Mister Hyde - 22 Et 23
22
Lappartement de la rue Molière éveilla toute son attention mais pas le moindre souvenir, pas plus que son lieu de travail ou ses collègues. Il démissionna dailleurs deux jours après sa sortie de lhôpital, un bref passage là-bas lui ayant suffi pour comprendre quil navait rien à y faire. Conséquemment, il vendit ses parts au plus offrant et acheta la rue Molière à son ami ainsi que lappartement du dessus. Il passa ses journées à croquer son futur domaine en espérant trouver un architecte et des artisans prêts à réaliser ce à quoi il pensait. Puis il partit en quête de ces perles rares.
Les travaux commencèrent avant que les ventes ne fussent consolidées. Il était pressé. Il donna à larchitecte et à son équipe, un mois pour les réaliser et partit vivre à lhôtel.
***
Il avait commencé à concevoir son projet à lhôpital, sans avoir la moindre certitude sur la faisabilité, le lieu, ou le financement mais avec une idée bien précise de qui serait présent à linauguration : Fanny.
Au cours des mois quavait duré son hospitalisation, la jeune femme et lui avaient beaucoup échangé sur toutes sortes de sujets et il avait, peu à peu, pénétré son intimité. Deux observations avaient incliné Frédéric à laccepter dans sa sphère : tout dabord, alors quil refusait quon le regardât, elle fut la seule à accepter de rester dans son dos pour refaire ses pansements puis, quand il fut indispensable quelle lui fît face, elle le regarda sans dégout. Enfin, si elle vint de son propre chef le visiter de temps en temps, elle accepta très vite quil lui imposât des horaires dabord, ses tenues ensuite et quand il exigea quelle vînt en dehors de ses heures de travail, elle accepta sans tergiverser. Bientôt, il la fit venir la nuit et passer par des chemins déserts afin quelle ne fût pas vue. Elle se plia au moindre de ses caprices. Pourtant, il ne la touchait pas et déguisait parfois ses ordres en conseils mais, lorsquil linterrogeait sur ce quelle ressentait, le mot : excitation était toujours de mise.
***
« Demain, 20h, escaliers de lOpéra. Tu porteras des escarpins bordeaux. »
« Le message nest pas signé. »
« 26 »
« Jy serais. »
« 26 », cétait le numéro de sa chambre, à lhôpital et il avait décidé, puisquelle exigeait une signature, que cest ainsi quil se ferait reconnaître delle.
Elle viendrait, il allait pouvoir la tester.
***
Il arriva à huit heures moins cinq, elle était déjà là. Il put donc ladmirer tout à loisir. Pour loccasion, elle avait revêtu une jupe courte (mais pas trop) et un top laissant ses bras et sa gorge nus. Elle portait également des escarpins bordeaux. Il sourit, satisfait. Il savança vers elle avec quelques minutes de retard et lui fit compliment de sa ponctualité sans sexcuser de lavoir fait attendre. Aussitôt, il lui prit le bras et lentraîna vers la chaussée dAntin, au pub irlandais. Il lui commanda une bière blanche tandis quil optait pour une Murphy.
Jespère que tu aimes la bière blanche
Dans le cas contraire, tu nes pas obligée de la boire, je le saurais pour la prochaine fois. En revanche, tu vas te faire une queue de cheval. Tes cheveux masquent ton visage et je naimerais pas quils tombent de cette façon pendant que tu me suceras. Ce serait très désagréable...
La jeune femme obtempéra aussitôt sans paraître choquée le moins du monde par les propos de lhomme. Lhomme : cest ainsi quelle le nommait puisquil lui avait répété à maintes reprises que le prénom de Frédéric lui laissait un arrière-goût dinconnu et dinsatisfaction ; la personne quon lui avait dépeinte ne correspondant absolument pas à celle qui, chaque jour devenait en lui plus présente. Elle le regarda par en dessous et vit quil souriait, maintenant quelle avait dégagé son visage de la masse de cheveux noirs qui lencombrait.
Ni amertume ni acidité
ça te plaît
Elle est excellente et
Cest un excellent entraînement.
Frédéric neut aucun doute sur laspect érotique de la remarque de Fanny. La jeune femme ne marquerait ni dégoût ni hésitation au moment fatidique.
Jai, en tes capacités la plus entière confiance. Néanmoins, je voudrais en savoir plus sur ton passé. Jespère que tu es prête à répondre à mes questions
Elle hésita un bref instant. Devait-elle fanfaronner ou au contraire se montrer plus réservée ? Elle finit par dire exactement ce quelle pensait :
Je lespère aussi.
Commençons par le commencement, si tu veux bien. À quel âge ta première expérience sexuelle ?
A quatorze ans.
La réponse fusa mais le corps de Fanny eut un léger recul, comme si elle avait voulu retenir ce que sa bouche venait de révéler. Le mouvement néchappa pas à Frédéric. Dinstinct, il sut que la bataille serait physique mais que lesprit, déjà, lui était acquis.
Quatorze ans, cela fait donc une dizaine dannée. Combien damants dans cette période ?
Il lut dans le regard de la jeune femme une certaine incompréhension.
Cette question nest pas un piège, Fanny. Cest juste la question dun homme curieux de ton passé. Tu peux y répondre ou non, tu as toute latitude pour cela
Ce nest pas ça, répondit-elle du tac au tac, cest juste que là où jai grandi on a pas damant, on est la meuf, la pute ou la salope à
machin ou truc.
Jai été la meuf de quatre queum. Leur meuf, cest-à-dire que les mecs me respectaient, jétais une fille sage, pas une de ces pétasses quon séchange aussi facilement quon se file une clope. Et puis jai quitté la cité pour aller faire mes études
Et ?
Et rien.
Donc, quatre hommes depuis tes quatorze ans et rien depuis environs six ans. Cest bien ça.
Oui.
Pourquoi ?
Je nen sais rien. Peut-être que ça ne mintéressait tout simplement pas. Peut-être que cétait les hommes qui nétaient pas intéressants
ça doit être ça. Je les trouvais mous.
Ok. Des aventures avec des femmes ?
Fanny regarda Frédéric et son étonnement se mua en sourire.
Non. Mais rien ne sy oppose. Loccasion ne sest pas présentée, cest tout.
Tout à lheure, quand je tai demandé de te faire une queue de cheval, mon langage ne ta pas choquée
Pourquoi ? dit-elle en linterrompant. Ça aurait dû ? vous parlez cash et jaime ça. Vous allez droit au but, cest mieux. Au moins, il ny a pas dambiguïté. Le problème, avec les types que je fréquente, cest quils nosent pas, ni dire leurs désirs, ni même les suggérer.
La faute au harcèlement, peut-être
et à lépée de Damoclès que cela laisse flotter dès quon exprime ses envies à légard dune personne
Fanny prit quelques secondes de réflexion avant dopiner sans véritable conviction.
Peut-être
Vous êtes pourtant le parfait contre-exemple
Absolument pas. Jagis ainsi avec toi parce que je suis sûr de mon fait. Tu as envie que je te choque, tu as envie que je te mette mal à laise en parlant ouvertement de cul avec toi en public. Je sais que ça te fait mouiller, cest pour ça que jagis ainsi. Je ne prends aucun risque et mon comportement serait tout autre avec
la lieutenant Martin par exemple.
Fanny se redressa dun coup.
Évidemment ! Elle est flic
Exactement, elle est flic ! Pourtant, ce nest pas son statut de flic qui fait delle ce quelle est. Ce métier sest imposé à elle mais ce nest pas sa vocation. Pour devenir flic, elle a tordu son âme, pour la faire rentrer dans un moule auquel elle nétait pas destinée. Mais une âme, cest vivace et la sienne néchappe pas à la règle or, elle est régie par la philosophie, pas par la morale républicaine.
Ce qui signifie
?
Quil faut la combattre sur le plan des idées, pas sur celui de la bienséance.
Je ne comprends rien
Si ses idées et la bienséance se rejoignent
Elles se rejoignent, elles ne se mélangent pas.
