Mister Hyde 26 - 27 - 28
26
De retour à Paris, Frédéric trouva, accrochée à sa porte, une lettre de Lucile. Louvrir lui prit du temps. Trop dévénement, durant les derniers jours, occupaient son esprit.
Au lendemain de leurs retrouvailles, Frédérique et Frédéric passèrent la journée ensemble, accompagnés de Franck. Ils déjeunèrent à lauberge et se promenèrent dans les bois alentours. Il en gardait un souvenir ému dont deux moments avaient sa préférence. Le premier était lié à Franck qui sétait jeté dans ses bras. Il sétait penché pour le soulever et létreindre et ce simple contact avait décidé de son avenir : plus jamais il ne pourrait se passer de la présence de cet , de son . Quand il lavait dit à Frédérique, et cétait là le second instant, le sourire quelle lui avait décoché avait brûlé son âme. « Tu sais, lui avait-elle dit, quand Franck est né, tu las pris dans tes bras. Il navait que quelques minutes et tu mas raconté, plus tard. Je me souviens exactement de ce que tu mas dit : « linfirmière ma tendu un petit bout de chair et, quand je lai tenu sur mon bras, contre mon cur, il sest insinué en moi comme un baume. Cétait magique et merveilleux. » Je ten ai voulu pour « le petit bout de chair », je naurai pas dû. Ce qui était important cétait le baume la magie et le merveilleux. À lépoque je ne lai pas vu. Je crois que tu viens de revivre la même chose. »
Les brumes dans lesquelles subsistait son passé ne se levèrent pas pour autant mais la foudre sétait bel et bien abattue sur lui et une impression de « déjà vu » leffleura.
À leur retour chez Frédérique, ils firent dîner Franck et ce fut lui qui présida à son coucher tandis que la jeune femme préparait un repas. Leur soirée commune fut à peine troublée par le passage éclair de Julie dans la cuisine qui saisit quelques victuailles et retourna bien vite se carapater dans sa chambre.
Eux, dînèrent et senfermèrent bien vite dans la chambre damis.
Ce qui troubla Frédéric, ce qui le troublait encore lors de son retour à Paris, cétait cette réflexion de Frédérique ensommeillée, le visage tourné à lopposé de lui : « Cest bon quand tu es doux mais ce que jaime cest quand vous êtes mon Maître
». Dès le premier soir, elle avait été claire sur leurs rapports passés, il avait écarté cet aspect de sa personnalité pour ne conserver delle que son rôle de mère mais elle revenait à la charge. Il fit semblant de dormir, de navoir rien entendu et cette ignorance affichée fit effet jusquà son départ malgré lobsession quavait créé en lui cette petite phrase.
Il mit deux jours à ouvrir la lettre de Lucile. Cétait une missive longue qui racontait par les détails tous les événements de sa vie auxquels elle avait assisté pour se conclure sur leur nuit partagée mais à chaque page, à chaque paragraphe, à chaque phrase il ne lisait quune seule et même question : « Pourquoi me fuis-tu ? ». Il en formula la réponse en rangeant précieusement la lettre : « parce que je taime, petite idiote et que je vais te faire du mal. »
***
La tête de Frédéric tournait. Chaque jour il sen voulait un peu plus de sa lâcheté envers Lucile mais cest vers Frédérique et Franck quil se tournait systématiquement. Vers Franck, cétait facile. Le petit bonhomme laccueillait avec tant de sourires et de câlineries quil craquait littéralement malgré léloignement que skype ne comblait pas totalement. Vers Frédérique, cétait plus compliqué car les allusions de la jeune femme se faisaient plus pressantes à chaque entrevue. « Tout est possible, disait-elle, même par caméra interposée ». Un soir, elle évoqua lexistence dun cadenas quelle conservait entre ses seins en attendant quil retrouvât sa place. Il pensa que cétait une image mais face à son incrédulité, elle se dénuda et montra lobjet ainsi que les anneaux destinés à le recevoir. Sa vision des choses évolua dun coup.
Je serai là demain dit-il avant de mettre fin à la communication.
***
Laspect de la maison avait changé de façon étonnante : un escalier extérieur avait poussé entre le départ de Frédéric et son retour quelque dix jours plus tard. À lintérieur, les modifications nétaient pas moins voyantes. Le séjour avait été réduit, une partie de lespace étant désormais occupé par une chambre et le débarras qui jouxtait la cuisine était transformé en salle deau. Létonnement de Frédéric se lut sur son visage.
Julie et moi sommes séparées expliqua Frédérique. Aucune de nous deux ne souhaitant partir, nous avons créé deux appartements distincts. Joccupe le rez-de-chaussée, elle sest installée à létage
Malgré son calme apparent, Frédéric perçut bien la douleur de la jeune femme. Incontestablement, il y avait eu entre les deux filles un lien fort que lamour seul nexpliquait pas. Un souffle de jalousie balaya son esprit. Néanmoins, il la prit dans ses bras mais face à sa tendresse, elle se rebiffa.
Viens dit-elle, je veux que tu voies quelque chose.
Et, le prenant par la main, elle lentraîna vers le sous-sol de la maison.
***
La tentation déclater de rire habita Frédéric lespace dun battement de cur. Sil sabstint, ce fut par considération pour le sérieux presque emphatique avec lequel Frédérique lui présenta le lieu. Moquette rouge au sol, peinture gris anthracite sur les murs, isolation phonique au plafond
la déco lui rappelait celle de létage de son duplex.
Tout naturellement, il prit place dans le fauteuil qui surplombait la scène. Tout naturellement, il le fit sans demander la permission de sasseoir à son hôtesse. Il savait parfaitement les raisons pour lesquelles elle lavait conduit dans ce lieu. Pas question pour lui de se dérober.
Du regard, il embrassa lespace et eut la curieuse impression dêtre chez lui. Certes, la pièce était un peu plus étroite que celle quil avait fait aménager rue Molière mais le positionnement des objets était quasiment identique. Cétait étonnant au point quil se demanda si Fanny nen avait pas communiqué lordonnancement à Frédérique
Frédérique justement
elle avait profité du tour dhorizon quil faisait pour prendre la position de lattente. Qui que ce fût qui lui eut enseigné, elle était parfaite ; Frédéric en voulu presque à son amnésie de le priver de ce souvenir. Il nen était pas moins goguenard de voir sa belle hôtesse dans cette posture.
