Mister Hyde - 40, 41 Et Final
40
Julie avait roulé jusquà Amiens où elle avait passé la nuit avec son beau docteur. Avant de repartir, elle sétait arrêtée dans un café à côté de la gare, pris un double café et un croissant et sapprêtait à sen aller quand lhomme entra. Très brun, impeccablement vêtu dun costume de lin gris, il arborait une cravate blanche. Frédérique se rassit.
Lhomme ne prêta aucune attention à la femme chiffonnée qui fouillait désespérément dans son sac à la recherche de son téléphone. Il avala son café, mordit dans son croissant et sortit comme il était entré, sans saluer personne. Ni une ni deux, Frédérique lui emboîta le pas. En franchissant la porte du café, elle vit lhomme poser le pied sur le trottoir den face. Cinq pas de plus et il entra dans le jardinet dune maison de ville. Dun simple coup dil, Frédérique nota le numéro du pavillon et sen retourna à sa voiture.
***
Cétait le branle-bas à la Fabrique. Julie venait de rentrer en klaxonnant comme une folle. Fanny, Lucile, Nathalie, AL et même Franck sétaient précipités dans la cour pour laccueillir. Toutes vitres ouvertes, Julie hurlait :
Je sais où il est ! Je sais où il est le Salaud !
Échevelée comme elle létait, on aurait dit une folle.
***
AL resta seul. Fanny était repartie veiller sur Frédéric, Lucile avait pris en charge Franck et Gé, Frédérique brillait par son absence tandis que Julie et Nathalie sétaient enfermées dans le bureau de lex-fliquette. Tout allait pour le mieux !
***
Julie débita son aventure du matin avec une telle précipitation que Nathalie lui fit répéter lhistoire trois fois avant de commencer à linterroger sur des points plus précis. Dans cette affaire, le hasard était si déterminant que Nathalie se refusait à croire son amie. Cela faisait tellement longtemps quelle galérait à la recherche de ce salaud quelle admettait difficilement quune simple promenade en ville un dimanche matin ait pu résoudre le mystère qui entourait « cravate blanche ».
Nathalie battit le rappel des filles : elle voulait agir à linstant. Lucile, flanquée des deux s arriva la première et refusa tout net dentreprendre quoi-que-ce soit tant que Frédéric ne serait pas rétabli. Elle neut pas besoin de se montrer très convaincante pour obtenir gain de cause : Fanny sabstint, Julie abonda dans son sens et Frédérique, toujours absente, neut pas son mot à dire.
***
Impossible ! expliqua AL à Nathalie qui limplorait de lamener à Amiens. Jai passé un marché avec Frédéric, il nest pas question dy déroger. Il est hors de question que je te couvre pour que tu puisses aller espionner ce type. En revanche, rien nempêche que je me rende sur place et que je le surveille pour toi.
Ainsi fut-il décidé, moyennant un tribut que Nathalie sempressa de régler. Et puis, le calme tomba sur la fabrique, chacun rongeant son frein de son côté.
***
Passa lundi et vint mardi. Le soleil navait pas encore pointé le bout de son rayon et pourtant la fabrique sanimait dune curieuse excitation. De la chambre où dormait Frédéric un furieux solo de batterie issu dun live dACDC faisait trembler les murs et se répercutait de bâtiment en bâtiment. Frédéric sétait réveillé empli dune énergie telle quil lui fallut trouver un exutoire. Il accompagna la musique dune danse effrénée.
***
Elle avait une bouche merveilleuse, tellement originale, tellement érotique
Assis à la terrasse du café, presque en face du pavillon de lhomme à la cravate blanche, AL ne pensait à rien dautre quà la bouche de Nathalie. La lèvre supérieure, si fine, avançant sur la lèvre inférieure sans pour autant la recouvrir. Un défaut ? Mais un défaut qui faisait toute la qualité de cette bouche, qui la rendait sensuelle, désirable, poétique. Un défaut qui donnait au sourire de Nathalie laspect dune fine ligne droite relevée dans les extrémités par quatre petites rides qui elles même, par paires, formaient déclatants sourires.
Frédéric sétait réveillé, débordant de vivacité et disposé à reprendre les rênes de la fabrique. AL navait plus quà rentrer.