Ouais ! Cest trop compliqué pour moi.
Le silence sinstalla durant plusieurs minutes entre les deux personnes formant cet étrange duo. Fanny regrettait davoir réagi tel quelle lavait fait et Frédéric se demandait comment ramener la conversation à des considérations plus terre à terre. Ce nest pourtant pas lui qui reprit la parole.
Vous pensez que vous étiez déjà comme aujourdhui quand vous lavez aimée ?
Frédéric lui lança un regard coléreux mais cela ne la désarçonna pas.
Cest elle qui nous la dit
que vous avez été son premier amour
À moi, elle na rien dit de tel.
Fanny ouvrit la bouche mais préféra se taire. Frédéric profita de laubaine.
Avoir la bouche ouverte te va très bien. Jai très envie de la combler.
Et sans attendre quelle réagisse, il glissa sous son verre un billet pour régler les consommations, se leva et entraîna Fanny dans son sillage. Il était si pressé que la pauvre Fanny précipitait ses pas pour ne pas être trop distancée. « Courir avec des talons, cest galère », se dit-elle mais pour rien au monde elle naurait abandonné la poursuite. Elle poussa la porte cochère de la rue Molière une fraction de seconde avant quelle ne se refermât et opta pour lescalier espérant ainsi trouver un indice sur le seuil à franchir. Un entrebâillement au troisième lui indiqua où pénétrer.
La porte claqua derrière elle. Surprise, elle se retourna.
Frédéric était là, goguenard.
Il la gifla et lui intima lordre de sagenouiller. Léducation de Fanny venait de commencer.
***
Fanny, agenouillée, la joue cuisante, baissait les yeux. Elle ne vit pas Frédéric saisir contre le mur un fauteuil de jardin pliant et elle ne vit que le bas de son pantalon quand il sy installa à quelques centimètres delle.
Relève la tête et ouvre la bouche.
Lordre était clair et sans appel, elle obtempéra. Elle le regretta assez vite car, si Frédéric parlait, il nagissait pas. Et elle bavait. Au sens propre du terme : la salive saccumulait sous et sur sa langue. Or, dans la position quelle tenait, il était quasi impossible de lavaler et, bientôt, sa cavité buccale déborderait. La bave sépancherait alors en minces filets tombant de ses lèvres sur ses vêtements. Elle en éprouva une honte quelle navait jamais ressentie mais qui lui faisait, paradoxalement, chaud au cur. « Enfin un homme qui sait et qui fait ce quil veut, se dit-elle. Un homme comme celui dont je rêve
»
Frédéric se tut et ce fut le silence. Fanny navait pas écouté un traître mot de son discours, trop occupée à retenir les filets de salive. Lhomme ne prit pas la peine de se lever, il se pencha en avant et la gifla. Un flot décume fusa pour atterrir sur le plancher.
Tu devrais écouter quand je parle car, si pour la plupart des gens cela na aucun intérêt, cela peut se révéler capital pour toi. Que tu tâches tes fringues, si cest moi qui lordonne, na aucune importance ; que tu ignores ce que jattends de toi parce que tu as la tête ailleurs, ça, cest grave.
Fanny abaissa son visage vers le sol, elle en profita pour déglutir. Durant un instant, elle se demanda pourquoi elle acceptait que ce type la batte et lui fasse faire des choses totalement hors de ses habitudes ; son premier copain avait eu toutes les peines du monde à lui faire accepter la fellation et elle navait toléré dêtre sodomisée quun soir où elle était bourrée. Or, avec lui, rien ne la choquait, tout lui paraissait logique et naturel et, pour être tout à fait franche avec elle-même, une boule de désir conséquente poignait dans son bas-ventre.
Elle releva les yeux et elle le regarda. Pas question pour elle de, ne serait-ce que susurrer un mot dexcuse puisque, dune certaine façon, il lavait trahie en ne la prévenant pas. Bien entendu, elle avait conscience de ne pas être tout à fait honnête, ni avec lui, ni, surtout, avec elle-même, en agissant ainsi. Mais peu importait, elle lui rendait juste la monnaie de sa pièce.
Il te faudra du temps pour assimiler cette leçon, dit-il en lui souriant. Aucun de nous deux nest ou na été honnête envers lautre depuis dix minutes. Cest lerreur à ne pas commettre. Cest pourtant celle que nous commettons tous, à un moment ou à un autre. Ce qui cimente notre relation, cest la confiance que nous avons lun dans lautre. Je tai intentionnellement poussée à la faute et tu mas sciemment menti en ne te rebellant pas face à cette injustice. Si je tavais demandé les raisons de ton acceptation, tu maurais répondu que lhumiliation que je tai fait subir texcite, que la franchise avec laquelle jexprime mes désirs bouleverse ton carma
tout ça, ce ne sont que des conneries. Parce que tu te forces à tolérer lintolérable. Or, ce que jespère pour toi, cest que plus rien ne te soit intolérable et que seul le plaisir que tu éprouves, guide tes pas. Donc, si par hasard ou maladresse, il arrive que mes demandes soient intolérables, dis-le-moi, de vives forces, dis-le-moi. Autrement, nous navancerons pas, tout au contraire.
Fanny hésita. Devait-elle répondre ou se taire ? Ce nétait pas clair dans son esprit et les paroles de Frédéric ne létaient pas plus. Elle choisit de se taire tout en continuant à le regarder, la bouche toujours grande ouverte, prête à le recevoir. Un filet de salive séchappa lentement par le coin droit de ses lèvres, elle le laissa filer
***
Fanny ouvrit un il, étonnée de se retrouver allongée dans un lit. Elle venait de vivre un moment dune intensité quelle navait encore jamais connue et qui la ravissait. Elle sétira, se retourna puis se leva. Sa peau, tendue à lextrême par la persistance des sensations de la séance, la brûla. Elle émit un petit soupir de satisfaction : elle navait pas rêvé.
Lorsque Frédéric sétait enfin décidé à laction, il lui avait commandé de se lever et de se dénuder. Les termes désuets avec lesquels il formulait ses ordres lavaient émoustillée et conquis sa docilité. Comme il navait donné aucune directive concernant sa bouche, elle lavait gardée grande ouverte. Elle bavait abondamment. Le filet de salive avait considérablement grossi et sépanchait désormais sur son menton avant de tomber en flaques gluantes sur sa poitrine nue et durcie.
La bave, petit à petit, sinsinuait entre ses seins pour sécouler lentement vers son ventre. Le ru allait en ligne droite. Il marqua un instant darrêt en arrivant à son nombril quil envahit en peu de temps puis repartit, avec la plus parfaite rectitude, vers son mont de vénus. Il ne mit que quelques secondes à vaincre lascension de la colinette pour sévader, toujours plus bas, entre ses cuisses. Là, il se sépara en delta, la branche principale suivant, sur une courte distance, la fente du sexe, avant de se perdre au sol ou elle forma un petit lac tandis que les deux autres bras couraient languissamment le long de ses cuisses.
Fanny nen était pas revenue. La bave qui séchappait de sa bouche
Cela lavait dégoûtée. Elle sétait sentie salie par ce contact visqueux. Plus encore, elle avait eu limpression de se cracher dessus et dexprimer une détestation de son corps quelle ne ressentait pas. Pourtant, elle navait pas regimbé lorsque Frédéric lavait affublée dun instrument de qui laidait à garder la bouche ouverte au maximum et donc, à saliver toujours plus.
Elle changea cependant davis sur les glaires qui la parcouraient quand le ruisselet atteignit son sexe. Le contact chaud et humide de sa salive avec son clitoris fut pour elle une révélation : il eut suffi dune pression à peine supérieure pour quelle atteignît lorgasme.
Cela fit sourire Frédéric qui, patiemment, la regardait.
Sens-tu, lui dit-il en collant la bosse de son pantalon à lhémistiche de ses fesses, comme ce qui paraît écurant peut devenir délicieux ?
