Mister Hyde 38

– 38 –

Nathalie nous ouvrit en peignoir. Selon toute vraisemblance, personne ne l’avait prévenue que j’arriverais aussi tôt. Elle demanda à Frédéric de me tenir compagnie le temps qu’elle s’habille et nous laissa en plan dans l’entrée.
Ni Frédéric ni moi n’étant doués pour la conversation, nous patientâmes en silence. Je laissais errer mon regard sur les murs du salon où j’avais été introduit. L’une des étagères attira mon attention, elle était recouverte de manuels scolaires consacrés à la littérature. Hormis l’incontournable « Lagarde et Michard », j’y repérai le « Castex et Surrer » ainsi que le « Mitterand » en plus d’autres qui m’étaient inconnus. Le « Gaffiot » y trônait également. Sur les rayons environnants, étaient très soigneusement classés les œuvres complètes d’une myriade d’auteurs français et étrangers allant de Chrétien de Troyes à d’Ormesson en passant par Hemingway, Coelho, Garcia Marques… et tant d’autres. Sans m’étonner, cela me fit une impression étrange de découvrir ailleurs que dans mon antre une bibliothèque aussi fournie. Sans doute habitué à une débauche de livres, je n’y avais pas vraiment prêté attention au début mais je me rendis rapidement compte qu’hormis de rares portraits d’un homme qui m’était inconnu, la bibliothèque de Nathalie constituait la seule décoration des murs de son appartement. En un instant, j’eus l’impression d’être chez moi. Lorsqu’elle revint vers nous, vêtue d’une robe vert d’eau, j’étais plongé dans la contemplation d’un exemplaire de vol de nuit.
– Nous avons du travail grogna-t-elle sur un ton qui me la rendit d’emblée antipathique. Suivez-moi je vous prie.
N’eut été la présence de Frédéric, j’aurai sans doute expliqué à cette mijaurée que son comportement de flic mal dégrossi n’était pas de mise avec moi. Mais, le maître des lieux me demandant silencieusement de n’en rien faire, je la suivis sans trop rechigner.
Une fois installé dans son bureau, je ne me privais cependant pas de glisser une remarque sur la politesse minimum.


– Je comprends votre désir de régler au plus vite cette affaire et je suis désolé de vous avoir heurtée en fouillant dans votre bibliothèque mais ce n’est pas une raison pour me traiter comme si j’étais un chien dans un jeu de quilles… Je suis, n’en doutez pas, tout disposé à collaborer autant que je le peux mais…
– Mais vous trouvez que j’y suis allé un peu fort. Je ne peux que vous donner raison. Cette histoire me met en colère et je viens de me laisser déborder par l’amitié que j’ai pour la victime. Je vous en présente mes excuses ainsi que, par avance, pour la brutalité de certaines questions que j’ai à vous poser.
L’entretien dura plusieurs heures, trois au moins et toutes les questions auxquelles je répondis n’avaient pas de lien étroit avec l’affaire qui nous occupait.
– J’ai l’impression que votre enquête ne porte pas uniquement sur le comportement qu’a eu la personne qui a maltraité votre amie mais également sur celui que j’ai eu avec « Soutim ». Je ne vous cache pas que je trouve votre suspicion déplacée étant donné qu’elle vous a très certainement informé que je n’avais guère usé de violence à son endroit.
Le visage de Nathalie prit une teinte olivâtre et, cette fois, elle se confondit en excuses. La colère qui m’habitait ne me lâcha pas pour autant et je lui présentais sèchement mes devoirs avant de la quitter.
***
Furibard, j’allais monter dans ma voiture quand le petit bonhomme qui m’avait conduit à son père quelques heures auparavant, me lança son ballon. Je n’ai jamais su résister à un surtout s’il joue seul. Je lui proposais donc une partie de foot : je serais le goal, il serait le butteur. Le sourire de Franck me calma aussitôt. Il m’entraîna vers l’arrière des bâtiments, jusqu’à une petite grange affublée d’un auvent dont les piliers de bois feraient office de poteaux de but. Je me mis à singer un gardien hyper actif, courant d’un poteau à l’autre de façon anarchique. Cela le fit rire : ce fut le début de notre amitié.

***
Tandis que je jouais avec Franck, Nathalie compilait ses notes et contactait l’une de ses amies psy, capable d’établir de « cravate blanche » un profil détaillé. À ce stade, il ne manquait plus à l’ex-flic qu’un portrait-robot. À cet égard, les souvenirs des témoins étaient flous : le seul point sur lequel nous étions d’accord étant la noirceur de ses cheveux et l’abondance de sa pilosité ; il faisait vraisemblablement partie de ces hommes contraint de se raser deux fois par jour pour entretenir le glabre de leurs joues. C’était mince.
***
Une voix appela Franck et le petit bonhomme disparut aussi sec dans sa direction. Je suivis et arrivai dans la cour juste à temps pour découvrir l’ dans les bras d’une femme que je pris pour sa mère. C’était d’autant plus vraisemblable qu’il s’agissait de notre hôtesse du week-end.