***
Cest nimporte quoi affirma AL en entendant le plan élaboré par les filles pour semparer de « cravate blanche ». Ce type sort de chez lui trois fois par jour : petit déj, déjeuner et dîner quil prolonge dieu sait où. Il est réglé comme une horloge sauf pour ce qui est de son retour nocturne. La seule certitude, cest quil ne rentre pas chez lui le soir avant minuit moins cinq et que quelle que soit lheure à laquelle il se couche il quitte son pavillon entre huit heures cinq et neuf heures trente-cinq le matin, et entre midi vingt et treize heures cinquante à mi-journée. Une heure trente, pas une seconde de plus. Je lai même vu consulter sa montre et attendre lheure sur le pas de sa porte avant de passer le seuil. Ce type est tout sauf normal mais il sait se protéger : il ne fréquente que des rues populeuses et utilise tous les trucs quon voit dans les films pour déjouer une surveillance. Le genre parano XXL si vous voulez mon avis. Je ne doute pas une seconde quil ait repéré ma présence.
Ce petit discours sema la consternation parmi lassistance. Frédéric et les filles pensaient que ce serait un jeu d de napper le bonhomme, AL venait en quelques phrases de briser leur espoir. Il allait falloir phosphorer un peu plus.
Adémar-Louis a raison intervint Julie, ce quil faut, cest découvrir où il va le soir. Il petit-déjeune et déjeune aux mêmes endroits tous les jours, peut-être a-t-il aussi un lieu de prédilection pour dîner ? Si oui, nous devons le découvrir. Pour cela, je ne vois quune solution : installer une surveillance nocturne
De tous les protagonistes, la seule qui navait pas pensé à cette solution était Frédérique. Elle navait dyeux que pour Frédéric et rien dautre noccupait son esprit que la santé de son amant déchu. Lorsque Nathalie sadressa directement à elle, elle sursauta.
Désolée, jétais ailleurs répondit la mère de Franck. Tu disais ?
Je disais, répéta Nathalie passablement énervée par le manque dattention de Frédérique, que si nous voulons mettre en place une surveillance de nuit, il est préférable que nous formions des couples. Face à ce genre dindividu, on ne sait pas ce quil pourrait advenir dune femme seule.
OK ! mets-moi avec Julie. À nous deux, on devrait pouvoir se débrouiller.
Lexaspération de Nathalie monta dun cran tandis que tous les autres étouffaient un sourire.
Tu nas décidément rien écouté. Je peux savoir ce que tu fiches ici ? Ce dont nous parlons est important. Pour ta gouverne, Julie vient de nous annoncer quelle est en couple, Frédéric et Lucile feront équipe quant à AL et moi, il va de soi que nous seront ensemble. Il ne reste plus que toi qui te retrouves seule puisque, naturellement, Fanny est écartée de tout contact avec notre cible.
Frédérique éclata de rire, voilà quils se mettaient à parler comme dans les films. Puis, se reprenant, elle se dégagea de lhistoire sans le moindre remord.
Voilà qui semble me mettre hors-jeu. Je ferais du baby-sitting, ça me convient tout à fait.
La voix calme et posée de Frédéric se fit alors entendre. Certes, il nétait plus le Maître de Frédérique mais il considérait que toutes les personnes présentes dans la salle à lexception notable de AL avaient lobligation morale de jouer leur rôle dans laffaire. Il ne se priva pas de le faire comprendre à Frédérique.
Tu dois le faire, un point cest tout, acheva-t-il. Tu es impliquée, comme nous tous et ce nest pas ta récente liberté qui peux ten affranchir. Pas plus que ton statut de célibataire. Si besoin, nous pourrons te proposer un partenaire mais je ne doute pas que, tout comme Julie, tu sois disposée à en trouver un par toi-même.
Vexée, Frédérique se retira aussitôt suivie par Julie qui, dun geste, sexcusa pour son amie.
***
Linjonction était directe, elle émanait de Frédéric. Frédérique ne trouva de solution que dans la fuite. Derrière elle, elle entendit Julie qui lappelait. Frédérique paria contre elle-même que son amie mettrait moins de cinq minutes pour lentortiller et la convaincre daccepter la proposition de Frédéric de lui trouver un « cavalier ». Le terme quemploya Julie les fit rire toutes les deux et emporta le morceau.