Fanny opina. Ce qui eut pour effet de libérer encore plus de salive. Le liquide gluant coula plus vite et senfonça entre ses lèvres que le plaisir avait ouvertes. Ses genoux plièrent tant le choc fut rude, bien que bref. Derrière elle, elle sentit la queue de lhomme gonfler encore. Elle était prête à laccueillir. Elle nattendait dailleurs que ça. Cependant, elle sut dinstinct que cela narriverait pas. Pas avant très longtemps.
***
Inexplicablement, le temps sétira pour Fanny alors quil parut si court à Frédéric. Elle ne sentit les mains de lhomme courir le long de sa silhouette quaprès ce qui lui semblât dinterminables minutes tandis quil navait pas fallu aux doigts de Frédéric plus dune seconde pour partir à lassaut de ce corps encore inconnu.
Lorsquelle prit enfin conscience des caresses quil lui prodiguait, Fanny se figea, tétanisée par la douceur gluante des mains qui la possédaient. Puis, lentement, elle ondula, au rythme lancinant des doigts qui, désormais, fouillaient son sexe. Lorgasme la prit avec une telle intensité quelle seffondra entre les bras de lhomme.
***
Frédéric emporta la jeune femme à demi consciente jusquà la salle deau où il la lava patiemment à laide dun gant de toilette. Fanny ronronna de vagues paroles de contentement et sortit de sa somnolence. Elle était propre, nue et réveillée, débarrassée de linconfortable instrument qui maintenait sa bouche ouverte.
Frédéric lui sourit et lui tendit la main. Elle le suivit dans le salon.
À quatre pattes sur le fauteuil, dit-il en la projetant loin de lui dans un langoureux mouvement de valse.
Elle obéit sans réfléchir, cambrant le dos, tendant les fesses dans lexpectative dêtre prise, enfin. Un sifflement, le choc des lanières explosant sur les chairs tendres de sa croupe, mirent fin à son espoir. Elle cria et sut aussitôt que cétait une erreur.
Compte ! Ça taidera.
Un ! gémit-elle.
Le second coup arriva à linverse du premier, elle compta. Le troisième survint par le haut, elle sentit quelques lanières glisser entre ses fesses, elle compta. Mais pour le quatrième, elle hésita : cétait plus une caresse quune meurtrissure, Frédéric sétant contenté de promener le martinet le long de sa raie entrouverte. Finalement, elle ne le compta pas. Il nen fut pas de même pour les suivants qui vinrent abruptement mourir entre ses cuisses : sur sa raie, sa fente et son clitoris. Puis tout cessa et elle ressentit une sorte de vide, comme si on la privait soudainement dune chose essentielle à sa vie. Et limpression dura jusquà ce que la main de Frédéric vienne apaiser le feu naissant. Durant ces quelques secondes, elle crût que cétait le fouet qui lui manquait mais dès que les doigts apaisants frôlèrent ses contusions, elle comprit que cétait le contact qui lui faisait défaut, plus précisément encore, le simple fait quon soccupât delle. En un instant, elle prit conscience quelle avait toujours voulu être prise en main et surtout, dorlotée : peu lui importait dêtre brutalisée tant quelle serait récompensée par la douceur dont on la choyait et quelle éprouvait maintenant. Elle tourna la tête et remercia lhomme dun sourire quil lui retourna avec un soupçon de tristesse quelle ne saisit pas.
Toujours comme en dansant, lhomme lui fit quitter le fauteuil et la position offerte quelle occupait. Elle se retrouva debout. Ses chairs se tendirent et elle sentit la brûlure de ses cuisses qui désormais se frôlaient. Elle eut également limpression que ses fesses sétaient alourdies, tout comme ses seins qui pointaient fièrement. Elle sattendait à ce quil parlât mais il nen fit rien, il se contenta de sasseoir et de lobserver. Létat de nudité dans lequel elle se trouvait se mit à la gêner. Des hommes lavaient vue nue, bien sûr, mais aucun ne lavait regardée avec une telle acuité. Elle eut aussitôt limpression dêtre un bibelot dans une salle des ventes, une esclave présentée au marché. Jamais elle navait éprouvé pareille sensation dexcitation : combien valait-elle ?
Pour lui ou
pour les hommes en général ?
La voix de Frédéric la sortit de ses pensées. Cette fois, elle écouta attentivement.
À quoi penses-tu ?
La sensation de brûlure monta de ses fesses à ses joues en un battement de cils. Allait-elle répondre la vérité ? Non ! elle ne pouvait pas dire ce à quoi elle pensait, elle aurait tellement honte
Un léger crispement de la bouche : Frédéric était agacé.
Est-ce à ce point stupide ?
Stupide
Non ! Je ne crois pas
Et bien quest-ce, alors
?
Cest que
Je
Aurais-tu honte ?
Euh
! Oui
Honte de lavoir pensé ou honte de le dire ?
Fanny serra les cuisses et se contorsionna mais les mots finirent par franchir ses lèvres.
De le dire
Si tu nas pas eu honte de le penser, pourquoi avoir honte de le dire ?
Cest que
Et puis les mots jaillirent si vite quils finirent leur course en une bouillie incompréhensible.
Viens-la, dit-il en tapotant ses genoux. Calme-toi et dis-moi tout ça à loreille.
Fanny obtempéra. Elle sassit à califourchon sur les cuisses de lhomme et glissa à son oreille une petite phrase qui le fit sourire.
Bien ! Maintenant que tu las dit tout bas, répète le tout haut.
Fanny se redressa sans se lever : la main de Frédéric ayant pris possession de son sexe. « Nouvelle épreuve se dit-elle. Je dois parler sans montrer le plaisir quil me donne
» Elle hésita un bref instant, pris une large inspiration et débita, le plus calmement quelle le put :
Pendant que vous me regardiez, je me suis vue, moi, esclave attendant dêtre vendue. Et je me suis demandée combien je valais
Tu vois, ce nest pas si compliqué dit-il sans cesser son petit manège digital. Il ne faut jamais avoir honte de ce quon pense, de ce quon espère ou de ce dont on rêve. Et surtout, il ne faut jamais avoir honte de le dire, quitte à choquer. Quimporte ! Les autres taccepteront telle que tu es, ou te rejetteront. De toute façon, tu nas pas besoin deux.
Ce qui est intéressant, en revanche, cest que tu naies pas eu honte de cette vision mais de men avouer la teneur. Tu as réagi avec la morale quon ta inculquée : telle et telle choses ne sont pas bien, donc
Mais
Je ne suis pas en capacité dêtre choqué ou atteint par des préceptes moraux parce quils ne sont pas miens. Peut-être lhomme que jétais aurait-il été outré de ton aveu. Ça ne peut pas être mon cas, jai tout oublié. Je connais la morale, je sais distinguer le bien du mal mais je nai pas les mêmes barrières, les mêmes limites. Battre une femme, cest mal (et politiquement très incorrect) mais le désir quen ont certaines, fait que la chose devient possible et acceptable. Sans un accord, explicite ou tacite, cest mal. Ce qui change tout, cest ladhésion. Lorsque je tai fouettée tout à lheure, tu étais libre de tes mouvements, rien ne tempêchait de te lever et de refuser ce que je tinfligeais. Pourtant, tu es restée en position et tu as accepté que je te flagelle. Tout comme tu vas accepter de me sucer avant que je te sodomise.
Fanny tressaillit si brusquement quelle expulsa les doigts qui la fouillait. La seule fois où elle avait été sodomisée, elle était trop ivre pour refuser et elle en gardait un souvenir désagréable. Là, en pleine possession de ses moyens, lidée ne lenchantait guère et, bien quelle eût la certitude quelle finirait par acquiescer à lexigence de lhomme, ce jour-là, elle refusa.
Frédéric ninsista pas sur ce point, les explications données à haute voix par la jeune femme suffirent à le convaincre dêtre patient. Il lui fit néanmoins signe de sagenouiller mais avant dapprécier dapprécier les prouesses de sa bouche, il linterrogea.
Tu as sucé tes quatre « Keums » ?