Détendez-vous, dit-il. Il y a fort peu de chance pour que je vous agresse sous prétexte que vous ne respectez pas vos engagements en ma présence
Jignore ce que sont vos engagements à mon égard et, si mes penchants me poussent à trouver adorable votre attitude et votre disponibilité, il nen est pas moins vrai que jai besoin déclaircissements.
Je vous écoute : quels sont vos devoirs envers moi ?
Frédéric avait parfaitement conscience dagir comme en terrain conquis et que cela ne serait sans conséquences ni pour son entourage ni pour lui-même. La première à en pâtir serait incontestablement Lucile suivie de près par Fanny qui, si son instinct ne le trompait pas, était toute prête à revenir vers lui. Ensuite, mais à une moindre échelle, venaient Julie et Nathalie pour lesquelles, malgré sa colère et sa jalousie, il ressentait une certaine affection. Mais les deux grands perdants de cette relation naissante ou renaissante selon le cas étaient indubitablement les deux protagonistes principaux puisque, lun comme lautre y abdiqueraient ment leur liberté.
Mes devoirs envers vous
avait commencé Frédérique, ils sont innombrables et indénombrables puisque je me suis donnée à vous sans restriction. Vous êtes mon Maître et mon propriétaire : vous avez tous les droits et moi le devoir de vous obéir.
La pensée de Frédéric se tourna vers Botticelli. Le peintre, se dit-il, avait sans doute croisé son modèle à une ou deux reprises assez, vraisemblablement, pour que ses traits le marquassent à jamais mais elle était bel et bien morte lorsquil lavait prise pour muse. Lui, il avait la chance davoir sous les yeux son fantasme en chair et en os. Une telle aubaine ne se représenterait pas, il décida de la saisir.
Je pourrais accepter demblée la merveilleuse proposition que vous me faites mais ce serait malhonnête de ma part. Les choses ont changé Frédérique, je ne suis plus celui qui vous a asservi et malgré le désir que jai de vous façonner, je dois vous mettre en garde. Jai eu, jusquà il y a peu, une soumise dont le retour nest pas impossible et que jaccueillerais à coup sûr si cela se produisait. Par ailleurs, une jeune fille occupe une partie de mes pensées. Jai pour elle beaucoup daffection bien que je naie fait sa rencontre que depuis peu. Enfin, il y a Nathalie, la femme-flic qui soccupe de mon affaire. Il y a en elle une douleur que je peux laider, non à oublier mais à surmonter. Et puis
Non, pas « et puis », surtout
! Surtout, il y a Franck ! Franck que jai aimé au premier regard et que je nabandonnerai plus jamais. Franck dont je ne veux pas quil pâtisse de la condition de sa mère.
Vous navez pas autant changé que vous le pensez
Frédérique prit la parole sans se soucier den avoir ou non la permission. Après tout, elle nétait pas encore redevenue sa soumise, les tractations commençaient à peine
Certes, poursuivit-elle, des événements ont eu lieu qui modifient les faits tels que nous les vivions mais, dans labsolu, vos conditions sont les mêmes quavant, elles ont juste pris une matérialité quelles navaient pas. De mon côté aussi les lignes ont bougé : il y a Julie
car, même si nous sommes fâchées, jai pour elle une « affection » certaine. Il y a Franck, pour lequel vous exigiez déjà que je sois mère avant dêtre soumise
Pardon de vous interrompre mais Julie, justement, il faut que nous en parlions
À quoi bon puisque de toute façon, je me plierai à votre volonté. Vous allez me demander de me séparer delle à tout jamais et, je peux le comprendre
Sil fallait une preuve que je ne suis plus tout à fait celui que vous avez connu, la voilà. Je ne vais pas exiger cela de vous, tout au contraire. Parce que jestime que cette personne au demeurant fort désagréable à mon endroit fait désormais partie de vous. Or, si et seulement si, je vous accepte, cest vous toute entière que je voudrai, pas une coquille partiellement vidée de son contenu. De plus, vous accepter serait avant tout rechercher votre bien. Vous priver de Julie serait agir tout à linverse. Jignore les raisons qui ont présidé à votre séparation mais, quelles quelles soient, que vous soyez ou non en tort dans cette histoire, vous allez lui demander pardon et lui raconter notre conversation. Cest un test, jolie Dame. À la suite duquel il nest pas impossible que jaccepte votre hommage.
Allez ! Je vous attends ici.
Lexigence de Frédéric ne souffrant aucune contradiction, Frédérique se dirigea vers lescalier.
***
Un quart dheure, vingt minutes peut-être. Il nen fallut pas plus à Julie pour faire irruption dans le donjon.
Quest-ce que tu fous avec elle ? éructa-t-elle. Tu ne crois pas quelle soit assez déboussolée comme ça. Il faut que tu en rajoutes une couche
Exiger quelle me demande pardon. Mais de quoi grand dieu ? Cest moi qui lui mens depuis des mois. Je savais, tu entends, je savais que tu étais vivant. Javais toutes les cartes en main pour lui permettre de te retrouver et je ne lui ai rien dit. Je lai trahie ! Et cest elle qui vient me demander pardon
Cest nimporte quoi ! Tu nes quun grand malade
Et toi une parfaite salope, je nai aucun doute à cet égard. Mais elle taime ! Tu as bâti votre relation sur un mensonge, à toi de te débrouiller avec ça. Personnellement, je men lave les mains. Cependant, si jai un conseil à te donner, sois franche avec elle. Continuer à lui mentir ne fera quaggraver les choses. Certes, elle ten voudra mais cest un cur dor, elle te pardonnera. Tout comme tu vas la pardonner de tavoir traitée comme une merde.
Julie resta coite un instant avant de savouer vaincue :
Je vais lui faire un mal de chien.
Sans doute
Mais plus le temps passera, plus la douleur sera terrible. Plus vite tu crèveras labcès, plus vite elle guérira.
Et tu tireras les marrons du feu
Je nai pas besoin de cela pour, selon ton expression : « La dévorer toute crue ».
Dun geste il la congédia puis, sans prêter aucune attention au départ de la jeune femme, il sempara de son téléphone. Pour lui aussi, le temps de la fuite prenait fin.
***
Perplexe, Lucile regarda son téléphone dont la batterie venait de lâcher prise en plein milieu dune conversation hallucinante avec Frédéric. Il faudrait un bon quart dheure à son appareil pour quil retrouve assez dénergie. Impatiemment, elle se mit à tourner en rond en ressassant chaque mot prononcé par son amant.