– Je ne suis pas la mère de Franck me répondit-elle en un sourire. Juste une amie de ses parents. Mais je vois qu’on vous a abandonné, cela vous plairait-il de partager notre repas ?
Après un refus poli et face à l’insistance de la jeune femme, j’acceptais son offre généreuse.
– Il me semble que nous nous sommes déjà vus me dit Julie après que nous nous fûmes présentés. Vous étiez à la vente, n’est-ce pas ?
Je ne pus qu’acquiescer.
– Vous êtes donc celui qui a remporté Frédérique, affirma-t-elle tout en me guidant vers un lieu que je connaissais déjà pour y avoir passé plusieurs dizaines d’heures en compagnie de celle qui n’était encore pour moi que « Soutim ». Nathalie n’interroge que les gagnants, elle estime que les autres n’ont rien à lui apprendre. Ce dont, personnellement, je doute.
Arrivés à l’appartement, Julie demanda à Franck d’apporter un couvert supplémentaire. Pourtant, la table était déjà mise pour trois.
– Frédérique devrait nous rejoindre incessamment, elle n’a aucun rendez-vous cet après-midi.
À cet instant, je paniquai. L’accord que j’avais avec Frédéric était de ne pas revoir « Soutim » avant le prochain week-end, lorsqu’il m’intégrerait officiellement au groupe.
De mon comportement d’aujourd’hui dépendait la suite des événements et j’étais en train de la compromettre.
Julie sentit mon inquiétude et me rassura. Du moins, elle tenta de me rassurer.
– Je sais ce que Frédéric cherche à faire ; il ne prendra pas ombrage de votre présence, ce n’est en aucun cas son intérêt.
– Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? dis-je en acceptant le verre qu’elle me tendait.
Julie me sourit sans répondre.
– J’entends une voiture dit-elle à la place. Franck ! Voilà Maman.
Le petit bonhomme déboula comme une fusée et disparut aussi vite qu’il avait surgi.
– Cet est fou affirma Julie, il est capable de rester sage pendant des heures mais dès que sa mère est dans les parages, il faut qu’il coure se jeter dans ses bras.
De fait, Franck chantait à tue-tête dans les bras de sa mère. Celle-ci le déposa par terre en me voyant.
***
– Je ne vous cache pas ma surprise de vous trouver ici dit Frédérique d’une voix froide.
Naturellement, je me levais, prêt à partir. Ma situation était déjà plus que délicate avant son arrivée, pas question d’en rajouter en la froissant plus que je l’avais déjà fait.
– Je vais prendre congés dis-je en me tournant d’abord vers Julie puis vers Frédérique.
Mais Julie interrompit ma sortie.
– C’est moi qui l’ai invité, Frédérique. Or il me semble que je suis ici chez moi autant que toi.
Le ton n’était pas agressif mais ferme. Julie poursuivit :
– Il serait temps que tu ouvres les yeux sur les desseins de Frédéric. Florian en fait partie et cela te concerne au premier chef. Voilà pourquoi il est ici. Tu es calmée… ?
Je dois avouer que l’explication donnée à Frédérique par Julie ne me réjouit pas. J’avais un peu l’impression d’avoir dans cette farce le rôle du dindon et ce n’était pas agréable.
– Laissez Julie ! Il est clair que Mademoiselle a scrupule à me revoir et qu’elle n’en est pas ravie non plus. Mieux vaut, dans ces conditions, que je m’éclipse.
Vous présenterez mes salutations à Frédéric et, si ce n’est pas trop vous demander, déclinerez pour moi son invitation.
Puis je me tournais vers « Soutim » face à laquelle je m’inclinais.
– J’ai eu, Mademoiselle, grand plaisir à vous revoir et je suis désolé que ce plaisir ne soit pas partagé. J’en dépose mes regrets à vos pieds et puis vous assurer qu’ils seront les derniers.
Sur ces mots, je quittais l’appartement et la fabrique pour ne plus y revenir. Du moins le pensai-je à cet instant. La vie allait me donner tort.
En sortant, j’aperçus Frédéric qui sortait de chez lui un bébé dans les bras. De loin, je lui fis signe avant de monter en voiture et de disparaître.
***
Frédéric me regarda partir et poursuivit sa route jusque chez Julie et Frédérique. Tout naturellement, il interrogea les jeunes femmes sur la raison de mon départ précipité. Les explications qu’il obtint ne le satisfirent pas mais il n’insista pas. Lorsque l’orage serait passé, il serait bien temps de régler ce problème. En attendant, il lui fallait confier Gé à Frédérique ou à Julie : Lucile était à la fac et lui-même devait s’absenter. Julie se défaussa et la garde de la petite échue à Frédérique.
***
Jusqu’au retour de Julie – qui s’évapora dès la dernière bouchée du déjeuner engloutie – Frédérique rumina sa colère. Colère qui n’était, malgré les apparences, pas dirigée contre moi mais plutôt contre Julie et Frédéric qui, de toutes évidences, lui mentaient à mon sujet. Or Julie rentra tard et, bien qu’elle eût assuré Frédérique qu’elle lui ferait des révélations en revenant, elle alla se coucher. C’est donc une Frédérique fatiguée par une nuit à se morfondre qui accueillit Julie au petit déjeuner.