Oui monsieur répondit-elle succinctement.
Le
Fanny savait quelle question il allait poser et malgré son comportement au café une heure plus tôt, elle anticipa la réponse afin de ne pas lentendre formulée.
Non monsieur, je ne lai jamais fait.
Tu nas jamais fait quoi ? dit-il sans soffusquer davoir été interrompu.
Je nai jamais avalé monsieur. Cétait bien ce que vous aviez en tête ?
Frédéric sourit et poursuivit :
Tout à fait. Mais maintenant, je veux savoir si tu ten sens capable ?
Fanny hésita quelques secondes et formula sa réponse dune façon qui sembla étrange à Frédéric.
Je nattendais que vous pour my résoudre.
Cétait vraiment ce quelle pensait. Sur ses quatre petits amis, un seul avait exprimé ce désir sans jamais lui donner loccasion de lexhausser. Elle sétait abstenue de le lui rappeler et puis était venu le temps du jeûne. Maintenant que cette période prenait fin, le moment était venu de relever le défi. Le faire pour le plus grand plaisir de Frédéric était pour elle une évidence. Sans attendre la question suivante, elle dégrafa le pantalon de celui quelle sétait choisie pour maître et engloutit son vit déjà bandé.
« Mains dans le dos » entendit-elle tandis que ses doigts voyageaient sur la hampe quils baguaient. Elle obéit aussitôt laissant à ses seules lèvres la joie de posséder le sexe. Elle lavala lentement tout en prenant conscience que sans aide de ses membres, lexercice était autrement plus complexe que dans ses souvenirs.
Lhomme étant assis, elle rectifia sa position afin que ce ne soit plus seulement son cou qui travaille mais tout son torse. Ses petits amis considéraient la pipe comme une mise en forme, elle pressentait à juste titre que Frédéric nen avait pas la même conception. « Pour lui, pensa-t-elle, il sagit dun acte sexuel à part entière, pas un simple « apéro » elle pensa : « mise en bouche » en plus dêtre un geste de soumission de la part de celle qui la prodiguait. Cest comme un strip-tease décida-t-elle, cest une mise à nue, une offrande
»
Alors, elle se mit à chantonner intérieurement lair sur lequel elle se déshabillait les soirs où lenvie la prenait de se caresser. La musique laida à trouver son rythme ainsi que les mouvements qui laccompagnèrent et bientôt, tout le haut de son corps dansa, sa langue se mit à fredonner, ses lèvres à osciller.
Frédéric fit plus quapprécier la fellation quelle lui dispensa, il la vécue comme un moment béni. Chaque seconde, chaque caresse lui apportait son lot de surprise et de sensualité. À tel point quil abdiqua toute velléité de se retenir avant la fin de la chanson. Heureusement pour Fanny, il grogna son plaisir, elle ne fut donc pas surprise lorsque de puissants jets de sperme inondèrent sa bouche. Elle les conserva pour en mesure la tiédeur et le goût et puis elle avala en regardant lhomme droit dans les yeux.
Elle sattendait à être questionnée sur ses impressions de cette première fois mais au lieu de cela Frédéric lui tendit la main et lentraina vers le canapé où, sans attendre, il lui rendit la pareille. En prenant soin de parcourir des lèvres et de la langue la moindre partie sensible du sexe de la jeune femme, Frédéric la mena aux frontières de lorgasme. Sa langue était partout. Tantôt elle enrobait le clitoris de Fanny, tantôt elle plongeait dans les profondeurs de son sexe alors que la seconde davant elle effleurait ses lèvres. Parfois même, elle saventurait très bas, à la limite du périnée pour remonter avec des lenteurs serpentines jusquà son bouton quil capturait entre ses lèvres pour le sucer avec tendresse. Il modifia si souvent ses manières, ses caresses, quà chaque prémice de basculement, fanny découvrait une sensation nouvelle qui la maintenait dans lattente. Puis tout cessa et enfin elle reçut Frédéric. Elle le reçut bien plus quil ne la prit tant il senfonça en elle avec lenteur. Cétait, comme un cadeau quon déballe avec soin pour faire durer linstant et en conserver intactes toutes les composantes, de la ficelle colorée au papier et même au moindre morceau de scotch. Fanny engrangea tous ces souvenirs tandis quelle se donnait à lui. Lui, lamena au bord du plaisir et sinterrompit pour lui offrir une feuille de rose. Fanny navait pas lhabitude quon la caressa de la sorte mais elle se laissa prendre au jeu et surtout au plaisir. La langue de lhomme effleurait avec tant de douceur son petit trou quelle vibra et étouffa un râle. Certes, il ne la prendrait pas par-derrière aujourdhui mais il lui donnait un avant-goût des délices quelle venait de refuser. Elle implosa, au sens littéral du terme. Tout son corps se recroquevilla pour ne former sur le sol quune petite boule de chair frissonnante et gémissante.
Frédéric attendit patiemment quelle se calma puis lemporta dans la pièce dà côté où il la coucha avant de séclipser. Cest ainsi que Fanny se retrouva dans un lit sans savoir comment elle y était venue.
***
Frédérique ne comptait plus les jours, ni même les semaines depuis quelle avait quitté son boulot et sa ville pour se terrer dans un petit village du centre du pays. Julie lavait rejointe trois semaines plus tard mais la présence de son amie navait rien de salvateur, bien au contraire. Julie prenait en charge toutes les corvées de la maison et soccupait de Franck avec la plus grande douceur. Mais jamais, malgré la charge de travail que cela représentait, elle ne poussa Frédérique à laider. Jamais elle ne lincita à sortir de sa léthargie. Et, plus le temps passait, plus Frédérique sétiolait.
Aux premiers jours de son absence, elle avait reçu des appels du bureau, de ses surs et de sa mère. Seule sa mère avait insisté mais, lasse de ne plus répondre, elle avait résilié son abonnement et opté pour un nouvel opérateur. Elle avait coupé tous les ponts et ne savait pas comment les réparer. Elle senferma dans une solitude dont le seul horizon devint Frédéric et la jouissance quil lui avait donnée. Elle ne pensait plus quà cela, ne vivait plus que pour cela : retrouver son Maître. Et pourtant, elle ne bougeait pas, attendant quil réapparaisse comme par magie. Sa seule occupation, le seul signe quelle gardait espoir était le rangement et laménagement fidèle du donjon de Caen dans le sous-sol de la maison. Frédéric ayant tout laissé derrière lui, elle avait tout déménagé. En aucun cas elle voulait oublier cette période de sa vie. Recréé cet espace lui était un besoin vital.
***
Julie se garda bien de parler de la visite du lieutenant Martin à Frédérique encore moins du fait quelle avait retrouvé Frédéric : quel meilleur moyen, pour elle, de conserver la jeune femme et son fils pour elle toute seule ? En revanche, elle se promit quà la moindre occasion, elle irait lespionner. Elle voulait tout savoir de lui afin de pouvoir contrer un éventuel retour. De fait, quelque dix jours après son arrivée, elle prétexta un voyage à Caen pour soccuper de sa maison quelle voulait, affirma-t-elle, mettre en location. Elle fila directement sur Paris.
23
Frédéric jeta son téléphone sur la table. Il avait la certitude que Nathalie Martin lui mentait, au moins par omission. Depuis quil avait quitté lhôpital, elle lappelait deux fois par semaine pour prendre des nouvelles et linformer de la progression de lenquête sur ses agresseurs mais il y avait dans son phrasé une sorte dhésitation qui faisait penser au jeune homme quelle avait autre chose de bougrement plus important à lui apprendre. Comme à chaque fois depuis que cette intuition lavait assailli, il se promit de mettre les pieds dans le plat au prochain appel de la policière et, comme de juste, il ne le ferait pas. En réalité, son passé en général et les résultats de lenquête en particulier, ne lintéressait pas. Il se créait au jour le jour une existence nouvelle, et cétait tout ce qui comptait pour lui. La vie avait fait pour lui, table rase du passé, et il se trouvait très bien ainsi. Sans ami, sans attache, avec pour seule compagnie celle que lui offrait Fanny deux ou trois fois par semaine selon ses disponibilités. Tout cela lui semblait parfait. Néanmoins, il lui arrivait parfois davoir ces impressions de « déjà vu » quil narrivait pas à chasser. Elles étaient provoquées par toute sorte dévénements anodins : un simple mot dit sur un ton particulier pouvait suffire. Mais, systématiquement, elles éveillaient les mêmes images, celles de deux femmes : lune blonde, lautre châtaine aux ombres rousses, toutes deux aux cheveux longs et souples. Tous ses efforts portaient alors sur leffacement de ces bribes de souvenirs.