***
Nul besoin dêtre clairvoyant pour comprendre que Julie avait avoué tous ses crimes. Ses yeux rougis et ses mains quelle tordait dans tous les sens en était une preuve suffisante. Il ne restait plus à Frédéric que de consoler Frédérique des horreurs quelle venait dapprendre. Pour cela, il avait son idée qui ne passait pas par des cajoleries. Il était plutôt du genre à soigner le mal par le mal.
***
Un à un, Frédéric égrena les vêtements de la femme, les laissant tomber sur le sol. Lorsquelle fut nue, il voila ses yeux dun bandeau tout en susurrant quelques mots à son oreille. La jeune femme acquiesça et attendit, patiente.
Si le donjon dici était bien le sosie du sien, Frédéric savait que la commode du fond recelait les fouets et autres martinets qui allaient être utilisés durant la soirée. Il trouverait même sur le sol, à côté, une paire descarpins rouge vif quil avait lintention de glisser aux pieds de Frédérique. Cela une fois fait, il lia la « jolie Dame » à la croix de Saint-André et lui demanda encore un peu de patience.
***
Lorsque la lanière du fouet sabattit sur sa hanche, Frédérique cria de surprise, pas de douleur. Elle trouva le coup hésitant, Frédéric ne lavait pas habituée à ça. La seconde atteinte ne fut pas moins molle et la troisième neut rien pour se démarquer des précédentes. De plus, lhomme visait mal, natteignant que les parties les moins sensibles de son corps. La prenait-il pour une douillette ?... Elle se tortilla pour signifier son incompréhension.
Cela neut aucun effet sensible sur la portée du coup suivant mais le cinquième signa un affermissement encourageant bien que pas tout à fait satisfaisant. Frédérique commença toutefois à se demander si Frédéric navait pas réellement changé : il maniait le fouet avec une dextérité toute relative et naccompagnait pas ses coups des commentaires habituels. Lamnésie de Frédéric frappait-elle son corps autant que son esprit ?
Le cinglement du paddle sur sa croupe vint démentir toutes ses pensées.
***
Julie était mal à laise. Frédéric avait exigé delle quelle devint la bourrelle de Frédérique pour ce soir et, si elle se pliait à son commandement, elle doutait fortement que le résultat soit si bénéfique quil le lui avait promis.
Elle avait commencé avec le fouet mais linstrument ne lui convenait guère : le maniement de cet engin demandait une expérience quelle navait pas. Dépitée, elle se rangea à lavis de Frédéric et usa du paddle. Lourd et large, le paddle impose au bourreau une plus grande proximité avec sa victime ainsi quun dosage minutieux de leffort pour quil ne frappe pas trop durement. Sa compréhension de lengin fut immédiate. Elle lappliqua avec conscience sur les fesses et les cuisses de la condamnée. Elle en retira même un certain plaisir et se laissa emporter par lui à tel point que Frédéric, qui sétait pourtant promis de ne pas intervenir, linterrompit en lui mettant dautorité un martinet fin et léger entre les doigts. Julie fut un peu décontenancée par ce nouvel appareil, comme si les molles franges lintimidaient. Il faut dire que cétait le seul ustensile dont on avait usé sur elle. Le manier revenait à vraiment prendre la place du dominant tel quelle lavait toujours vu. Un instant, elle hésita mais Frédéric lencouragea du geste. Il lui montra comment le manuvrer et surtout ou faire porter les lanières ainsi que le moyen de les garder groupées. Elle attaqua les épaules de Frédérique et descendit régulièrement jusquaux mollets avant de remonter à la croupe et à lentrecuisse de la suppliciée. Le mouvement de balancier quelle imprima alors au martinet eut un effet magique. Frédérique ne criait plus, elle gémissait. Le plaisir était là, présent et vif comme une piqûre. Encouragée, Julie amena Frédérique au bord du précipice puis, sur un signe de son mentor, elle cessa brusquement toute violence.
***
Frédérique sétait trompée. Incontestablement Frédéric navait mal usé de son fouet que pour la déstabiliser. Le reste de la séance avait été parfait, son Maître avait su canaliser sa violence pour lamener à un doigt de lextase. Elle sourit.
***
Tu vas maintenant remercier ton bourreau et le pardonner pour toutes les souffrances que tu as subies par sa faute.
La voix de Frédéric était douce à son oreille. Frédérique acquiesça. Elle sentit les mains de son Maître détacher ses chevilles puis ses poignets. Mal soutenue par ses jambes, elle se blottit entre ses bras jusquà ce quil laide à sagenouiller sur un petit coussin déposé là à cet effet. « Jamais il na été si prévenant » sétonna-t-elle sans sen formaliser et, patiemment, elle attendit la suite des événements tout en étant persuadée que ses lèvres laccueilleraient bientôt. Mais rien ne se déroula comme elle le prédisait. Des mains
Des mains étrangères défaisaient le bandeau qui obstruait sa vue. Des mains fines et maladroites
des mains de femme.
Frédérique se retrouva debout avant même davoir pensé à se lever. Son regard passa de lun à lautre de ses deux tourmenteurs « de ces deux menteurs tout court » pensa-t-elle dont lun, Frédéric, lui souriait.
Je sais ce que tu ressens : un sentiment de trahison. Mais ce nest pas le cas, je tassure. Pour réunifier les parties dun même « Tout », on passe ment par la douleur ; le feu, les pinces
Et quobtient-on au bout du compte ? Le plaisir. Celui dêtre à nouveau indivisible. Cest ce que je toffre ce soir si tu veux bien laccepter. Il y a entre Julie et toi bien plus que de lAmour avec une majuscule. Si tu abandonnes cela, tu y perdras ton âme. Or, je ne veux pas dune demie soumise, je veux une femme entière. Pardonne-la, ce nest quà ce prix que tu seras de nouveau toi-même.
Frédéric navait fait aucune allusion à lacceptation quelle avait donnée de remercier et de pardonner son bourreau. Frédérique lui en sut gré. Il la laissait libre de pardonner ou non Julie pour ses mensonges et sa trahison, libre de suivre son cur, libre dêtre elle-même
Elle se tourna vers Julie et lui ouvrit les bras mais quand, à pas de loup, Frédéric tenta de séclipser, elle quitta sa compagne pour saccrocher à lui.
Sans vous, je ne serais pas entière non plus lui dit-elle en sagenouillant.