Cest ainsi que je fus embarqué dans cette histoire rocambolesque.
***
Effrayant !
Cest tout simplement effrayant de voir avec quelle facilité il est possible de soustraire une personne à sa vie et de la plier à une volonté tierce. Sans arme et sans aucune violence, lhomme à la cravate blanche nous a suivis. La peur fut cest du moins ce que je crois le seul moteur de sa disparition. Lorsquil sest vu entouré par les trois couples que Frédérique, Nathalie et Lucile formaient avec Frédéric AL et moi, il est monté dans la voiture et sest laissé emporté vers la fabrique. Durant tout le trajet, agité de tremblements sporadiques, il na pas dit un mot. À larrivée, nous avons dû le porter jusquà la chaise installée par nos soins au centre du donjon. Toute de noir vêtue, Fanny attendait telle la statue du commandeur. Lhomme se laissa tomber sur le siège et regarda autour de lui, les yeux fous mais incapable de réagir. Aucun de nous ne leva la main sur lui, nous nous contentions de le regarder en silence jusquà lintervention de Frédéric.
Pas la peine de vous dire pourquoi vous êtes ici, je suppose que vous lavez compris. Face à vous se tient Fanny, que vous avez blessée, physiquement autant que moralement, alors que vous aviez, tacitement, promis de veiller sur sa santé. Vous laviez louée, ce qui signifie quau même titre quune automobile, vous deviez la rendre en bon état. Au même titre quun loueur de voiture, jexige réparation. Cependant, Fanny nest pas une voiture mais un être humain : elle pense, elle parle et elle agit. Cest donc à elle que revient la difficile fonction de vous châtier. Je ne doute pas quelle le fasse avec autant de cruauté que vous en avez montré.
À la fin du discours, Fanny fit un pas vers lhomme tout en lui dévoilant le gigantesque paddle quelle tenait à la main. Dinstinct, lhomme recula sur son siège. Aucun de nous ne bougea. « Jai de largent » murmura-t-il. Fanny fit un second pas vers lui et leva le paddle quelle tapota sur sa main gauche. Lhomme parla plus fort et répéta la même phrase. Encore un pas, lhomme se recroquevilla sur son siège. Cette fois-ci, son ton était larmoyant. Fanny le contempla, le sourire quelle portait au coin des lèvres sélargit. Elle jeta le paddle au sol afin quil atterrisse dans la flaque qui se formait sous la chaise. Lhomme sétait pissé dessus. Fanny était vengée. Elle le prit par le bras et nous les suivîmes en silence. Elle le guida jusquau portail où elle labandonna sans un mot, sans le moindre geste de mépris, lui et son pantalon souillé, à lardent soleil du mois daoût.
41
Ma participation, si modeste fut-elle au napping et à lhumiliation de « cravate blanche » me fit demblée entrer dans le groupe de la fabrique en tant que membre à part entière. Cependant, je ne my sentis pas à mon aise, du moins pas autant que je lavais espéré. Pourtant, Frédérique ne me battait plus froid et jéprouvai beaucoup de plaisir à converser avec elle. Quant à Julie, elle me conta, par épisode, lhistorique, la vie de tout ce petit monde avec force détails, reprenant son récit chaque fois que Frédérique sabandonnait au silence. Les deux autres couples et Fanny sétaient retirés vers des lieux plus intimes, il fallait bien que quelquun soccupât de moi. Laprès-midi fut dailleurs charmante puisque je la passais en compagnie de ces deux beautés dont je pus me repaître à satiété.
Vers vingt heures, la fabrique reprit vie. Frédéric et Lucile sortirent les premiers de leur cachette, suivis de peu par Fanny quelque peu contrariée de se trouver dehors. « Sortie non désirée » murmura Frédérique à loreille de Julie qui acquiesça. « Il a raison, il faut quelle se frotte au monde. Moi en revanche, je nai plus ce genre de contrainte, je vais rentrer
»
À peine avait-elle fini sa phrase que Franck déboula, poussant le landau de Gé. Fier comme Artaban, il appela sa mère dont le visage séclaira. Elle ouvrit les bras et l se jeta dedans. Sil est une vision qui mémeut chaque fois, cest bien celle dun dans les bras de sa mère dautant que javais eu loccasion de voir la tristesse se peindre sur le visage du gamin quelques jours auparavant. Ce tableau ne fit que renforcer en moi les sentiments naissants que jéprouvais pour Frédérique. Cela eu lautre avantage de retenir Frédérique dans la cour.