***
Nathalie raccrocha et appela Lucile qui ne répondit pas, elle lui laissa donc un message. Au fil des jours et des conversations avec Frédéric, la volonté de la policière saffermissait. Elle désirait par-dessus tout quil retrouvât la mémoire et le seul moyen à sa disposition, hormis les révélations quelle aurait pu lui faire sur lexistence de sa compagne et de leur , était une intervention de sa cousine. Savoir comment ils sétaient trouvés, comment ils étaient tombés amoureux, nintéressait pas Nathalie mais tout ce quelle lui avait raconté de sa vie passée navait rien éveillé en Frédéric or, il lui fallait un électrochoc quelle nétait pas en mesure de lui donner. À sa connaissance, depuis la disparition de la femme qui avait alerté sur labsence de Frédéric, seule Lucile était en mesure de lui ré-insuffler la vie. Elle agit donc en tentatrice et donna à sa cousine ladresse de lhomme.
***
Lucile écouta le message pour la troisième fois. Ce nétait pas la voix mélodieuse de Nathalie qui lenvoûtait mais le contenu de ses paroles : ladresse de Frédéric. Lorsquelle remit son téléphone dans sa poche, sa décision était prise. Elle sengouffra dans le métro. Elle choisit de descendre à « Étienne Marcel » et de rejoindre la rue Molière par les petits Champs et Richelieu pour se retrouver face à un digicode. Toute bête et furieuse de son impulsivité, elle allait rebrousser chemin quand la porte cochère sentrebâilla et que Frédéric se glissa dans létroite ouverture. Elle ne lappela pas.
Frédéric remonta la rue Molière vers Richelieu et prit le chemin de lOpéra où lattendrait Fanny. Lucile lui emboîta le pas avec une détermination qui létonna. Arrivée à lOpéra, elle découvrit une femme brune au sourire ravageur, aux yeux dun bleu profond sur la taille de laquelle se refermait la main de Frédéric. Lucile pâlit. Elle arrivait trop tard. Pourtant, elle ne séloigna pas, bien au contraire. Forte de lincognito que lui assurait lamnésie de Frédéric, elle suivit le couple au plus près afin de pouvoir saisir les bribes de leur conversation. Ils sinstallèrent à la terrasse dun café, elle opta pour la table voisine et fit semblant de sintéresser à son téléphone. Frédéric lui tournait le dos mais elle ne perdit pas un mot de ses paroles.
Cest bien, disait-il. Je nétais pas certain que tu viendrais nue sous ton manteau. Maintenant que je te vois comme ça, jai très envie de te baiser. Si nous ne risquions pas de heurter la morale commune, je te prendrais sur la table, à linstant. À défaut, je veux voir ta fente
Curieuse, Lucile observa du coin de lil, la réaction de la jeune femme. Fanny, sans quun seul muscle de son visage laissât transparaître quoi que ce soit, écarta légèrement les cuisses et découvrit son sexe. La jeune fille nen crut pas ses yeux. Pourtant, les penchants de Frédéric lui étaient connus, ils avaient même passé une nuit entière à en discuter. Mais entre savoir et voir, la différence était de taille. Devait-elle plaindre la jolie brune ou lenvier ? La réponse prit la forme dune vague de désir qui la submergea. Elle ferma les yeux et se souvint : « Durant ce dîner, je nai eu que deux visions de vous : agenouillée face à moi en train de me sucer et allongée sur mes cuisses pendant que je vous fessais. » Cétait mot pour mot ce quil lui avait dit avant de lentraîner dans un café porte Champerret où ils avaient discuté jusquau petit matin. Et maintenant, elle en rêvait. Elle avait sous les yeux le sexe luisant de Fanny et savait que le sien navait rien à lui envier. Elle mouillait et ses seins se tendaient sous son pull tandis que Frédéric poursuivait :
Elle est belle, elle luit comme un soleil et elle me donne faim. Mes doigts, ma langue me démange. Jai envie de lexplorer et de la savourer.
Lucile croisa les jambes pour réprimer une nouvelle vague de désir tandis que Frédéric achevait son discours :
Mais je vais faire preuve de patience et boire tranquillement ma bière tout en caressant ta chatte du regard. Un peu de frustration, cest bien.
Maintenant, Lucile enviait Fanny. Après tout, sans lagression dont il avait été victime, ça aurait pu être elle à la place de la brune. Être nue sous ses vêtements, elle lavait déjà fait lors de leur premier dîner
Elle se plut à penser que, sil lavait su, il lui aurait aussi demandé de sexhiber. Laurait-elle fait ? Sans doute. Elle se souvenait si bien de son excitation ce soir-là. Elle était prête à tout et cest lui qui avait été sage, lui qui avait refusé de venir chez elle. Elle était disposée à le sucer, même en pleine rue, elle était partante pour quil la fesse autant quil le voulait. Elle le lui avait dit. Mais il lavait emmenée dans un café sordide qui grouillait dalcolos et ils avaient parlé. Rien de plus.
Elle était tellement en colère contre elle-même de ne pas sêtre jetée sur lui ce fameux soir quelle ne les vit pas partir. De toute façon, elle connaissait leur destination. Elle régla sa consommation et courut sans sarrêter jusquà la rue Molière.
***
Lucile arriva avant eux et se glissa à leurs trousses quand ils entrèrent dans limmeuble. Elle grimpa silencieusement les trois étages et appuya son oreille contre la porte palière. Elle nentendit que le silence jusquà ce que la porte souvre brusquement, la propulsant au cur dune entrée tendue dun bleu de nuit.
Voilà notre petite espionne dit la voix de Frédéric dans son dos. Vous pensiez peut-être que vous nétiez pas repérée
Perdu ! Vous me suivez depuis que je suis sorti tout à lheure. Puis-je savoir ce qui me vaut cet honneur ?
Pétrifiée, Lucile ne trouva rien dautre à répondre que :
Je suis Lucile
Le sourire goguenard de Frédéric tourna à la moue puis au rictus.
Impossible ! Vous nêtes pas Lucile ! Vous ne pouvez pas être Lucile. Lucile est une femme, pas une gamine.
Oh si Frédéric, cest bien moi. Tu mas oubliée suite à ton agression mais cest bien moi. La dernière fois quon sest vus remonte à presquun an mais cest bien moi. Je nai pas changé, juste un peu vieilli mais cest bien moi. Je suis juste venue te dire que je taime toujours. Même si tu ne sais plus qui je suis.
Frédéric la regarda, incrédule. Au fil du temps, il sétait mis à croire que Lucile nexistait pas puisquelle nétait jamais venue le voir, ne lavait jamais appelé. Il avait fini par la ranger dans un coin, avec Lucrèce qui, elle, avait vécu et était morte. Hormis leurs prénoms, il navait delles aucun souvenir réel. Tout ce quil savait de Lucrèce, cest Nathalie Martin qui le lui avait raconté. De Lucile, la policière ne savait rien. Et lui non plus.
Fanny !
Fanny ! se mit à crier Frédéric tandis que Lucile restait plantée comme une endive.
Fanny émergea dune pièce. Elle était nue à lexception dun porte-jarretelles et de bas noirs. Ses seins pointaient glorieusement. Elle sarrêta en voyant Lucile.
Fanny, cest toi qui ma envoyé cette fille ?