– Tu n’as donc pas compris que le coup de la vente était destiné à te jeter dans les bras d’un autre. Tous les participants ont été cooptés par Frédéric. Il les a sélectionnés, auditionnés. Tu ne crois tout de même pas qu’il a fait ça dans le simple but de te donner le frisson d’être monnayée à ta valeur ? Tu as bien remarqué quand même qu’il te laisse plus de liberté, qu’il est moins pressé de venir à vos séances, peut-être même est-il moins performant, moins imaginatif qu’avant. Nathalie a tout de suite pigé. Je suis vraiment étonnée que toi, pas. Enfin, maintenant, tu sais. Il veut continuer à te protéger mais comme un grand frère, pas comme un maître.
Frédérique fût abasourdie par cette révélation mais, au bout de quelques instants, elle se rendit à l’évidence : elle l’avait pressenti. Cela ne calma pas sa colère, loin s’en faut. Elle décida d’aller parler à Frédéric sur le champ.
L’entrevue fut houleuse, surtout parce qu’elle ne se calma pas. Frédéric au contraire fut l’image même de la sérénité.
– Tu n’es qu’un salaud ! lui dit-elle en substance. Un salaud et un malhonnête. Tu aurais dû nous en parler à Fanny, Nathalie et moi. Ça t’aurait peut-être évité une connerie. Avec Fanny je veux dire.
Frédéric écouta patiemment et conclu en trois mots :
– Tu as raison.
Mais il se garda bien d’argumenter et de dévoiler la suite de son plan. Tout au contraire, il s’enfonça dans le secret en ne laissant, comme d’habitude, laisser transparaître que la partie émergée de l’iceberg.
– Florian a été dépité par ton accueil d’hier. Je l’ai donc invité ce week-end. Tu te chargeras de lui rendre le séjour agréable. Je tiens à préciser qu’il ne s’agit en aucun cas d’une punition et que cela ne t’oblige à aucune concession d’ordre intime ou sexuel. Juste lui rendre le séjour agréable. En dehors de cela, tu seras libre d’agir comme il te plaira.
Si tu n’as rien à ajouter, je ne te retiens pas.
Frédéric savait se rendre cassant quand il le voulait. C’est ce qu’il fit avec Frédérique ce mercredi matin. Elle considéra qu’il s’agissait de sa part d’une répudiation déguisée. Elle se redressa pour articuler le dernier mot qu’elle lui adresserait avant longtemps :
– Rouge !
***
Frédéric reçut ce mot comme un coup de poignard. Le temps de voir disparaître Frédérique et il s’affaissa sur le siège de son bureau.
***
Frédérique ne cria pas sur les toits sa rupture avec Frédéric. Elle rentra chez elle, prit une douche et partit au travail comme si de rien n’était.
***
Nathalie rattrapa Frédérique alors qu’elle montait en voiture. Naturellement, elle aurait pu sauter dans la sienne mais elle avait besoin de parler, d’exposer ses idées pour en vérifier la pertinence. Frédérique lui sembla toute indiquée pour servir de cobaye. Nathalie s’installa à la place du passager et commença à dégoiser toutes ses théories concernant l’homme à la cravate blanche.
– Tu as un nouveau maître et tu le plantes là sans plus de cérémonie. Il se passe quoi ici en ce moment ? Tout le monde est devenu fou ?
Nathalie était à cent lieues de s’attendre à une telle sortie de la part de Frédérique. Elle la regarda comme si c’était elle qui flirtait avec la folie.
– Pourquoi mélanges-tu tout ? demanda Nathalie après avoir marqué un temps d’arrêt. L’enquête que je mène et le fait qu’une nouvelle personne soit entrée dans ma vie sont deux choses distinctes. Si moi, je ne les mélange pas, tu devrais faire de même.
– Tu as quand même bien conscience que Frédéric t’a vendue à ce type et puis qu’il t’a jetée comme un kleenex. Frédéric nous traite toutes comme de la merde dont il veut se débarrasser…
Nathalie ne masqua pas sa colère, elle la contint cependant suffisamment pour rester calme. D’une voix blanche elle déclara :
– C’est à croire que tu ne connais pas Frédéric, que tu ne sais pas comment il agit. Il ne m’a pas vendue à Monsieur, il m’a confiée à lui pour que je souffre le moins possible de son désengagement de notre relation. Je t’accorde qu’il aurait pu avoir l’élégance de nous tenir informées de l’évolution de ses sentiments et de ses désirs mais il est ainsi et c’est ainsi que nous l’aimons : avec son esprit tarabiscoté et sa manie du secret. Tu es furieuse contre lui et je peux te comprendre mais je ne peux pas être en accord avec ta colère. Parce que, même si tu ne le vois pas, il agit par amour pour nous. Il n’y a absolument rien d’égoïste dans sa démarche et à part des emmerdements, il n’en retire rien.