27
En attendant le train au beau milieu de la nuit dans une gare déserte, Frédéric ressentit une impression de déjà-vu. Cependant, cette fois elle persista et réveilla un souvenir. Un souvenir davant. Un souvenir de train et de Lucile. Un souvenir tout en sourire mais qui ouvrit la porte à dautres beaucoup moins riants. Les médecins lui avaient pourtant certifié que la mémoire ne lui reviendrait pas dun seul coup. Ils se trompaient. Ils lavaient aussi assuré que cela se ferait calmement, sans douleur. Ils lui avaient menti. Car lavalanche de souvenirs à laquelle il faisait face était violente et morbide. Il lui prit lenvie de crier, de pleurer sur ces réminiscences de mort et dinutilité. Il se sentit envahi par le vide, un vide fait dune femme aux formes arrondies par des promesses davenir mais qui sétiolait peu à peu dans les brumes dun passé sordide. Il fut ravagé de la voir, de découvrir son visage, si proche et pourtant différent de celui de Frédérique. Jusque-là, il avait pris pour argent comptant tout ce qui lui avait été révélé de son passé or, son passé nétait que mensonges, omissions et duperies. Toute sa vie dadulte était fondée sur le silence et la rancur. Il se détesta, conscient que sa première impression sur celui quil avait été, bien que confuse, était la bonne. Il fut tenté de faire demi-tour, de revenir vers Frédérique pour lui dire toute la vérité mais à lheure quil était dans ce petit coin de province
Et puis, les phares de lexpress pour Paris trouaient déjà la nuit. Il eut juste le temps de se composer un visage et monta dans le train.
***
Initialement, Frédéric sétait dit que malgré linconfort dune place assise, il dormirait la majeure partie du trajet et quainsi, il arriverait dans un état de fraîcheur acceptable chez Lucile. Naturellement, il nen fut rien. Il passa la plus détestable des nuits de telle sorte quà son arrivée à Austerlitz, il hésita à se rendre à ce rendez-vous quil avait lui-même fixé. Il hésita mais donna tout de même ladresse de la jeune fille au chauffeur de taxi. Désormais, il ne voulait plus fuir.
La veille au soir, son plus cher désir était de conter sa soirée à Lucile, il lui débita toute sa vie.
Patiemment, la jeune fille écouta. Sans broncher, sans faire le moindre commentaire. Il avait besoin de parler, de vider son sac, daffirmer à quel point le comportement de son « lui-même davant » le dégoûtait, dexpliquer quil était sur le point de commettre les mêmes erreurs, de
quimportait ce quil avait à dire : il lavait choisie comme auditrice, elle se cantonnait à ce rôle.
Avait-il conscience quen procédant ainsi, il prenait le risque dabîmer Lucile et de la blesser à tout jamais ? Pas sûr ! Il agit comme un homme ivre, indifférent aux conséquences de ses actes, uniquement occupé de sa propre survie.
***
Frédérique dormit mal cette nuit-là. Le départ inopiné de Frédéric lui avait laissé un goût amer dont elle narrivait pas à se débarrasser. Certes, il avait pris le temps de soccuper delle immédiatement après que Julie eut quitté le donjon. Il lui avait même offert une séance mémorable et absolument différente de toutes celles quelle avait vécues sous son joug. Certes, Julie lavait attendue à son retour de la gare et lavait câlinée pour la consoler du vide soudain quelle ressentait. Mais aucune caresse, aucun mot doux ne sut la consoler et lui ôter cette sensation dabandon. Elle se réveilla, au matin, épuisée de rêves sans suite qui confortaient sa seule pensée : Frédéric nétait plus Frédéric !
***
Lhomme dormait désormais, recroquevillé sur le canapé. Lucile se leva et sébroua comme pour faire tomber de son corps les mots qui sy seraient accrochés puis elle monta prendre une douche.
Les paroles de Frédéric avaient, par moment, été dures à entendre et parfois, il lui avait fallu faire un effort pour ne pas perdre le fil de sa voix monochrome. Mais de ces heures passées à lécouter, Lucile retenait deux évidences primordiales : il lui faisait confiance et était amoureux. La seconde confirmait un fait dont elle était certaine, la première flattait son ego. « Il aurait pu choisir Nathalie comme confidente se dit-elle. Cétait un choix au moins aussi logique que moi puisquelle connaît déjà une bonne partie de lhistoire
» Il y avait hélas une troisième réalité contenue dans le discours de Frédéric qui faisait delle lunique destinataire possible et que pourtant elle rejetait de tout son être. « Je suis un con et un salaud » avait-il conclu : deux bonnes raisons pour quelle le fuît.
Il en avait déjà exprimé lidée à plusieurs reprises par le passé, quoiquen termes moins éloquents. Elle avait campé sur sa position. Il en serait de même cette fois-ci.
***
Il était quatre heures et quart du matin lorsque le réveil de Nathalie sonna. Elle se leva et fila sous la douche ; il faudrait un bon quart dheure à sa cafetière programmable mais entartrée pour lui fournir une dose de café suffisante pour remplir son mug.
Ce nétait pas une matinée comme les autres pour elle : elle allait procéder à une triple interpellation et, bien quelle ne dirigeât pas tout le dispositif rôle dévolu au commandant Benkacen elle avait en charge la première équipe ; distinction due à son travail et à la reconnaissance de son chef. Cest pourtant à Frédéric quelle pensa : peut-être linstruction et le procès lui permettraient-ils de recouvrer tout ou partie de sa mémoire
Douche puis café. Elle le but nue, en regardant par la fenêtre, la rue, où la nuit languissait. Enfin, elle shabilla et fila au bureau. Elle naimait pas garder son arme hors des heures de service aussi la laissait-elle au coffre. Sur place, elle sen équipa et revêtit un gilet pare-balle. Benkacen prévoyait de la résistance. Elle navait pas peur.
***
Frédéric ouvrit un il vers seize heures. La première chose quil vit furent deux petits petons qui sagissait tranquillement à quelques dizaines de centimètres de son visage. « Elle nest pas partie pensa-t-il, elle ne ma pas foutu dehors
» le ton de la voix lui confirma son intention de nen rien faire :
Ce matin, je tai écouté. Maintenant, il faut quon parle.
Tant pis pour lours mal léché quil était au réveil, il était privé de café. Il grogna. Lucile prit cela pour un assentiment.