En un rien de temps, table fut dressée sur laquelle sétalèrent des bouteilles et diverses victuailles apéritives. Je déclinai loffre dun whisky pour me rabattre sur lanis. Comme je navais pas dormi, je le dosai au minimum de crainte de me laisser aller sous lemprise de lalcool et perdre ainsi le bénéfice de ma participation aux turpitudes du groupe.
Je navais pas dormi mais je nétais vraisemblablement pas le seul. Lucile et Frédéric sétaient occupés de Franck et Gé tandis que Nathalie et AL furent trahis par leurs yeux fatigués. Dès que tous furent réunis, Frédéric lança le débat crucial à cette heure pour savoir où jallais loger. Jarguais de lexistence de logement réservés aux invités mais Frédéric me contra en affirmant que je nétais plus un invité mais un membre de la communauté, le regard pesamment posé sur Frédérique. Celle-ci fit mine de ne rien voir mais Julie veillait et dune petite voix que japprendrais à bien connaître certifia quil y aurait de la place chez elles puisquelle-même ne dormait pas ici. Face à lapprobation populaire, Frédérique ne put que sincliner. Le second sujet abordé fut la soirée projetée pour fêter la fin du mois daoût et la rentrée des classes. Je nécoutais que dune oreille distraite puisque jallais passer la nuit à quelques mètres delle et que rien dautre nimportait.
***
Nous avions déjà discuté, Frédérique et moi, du plan de Frédéric concernant lavenir de son ex soumise. Elle mavait dit tout le mal quelle en pensait et, très sincèrement, je comprenais ses arguments. Néanmoins, je ne baissais pas les bras. Dailleurs, je le lui avais dit le plus simplement du monde : « Je nai aucun besoin de laide de Frédéric dans cette histoire et, comme vous, dune certaine manière, elle me dérange. Je ne veux pas de vous contrainte et e, je veux de vous libre et sereine. Pour tout dire, nos contacts sur le net ont éveillé en moi des sentiments qui ne se sont pas démentis lors de notre rencontre même si celle-ci ne sest pas déroulée dans des conditions quon pourrait qualifier de « normales » et depuis ils nont fait que se rendre plus présents. Jespère ne pas vous contrarier en affirmant que je ferais tout pour quils éveillent en vous un écho positif. »
Frédérique navait rien répondu et justement parce quelle navait pas refusé que je poursuive mes assiduités, je continuais à être présent tout en conservant une certaine distance.
Mais ce soir-là, Frédérique se montra pugnace. Dès que nous fûmes seuls, elle attaqua :
Vous savez que sur les dix personnes présentes ce soir, six au moins rêvent que nous passions notre nuit à baiser ? Je ne suis pas lune dentre elles.
Je ne pus mempêcher de sourire en lui répondant.
Votre compte nest pas bon, nous sommes sept à faire ce rêve. Néanmoins, pour ce qui me concerne, je dois déclarer forfait : une nuit blanche, cest tout ce que je peux supporter, cette nuit, je dois dormir et ne faire que ça. Dans dautres circonstances, croyez-le, la perspective maurait enchantée.
Frédérique me lança un regard noir et tourna les talons. Cependant, après quelques pas, elle se ravisa.
Je ne vous lai jamais dit mais jai beaucoup apprécié notre rencontre « anormale ». Si Frédéric ne sétait pas mis en tête cette idée stupide de me caser dans vos bras, je me serai certainement tournée vers vous. Le hic, cest cela, pas autre chose. Je suis désolée pour vous et pour moi aussi, il faut bien lavouer car je suis persuadée que vous auriez été un amant et un Maître attentionné. Mais cette fois, je ne peux pas lui permettre de gagner. Je me suis séparée de lui, je ne peux pas choisir son « dauphin », cela naurait aucun sens. Bonne nuit Florian. Ne faites pas trop de rêves.