Au fur et à mesure de sa diatribe, la voix de Nathalie s’était réchauffée et le visage de Frédérique détendu. La belle blonde avait pourtant encore besoin de confirmations.
– La vente, c’était un coup monté…
Nathalie acquiesça en silence.
– Le bonhomme qui m’a acheté, il l’a choisi pour moi, comme il a choisi ton « Monsieur » ?
– Bien entendu. Que voulais-tu qu’il fasse d’autre ? Il sait combien tu as besoin d’une relation dans laquelle tu te sentiras dominée – tout comme moi d’ailleurs – alors il a opté pour la solution qui lui semblait la meilleure pour nous : il s’est choisi des remplaçants.
Frédérique resta silencieuse et prit l’air d’être concentrée sur la route. Nathalie n’eut besoin que d’un seul regard pour savoir que, même sans rien dire, son amie mentait. Elle n’était pas concentrée plus que nécessaire sur la route, en revanche, elle énumérait ses erreurs et les reproches qu’elle avait à se faire. Au bout d’un long silence, Frédérique finit par lâcher :
– J’ai dit le mot.
Loin de s’attendre à un tel aveu, Nathalie ne comprit pas ce que lui disait son amie.
– Le mot ? Quel mot ? De quoi tu parles ?
Le temps de trouver un refuge où s’arrêter et Frédérique fondit en larmes dans les bras de Nathalie.
– Rouge ! J’ai dit « Rouge » ! Je lui ai jeté à la face comme une gifle. J’ai renoncé à lui. Il n’est plus mon Maître.
Hachurée de sanglots, les paroles de Frédérique mirent un certain temps à percer l’entendement de Nathalie qui se mit aussitôt à échafauder un plan pour récupérer la bévue de la jolie blonde larmoyante.
***
Le téléphone de Fanny bruissa d’un message alors qu’elle sortait de la douche. Il n’était pas encore neuf heures.
En dix jours, son corps avait retrouvé sa teinte originelle subtilement dorée mais son esprit était, lui, toujours aussi meurtri. Le texto de Frédéric ne fit qu’ajouter à son stress : « Je t’attends au donjon » signé « 26 ».
Bonne fille, Fanny se pressa de s’habiller et fit de gros efforts pour ne rien laisser paraître de sa peur quand elle entra dans la pièce fatidique. En soumise respectueuse des règles établies, elle s’agenouilla à deux pas de l’entrée et attendit que son maître lui adressât la parole. Ce qui ne tarda guère.
– Je sais que tu n’as aucune envie d’être ici mais ce qui t’es arrivé est comme une chute de cheval, tu dois remonter le plus vite possible et j’estime qu’il est temps. Il se peut que tu me trouves cruel d’agir ainsi après ce que tu as subi et tu as peut-être raison mais je me dois, en tant que Maître, de te contraindre.
Durant ce week-end, tu as vécu le pire. Pour ce retour, il est logique que ce soit moi, le responsable de ton calvaire, qui paie le prix. Il est normal que cela se fasse ici même, là où tu as été meurtrie. À ta disposition, tous les instruments dont ton bourreau a usé. Aujourd’hui, tu seras la bourrelle et je serai le supplicié. C’est pour moi la seule façon de te rendre justice.
Que souhaites-tu que je fasse ?
Fanny se leva et se déshabilla. D’un geste de la main elle désigna la croix de Saint-André tandis que de l’autre, elle saisissait un fouet au manche court mais à la lanière longue et tressée. Nu, Frédéric s’installa sur l’appareil, le dos tourné vers celle qui allait le punir. Il ne s’attacha pas.
La peau de Frédéric se fissura au premier coup. Les suivants ne furent pas plus tendres pourtant il n’émit pas un son.
Le corps vidé, l’esprit ailleurs, Fanny lâcha le fouet. Ni elle ni lui n’avait compté les coups mais à la façon dont Frédéric se cramponnait aux pitons de la croix, il ne faisait aucun doute que la punition avait été sévère. Fanny, comme en état second, exigea encore plus.
– Il y a une chose que l’homme n’a pas faite dit-elle d’une voix d’outre-tombe. Une chose que vous n’avez pas faite non plus malgré votre promesse. Vous n’avez pas soigné mes blessures. Je ne soignerai pas les vôtres. Ainsi, nous serons quittes.
D’un pas d’automate, Fanny quitta la salle, lentement, comme pour lui dire qu’elle n’avait plus peur d’elle. Puis, sitôt passée la porte, elle s’en alla d’un pas tranquille vers son chez elle. Elle n’était pas encore guérie mais elle se sentait plus légère, son courage était revenu. Si celui de Frédéric ne le quittait pas, encore deux ou trois séances identiques et elle serait prête à châtier son bourreau.