Je ne doute pas que ta situation soit difficile. Je ne doute pas non plus des souffrances quelle timpose. Ça, cest la première chose quil va falloir que tu intègres dans ton crâne de vieux tigre bourru. Ensuite, je considère comme légitime que tu veuilles voir grandir ton fils, le contraire maurait révulsée. Et maintenant, écoute-moi bien ! Tu as, avec la mère de ton bout de chou, une relation tordue que tu te penses obligé dassumer parce quelle est le fruit de votre passé commun. Je ne ten empêcherai pas. Jai bon espoir que cette histoire meurt de sa belle mort à plus ou moins court terme mais je sais que tu ne ten libéreras pas autrement
Frédéric sétait redressé et fit mine de parler. Lucile ne lui en laissa pas le temps.
Ne minterromps pas sil te plaît. Jai encore plein de choses à dire.
Tu mas affirmé ce matin avoir besoin de te comporter en dominant et tout contrôler. Bien que je nen croie pas un mot, je pense que tu en es persuadé. Jaccepte donc lidée que tu disposes dune soumise mais ce ne sera pas moi, excepté par moment et par jeu, parce que lidée mexcite
Lucile poursuivit son discours, reprenant point par point toutes les phases importantes de la diatribe de Frédéric le matin même puis elle conclut :
LAmour que tu portes toujours à Lucrèce, à Frédérique et même à Nathalie sont pour moi le gage de ta fidélité et de léternité de tes sentiments et, si tu nas pour moi ne serait-ce que le quart de lamour que tu as pour elles, je serais une femme comblée. Mais cet amour, il faut que tu me le donnes. Pour cela, laisse parler ton cur ou va-ten.
28
Un collier aux fermoirs de ceinture dont lanneau était relié à une corde passée dans la goulotte dune poulie située à un mètre cinquante au-dessus delle, lui oppressait la gorge. Un bandeau obstruait sa vue. Un bâillon gardait sa bouche grande ouverte et lui imposait le silence. Une cordelette de chanvre doux reliant sa cheville à sa cuisse droite, lobligeait à garder la jambe pliée. Idem de lautre côté. Entre ses genoux, une barre décartement à laquelle était nouée lautre extrémité du licol du collier contraignait louverture de ses cuisses et rendait accessibles son sexe et son anus. Ses poignets, liés dans son dos parachevait la position de Frédérique sur le fauteuil qui, au sein du donjon, figurait le trône de son Maître. Elle avait pour défi de tenir cinq minutes dans la plus parfaite immobilité car à la moindre oscillation elle subirait un étranglement dont elle ne pourrait se dégager.
À ses côtés, Frédéric veillait dun il sur son chronomètre, de lautre sur la sécurité de sa soumise.
Une déglutition un peu brusque et le bel édifice vacilla. Frédéric se précipita pour retenir la femme.
Tu as perdu ! dit-il tout en ramenant Frédérique vers larrière juste assez pour quelle ne sétouffât pas.
Point par point, il la délia en commençant par les deux extrémités de la corde quil laissa pendre à la poulie. Ses mains tremblaient de précipitation : la faute sans doute à son inexpérience dans le domaine de létranglement. Il ne voulait en aucun cas que Frédérique en subît des dommages.
Depuis quil avait retrouvé la mémoire, Frédéric ne sétait pas contenté de shabi à lenvahissant personnage qui lui était subitement tombé dessus, il avait également réfléchi aux différentes constantes de sa « nouvelle, nouvelle vie » et avait décidé que Frédérique en faisait partie. Il avait, de ce fait, choisi de la sortir de la routine de leurs séances passées. Le programme de la deuxième saison affichait une initiation à létranglement, lutilisation de la cire et de lélectricité ainsi que lusage de divers gadgets fabriqués sur mesure au gré de son imagination et de leur faisabilité. Naturellement, il nexclut pas de se servir encore des quelques babioles quil avait employées par le passé mais, désormais, il ouvrait le champ des possibles.
Cest à tout cela quil pensait en défaisant les nuds sur les cuisses de sa soumise. Il avait trop serré à gauche et sen fit le reproche en la mettant debout. Il lui massa cuisses et mollets afin quils retrouvassent une irrigation normale puis défit le collier quil changea pour un autre plus léger et plus pernicieux : un collier étrangleur. Enfin, lorsque Frédérique fut de nouveau solidement campée sur ses deux jambes, il lui enfila une paire descarpins rouge vif afin quelle pût se maintenir sans trop de désagrément sur la croix. Intentionnellement, il navait pas délié les poignets de la fille. Le haut de son corps ne serait maintenu à la croix que par lattache du collier : un excellent exercice pour apprendre à ne pas broncher sous la morsure du martinet ou de tout autre instrument de frappe.
Il guida Frédérique jusquau lieu de et laida dans son ascension. Il procéda à laccrochage des points dancrage en vérifiant attentivement chacun dentre eux avant dinspecter le collier. Il fit coulisser la patte dans la fente de fermeture et constata quelle ne revenait pas suffisamment en place. Elle présentait un danger, il renonça à sen servir. De gestes prestes, il défit la parure pour la remplacer par lancien ornement ; sil laissait flotter le cou à lintérieur, les oscillations brutales de la patiente provoqueraient leffet recherché avec la certitude quelle pourrait y échapper rendant à son buste une position rectiligne.
Satisfait, Frédéric séloigna de son uvre pour la contempler. La chevelure de sa victime tombant en cascade sur la peau nue de ses épaules lui rappela les portraits peints par Botticelli cinq siècles auparavant. Une bouffée de désir nostalgique lenvahit. Qui aimait-il en réalité à travers sa victime ? Frédérique elle-même ? Le souvenir de Lucrezia ? Ou simplement un fantasme venu du fond des âges ? « Les trois ! » répondit-il dans un murmure. « Jaime les trois et je les aime à en crever ! »
Dun geste vif de la main, il envoya au loin le romantisme de ses pensées : il avait un boulot à faire, du plaisir à donner. Sa « pratique » attendait.
***
Frédéric sétait enfermé dans un coma somnambulique après que Lucile se fut tue. Puis il sétait levé et était parti sans un mot. Une fois de plus il avait quitté le terrain avant la fin du match en laissant la balle dans son camp. Le temps avait passé : elle résistait depuis dix jours à lenvie dappeler Frédéric, bien décidée, cette fois, à attendre son retour sans rien faire pour le provoquer.