Fanny regarda Frédéric comme sil était subitement devenu fou. Il neut pas besoin quelle réponde pour savoir quelle nétait pour rien dans la venue de la gamine.
Je peux tout texpliquer dit celle-ci. Je peux te raconter.
Du doigt, il indiqua une porte tandis que de son autre main il congédiait Fanny.
***
Lucile entra dans un salon qui était lopposé de ce quelle imaginait être le cadre de vie de Frédéric. La pièce était encombrée de bibelots et de photos de famille sur lesquelles il napparaissait jamais or, se disait-elle, « un homme comme lui doit être un chouille égocentrique
»
Frédéric lui désigna un fauteuil et sassit en face delle.
Je técoute dit-il dune voix méfiante bien quassurée.
Lucile entama son récit à voix basse, comme on commence une confession.
Si javais respecté mon engagement, je ne serais venue que dans cinq mois et deux jours. Nous avions décidé que nous ne reverrions quaprès mes vingt-deux ans et seulement si je tappelais. À lépoque, nous nous disions « vous » et nous ne nous approchions surtout pas trop près lun de lautre ; nous nous mangions des yeux, rien de plus. Vous avez disparu de ma vie et moi, comme vous me laviez conseillé, je me suis laissée porté par le courant. Et puis un jour, ma cousine a appelé. Elle ma racontée votre agression et le fait que vous aviez perdu la mémoire. Elle ma presque suppliée daller vous voir à lhôpital mais jai refusé. Je ne voulais pas lui céder, pas à elle.
Excusez-moi de vous interrompre dit Frédéric en adoptant également le vouvoiement mais jignore qui est votre cousine. À priori, je ne la connais pas
Oh bien sûr ! Excusez-moi aussi. Ma cousine cest Nathalie Martin. Je crois que vous la connaissez.
Ça pour la connaître
Lucile esquissa un sourire et poursuivit :
Ce matin, elle est revenue à la charge et ma communiqué votre adresse, que je ne connaissais pas. Je suis venue en sortant de cours.
Et cest tout ?
Cest la version courte.
Tout cela nexplique pas comment Nathalie a découvert notre liaison ou le fait que nous nous connaissions. Cela ne dit pas comment nous nous sommes connus et comment nous nous sommes appréciés. Votre histoire, mademoiselle est trop succincte pour tenir la route.
Il était dautant plus facile à Frédéric de tenir ces propos que Nathalie ne lui avait jamais parlé de sa cousine et, à fortiori, jamais révélé quelle pensait connaître la « fameuse » Lucile qui était pourtant lun des plus grands mystères de sa vie passée
comme actuelle. Décidément, il lui faudrait avoir avec la policière une discussion sérieuse. Il sentait dores et déjà la moutarde lui monter au nez.
Si vous voulez la version longue, je peux vous la servir. Je nai rien oublié, moi.
Ne soyez pas condescendante, voulez-vous
Encore une fois je vous écoute.
Frédéric semblait un rien agacé par la jeune fille mais, avait-elle conscience de ce que sa présence pouvait avoir de déstabilisant ? Elle se mit à raconter.
Notre première rencontre remonte à plus ou moins dix ans. À lépoque, vous sortiez avec Nathalie qui était ma cousine préférée et qui trouvait pratique de venir abriter votre amour chez moi vu que jhabite juste en face du lycée où vous étiez. Javais une douzaine dannée et je me suis entichée de vous. Quand vous vous êtes séparés, Nathalie et vous, je ne vous ai plus revu jusquà ce jour, tout à fait par hasard, dans le train qui allait à Caen. Je vous ai tout de suite reconnu, contrairement à vous qui maviez oubliée, déjà
Je me suis assise en face de vous et nous avons papoté durant tout le voyage. Idem au retour. Idem les semaines suivantes
Et quest-ce que jallais foutre à Caen chaque semaine. Personne ne ma jamais parlé de ces voyages
Je nen ai pas la moindre idée. Vous ne me lavez jamais dit. Je pense que vous alliez voir une amie ou une petite amie plutôt mais vous navez jamais été très bavard à votre sujet sauf quand il sest agi de me dissuader de vous aimer. Mais je brûle les étapes.
Au fil des semaines, vous mavez raccompagnée jusque chez moi, à Courbevoie : jhabite toujours en face du lycée. Comme vous travaillez à Clignancourt et que jy suis souvent pour mon mémoire, nous avions décidé de déjeuner mais vous ne mappeliez pas pour fixer une date. Le hasard a fait que nous nous sommes croisés et vous mavez invité à dîner. Ce soir-là, jétais prête à
vous voyez ce que je veux dire. Mais vous avez refusé prétextant vos désirs assez peu conventionnels. Nous en avons discuté toute la nuit et puis, plus rien. De guerre lasse, jai fini par vous appeler. Nous avons déjeuné et vous mavez offert un magnifique ouvrage concernant ma thèse. Jai cru que vous vouliez acheter mon consentement pour que je devienne votre soumise, cela ma blessée. Nous nous sommes disputés et plus tard, quand nous nous sommes revus pour éclaircir ce différent, vous avez été adorable et mavez assuré quaucune arrière-pensée ne motivait ce cadeau. Cest cette nuit-là que vous mavez informée de lexistence dune femme, votre soumise, que vous ne tromperiez jamais Cest également cette nuit-là que vous avez décidé de ne plus me revoir alors, je vous ai mis le marché en main : je vous appellerai le jour de mes vingt-deux ans et nous nous reverrions. Si je ne le faisais pas, cest que je vous aurai oublié et tout serait alors pour le mieux. Nous nous sommes séparés et je nai plus eu de vos nouvelles jusquau premier coup de fil de Nathalie. Comment a-t-elle su que jétais la Lucile dont vous lui aviez parlé, je nen sais rien. Une intuition sans doute. Elle ma demandé daller vous voir à lhôpital et jai refusé. Jai refusé en prétextant notre marché mais la vérité cest que je ne voulais pas lui donner le plaisir de nous avoir réunis et que javais peur quelle vous trahisse encore. Elle ne ma donné aucune info sur votre santé ou quoi que ce soit jusquà aujourdhui quand elle ma envoyé votre adresse. Et je suis là, voilà.
Frédéric prit le temps de la réflexion. Cette histoire néveillait pas de souvenir mais des questions à foison. Avec le peu dinformation quil détenait sur le Frédéric davant, il le voyait comme un type sans véritable envergure, sans ambition et surtout vivant une petite vie de célibataire endurci mais rangé. Le peu de chose que Lucile venait de lui apprendre allait à lencontre de ce quil pensait. Cétait une véritable révélation : le gentil Frédéric navait jamais existé sauf dans sa jeunesse, à lépoque où il fréquentait Nathalie et peut-être Lucrèce
Que savez-vous de Lucrèce ? demanda-t-il.
Jeuh
Rien. Cest la femme de Caen, cest ça ?
Non. Cest une femme qui a beaucoup compté pour moi. Mais cela confirme que je ne parlais guère de moi.
La femme de Caen, je ne sais pas qui cest. Je nen ai jamais entendu parler. Mais peut-être votre cousine est-elle aussi au courant de son existence. Si cest le cas, pourquoi ne men parle-t-elle pas ?
Un jour, un samedi, je pensais vous avoir aperçu de loin, au marché. Lhomme vous ressemblait en tout cas. Il avait un bébé dans les bras et la femme qui laccompagnait était resplendissante. Cest à cause delle que je me suis dit que ce nétait pas vous. Une soumise ne pouvait pas être aussi belle. Depuis, jai vu votre
compagne. Et je ne sais plus.
Vous êtes en train de dire que jai peut-être un ?
Le ton de Frédéric avait monté dans les aigus. Peut-être que cela expliquerait le vide quil ressentait lorsque sur son chemin il croisait un landau.