***
Fanny était rentrée chez elle nue et c’était très bien ainsi. Durant le cours trajet qui séparait le donjon de chez elle, une image s’était imposée à elle et ne la quittait plus : celle de Frédéric cajolant ses blessures jusqu’à la faire jouir. La porte à peine refermée, elle porta ses doigts à son sexe. Très lentement elle les fit glisser entre ses lèvres humides et pinça son bouton. Elle avait envie et besoin de jouir, elle se dirigea vers sa chambre sans cesser de se caresser et saisi le plug qu’elle rangeait dans sa table de nuit pour être toujours prête à répondre à une demande du Maître. Elle fit coulisser l’objet de son sexe à son anus à plusieurs reprises puis l’enfonça doucement dans son vagin béant. L’ustensile était court mais son désir était si puissant que les allées-venues qu’elle lui imprima firent le même effet qu’un vit gigantesque. Rapidement, elle jouit mais ne s’arrêta pas. Se retournant, elle offrit à son cul le même traitement qu’à sa chatte tandis que, mentalement elle s’insultait. « Tu aimes ça, Salope, te faire prendre le cul ! Tu aimes ça être prise comme une chienne !… » Frédéric utilisait rarement ce genre de langage avec elle cependant, elle avait remarqué que ses orgasmes, lorsqu’il usait de cet artifice, étaient plus intenses et duraient plus longtemps. En cette fin de matinée, il ne manquait à son bonheur que les claques irrégulières que Frédéric prodiguait à sa croupe pour mieux la câliner après. Une autre vague de plaisir la submergea quand d’une main douce elle caressa ses fesses tandis que l’autre main agitait frénétiquement le plug dans son conduit étroit. Rassasiée, elle se laissa aller tout en se promettant d’avouer sa faute à Frédéric dès qu’il exigerait de la voir.
***
Lorsque Julie accompagna Franck au centre aéré, elle ne croisa pas âme qui vive dans la cour. Il en fut de même à son retour et pareil vers onze heures trente quand elle quitta la fabrique pour se rendre chez son médecin préféré. Elle avait rendez-vous au cabinet mais ce n’était pas une visite professionnelle. Le samedi et le mercredi précédent, elle avait consulté. Le jeune médecin l’avait outrageusement draguée et elle s’était laissé faire. La veille, il l’avait invitée à déjeuner. Elle avait accepté avec le secret espoir que ce ne serait pas qu’un simple rendez-vous. Elle avait passé près d’une heure trente à se pomponner et à choisir ses vêtements. Avant, quand elle voulait un homme, il lui suffisait de s’habiller sexy d’ostensible façon. Avec lui, c’était différent : elle voulait être désirable mais pas aguicheuse ; elle ne voulait plaire qu’à lui. Elle opta donc pour des dessous sages constitués d’un soutien-gorge qui se fermait entre les seins et d’une culotte de satin ajourée. Elle choisit une robe de lin grège et droite qui, sans rien masquer de sa poitrine voluptueuse ou de la charmante rondeur de ses fesses, ne les propulsait pas au premier plan. Enfin, elle chaussa des escarpins dont les talons, tout en accentuant le galbe de ses cuisses et de ses reins, n’avaient rien de démesuré. Ensuite, elle passa un temps fou à coiffer ses cheveux mais délaissa tout maquillage. En montant en voiture, elle pria pour que le beau docteur tombe sous le charme.
***
Lorsque Frédéric tenta de quitter le donjon, il aperçut Julie qui montait en voiture. Précipitamment, il se replia. Fanny n’y était pas allé de main morte, il avait le dos en lambeaux et le sang gouttait désormais à ses pieds. Il patienta néanmoins quelques minutes et se précipita chez lui aussi vite que le lui permettait la douleur qui vrillait son corps. Il prit une douche et arrosa copieusement son dos de bétadine avant – au prix de multiples contorsions – de s’enrouler dans un bandage. Sans doute eut-il été plus simple de demander à Fanny mais, puisqu’en elle la soumise refusait de le soigner, il n’était pas question de faire appel à l’infirmière. Il serait bien temps, ce soir, de demander à Lucile de s’en charger.
Pour se changer les idées, il alluma son ordinateur et consulta sa messagerie. Un courriel de Julie demandait, pas seulement à lui, des conseils afin de contourner un pare-feu mouvant. Naturellement, elle déguisait sa demande sous le couvert d’une expertise d’inviolabilité qu’elle devait rendre à un client mais Frédéric ne fut pas dupe et se mit à plancher sur la question. Il lui fallut deux bonnes heures pour casser les reins à la ligne de code qui bloquait Julie. La solution pour laquelle il opta fut d’y inclure une condition impossible à réaliser. Ainsi, grâce à deux petits symboles, il paralysait le système. Il prit soin d’envoyer sa réponse sous couvert d’anonymat. Il n’était pas loin de seize heures, la voiture de Frédérique entrait dans la cour.
***
Frédérique détacha Franck du siège et l’envoya dans le pré où elle le rejoindrait dès qu’elle se serait changée. Elle se livra à l’exercice en un temps record et, sans perdre une seconde, redescendit pour se rouler dans l’herbe à l’instar de Franck qui riait aux éclats.