Lorsque Nathalie lui avait téléphoné pour prendre des nouvelles, elle lavait succinctement informée du seul événement important : Frédéric avait recouvré la mémoire. Elle avait senti dans la voix de sa cousine une sorte de déception sur laquelle elle sétait dautant moins attardée que Nathalie lui affirma avoir dinterpellé les auteurs de lagression de Frédéric.
***
Une fois de plus, lappel de Fanny sétait échoué sur le répondeur. Cétait le troisième, le dernier. Si elle avait insisté encore, son acharnement serait passé aux yeux de son Maître pour du harcèlement et elle aurait perdu toute chance de pouvoir revenir. Un silence dune semaine la fit se rendre à lévidence : elle devait passer à autre chose ; à quelquun dautre.
Nue face à son armoire, elle se demanda comment shabiller pour se rendre à ce club dont elle venait de trouver ladresse sur internet.
***
Larrestation des trois malfrats sétait passée sans coup férir. Sans doute, la présence dun gamin dune douzaine dannées nétait-elle pas étrangère à leur manque de résistance. Nathalie sapprochait du môme lorsquil avait, dans un seul mouvement, levé son arme et tiré. Le coup lavait renversée mais la douleur due à la violence du choc était très supportable. Ce nest quen tentant de se relever quelle prit conscience que son bras gauche ne répondait plus à lappel. Clavicule, tête de lhumérus et omoplate avaient été fracassées par la balle qui sétait arrêtée dans le dos du gilet. Aucun dégât vital mais son bras gauche resterait un poids mort jusquà la pose de prothèses supplétives. Une bonne série dopérations en perspective et la perte définitive des actions de terrain. Cette balle avait sonné le glas de son passage dans la police. Celui de son deuil aussi. Elle allait revenir à sa vie.
Pourtant, la première chose quelle fit dès quelle sen sentit capable, fut de joindre Frédéric. Elle voulait lui annoncer de vive voix larrestation de ses agresseurs. Comme tout le monde, elle tomba sur son répondeur. Une fois, dix fois, cent fois puis, de guerre lasse, elle appela Lucile.
Depuis, chaque nuit, seule dans sa chambre dhôpital, elle pleurait. La nuit. Pas le jour.
***
Aveugle et muette, Frédérique attendait que son Maître daignât soccuper delle, traquant le moindre son, le moindre mouvement. Mais elle ne percevait rien dautre que lodeur suave de la cire fondante des bougies. Les secondes ségrenaient comme des heures, elle se pensa abandonnée. Pourtant, au bout de trop longues minutes, elle perçut un frôlement : des doigts la détachaient. Un vent de panique traversa son esprit. Quavait-elle fait pour lui déplaire ? Elle navait pas bougé
Pourquoi donc la libérait-il ? Elle sentit que les mains déliaient ses chevilles. Puis elles laidèrent à descendre de son perchoir, la massèrent un instant et lenlevèrent du sol. Il la portait. Elle entendait son souffle, elle en ressentait la chaleur dans son cou délivré du collier ; elle distinguait les muscles bandés qui la soutenaient, la moiteur de sa peau nue contre la sienne. Il montait les marches
Elle aurait aimé passer ses bras autour de son cou pour quil comprît la confiance quelle avait en lui ; impossible, les poignets liés dans le dos. Où lemmenait-il ? Dans le salon
pour lexposer à dautres yeux ? Dans sa chambre ? Dans la cuisine ? Allait-il loffrir à nouveau à Julie ? Ou bien à une autre personne ? Un inconnu ? Elle avait peur. Pourtant elle ne bronchait pas. Elle refusait de lui donner prétexte dune rebuffade pour quil pût la rejeter impunément. Voilà ! Ils étaient sortis du sous-sol et il ne la posait toujours pas. Quelle idée démoniaque avait-il donc en tête ? Pourquoi restait-il silencieux ? Dhabitude, il lui parlait. Toujours. Pourquoi ce soir se taisait-il ? Elle entendit claquer le pêne dune porte. Louvrait-il ou la fermait-il ? elle obtint la réponse lorsquil la posa doucement sur le lit. Elle était dans sa chambre, sur son lit ; il lui détachait les poignets. Elle aurait aimé tendre les bras vers lui, lattirer à elle mais il len empêcha : déjà il liait son poignet droit au montant de la couche. Il fit de même à gauche puis à ses chevilles. Elle avait presque la position classique quil lui imposait dordinaire sur la croix
Il labandonna. Le silence tomba, donnant naissance à de nouvelles angoisses. Les secondes se remirent au ralenti et la voix retentit. Claire, puissante, tendre et
triste. Si triste que les larmes montèrent aux yeux de Frédérique.
Lorsque Lucrezia est morte, quelque chose sest brisé en moi. Mon cur
Pas la pompe, celui-là allait bien. Non, lautre cur, lorgane de lAmour, sest arrêté de battre. Jétais incapable daimer, incapable de mintéresser à quoi ou à qui que ce fût. Je me suis mis à fumer comme un pompier et à boire comme un trou en espérant choper un cancer ou une cirrhose. Ça a duré des mois. Je ne sortais de chez moi que pour acheter ma dose quotidienne de clopes et dalcool et je survivais en vendant des programmes informatiques pas toujours très légaux. Et puis un jour, chez mon caviste, jai trouvé une annonce pour un boulot. Elle était pleine de sous-entendus signifiant quils se foutaient des diplômes et que lhonnêteté nétait pas leur principal critère de sélection. Alors jai plongé. Jai passé huit jours à me sevrer dalcool et jai pris rendez-vous. Aller travailler, revoir des gens, parler à dautres personnes que le buraliste ou le caviste
Cétait pas vraiment folichon mais cétait toujours mieux que de sabrutir jusquà ne plus tenir debout. Et puis, cest grâce à ça que je tai rencontrée.
Tu ne peux pas savoir combien de fois je suis revenu en arrière pour ne pas aller à ce dîner. Même au moment de tendre mon manteau jai hésité à le renfiler et à menfuir. Et je tai vue. Je tai vue et jai cru que cétait Elle. Jai beaucoup parlé ce soir-là, pour me distraire de te regarder. Cétait tellement fou ! Tes yeux, londulation de tes cheveux, la courbure de ton cou quand tu riais. Tout me faisait penser à elle.
