des plus grands

A son premier voyage à Paris, la reine Christine de Suède demande où elle peut rencontrer « mademoiselle de Lenclos dont on me dit de si grandes choses ». Ninon rentrera en grâce après l’intervention de l’ex-reine de Suède, rentrée de sa visite à Lagny, et qui, séduite par Ninon, plaidera pour elle auprès du roi.

Christine obtint sa libération en écrivant à Mazarin que, depuis son absence, « il manquait à la cour son plus bel ornement. » Brève réclusion et courte parenthèse dans une vie exceptionnellement libre pour l'époque. Jusque 1671, plusieurs procès l’occuperont, mais les dévots ne réussiront pas à la faire condamner, encore moins à lui faire changer de mode de vie.

VILLARCEAUX, SON GRAND AMOUR

Son plus grand amour reste le marquis de Villarceaux, à qui elle prêtera plus tard « sa chambre jaune» pour ses amours avec la veuve Scarron, la futur Mme de Maintenon, qui n’a pas toujours été la bigote qui deviendra la seconde épouse de Louis XIV !

Rencontrés dans le salon du poète Scarron, un beau soir d’avril 1652, ils entretinrent une longue liaison.

A cette époque, il a 33 ans, il est beau (il aime à accen sa ressemblance avec le roi), riche, cavalier émérite, sportif accompli, militaire courageux, homme d’esprit à la réputation de bon amant : il est aux yeux de Ninon l’homme parfait ! Ninon tombe amoureuse de l’officier qui occupe des fonctions de « capitaine de la meute du roi pour la chasse au lapin et au renard ».

Auréolé de sa réputation d’homme « qui chasse un gibier qui n’est ni de poil, ni de plume», Villarceaux devient l’amant de la belle Ninon et se découvre amoureux. Alors que la Grande Mademoiselle faisait tirer sur son cousin Louis XIV du haut des tours de la Bastille, Villarceaux et Ninon décident, prudents, de s’éloigner de Paris.

Ils passent tout d’abord quelques semaines au château de Breuil (aujourd’hui dans les Yvelines) chez un ami de Louis de Mornay, Monsieur de Valliquierville. Libertin, végétarien, étudiant la cabale avec un maître rabbin, c’est un vieux barbon original et cultivé qui immédiatement devient l’ami de Ninon, avec qui il parle, des heures durant, de philosophie, de littérature ou de « l’idée de la mort chez les Grecs », pendant que Villarceaux baille et trépigne.

Au printemps 1653, Louis et Ninon sont enfin à Villarceaux. Ninon découvre les bassins, les caisses de fleurs, les allées de tilleuls, les terrasses italiennes, propices aux serments et aux jeux amoureux.

L’été qui vient fait éclater la lumière du Vexin. Ninon est heureuse auprès de Louis qui lui fait découvrir chaque jour tous les charmes du domaine. L’eau claire invite à la baignade et à la méditation. Que Paris, son agitation, ses cabales, son air vicié et ses embarras, semble loin. On fait de la musique dans les cabinets de verdure, on y joue la comédie, on chasse et l’on offre de magnifiques soupers aux seigneurs des environs. Saint Simon résume les largesses de l’hôte par cette phrase : « Villarceaux mettait la nappe pour tout le monde… ». Lorsque l’épouse de Louis est annoncée, on file à Breuil. L’alerte passé on revient au château. Durant l’été, Ninon y reçoit Françoise Scarron qui lui avait écrit un charmant billet. «Tous vos amis soupirent après votre retour. Depuis votre absence, ma cour en est grossie mais c’est un faible dédommagement pour eux. Ils causent, ils boivent, ils baillent…revenez ma très aimable. Tout Paris vous en prie. Si Monsieur de Villarceaux savait tous les bruits que Mme de Flesques sème contre lui, il aurait honte de vous retenir plus longtemps… Revenez, belle Ninon et vous ramènerez les grâces et les plaisirs… ». Devenue l’austère épouse du Roi Soleil, Mme de Maintenon se souviendra de son séjour et elle écrira à Ninon, qu’elle ne voit plus guère : « vous souvenez de l’odeur des tilleuls en fleurs dans le Vexin ? ».

Villarceaux fut le seul véritable amour de Ninon, auquel elle fut fidèle pendant plus de 3 ans mais, étant jaloux, la jeune femme, pour lui prouver son amour coupa sa magnifique chevelure, donnant naissance à la « coiffure à la Ninon ».

Petit à petit, Ninon et Villarceaux s’ennuieront. Les chemins se décroiseront. Ninon reprend sa vie parisienne et Villarceaux se consolera dans les bras de la veuve Scarron !

Malgré leur séparation, Ninon et Villarceaux demeureront amis jusqu’à la mort du marquis.