Non. Non ! Je ne dis pas ça. Je dis que vous
enfin que lhomme que jai vu avait un dans les bras. Ce nétait peut-être pas vous, ce nétait peut-être pas son
Il y a des milliers de possibilités. Je vous raconte juste une anecdote, un petit souvenir en passant parce que de vous raconter notre histoire my a fait penser. Sans compter que vous me mentiez peut-être à propos de la femme. Vous ne mavez même pas dit son prénom
Frédérique
Son prénom cest Frédérique. Nous avons le même prénom, cest pour ça que
Bien sûr.
Quand mon identité a été certaine, jai pensé que si le prénom « Frédérique » faisait partie du seul souvenir qui me restait, cétait parce quil sagissait du mien. Je faisais fausse route. Je me suis complètement planté. La femme de Caen, Frédérique, cest la femme blonde de mes rêves et
Frédéric se tut. Ses doigts remuaient comme sil défilait une pelote de laine.
Et ? demanda Lucile.
Et vous êtes celle aux cheveux châtains et au reflets cuivrés. Je ne vois jamais vos visages, ils sont comme floutés quand je rêve de vous.
Vous
Rêvez de moi
Le cur de Lucile fit des bonds.
Ça marrive. Mais ces rêves sont comme des portes fermées quon arrive à peine à décoller de leur chambranle pour laisser entrevoir un mince rai de lumière. Ils sont épuisants comme des fantômes qui vous hantent et pompent toute votre énergie. On ne peut pas les oublier et ils vous tarabustent à chaque instant.
Mais si vous rêvez de nous, il y a certainement une piste pour en savoir plus, une sorte de fil dAriane
Un fil sur lequel je nai aucune envie de tirer.
Jai néanmoins une question avant de vous demander de partir : Fanny mattend et je ne voudrais pas r de sa patience mais cela me tarabuste
Vous ai-je déjà parlé de Simonetta Vespucci ?
Lucile ouvrit de grands yeux et secoua la tête en signe de dénégation. Cela mit fin à lentretien.
Frédéric savait quil congédierait Fanny. Il avait besoin de calme pour réfléchir à ce quil venait dapprendre. Lucile se leva et sortit sans poser la question qui lui brûlait les lèvres : « Pourrais-je revenir ? »
***
Fanny ne fut pas longue à être interceptée par Lucile qui lattendait au pied de lescalier. La jeune fille, qui sattendait à être rabrouée, fut surprise de laccueil cordial que lui réservât la belle brune.
Généralement, il me regarde partir et me suis des yeux jusquà la fontaine. Retrouvons-nous un peu plus loin. Nous avons lune comme lautre besoin den savoir plus.
Lucile nétait pas sûre que ce nétait pas là un habile moyen de séchapper mais elle navait dautre choix que de faire confiance et de fait, Fanny lattendait bien à quelques pas de la fontaine.
Elles trouvèrent une table dans le premier café venu et sinstallèrent pour discuter.
***
La vie de Frédérique avait changé du tout au tout. Elle avait décidé un beau matin que Frédéric était sans doute mort, et quil fallait le rayer de son existence. Elle décida dans la foulée de trouver un travail et fut embauchée comme visiteuse médicale. Certes, cela impliquait quelle se déplaçât souvent, parfois même plusieurs jours de suite mais Julie était là pour soccuper de Franck donc, tout allait bien. Par ailleurs, elle sinscrivit sur un site spécialisé dans la domination grâce auquel elle découvrit de nombreux dominants dans son périmètre dopération. Pour elle, la vie reprenait son cours.
***
Julie sétait piégée toute seule, non seulement elle sétait enfermée dans ce trou paumé mais il ny avait dans sa branche, aucun boulot fixe, elle sinstalla donc comme autoentrepreneuse et fit du dépannage informatique pour les particuliers et les petites entreprises du coin. Autant dire quelle était plus souvent à la maison quau travail. Tant que Frédérique était là aussi, cela ne lui posa pas de problème mais quand celle-ci décida de prendre un travail qui lenvoyait sur les routes parfois la semaine entière, elle se sentit abandonnée. Elle profita de son temps libre pour jouer les espionnes. Souvent, elle alla à Paris surveiller Frédéric quelle vit fréquemment accompagné de la même jeune femme brune avec laquelle il semblait très intime. Chez elle, elle fouilla régulièrement les affaires de sa compagne. Cest ainsi quelle comprit que Frédérique nhésitait pas à user de ses charmes dans le cadre de son travail, elle se sentit blessée. Lorsquelle découvrit que Frédérique sétait aussi inscrite sur un site de rencontres D/d, elle se sentit définitivement trahie et à son tour, elle déprima.
***
Après le départ de Fanny, Frédéric resta plusieurs heures à ne penser à rien. Il eut besoin de faire le vide avant de prendre la décision qui simposait. Vers vingt-et-une heures, il appela le lieutenant Martin.
Pour ce que jai à te dire, il vaut mieux que nous nous voyions. Jarrive ! fut la seule réponse quil obtint.
Quelque trois quarts dheure plus tard, Nathalie sonnait à sa porte.
***
Je ne vous invite pas à entrer, je veux juste une réponse dit-il à la lieutenant Martin sur le pas de la porte.
La réponse est « oui ! » Maintenant, je peux repartir, mais je doute que tu ten satisfasses et le palier nest pas le meilleur endroit pour te communiquer toutes les informations que jai pour toi
Lhomme et la femme se jaugèrent plusieurs secondes puis Frédéric rendit les armes et sécarta pour laisser entrer Nathalie qui sengouffra dans la seule pièce ouverte. Elle sinstalla dans le fauteuil occupé plus tôt par Lucile et attendit que Frédéric lui fît face.
Tu as un fils, attaqua-t-elle demblée. Il doit approcher les deux ans aujourdhui et il sappelle Franck. Le problème, cest que sa mère a quitté domicile et travail sans laisser dadresse
Vous avez certainement moyen de la retrouver. Après tout, vous êtes flic, ça ne doit pas être si compliqué.
Si jai les moyens de la retrouver, je nen ai pas le droit. Dans notre pays, chacun peut disparaître comme bon lui semble. Elle na commis aucun délit, je nai donc aucune raison de la rechercher.
La
recherche dans lintérêt des familles
Je peux peut-être déclencher une enquête.
Jy ai pensé aussi. Mais à quel titre le ferais-tu ? Tu nétais pas mariée avec elle et même si tu as reconnu le petit Franck, tu ne disposes daucun titre juridique pour faire valoir ton droit de visite. Bien entendu, tu pourrais assigner sa mère à sa dernière adresse et demander un droit de visite mais la justice ne la cherchera pas pour toi et il faudra bien compter un an avant que ton affaire passe devant un juge qui sétonnera immanquablement du temps que tu as mis à te réveiller.
Mais bon dieu, pourquoi ne mavoir rien dit de tout ça avant ?
Pour te préserver et sur les conseils du psy de Pontoise. Il valait mieux, selon lui, attendre un moment plus propice. Et jétais daccord. Mais le moment propice nest jamais venu parce que tu refusais en bloc de redécouvrir ton passé. Si Lucile avait accepté plus tôt de venir te voir, nous nen serions sans doute pas là mais cest ainsi
Frédéric prit un temps de réflexion et repris :
Vous navez pas le droit de faire vous-même les investigations, je le comprends même si je trouve ça absurde. Mais rien ne vous interdit, au cours dune conversation, de mexpliquer comment vous procéderiez
Nathalie sourit. Cétait surtout pour cette partie de la discussion quelle trouvait le palier inadéquat.
Effectivement, rien ne minterdit dexposer mes méthodes. Dautant quelles sont simples et les trouver est à la portée de tous. Les trouver, pas les mettre en uvre.
Si vous alliez directement au but
Je passerais par la Sécu.
Quoi ?
Cest évident. Quel organisme français est le seul à tout savoir dun habitant. La plupart des gens répondent : le Fisc. Mais cest faux. Le seul, cest la Sécu, du premier au dernier jour de votre vie, la Sécu vous suit à la trace. Maladies, boulots, domiciles, nombre ds, elle sait tout de vous. Et pour tout obtenir de la sécu, il suffit dun numéro à quinze chiffres.