Tout le monde a cru, ce soir-là, que tu avais fait la conquête de lours. Mais cest faux. Lours, ce soir-là, commença à mentir. Jai pris une telle cuite en rentrant chez moi que jai mis tout le week-end à men remettre. Je voulais oublier ce que je venais de vivre, je voulais toublier, oublier que je tavais vue. Je ne voulais penser quà Elle et, en le faisant, je pensais à toi, son sosie, ma chance
Pourtant, jai évité de tappeler et cest toi qui la fait. Juste pour me donner ton numéro. Jai résisté un peu et jai craqué : je voulais la revoir. Je tai draguée et tu tes laissée faire. Le jour où tu as fait ce malaise, jai vraiment eu peur
de la perdre. Je ne laurais pas supporté. Je tai menti. Tout ce temps, je tai menti. Quand nous étions ensemble, je tai menti. Après, encore, je tai menti. Je ne veux plus te mentir et les faits sont là : cest Elle que jaime à travers toi. Toi, je te désire et cest tout.
Maintenant, je vais te détacher pour que tu puisses me jeter à la face tout ce qui te tombera sous la main. Je ne mérite pas autre chose.
Les larmes de Frédérique avaient tari depuis longtemps quand il la délia. Il termina par le bâillon et elle le laissa faire jusquau bout. Quand il eut terminé, elle ne fit pas un geste pour attr de quoi se couvrir. Elle resta nue et tendit la main vers sa joue :
Je sais déjà tout ça dit-elle en caressant tendrement la joue de son homme. Je le sais et je lai accepté. Tu ne serais pas là si je ne lavais pas accepté. Je suppose que le jour où tu mas parlé de Lucrezia ne test pas encore revenu. Tant mieux ! Parce que je tavais la main. Aujourdhui, tu le fais sans contrainte et jy vois plus dAmour et de respect que la première fois. Moi aussi, quelquun est sorti brutalement de ma vie et je sais à quel point je lai cherché dans toutes les personnes que jai croisées. Jai de la chance puisquil est de retour. Il nest même pas si différent de ce quil était avant de disparaître. Ce dont je suis certaine, cest quil sest bonifié puisquil est capable de concilier les deux principales facettes de son caractère. Jec et Hyde enfin réconciliés. Cétait inespéré. Et il y a autre chose dont je suis sûre. Cest que cet homme-là maime. Sans cela, il ne maurait pas parlé comme il vient de le faire. Peut-être quil ne sen rend pas compte mais cest à sa soumise quil vient de révéler le plus grand secret de sa vie. Pourtant, il avait le choix. Il aurait pu sadresser à la mère de son fils et tout aurait été différent. Non, il a choisi de parler à la part la plus fragile de moi, celle quil veut protéger. Celle, aussi, qui a appris à trouver le plaisir derrière la souffrance, celle qui sait combien il peut y avoir de tendresse dans la douleur quil inflige.
Frédérique abaissa sa main et enlaça son homme en faisant porter son profil sur son ventre. Elle resta ainsi sans bouger jusquà ce quil reprenne :
Je ne tai pas tout dit. Il y a
Je sais, linterrompit-elle. Il y a cette jeune femme qui sinquiète pour toi et que tu refuses de rappeler devant moi. LAmour est capricieux Frédéric, il nous surprend au coin de la rue et nous abandonne dans un ascenseur. Quimporte ! Il faut le saisir quand il se présente. Elle a le droit de savoir que tu es amoureux. Lancien toi se serait sûrement tu. Le nouveau va parler. Au nom de quoi lui refuserait-il ce quil vient davoir le courage de moffrir. Il y a encore un an, je crois que je taurais arraché les yeux si tu mavais fait cet aveu. Depuis, je tai perdu. Je sais ce que ça fait. Ça fait très mal au début et puis, avec le temps, ça devient comme une piqûre qui se réveille chaque fois que la douleur sestompe. Cest lancinant et ça use les nerfs et la vie. Tu ne peux pas lui imposer ça consciemment. Donc, si tu voulais men parler pour avoir ma bénédiction, saches que tu las. Si tu voulais me le dire juste pour informer ta soumise quelle sera bientôt répudiée, saches que je le comprends mais nattends pas de moi que je laccepte. Même si, contrairement à toutes les autres femmes, une part de toi sera toujours à moi puisque tu es le père de mon . Tu es irremplaçable dans mon cur Frédéric et, bien que tu ne le sois pas derrière un fouet, de cela je ne pourrais pas me faire une raison.
Je naime pas seulement lhomme que tu es, jaime le Maître qui me possède. Les deux me sont indispensables : Jec et Hyde. Ils ne peuvent aller lun sans lautre. Quand tu as disparu, jai fui tout ce qui me rappelait « Nous ». Si Hyde mabandonne, je fuirais tout pareil et cette fois, tu ne me retrouveras pas. Parce que je ne supporterais pas de te voir sans sentir la morsure de ton martinet sur ma peau. Oh bien sûr, des maîtres il y en a à la pelle. Mais aucun nest toi. Or jai besoin dun Maître et je ne veux que toi.
***
« Jai besoin dun Maître et je ne veux que toi ! » la petite phrase tourna en boucle dans la tête de Frédéric durant tout le trajet de retour. À larrivée, Lucile lattendait. Il ne lui avait pas indiqué lhoraire de son train, juste donné une heure et un lieu de rendez-vous. Elle en avait déduit son heure de retour et avait débarqué à Austerlitz. Ils allèrent dans un café, sinstallèrent le plus à lécart possible des autres consommateurs et là, il lui raconta tout de son escapade. Elle sut à lavance quelle serait sa conclusion. Elle sut aussi que la décision quil sapprêtait à prendre le rendrait malheureux. Oh, pas dans limmédiat, bien sûr mais avec le temps, le manque et les tentations qui laccompagnent se feraient sentir. De cela découlerait automatiquement : soit des mensonges soit un espacement de ses visites à Franck. La petite Lucile savait que lune comme lautre de ces conséquences serait mortifère pour leur histoire. Aussi, dès quil émit sa sentence, elle le contra.
Je croyais que tu te foutais de la morale et du quen-dira-t-on ?
Quest-ce que tu veux dire ?