LES SALONS DE NINON

Le XVIIème siècle fut le siècle des salons.

Le mouvement débuta chez quelques-unes de ces femmes, comme Madame de Rambouillet, où Ninon observait les passes temps. Dans les “ruelles”, on luttait pour plus de galanterie et de civilités dans les mœurs; on se piquait de culture, et on élaborait des théories féministes avant l’heure. Ninon imita ce qu’elle vit dans son enfance. Une foule d’hommes et peu de femmes y furent le mélange délicat et détonnant de financiers, grands bourgeois, poètes, écrivains. Elle y régnait en maîtresse absolue, attentive à tous. Les bons mots, les débats les plus riches sur des questions les plus diverses étaient évoqués sans que jamais cela ne dépasse les règles de la bienséance et de la courtoisie. On y pratiquait des jeux de l’esprit, on parlait beaucoup de littérature, on composait des vers, on jouait de la musique, on mimait des petites pièces. Ninon était très liée aux libertins. Ceux-ci voulaient se libérer des religions pour donner à l’existence humaine un sens uniquement terrestre grâce aux progrès des sciences. (L’homme doit jouir de son être) Les libertins étaient de bons épicuriens.

Ninon de Lenclos incarne cette société nouvelle. Elle a tenu salon à compter de 1667, au 36, rue des Tournelles à Paris.

La rue des Tournelles devint le lieu le plus recherché de la bonne société; célèbre pour son bon ton et ses plaisirs les plus fins. Son salon devient le lieu de rendez-vous d’une société brillante, attachée comme elle à la promotion des idées et des mœurs libertines. Ses célèbres « cinq à neuf » avaient lieu chaque jour. Ninon de Lenclos est le symbole de l'aristocrate cultivée et rayonnante, reine des salons parisiens, femme d'esprit indépendant et femme de cœur, représentative de la liberté des mœurs des XVIIe et XVIIIe siècles français.

Tous les jours à cinq heures, elle recevait tout ce que la France comptait de personnalités les plus marquantes. Celles de la Cour entre autre Philippe d’Orléans, grand débauché, dont la mère la princesse Palatine se réjouissait de le voir fréquenter le droit chemin et les bonnes manières. Même les dames lui trouvèrent du mérite, de la tenue et les plus nobles sentiments de cœur. Elle a le don de la conversation: elle sait écouter, animer et relancer les débats, éviter les médisances et les prises de positions catégoriques. Elle interdit que l’on parle politique ou religion.

Parmi les invités des salons de Ninon, on notait surtout des hommes, parmi lesquels, liste non exhaustive, le philosophe Fontenelle, François de la Rochefoucauld, le poète Paul Scarron (le 1er mari de Mme de Maintenon), le compositeur Jean-Baptiste Lully, Jean de La Fontaine, Philippe d'Orléans, futur régent de France, Roger de Rabutin, comte de Bussy, le peintre Nicolas Mignard dont elle fut un modèle, Charleval, fils de Madame de Longueville, Jean Racine (et sa maîtresse la Champmeslé), François III Dusson, seigneur de Bonrepaus et commissaire de la Marine, Nicolas Boileau, Condé, Henri de Sévigné, mari de Madame de Sévigné, puis leur fils Charles de Sévigné (les deux Sévigné, père et fils, furent les amants de Ninon).

Il y avait aussi de nombreuses femmes, parmi lesquelles la Princesse Palatine, épouse du Duc d’Orléans ou encore Françoise d’Aubigné, la Veuve Scarron, future Mme de Maintenon.

Grand amateur de sagesse, Louis XIV se préoccupait souvent, par personne interposée, de l'opinion de Ninon. Il semblerait en effet que Mme de Maintenon ait ménagé un entretien entre le roi et Ninon. Selon Mme de Montespan, Louis XIV se serait caché dans un placard des appartements de Mme de Maintenon à Versailles lors d'une entrevue entre les deux femmes. Ninon aurait critiqué l'étiquette de la cour et se serait efe de convaincre son amie de retourner à Paris où elle serait à nouveau entourée « de ces esprits délicats et sinueux habités à applaudir ses plaisantes histoires et sa conversation brillante. » Louis XIV serait alors finalement sorti de sa cachette, lui reprochant d'un ton badin de vouloir le priver de sa maîtresse...

Quelques mois avant son décès, à près de 85 ans, elle se fit présenter le jeune Arouet, le futur Voltaire, alors âgé d'environ 11 ans et élève du collège jésuite Louis-le-Grand de Paris. Dans son testament, elle lui légua 2 000 livres tournois pour qu'il pût s'acheter des livres.