D’ordinaire, les éclats de joie auraient fait se retrouver tout le monde dans le vaste jardin mais, pour une mystérieuse raison, la fabrique resta silencieuse. Pourtant, hormis celle de Julie, toutes les automobiles répondaient à l’appel. Même celle du nouveau maître de Nathalie. Décidément, ce jeudi n’était pas un jour comme les autres. Même Frédéric, qui ne ratait jamais une occasion de jouer avec son fils, ne vint pas et la brouille qui depuis la veille avait mis fin à leur relation n’était pas une raison suffisante pour qu’il ratât cette opportunité. L’idée qu’il se passait quelque chose d’anormal effleura Frédérique mais la main tendue de son petit bonhomme la lui fit aussitôt oublier. Elle se releva, il s’échappa, elle courut derrière lui en faisant semblant de vouloir l’attr. Le rire de l’ résonna dans le vide.
***
Nathalie rentra de Beauvais par le car et se fit copieusement engueuler par AL, surtout à cause des deux kilomètres et quelques qu’il lui fallut faire à pied et chaussée d’escarpins entre l’arrêt de l’autocar et la fabrique.
– Tu te rends compte que tu aurais pu te faire écraser par n’importe quel chauffard ou te faire ramasser par un des malades mentaux qui sillonnent les routes, explosa-t-il sans craindre de montrer son inquiétude. Tu es complètement inconsciente…
Émue par l’attention qu’AL lui portait, Nathalie tut les différentes mais assez similaires propositions dont elle avait fait l’objet malgré la sagesse de ses vêtements et tenta de calmer Monsieur. De guerre lasse, elle envisagea la possibilité qu’il la punisse tout en affirmant qu’elle trouverait injuste qu’il le fît. Cela raviva la colère de Monsieur.
– Penses-tu vraiment que j’attende ton autorisation pour prendre ce genre de décision, femelle sans cervelle ? Bien sûr que tu es punie. Et cela commence tout de suite. Monte dans ta chambre, tu n’en sortiras qu’avec mon autorisation.
AL n’eut pas besoin de répéter son ordre, Nathalie fila comme le vent. Quelques minutes plus tard, Monsieur la rejoignit et posa sur le lit un mini short beige, un petit haut moulant de la même teinte et une paire de basket.
– Tu vas aller courir en bord de route, dans cette tenue. Mais avant, je vais faire monter ta température…
Durant l’heure suivante et à trois reprises, AL et sa langue amenèrent Nathalie au bord de l’orgasme. Lorsqu’il estima qu’elle était suffisamment chaude et frustrée, il lui fit revêtir les atours minimalistes qu’il lui avait choisi et l’envoya courir le long des routes selon un itinéraire qu’il fixa avec, pour consigne, l’ordre de minauder auprès de tous les hommes qui s’arrêteraient auprès d’elle sans, naturellement, céder à leurs demandes.
Deux minutes plus tard, il partait à son tour afin de la suivre au plus près.
***
De loin, Nathalie semblait nue dans cet accoutrement. C’était exactement l’effet recherché par AL qui voulait non seulement que la jeune femme se sente en danger mais qu’elle y soit vraiment. Il ne doutait pas que les automobilistes qui croiseraient la route de Nathalie ralentiraient en approchant d’elle. Il ne doutait pas que les conducteurs les plus hardis tenteraient d’entrer en contact avec elle et que, face à son refus de les satisfaire, ils se montreraient au moins humiliants si ce n’est méchants voire violents. C’était exactement ce qu’il voulait et c’était pour cela qu’il avait choisi cet itinéraire et la suivait de près en longeant, par l’intérieur, l’orée de la forêt. Cependant, son plan comportait une faille de taille qui, sans la présence d’esprit de Nathalie, aurait pu créer un désastre. À un peu plus de huit cents mètres de la fabrique, un champ brisait la ligne des arbres sur environ deux cents mètres. Sur cette distance, la surveillance qu’exerçait AL ne pouvait être une protection efficace. Nathalie, qui se doutait que Monsieur ne la laisserait pas seule dans la galère où il l’avait fourrée, vit immédiatement le danger, elle décida donc de prendre la tangente et de contourner le champ en s’éloignant de la route. Grand bien lui fit car à quelques minutes près, un homme de belle prestance vêtu d’un complet gris croisé, d’une chemise de soie grise et d’une cravate blanche, en route pour Amiens au volant d’un coupé sport, aurait immanquablement croisé son chemin.
***
Nathalie revint à la fabrique sans dommage et fut rejointe par AL dans la cour. L’homme la prit par le bras et l’accompagna galamment jusque chez elle où il l’interrogea.
– J’ai compté quatre voitures qui se sont arrêtées à ton niveau. Je pense que tu as bien compris à quel point faire ce chemin à pied est dangereux pour une femme…
Boudeuse, Nathalie secoua la tête sans répondre.
– Raconte-moi ! insista AL.
Nathalie lui lança un regard en biais.