Sur ces paroles, elle séloigna. Jeus limpression quelle disparaissait.
***
Les jours suivants furent tristes et sans grand intérêt, jusquau coup de fil de Julie. Elle avait cette petite voix quelle avait employée quelques jours auparavant. Cette petite voix qui signifiait quelle tendait un piège à sa meilleure amie. « Nous faisons, demain, la petite réunion pour fêter la fin du mois daoût et la rentrée des classes, en tant que membre de notre petite communauté, tu te dois dy participer mais jai bien limpression que ça tétais complètement sorti de la tête et les autres en sont aussi sûrs que moi. » Jacceptais son invitation en appuyant sur le « vous » dont je la gratifiais. « Quant au vouvoiement, reprit-elle, mets-le dans ta poche, il a une signification particulière ici. Si jai un conseil à te donner, quand tu viendras demain, garde ton vouvoiement pour la seule personne qui importe vraiment pour toi et tutoie toutes les autres. Noublie pas que tu es célibataire et que les filles du groupe ne le sont pas toutes, les vouvoyer serait disons
mal venu désormais. » Elle raccrocha.
Je navais guère prêté attention à cet aspect des choses mais oui, lusage du « vous » était bel et bien codifié au sein de la fabrique : les soumises vouvoyaient leur Maître, les Maîtres vouvoyaient leur soumise quand ils voulaient quelles endossent leur rôle ou quils voulaient être obéis sans discussion mais tutoyaient systématiquement toutes les autres. Ce nétait pas un jeu très subtil mais il ne fallait surtout pas commettre dimpair. Si javais bien compris le message de Julie, je ne devais plus vouvoyer que Frédérique afin de lobliger à me rendre la pareille. Ainsi, elle serait en état dinfériorité par rapport aux autres et surtout face à moi. Je souris pour la première fois depuis des jours et me mis à attendre patiemment le lendemain.
***
À peine eus-je mis le pied à terre que je compris que je nétais pas vraiment attendu. Frédéric, Lucile, AL, Nathalie, et surtout Frédérique se lancèrent des regards étonnés pour savoir lequel dentre eux mavait informé. Je nen fus pas moins bien accueilli mais la curiosité des convives était palpable. Naturellement, je ne dis pas mot de la conversation que javais eu avec Julie, préférant de beaucoup quelle révélât elle-même son rôle dans cette histoire. Moment damusement personnel : je vis Frédéric nier dun geste sans ambiguïté être responsable de ma présence face au regard courroucé de son ancienne compagne. Je remarquais également que les filles arboraient leur collier muni de laisse exception faite de Julie qui portait un tour de cou chatoyant de couleurs, uvre dune bijouterie péruvienne et naturellement Frédérique dont le cou était nu.
ça me fait plaisir de te voir me dit Frédéric en me prenant par le cou. Quand jai dit lautre jour que tu faisais partie de la famille, je ne rigolais pas. Mais je nai pas voulu intervenir et te prévenir pour aujourdhui. Je suis content que quelquun lait fait mais je connais ma Frédérique, elle doit bouillir rien que parce que tu es là. Maintenant je te laisse, si notre conversation dure trop, elle va croire que nous fomentons un mauvais coup.
Je laccompagnais tout de même pour saluer Lucile qui lattendait, immobile, là où il lavait laissée pour me rejoindre. La jeune femme sagenouilla et me baisa un pied, je la remerciais dune caresse sur la joue et lui demandait de ses nouvelles. Après sêtre tournée vers son Maître, elle me répondit gentiment en me tutoyant tout comme je lavais fait pour elle. À sa suite, je croisais Fanny qui me traita comme Lucile lavait fait et parla suffisamment fort pour être entendue de Frédérique qui sapprochait de moi sans en avoir lair. Du coup, je méloignais pour rejoindre AL. Il était seul, Nathalie était dieu-sait-où. Nous discutâmes un instant, le temps que Nathalie réapparaisse, le torse nu au-dessus de sa jupe quasiment transparente. Dun geste je bloquais son intention de me baiser le pied.
Je te remercie de ton attention lui dis-je en lui caressant la joue comme aux deux autres, mais je ne suis le Maître de personne et tant que cela sera, je ne mériterai pas cette distinction. Jaurais dû le signaler à tes consurs, je compte sur toi pour le leur dire.