Son salon est un endroit à la mode, connu dans toute l’Europe et où il faut être vu ! On intrigue pour y être reçu. On le maudit quand on y est refusé. On y fait de la musique, on commente l’actualité de la Cour et des arts, on y philosophe et on y « assassine avec la langue », comme dit si joliment Scarron. C’est le lieu stratégique où s’élabore l’opinion publique du XVIIème siècle. La philosophie des Lumières sortira des salons pour envahir l’Europe et même « les Amériques » !

On connait de Manon de nombreux recueils de lettres. Proche de Molière, elle corrigea, à la demande de l'auteur, la première version du Tartuffe.

Elle a été, entre le XVIIème et le XVIIIème siècle, un puissant agent de liaison, non seulement parce qu'elle a retenu les leçons de Montaigne et encouragé les débuts de Voltaire, mais encore parce qu'elle est placée au carrefour de tous ces courants du libertinage : libertinage mondain, libertinage érudit, libertinage politique, qui préparent le siècle des Philosophes. Il n'est pas indifférent qu'une femme, à la fin du XVIIème siècle, ait tenu ce rôle.

LE MONDE A L’ENVERS D’UNE FEMME « DAMNEE »

Indulgente aux jeunes gens, Ninon consent à leur faire partager son expérience et à les combler malgré les ans, au mépris de l'image traditionnelle de la vierge séduite par les instantes prières d'un brillant séducteur.

C'est le monde à l'envers. Un monde où le désir masculin se discipline en fonction du caprice de la femme. Un monde aussi où la sexualité dure et s'avoue au-delà des bornes de la bienséance. Merveille ou monstre ? Prototype de la femme libérée ou modèle de la courtisane prolongée, Ninon peut paraître l'un ou l'autre.

Légende ambiguë. Elle valorise l'héroïne, dotée d'un pouvoir de séduction hors du commun. Mais elle pose aussi des limites. Ninon, femme libre, ne peut transgresser toutes les lois. Elle peut reculer les bornes de la galanterie par le nombre de ses amants ou la longévité de sa vie sexuelle. La morale prend sa revanche en punissant durement Ninon d'un amour dont la vie qu'elle a mené la rend responsable. Si la puissance et la durée de ses charmes sont indéniables, il ne lui a pas été permis d'en jouir impunément. Femme fatale, elle a dû payer son tribut au destin. Pour avoir voulu aller jusqu'au bout de sa sexualité, elle a été atteinte dans sa maternité et n'a pas réussi à assumer toute sa féminité. Cet échec empêche son défi d'être exemplaire. L'irrégularité de sa conduite en devient moins inquiétante.

L'invention de Noctambule résulte des mêmes peurs devant une vie d'exception. Les premiers biographes de Ninon la prétendent mise en circulation par plaisanterie vers 1692.

Un petit homme vêtu de noir, se serait introduit chez elle, « une petite cassette fort légère à la main ». Sans épée et d'assez mauvaise mine, il avait les yeux pleins de feu et la physionomie spirituelle. "Vous voyez en moi, dit-il à Ninon, qui avait alors 18 ans, un homme à qui toute la terre obéit. J'ai présidé à votre naissance. Je dispose à mon gré du sort de tous les humains. Je viens savoir de vous de quelle façon vous souhaitez que je dispose du vôtre. Il ne dépend que de vous d'être la personne la plus illustre de votre siècle. Je vous apporte la grandeur suprême, des richesses immenses, la beauté éternelle. À vous de choisir. - Je préfère la beauté, répond Ninon sans hésiter. - Accordé, repartit le petit homme en tendant de vieilles tablettes noires à feuilles rouges, à la seule condition de garder le secret et d'inscrire votre nom ici. Je vous donne le pouvoir de tout charmer. Depuis six mille ans que je parcours l'univers d'un bout à l'autre, je n'ai trouvé sur la terre que quatre mortelles qui en fussent dignes : Sémiramis, Hélène, Cléopâtre, Diane de Poitiers. Vous êtes la cinquième, et serez la dernière à qui j'ai résolu d'en faire don. Vous paraîtrez toujours jeune et toujours fraîche. Jamais vos amants ne vous quitteront et vous les quitterez toujours la première. Vous ne vieillirez pas. Vous ferez des passions dans un âge où les autres femmes ne sont environnées que des horreurs de la caducité."

Ninon, ajouta le vieillard, ne le reverrait qu'une fois. Elle n'aurait plus alors que trois jours à vivre. Puis il disparut en disant : « Sachez seulement que je m'appelle Noctambule. » Le bruit courut que l'homme en noir pénétra de force jusqu'à la chambre de Ninon mourante. Il approche de son lit. Il en ouvre les rideaux. Elle le reconnaît. Elle pâlit. Elle jette un cri horrible, et le petit homme, après lui avoir annoncé sa fin dans le délai prévu, lui montre sa signature et disparaît en s'écriant d'une voix terrible : « Tremble. C'en est fait. Tu vas tomber en la puissance de Lucifer. »

Dans l'épisode de Noctambule, comme dans celui du suicide de son fils, après une passion ueuse pour sa mère, Ninon de Lenclos échappe à l'histoire pour inscrire son destin aux confins du roman et de la légende.