– Qu’est-ce que tu veux savoir ? S’ils m’ont pris pour une pute. Oui, ils m’ont pris pour une pute. S’ils m’ont insultée quand je leur ai refusé la gâterie qu’ils demandaient. Oui, ils m’ont insultée. Quoi encore ? Ah oui ! Tu veux peut-être que je te dise si j’ai eu envie qu’ils me sautent comme une chienne sur le bord de la route ? Si je mouillais pendant qu’ils me traitaient de salope et de pute, de radasse, de merde… ? Tu crois vraiment que j’avais besoin de…
Puis subitement, elle se tut, toute colère disparue. Sans transition, elle passa de la rage à la sérénité. Une simple idée, une simple constatation en était la cause. Désormais tout sourire, elle fixa AL droit dans les yeux pour lui expliquer son radical changement de comportement.
– Ça ne peut pas marcher comme ça. Je suis désolée Monsieur mais ça ne peut pas marcher comme ça. Votre joug permanent me pèse. Avec Frédéric, je n’étais pas constamment surveillée, épiée. J’avais droit à des instants de calme, de tranquillité, de solitude. Avec vous ce n’est pas le cas et je me rends compte que c’est une erreur. À ce train-là, je ne tiendrais pas. Avoir accepté d’être punie pour avoir marché seule en bord de route durant deux kilomètres était une erreur et je vous présente mes excuses pour m’être montrée idiotement soumise. Me punir était injuste de votre part, j’ai eu beau vous le signaler, vous n’en avez pas tenu compte et je me suis pliée bêtement à votre diktat. C’est une faute que je ne commettrais plus. Comprenez bien que je ne souhaite en aucun cas mettre fin à notre relation, je désire juste qu’elle soit plus… paisible et qu’elle ne se noie pas dans des rapports s. Nous finirions, l’un comme l’autre par jouer un rôle qui ne nous satisferait pas.
Au fur et à mesure que Nathalie développait ses arguments, le visage de AL s’enfermait dans une intense réflexion. Nathalie ne cessa pas pour autant de parler :
– J’aime votre façon d’être et j’apprécie ce que vous m’imposez. Même cette petite course en bord de route m’a plu. Vous avez su trouver une manière plutôt originale de me faire prendre conscience du danger supposé que je venais de frôler. Originale et excitante. En cela, votre but a été atteint. Mais ce n’était pas adapté car en réalité, je n’avais couru aucun danger. Un simple « ne faites plus jamais ça ! » aurait suffi. Et nous serions passés à autre chose sans nous fâcher. Parce que, je vois bien que ce que je dis vous fâche. Votre air est sombre. Pourtant, il devrait être lumineux puisque votre soumise reste votre soumise. Elle veut juste que vous la traitiez plus légèrement et que vous modériez vos punitions en fonction de la gravité de ses fautes : si pour une vétille vous vous montrez aussi intransigeant, qu’en sera-t-il lorsque je commettrais une faute grave ? Je ne veux pas finir clouée au pilori ni être fouettée jusqu’au sang. Tout comme vous avez su estimer ma valeur lors de la vente, je voudrais que vous sachiez estimer l’importance des faits et graduer la punition à appliquer à l’aune de cette importance.
Je vous ai tout dit, il me semble. Je vous implore de ne pas m’en tenir rigueur même si, pour le faire, j’ai enfreint les règles les plus élémentaires. Même si, en tant que Maître, vous pourriez vous sentir obligé de me punir. Vous n’êtes obligé à rien puisque vous êtes Maître.
– Tu as raison ! Je ne suis obligé à rien répondit AL après quelques secondes de silence. Pas même à t’écouter et encore moins à prendre en compte tes observations. Mais notre désaccord sur la sanction que je t’ai imposée marque un tournant important dans notre relation. Si j’ai bien compris, c’est le fond et non la forme que tu contestes. Ce qui – tu en conviendras – est encore plus grave puisque tu remets en cause l’autorité que j’ai sur toi. Puis-je accepter cela ? Difficile de répondre positivement à cette question. Difficile mais pas impossible parce que ce qui est sur la sellette, ce n’est pas vraiment mon autorité mais la façon dont j’en use et en l’occurrence, dont j’en . En te punissant, j’ai démontré une chose : que je n’ai pas confiance en toi. En acceptant de subir cette punition tu m’as prouvé qu’au contraire, tu me fais confiance. Et en intervenant comme tu viens de le faire, tu as illustré cette confiance que tu me fais. Non seulement pour le présent mais aussi pour l’avenir. Mais par-dessus tout, tu m’as fait comprendre que je peux avoir confiance en toi. Cela, Nathalie, je ne peux ni ne dois le punir. Je devrais même t’en remercier, si j’étais obligé à quoi que ce soit. Ce qui n’est pas le cas, puisque je suis le maître. Ton Maître !
Nathalie s’agenouilla et vint à quatre pattes baiser le pied droit de Monsieur. À cet instant, une vague de désir la submergea comme si la frustration des orgasmes interdits, l’excitation d’être traitée en putain par des inconnus et le plaisir d’être toujours la femelle de son maître refluaient en une seule et même lame de fond. Elle leva vers Monsieur un regard implorant.