AL me sourit et mentraîna un peu à lécart pour me parler. Ce quil avait à me dire navait rien à voir avec ma situation mais ne manquait pas dintérêt.
Jai visité Amiens ces derniers jours et je nai décelé aucun mouvement nocturne. En revanche, les temps de repas se sont considérablement réduits. Je crois que notre homme est sonné, je veux dire K.O. Ce matin, jai sonné à sa porte quelques minutes après son départ. Personne nest venu mouvrir mais jai pourtant dû surprendre quelquun parce que ça a fait un sacré barouf dans la maison. Si tu as un peu de temps dans les jours à venir, jaimerais bien éclaircir ce mystère avec toi. Mais il ne faut en parler à personne et surtout pas ici, je ne veux pas que Nathalie lapprenne et encore moins Frédéric ou Fanny. Je soupçonne ce salopard de séquestrer quelquun, si nous en parlons, jai peur de réveiller le flic chez Nathalie, le trauma chez Fanny et la colère de Frédéric. Cette affaire a fait suffisamment de bruit dans la fabrique, réglons-la ensemble. Il sera bien temps de tirer les sonnettes quand nous aurons une certitude.
Je donnais à AL mon accord de principe et me tournais vers Julie qui sapprochait dangereusement.
Salut Julie, comment vas-tu dis-je en la prenant dans mes bras. Jétais vraiment heureux de la voir car malgré lamicale assurance de Frédérique et la confiance quAL venait de me démontrer, elle était ma meilleure amie au sein du groupe. Je lembrassais comme du bon pain.
Que deffusions mon cher, si les autres avaient encore des doutes sur la raison de ta présence, je crois quils nen ont plus. Mais ça na aucune importance, moi aussi je suis contente de te voir. Et ce qui me met en joie cest que je ne suis pas la seule : notre belle Frédérique a beau prendre son air le plus revêche, je peux te dire quelle nest pas mécontente que tu sois là. Ça fait deux bonnes journées quelle narrête pas de se demander si tu viendras ? Maintenant, elle a sa réponse et je parierais bien tout ce que jai sur le fait quelle brûle que tu viennes lui parler.
Faisons la languir encore un peu. Il parait quun soupçon de frustration et un brin de jalousie ne nuisent pas quand on cherche à gagner un cur. En plus, jadore ton collier. Inkaikos* ?
Tu les connais ?
Létonnement de Julie nétait pas feint. Il est vrai quhormis les grands noms de la bijouterie, rares sont les hommes qui sintéressent à lorfèvrerie surtout maintenant quon trouve des bijoux en grande surface.
Je les connais tout à fait par accident, ils viennent chaque année à la foire de Paris et jai été fasciné par leurs créations.
Eh bien moi je ne connaissais pas du tout. Cest mon docteur qui ma offert ce collier dit-elle en baissant la voix. Cest quand même plus seyant quun tour de cou en cuir avec un anneau
Ça na pas la même signification répondis-je en riant de sa sortie.
Pas sûr, pas sûr
glissa-t-elle sur un ton énigmatique. Mon petit docteur a des tendances. Et je te prie de croire que ça ne me déplaît pas. Je
Allait-elle me dévoiler des histoires coquines, je ne le saurais sans doute jamais. Frédérique nous interrompit.
Je croyais que tu avais déjà un amoureux, tu commences une collection ?
Sadressant à Julie, la question de Frédérique se voulait taquine mais un rien de trouble dans la voix laissait percer ce brin de jalousie que jappelais tant de mes vux. Julie ne se démonta pas et répondit sur le même ton.
Tu sais bien que je naime pas voir les hommes désuvrés mais si tu le prends en charge, ça me va. Je te labandonne de bon cur dautant que mon chéri arrive.
De fait, le bon docteur arrivait. Javais fait sa connaissance à loccasion de la chasse à la « cravate » pour laquelle il avait assuré deux nuits de surveillance en compagnie de Julie sans pour autant prendre part à lassaut final et encore moins à lestocade. Ce qui faisait tout de même de lui notre complice bien quà une moindre échelle que les autres participants. Julie se lova dans ses bras et lentraîna plus loin en lui murmurant, assez fort pour être entendue de nous : « Viens dire bonjour petit coquin, laissons les tourtereaux faire leur ronde
»
***
Frédérique rougit. Juste assez pour que sa peau rosisse sous le hâle estival. Quant à moi, ma gorge sassécha et jaurai donné tout lor du monde pour un verre deau.
