0210 Balade À Cheval
Lorsque nous arrivons à la pension pour chevaux, nous retrouvons Charlène à lécurie. Elle est en train de nettoyer un box.
« Ah, vous êtes déjà là ? » elle nous lance, en nous voyant arriver, tout en continuant à charger du fumier dans une brouette.
« Ça cest de laccueil, on se sent vraiment bien reçus ! » se marre mon bobrun.
« Je suis à la bourre ce matin
» elle nous explique, entre deux éclats de ce rire franc et sonore qui est le sien et qui a gardé quelque chose din.
Elle pose sa fourche et vient nous faire la bise.
« Mais il est quelle heure, au fait ? ».
« Il est près de 9 heures » fait Jérém.
« Ah ! Les autres ne vont pas tarder à arriver. Et moi jai encore deux box à faire ».
« Je taide ? » propose direct Jérém.
« Tu serais un ange ».
« Tu sais bien que jen suis un ».
« Il faut le dire vite ».
« Vieille peau ! ».
« Petit con ! ».
Sans attendre, le bogoss att une deuxième fourche, il rentre dans le box juste à côté et commence à sortir le fumier dans le couloir.
« Je peux faire quelque chose moi aussi ? ».
« Tu peux attr la brouette de Charlène et aller la vider sur le tas derrière lécurie. Ça lui évitera des efforts. Mamie doit ménager ses vieux os si elle veut faire la balade » fait Jérém, taquin.
« Eh, je tai entendu, petit morveux ! Mamie est encore capable de te mettre une bonne raclée ! ».
« Je cours plus vite que toi ».
« Je ten foutrais ».
« Moi aussi je taime ».
« Cest ça
».
Jadore leurs taquineries incessantes. Je ressens de la part de Charlène une profonde bienveillance et un amour presque maternel à légard de mon bel étalon brun, tout comme jai limpression de percevoir de la part de ce dernier une très forte affection, couplée dun profond respect à légard de celle quil vient de traiter de « mamie ». Il y a entre eux un rapport qui est à la fois celui dune mère et dun , mais avec la parfaite complicité de deux potes.
Je ramène plusieurs brouettes de fumier sur le grand tas à larrière de lécurie. Au départ, les relents me piquent les narines. Mais je me fais assez vite aux odeurs de la campagne, de la nature, de la vie. Aussi, tout paraît beau, lorsquon est amoureux et que le gars quon aime est à quelques mètres de vous.
Le temps que Charlène termine son box, le bobrun a vidé les deux autres.
« Ah oui, en effet
» fait Charlène, en nage et avec le souffle coupé « et tas même pas lair davoir . Cest clair que ça, ça tautorise à me traiter de vieille, oui
»
« Cest toi qui mas tout appris. Et puis je suis fatigué à mort » fait le bogoss en feignant de devoir sappuyer au mur pour ne pas tomber.
« Jadore quand tu mens pour me faire plaisir ».
« Au fait, tu aurais des boots en rabe à prêter à Nico ? ».
« Je vais voir ce que je peux trouver. Allez, je vais aller faire couler le café ».
« Jen fume une et jarrive ».
« Tu devrais arrêter ta connerie de clope ».
« Jessaie » fait-il en indiquant le patch sur son biceps.
« Tu ne dois pas essayer, tu dois réussir, je sais que tu en es capable ».
« Je te promets que je vais arrêter ».
Définitivement, Charlène, a beaucoup demprise sur mon Jérém. Certes, le bogoss se permet de la taquiner : mais lorsque la discussion devient sérieuse, il ne la ramène pas longtemps. Face à Charlène, létalon Jérém redevient poulain tout doux.
Jérém vient de finir sa cigarette, lorsquun quatre-quatre traînant un gros van rentre dans la cour du centre équestre.
Un homme dune soixantaine dannée, avec une barbe poivre et sel, ainsi quune femme, dans la même tranche dâge, toute menue et très stylée, viennent à notre rencontre.
« Bonjour Jérémie, comment tu vas ? » fait le monsieur, tout en serrant mon bobrun très fort contre lui et en lui claquant la bise.
« Je vais bien. Et vous deux ? ».
« Ça va, ça va. Ça fait plaisir de te revoir ».
« Moi aussi, ça me fait plaisir ».
« Tu nous as manqué ».
« Vous aussi. Jaurais voulu venir plus souvent ».
« Mais il y avait le tournoi de rugby » fait le monsieur.
« Oui, cest ça ».
« Que tas gagné ».
« Oui ».
« Il ne devait pas y avoir que le rugby qui le retenait à Toulouse. Il devait y avoir aussi des nanas » se marre la petite dame.
« Aussi
» fait Jérém.
« Au fait, félicitations pour ton recrutement parisien » fait le monsieur.
« Merci ».
« Tu nous as fait peur avec ton accident » fait la petite dame avec une voix de petite fille.
« Je suis là » fait le bobrun, sur un ton rassurant.
« Tu fais gaffe à lavenir, promis ? » fait le monsieur, en mettant une tape affectueuse dans le dos de mon bobrun.
« Oui promis. Au fait, voici Nico, un camarade du lycée. Voici Jean-Paul et Carine ».
« Enchanté, Nico ! » fait le charmant monsieur, en prenant ma main entre les deux siennes.
« Nico va monter à cheval avec nous aujourdhui ».