Encore faut-il être en possession de ce numéro. Ce qui nest pas évident, vous en conviendrez.
Tous les employeurs lont et le conservent même après le départ de lemployé. Il suffit de savoir où chercher.
Ce que vous dites a quelque chose deffrayant : tous les citoyens du pays fichés dans une seule banque de données, cest une arme de destruction massive
Cest bien pour ça quil y a des garde-fous et que je ne peux pas accéder à ces données sans laval dun juge. Le problème étant quil existe certainement des chemins de traverse
Sans doute
Oui. Dit Frédéric dun ton rêveur tandis quil faisait mentalement la liste du matériel nécessaire pour prendre ces chemins sans se faire pincer.
Ma seconde question, cest Lucile. Pourquoi ne mavoir pas dit que vous saviez qui elle était ? Vous vous rendez compte du temps perdu
Nathalie avait parfaitement conscience du temps perdu mais là encore, elle avait fait confiance au psy de Pontoise qui lavait invitée à se taire tant que le moral et la santé mentale de Frédéric naurait pas retrouvé un point déquilibre. Elle sétait donc tue tout en tentant, bon an mal an, de convaincre Lucile de faire le boulot à sa place. En cela, elle navait pas totalement échoué.
Troisième et dernière question : comment avez-vous su que votre cousine et ma Lucile nétait quune seule et même personne ? Ce ne peut être que le fruit du hasard
Il ny a pas de hasard dans ton affaire. Enfin, pas de mon côté. Cest moi qui ai choisi dêtre responsable de lenquête, parce que je te connaissais et que ta disparition mintriguait. Je tai trop bien connu pour croire un seul instant que tu tétais évaporé volontairement. Quand je tai retrouvé, souviens-toi, tu mas parlé de Lucrèce et de Lucile, de Simonetta Vespucci aussi : tes amours soi-disant historiques. Or je savais déjà qui était Lucrèce, ce quelle représentait pour toi. Jai tout de suite pensé que Lucile était aussi réelle quelle et sans aucun doute plus vivante. Et quand je suis allé enquêter à ton travail, lune des standardistes ma fait une description très fidèle de la jeune-fille qui, parfois, taccompagnait en te tenant par le bras. Description et prénom correspondaient parfaitement à quelquun que je connaissais. Et pour cause, puisquil sagissait de ma propre cousine. Je nai eu quà additionner un plus un et jai tenté ma chance en lappelant. La suite, elle vient de te la raconter
Merci ! fut la simple réponse de Frédéric avant de raccompagner la lieutenant à la porte de son appartement.
***
Frédéric ne recouvra pas la mémoire en un claquement de doigts suite aux révélations de Nathalie Martin. Il ne vivait ni dans un film ni dans un roman, du coup, il ressentait le besoin dune présence amie. Mais des amis, il nen avait aucun et celles de ses anciennes relations qui auraient pu passer outre à son changement de numéro de téléphone auraient immanquablement été rebutés par le digicode de la porte cochère. Il se retrouva donc seul avec pour seule option dappeler Fanny. Ce quil fit mais simplement pour sexcuser de lavoir traitée de façon aussi cavalière.
Je comprends, vous deviez être bouleversé répondit-elle, plus infirmière que soumise. Mais elle refusa de se déplacer.
***
Lucile faisait les cent pas rue Molière depuis plusieurs heures déjà. Elle avait vu arriver puis repartir Nathalie et avait espéré entendre sonner son téléphone mais, vraisemblablement, elle ne faisait plus partie des priorités de Frédéric et le découragement la gagnait. Elle se donna encore dix minutes puis encore dix minutes et la porte cochère souvrit pour laisser passer Frédéric. Elle lappela, heureuse que son attente nait pas été vaine.
Quest-ce que vous foutez là ? demanda lhomme dune voix dénuée de cordialité.
Je vous attendais. Jai pensé que
Enfin bref, je suis là.
Cest très gentil à vous mais je suis parti pour prendre la plus belle cuite de ma récente existence. Ce ne sera certainement pas un spectacle réjouissant
Ce ne sera pas un spectacle du tout. Mais cest une excellente raison pour que je vous accompagne. Ne serait-ce parce que vous pourriez avoir besoin quon vous raccompagne.
Oooh ! Vous avez donc une brouette avec vous. Jignorais que vous fussiez si pleine de ressources.
Quand je vous vois, jen ai toujours une. Je la viderais de tout ce que jaurais dû vous dire depuis des lustres ainsi, elle sera vide au moment de vous ramener.
Frédéric éclata de rire et tendit le bras à Lucile qui sen saisit en souriant. Ils marchèrent en silence jusquau pub irlandais de la rue de Montpensier.
Frédéric, fermement décidé à exaucer son vu, commanda un Lagavulin quil se fit servir double tandis que Lucile se contentait dun Cuba libre « avec très peu de rhum ». Ils burent en silence. Enfin, Frédéric avala son breuvage à la vitesse dune éponge alors que Lucile sirotait le sien en shumectant à peine les lèvres. Quand il en fut à son troisième double, Frédéric se décida à desserrer les lèvres.
Je croyais que vous aviez une brouette à vider
Lucile rougit. Certes, pour lancer ce style dannonce sur le ton de la plaisanterie, elle sétait montrée douée mais maintenant quelle se trouvait au pied du mur, elle renaudait un peu à se lancer. Dautant quelle allait devoir faire référence à des événements dont Frédéric navait vraisemblablement pas le moindre souvenir. Elle regimba et tenta de tergiverser mais lhomme qui lui faisait face, totalement libéré par lalcool quil venait dabsorber, la poussa dans ses retranchements. Elle neut bientôt plus dautre choix que de se lancer.
Je vais commencer par vous redire ce que je vous ai déjà dit, avec un peu plus de détails. Je crois que ça sera plus facile pour vous dire la suite
Frédéric se contenta dopiner du chef. Il était évident quelle avait néanmoins toute son attention.
Jai fait votre connaissance il y a un peu plus de dix ans. Jétais une gamine et ça a déclenché en moi des sensations inconnues. Vous aviez dix-sept ou dix-huit ans, jen avais douze et je me suis mise à rêver de vous. Des rêves
pas très sages. Des rêves caressants. Des rêves où vos lèvres flirtaient avec les miennes mais aussi avec mes seins, avec mon ventre
Cétait de lérotisme de midinette un peu poussé. Et puis vous avez disparu de ma vie mais pas de mes nuits. Vous y reveniez toujours quand jétais triste, seule ou que javais besoin de mévader. Alors, quand je vous ai revu dans ce train, je vous ai tout de suite reconnu. Vous naviez pas tellement changé. Sauf quil y avait dans votre regard une tristesse que je ne connaissais pas. Nous nous sommes revus et puis il y a eu le dîner. Ce soir-là, javais envie de vous. Tellement envie que jétais nue sous ma robe. Mais vous mavez parlé de vos penchants, de vos désirs et je suis sagement rentrée chez moi, morte de frustration et de concupiscence. Il y a eu le déjeuner, ensuite. Et ce fameux ouvrage avec lequel jai cru que vous vouliez acheter ma soumission et cela ma vexée parce que jétais disposée à vous loffrir pour rien. Ce que je veux dire, cest que malgré le temps qui a passé, je suis toujours prête à moffrir à vous. Même si vos seuls fantasmes à mon égard sont de me fesser et de me voir agenouillée à vos pieds avec votre sexe dans la bouche. Suis-je amoureuse de vous ? Sans doute. Sinon je naccepterais pas de nêtre pour vous quun « vide-couilles ». Sans doute parce que, pour moi, tout vaut mieux que de nêtre rien pour vous. Sil faut que jen passe par là pour obtenir de vous un regard, jy suis prête. Et je sais, quen plus, jy prendrais du plaisir.
Frédéric avala son quatrième verre quil navait pas touché durant la tirade de Lucile puis il prit la main de la jeune fille.
Rentrons ! dit-il simplement.
Comments:
No comments!
Please sign up or log in to post a comment!