Où est Franck ? réussis-je tout de même à articuler.
Oooh ! Il est chez des amis. Certaines soirées, chez nous, sont interdites aux moins de vingt et un ans. Lorsque les filles portent leur collier
Oui ! Je me doute de la tournure que cela peut prendre.
La salive revenait dans ma bouche selon la formule consacrée. Un collier. Jaurais tellement aimé que Frédérique portât le mien
sans réfléchir, je le lui avouai. De nouveau elle rougit. Plus franchement cette fois. Ce qui ne lempêcha pas de contre attaquer.
Cest beaucoup dhonneur que vous me faites mais jai le cou irrité ces derniers temps. Vous voyez bien
que je ne porte rien.
Elle avait hésité. Une demie seconde tout au plus. Assez, cependant, pour que je men rendisse compte. Mais que cachait cette hésitation, jétais bien en peine de le dire. Avait-elle voulu utiliser mon prénom avant dy renoncer pour cause de familiarité ou au contraire sétait-elle retenue duser dune appellation plus respectueuse qui aurait marqué un premier pas vers lacceptation de ce fameux collier ? À défaut davoir une réponse, javançais à mon tour un pion.
Je comprends ! La marque du précédent est encore vivace. Cest normal. Et ce nest pas le genre dobjet quon échange comme sil sagissait dune chemise ou dun sac à main. Mais quand le cou est fait pour en porter, tôt ou tard il exige dêtre ceint.
Le trouble se peignit dans le regard de Frédérique. Un instant elle resta silencieuse puis, comme si elle avait pris la décision de dire la vérité, elle avoua.
Je ne le sais que trop.
Jallais intervenir, la pousser à parler lorsquelle reprit sa confession.
Il ny a pas si longtemps que ça, Frédéric a disparu. Il sest évaporé dans la nature. Les jours passaient et il ne donnait aucune nouvelle. Jai contacté les flics, fait et refait son trajet mais rien ny a fait. On ne le retrouvait pas. Je lai cru mort, enterré je ne sais où. Pendant des mois jai déprimé. Sans Julie, je ne sais pas ce que je serais devenue. Et puis un jour, je me suis mise à penser que tout ça cétait ma faute. Jai éprouvé le besoin dêtre punie, encore et encore. Sur internet, jai choisi les plus salaces de tous les dominants pour quils me salissent, quils mavilissent jusquà ce quenfin jai expié la faute que je croyais avoir commise. Heureusement, Frédéric est revenu sinon, je ne sais pas ce que je serais devenue. Une paillasse, sans doute, uniquement bonne à se faire insulter pendant quon la grimpe. Une chose est sûre, cest que je sais ce que signifie lappel du collier. Je lai vécu et je sais que je le revivrai. Mais en attendant ce jour, je nai envie que de faire lamour. À la vanille comme ils disent dans les livres. Je naime pas la vanille. Je préfère les fraises.
Frédérique me prit par la main et mentraîna chez elle. Là, sur son lit, nous nous sommes blottis lun contre lautre, ses fesses contre mon ventre mes bras autour du sien. Et nous avons dormi. Elle, sans doute parce que me raconter cette tranche de vie lavait épuisée. Moi parce que je venais de gagner le gros lot au jeu de la vie.
Épilogue
Frédérique et moi nous sommes mariés le 13 septembre 2013 à la mairie de la Chapelle aux pots, dans lOise. Nous nous connaissions depuis un peu plus de deux ans. Ce même jour, le maire du village célébra deux autres noces : celles de Nathalie et Adémar-Louis et celles de Lucile et Frédéric. Les trois mariées avaient les mêmes témoins : Fanny et Julie. Les mariés, quant à eux, témoignèrent les uns pour les autres. Dans lassistance, il y avait deux médecins qui nallaient pas tarder à devenir nos voisins.
Nous vivons tous à la fabrique.
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