Que ta décision est lexpression même dune morale petit bourgeois. Je ne la comprends pas. Tu aimes cette femme et tu adores quelle soit ta soumise. Pourquoi veux-tu la laisser tomber ? À cause de moi ? Cest parfaitement ridicule et surtout, ça prouve que tu ne mas pas écoutée. Cen est presque vexant. Le jour où tu as déboulé chez moi pour me raconter tes souvenirs, je tai écouté et je tai entendu. Quest-ce que je tai répondu ? Souviens-toi ! je tai dit que si tu avais pour moi ne serait-ce que le quart de lAmour que tu portes aux femmes de ta vie, cela me suffirait. Jai envie de toi et jai besoin de toi. Je tattends depuis trop longtemps. Mais je ne veux pas dun ersatz et je ne veux pas être responsable de labandon dune partie de toi. Je veux que tu puisses voir ton fils quand ça te chante sans crainte dêtre soupçonné de faire dieu-sait-quoi avec ton ex. Je veux que tu sois libre dêtre toi-même. Si je timposais lexclusivité, jaurais limpression de témasculer et à brève échéance, tu en aurais aussi la sensation. Je ne veux pas de ça. Je taime ! Je nai donc lintention ni de te brimer ni de te brider.
Donc cest à toi que tu imposes bride et brimades
Détrompe-toi. Cest aujourdhui que je suis brimée et je le suis depuis cette soirée au restaurant, quand tu mas repoussée. Je le suis parce que nos déjeuners nont jamais dégénéré en siestes crapuleuses. Je le suis parce que tu mas imposée une attente que je ne supporte plus. Je le suis parce que tu ne mas jamais dit que tu avais envie de me faire lamour. Je le suis parce quil y a plus dun mois que tu ne mas pas touchée et que je nai plus le goût de ta peau sur mes lèvres
Ça, ce sont des brimades et crois-moi, cest insupportable.
Lucile, à cet instant, serrait la main de Frédéric comme si elle voulait la broyer. Il plia le coude et porta les doigts de la jeune fille à ses lèvres.
Allons-nous en dit-il.
***
Ils passèrent trois jours et trois nuits enfermés dans la maison de Courbevoie. Très vite, ils furent nus, le désir ne les quitta pas. La porte à peine refermée, Lucile sentit sur elle la poigne volontaire de Frédéric. Il avait faim, cest ainsi quil parla. Et cétait tellement vrai quil dévora son sexe à travers les tissus superposés de sa jupe et de sa culotte. Elle sentit dents, langue et lèvres transpercer les couches de laine et de soie. Elle encaissa la puissance des mains crochetant son fessier pour quelle se colle à lui. Elle discerna son ascendant lorsquil bloqua son geste pour relever sa jupe. Elle aussi avait faim. Celle dêtre consumée, anéantie par le désir quil provoquait. Elle se laissa aller et elle se laissa faire. Demblée, il menait les ébats et elle se soumettait. Mais loin de toute violence, loin du donjon, loin des ordres qui claquent comme des coups de fouet, loin des fessées. Elle se soumettait à sa tendresse brusque.
Tout doucement, les mains de Frédéric descendirent sur ses chevilles. Elles glissèrent sur ses fesses, sur ses cuisses, sur ses mollets. Et puis elles déroulèrent le chemin à lenvers avec la lenteur dun ru dété qui remonterait vers sa source. Ce nétait pas des caresses mais le bruissement dune aile de papillon qui naviguait délicatement sur ses bas de nylon préparant le tsunami qui allait bientôt la submerger.
La culotte tomba bien avant la jupe mais elle sentait désormais la force des doigts sur sa peau. Ils sinsinuèrent furtivement entre ses cuisses. Par larrière. Avec la légèreté dune plume, ils frôlèrent ses grandes lèvres et revinrent vers le pli de laine tandis que, des dents, il enveloppait son bouton dun cocon laineux. Lucile laissa échapper un soupir. Cette embrassade, cétait une gorgée de liqueur aux saveurs sucrées et acidulées qui lui chauffèrent corps et esprit. Elle pressa contre elle cette bouche infernale. Elle voulut que le tissu rugueux lui pénétrât les chairs, que sa fente en fût envahie, que la langue, derrière, le boute au plus profond. Elle ne put réprimer un mouvement de hanche, un mouvement de buste qui propulsa sa chevelure sur le mur telle les lanières cinglantes dun martinet.
Un cri bref, un torse qui ploie. Elle venait dapprendre que le plaisir peut être aussi prompt quune balle.
Ce nest qualors que Frédéric glissa son visage sous la jupe. Ses lèvres, aussi sournoises quune abeille, butinèrent le clitoris. Elles le sucèrent le happèrent le pincèrent puis se mirent à danser autour dans une farandole folle avant de revenir à leur acte premier en un perpétuel mouvement. Lucile se mit à compter les temps, les passages, les andantes et les allegro sans prendre conscience que cétait son corps tout entier qui bougeait aux rythmes de cette musique silencieuse. Lui, pendant ce temps, garda les bras ballants, refusant de donner à Lucile dautres sensations que celles de sa bouche jusquà ce quil sente sous sa lippe les trépidations du plaisir.
Alors il la prit. Comme la première fois chez lui. Debout, la jambe droite de la jeune fille en appui sur son coude, il senfonça en elle. Elle sagrippa à lui, posa son menton dans le creux de lépaule de lhomme. Il la plaqua au mur de tout son poids. Elle sentit battre le cur de Frédéric, à contretemps du sien, de sorte quils ne formaient quun son, unique et continu. Elle arracha sa jambe gauche du sol pour étreindre la taille de son amant. Il lemporta dans le salon, la déposa sur le canapé ; celui-là même où il sétait assoupi quelques semaines auparavant. Là, sans la quitter, il la déshabilla. Il découvrit la tension de ses seins quil dévora à pleine bouche.
Enfin, il embrassa Lucile. Ce nétait pas leur premier baiser. Ce fut pourtant le goût quil eut pour la jeune fille. La dernière fois, leur première fois, nimporte quelle fille aurait pu distraire Frédéric de tout ce quil venait dapprendre. Que ce fut elle la messagère qui le consolât, nétait quun aléa de lhistoire : fanny, Nathalie ou nimporte quelle inconnue
le résultat eut été le même. Dans certain cas, un corps ne vaut que pour ce quil est. Alors quà cet instant, cest elle quil embrassait, cest à elle, Lucile, quil faisait lAmour. Dans ce baiser, il lui offrait les vingt-cinq pour cent de son cur quelle avait demandé. Peut-être même lui en donnait-il plus. Elle sagrippa plus fort à son cou, resserra létreinte de ses cuisses, lui rendit son baiser. Et sévada dans les convulsions du plaisir.
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