Même la durée de sa sexualité semble tenir du prodige. Les charmes qu'elle a prodigués toute sa vie ne s'expliqueraient pas sans un pouvoir magique. Un demi-siècle après sa mort, la courtisane est devenue une héroïne dont le destin peut être présenté par les philosophes comme un modèle de vie heureuse et libérée. Mais ce bonheur et cette libération restent, pour la plupart, des péchés, qui appellent punition. Ses aventures peuvent faire rêver ; elles ne doivent pas être imitées.

Le public croit sans peine à l'invention de Noctambule, et l'inconscient collectif adapte immédiatement à celle qui a transgressé les lois du vieillissement et de la pudeur les terribles paroles de Lucifer. Même magnifiée par ses premiers biographes, Ninon demeure aux yeux des bien-pensants une femme damnée.

Depuis Messaline et jusqu’à aujourd’hui, les femmes libres et hypersexuelles ont toujours été, aux yeux de certains, des « damnées »

UNE HYPERSEXUELLE : DU TEMPS DU ROI SOLEIL A NOS JOURS

Ninon de Lenclos disait : « Une femme qui n’a aimé qu’un homme ne connaîtra jamais l’amour. »

Ninon n’est pas seulement une de ces grandes libertines dont je raconte le parcours.

Elle est une femme libre et une hypersexuelle, par son nombre estimé d’amants (5.000 environ dit-on). S’il ne s’agit pas de revendiquer des « records », mon parcours d’hypersexuelle, depuis plus de 25 ans, fait que je peux, de ce point de vue au moins, me comparer à la grande Ninon.

Ninon est une femme entretenue mais c’est d’abord une femme brillante, intelligente et libre qui assume « honnêtement » sa situation et refuse froidement les avances de qui ne lui convient pas, à l’étonnement des recalés, assurés pourtant que leurs écus leur ouvriraient tous les lits.

Cette «recette» fera sa fortune. Avec sa réputation de femme, jeune et belle, qui choisit aussi soigneusement ses amants que ses amis et de plus bel esprit de Paris, Ninon devient la reine incontestée de la capitale, alors véritable centre du monde. Sa « prière » amuse tout Paris. « Mon Dieu, faites de moi un honnête homme, jamais une honnête femme ! ».

Je peux témoigner que l’hypersexualité choque encore aujourd’hui chez une femme, alors que nul ne trouve à dire sur le donjuanisme d’un homme. On peut donc imaginer ce qu’il en fût à l’époque ! Aujourd’hui comme à l’époque, une femme qui a ce genre de vie est ment une catin, une salope et, quand la religion s’en mêle, une créature du diable, une damnée. Certaines l’ont payé de leur vie ou le paient encore quand règne l’obscurantisme.

En revendiquant sa liberté sexuelle, son droit de choisir son partenaire et de les multiplier, Ninon affirme une liberté de la femme et peut être légitimement considérée comme précurseur, une féministe. C’est cette liberté que je revendique aujourd’hui et que je pratique, ayant la chance d’avoir à mes côtés un compagnon, Philippe, qui m’y encourage, et qui, en plus, y trouve plaisir en tant que candauliste.

Ninon, c’est aussi la combinaison de l’hypersexualité et de l’intellectuelle, double nature que je revendique également.

J’admire enfin la longévité de sa beauté et de son appétit d’hypersexuelle, puisqu’on lui prête des amants jusqu’à un âge avancé, jusqu’au bout de sa vie. Je rêve de pouvoir connaître un destin similaire !

Ninon n’a pas eu le bonheur de connaitre le complice qui sache accompagner et encourager son parcours, pour parler clair un compagnon ou mari candauliste qui soit à ses côtés pour l’encourager et prendre plaisir à ses frasques. De ce point de vue, je me sens privilégiée par rapport à la grande Ninon, pour qui je renouvelle mon respect et mon admiration.

MES SOURCES SUR LE WEB

Roger Duchêne : Ninon de Lenclos ou la manière jolie de faire l’amour. http://web17.free.fr/RD01/4400.htm

https://www.histoire-pour-tous.fr/biographies/3283-ninon-de-lenclos-courtisane-du-grand-siecle.html

Ninon de Lenclos, maîtresse du Grand Condé http://favoritesroyales.canalblog.com/archives/2011/11/20/22745637.html

https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article6762

http://www.nananews.fr/fr/debats/le-dessous-des-histoires/1308-les-cinq-mille-amants-de-ninon-de-lenclos

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