***
Julie rentra à la nuit tombée, quelques minutes après Lucile. Frédérique était enfermée dans sa chambre, le dîner était prêt. Julie grappilla puis s’inquiéta du silence de son amie. À cette heure, elles papotaient généralement de leur journée et, pour une fois, Julie avait plein de souvenirs riants à raconter. Elle frappa à la porte de Frédérique qui grommela mais la laissa entrer.
Oubliant toutes les joies de l’après-midi, Julie se précipita au chevet de Frédérique dont les yeux rougis criaient la détresse.
***
Monsieur quitta Nathalie aux alentours de vingt-trois heures en lui assurant être de retour le samedi en milieu de matinée. La jolie rousse choisit dans sa bibliothèque le livre le plus ennuyeux qu’elle put trouver et alla se coucher. Elle n’arriva pas à lire plus de dix lignes ; un leitmotiv occupait son esprit : « Il ne m’a pas touchée et j’ai envie de lui… » la petite voix dans sa tête tourna jusqu’au matin. Lorsque poignirent les premiers rayons du soleil, elle quitta son lit et s’enferma dans son bureau.
***
Fanny s’éveilla aux premières heures du jour et ressentit l’appel de l’extérieur. La veille, elle avait quitté son appartement sur l’injonction de Frédéric, ce matin, elle le fit de son propre chef mais n’eut pas le courage de quitter la fabrique. Vêtue d’un short d’un T-shirt informe et de baskets, elle sortit faire plusieurs fois le tour du pré.
***
Julie avait fini par céder à Morphée, Frédérique n’avait pas dormi. Dès qu’elle fermait les yeux, elle se revoyait crachant à la face de Frédéric le mot qui mit fin à leur relation. Elle aussi se leva. Elle se rendit à la cuisine se préparer un thé. Par la fenêtre, elle vit Fanny courir comme une dératée.
***
Lucile dormit mal. En arrivant la veille au soir, elle avait découvert Frédéric brûlant de fièvre, le torse emmailloté dans une bande velpo. Elle n’osa pas défaire le pansement improvisé et appela Fanny. Celle-ci devait dormir, elle ne répondit pas. Lorsqu’au petit matin elle entendit crisser les graviers de la cour, elle courut à la fenêtre. C’était Fanny. Lucile s’habilla et sortit à la rencontre de l’infirmière. Patiemment, elle attendit que la jeune femme ait fini de tourner pour l’interpeller.
Lucile n’eut pas besoin de donner de longues explications, l’infirmière la devança.
***
Patiemment, Fanny nettoya chaque plaie avec un antiseptique plus puissant que la bétadine et fit ingurgiter à Frédéric un antibiotique à large spectre puis elle refit le pansement après avoir appliqué la même pommade cicatrisante dont on avait usé sur elle.
– Tout ira bien dit-elle à Lucile. Il lui faut du repos.
Et puis, prise de remords elle avoua :
– C’est de ma faute ! Jamais je n’aurais dû lui obéir. J’avais tellement besoin de me venger que je n’ai pas réfléchi une seconde. J’étais folle de rage… C’est de ma faute. Entièrement et uniquement de ma faute.
Fanny ne pleurait pas, elle énonçait froidement les faits. Le week-end de son martyr avait provoqué en elle une fêlure et pour la colmater elle s’était accrochée à l’idée que Frédéric avait tiré leçon de son erreur et, par là même, était devenu infaillible. Lorsqu’il lui avait ordonné de le punir, elle l’avait fait sans retenue, persuadée comme il semblait l’être que c’était pour elle une thérapie adaptée. Prendre conscience qu’ils s’étaient tous les deux trompés, que Frédéric était non seulement faillible mais également physiquement fragile, lui qui avait résisté à une bastonnade en règle perturba Fanny à tel point qu’elle devint incapable d’exprimer ses sentiments. Sa voix devint terne, ses yeux s’asséchèrent, elle devint froide.
Lucile fut si impressionnée par la métamorphose de son amie qu’elle battit le rappel de toutes les autres. En moins de dix minutes, toutes étaient réunies dans la salle commune.
***
– Ça ne me concerne pas affirma Frédérique en quittant la salle après que Lucile eut exposé la situation.
Éberluées, les filles la regardèrent s’éloigner sans réagir. D’un geste, Nathalie prit la direction des opérations.
– Je t’expliquerai dit la jolie Rousse en s’adressant directement à Lucile. Pour l’instant, l’important et de s’occuper de Fanny et de Frédéric et éviter que nous devenions toutes folles.
***
La fabrique vit, en cette journée de vendredi, s’écouler des torrents de larmes. Lucile pleurait sur Frédéric, Frédérique sur elle-même, Julie sur Frédéric et Frédérique, Nathalie sur Fanny. Seule Fanny ne pleurait pas. Elle s’était installée dans un des fauteuils de son salon et regardait son entourage avec un air absent. Puis, subitement, sur le coup de seize heures, elle se leva et alla tout naturellement refaire le pansement de Frédéric. Trois quarts d’heure plus tard, elle reprit sa position de prostration.
Personne ne m’ayant prévenu des déboires survenus. Je débarquais vers dix heures le lendemain. Tel un chien dans un jeu de quilles.

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