« Tu montes à cheval ? » fait la petite dame, lair étonné.
« Cest la première fois
».
« Cest bien, il faut oser se lancer » fait Jean-Paul « allez, nous allons débarquer les chevaux ».
« Ce sont des gens adorables » me lance discrètement Jérém dès que le couple sest éloigné de quelques pas « ce mec est un véritable philosophe, il connaît tout. Tu passes une soirée à discuter avec lui, et tas limpression que tout est plus clair. Et en plus, il est drôle. Elle aussi peut être très drôle. Elle a son petit caractère Si elle nest pas daccord avec toi, elle ne lâche rien, elle te retourne comme une crêpe. Mais elle fait un flan denfer. Jespère quelle en a prévu pour la soirée
».
« Quelle soirée ? ».
« Ah
je tai pas dit
».
« Non
».
« Ce soir, après la balade, on mange tous ensemble au relais de lasso ».
« Ah
».
« Tinquiète, tout va bien se passer, il ny a que des gens sympa ».
Et ce disant, Jérém mentraîne dans lun des box et membrasse.
Un nouveau bruit de moteur nous signale que dautres cavaliers et dautres chevaux arrivent.
« Allez, on va chercher les chevaux » fait Jérém, en décollant ses lèvres des miennes.
Nous sortons de lécurie, et nous allons dire bonjour aux deux nouveaux cavaliers arrivants.
« Arielle et Nadine
Nico
».
Arielle est une dame dune cinquantaine dannée, à la voix fine et douce. Nadine, est une petite blonde qui ne doit pas avoir la trentaine, avec des cheveux très courts et un rire tonitruant et contagieux.
Jérém refait les présentations. Une fois de plus, on me félicite de débuter à cheval.
Charlène vient de réapparaitre et sempresse de dire bonjour à tout le monde. Elle me tend une paire de vieux boots que je passe à la place de mes baskets.
Jérém att deux licols et nous nous acheminons vers les prés. Nous longeons les paddocks, lorsque mon bobrun sarrête soudainement devant un pré au milieu duquel un cheval miniature est en train de paître.
« Bille ! Bille ! Bille ! » il lappelle « Viens ma puce
allez, viens
».
Le cheval miniature, qui porte bien son petit nom, car ses trois dimensions, hauteur, longueur et largeur sont sensiblement équivalentes, lève enfin la tête des touffes dherbe quil est en train de brouter, il met en route ses courtes jambes et rejoint au (petit) galop lentrée du paddock.
Jérém passe entre les fils qui ne sont visiblement pas électrifiés et commence à caresser la crinière de la petite bête. Un sourire in illumine son regard, cest beau à voir. Lanimal semble tout particulièrement apprécier la présence et les attentions de mon bobrun.
« Et alors, tu ne me reconnaissais plus ? Tu as vraiment grossi. Il faut te mettre au régime ».
« Apparemment, vous vous connaissez ».
« Oh, que oui. Elle, cest Bille ».
« Cest un cheval miniature ? ».
« Oui, cest un shetland. Cest le premier cheval sur lequel je suis monté, quand jétais gosse ».
Lorsque jessaie dimaginer mon bel étalon, alors quil nétait quun petit poulain, sur le dos de ce cheval miniature, je ressens un puissant frisson démotion.
Cest bon de lui découvrir, devant ce cheval miniature, ce regard pétillant, comme celui dun gosse, un regard qui me permet de déceler une sorte de nostalgie de son enfance, comme une petite fragilité, mais qui nest pas pour autant une faiblesse. Au contraire, le fait quil soit prêt à montrer et assumer cette fragilité, cest précisément ce qui me fait fondre, et qui me fait dire : mon Jérém est vraiment en train de devenir un homme.
Jai une envie folle de le serrer très fort contre moi et de le couvrir de bisous : hélas, nous sommes à découvert, et on pourrait nous voir.
Ce matin, Unico et Tequila sont rassemblés dans le même pré. Ils nous ont vus arriver de loin et ils semblent nous attendre de pied ferme, alignés le long du fil de clôture. Ils ont lair de trépigner dimpatience, leurs hennissements senchaînent sans discontinuer, comme sils étaient prêts à se battre pour partir en balade avec leur propriétaire.
Jérém me tend un licol et nous rentrons dans le paddock. Je le regarde passer le sien à Unico et jessaie den faire de même avec Tequila. Premier contact avec la masse imposante, avec la puissance de lanimal, cest impressionnant : avec cette masse, avec cette puissance, ils pourraient nous assommer sils le voulaient. Cela rend humble.
Je my prends comme un pied, je narrive pas à boucler la sangle autour du museau. Jérém vient maider ; se sentant protégé des regards par le gabarit des deux animaux, il me claque un bisou sur les lèvres et il me chuchote, en me regardant bien dans les yeux :
« Ça me fait plaisir de monter avec toi aujourdhui ».
« Ça me fait plaisir aussi ».
Nous remontons vers les installations, les chevaux en longe, alors quun ballet incessant de petits camions bétaillère et de vans tractés bat son plein dans la cour du petit centre équestre.
Nous attachons nos montures à un arbre à proximité des box.
« Viens avec moi, nous allons chercher les selles ».
Dès que nous rentrons dans lécurie, je me fais la réflexion que, vraiment, jaime lunivers olfactif autour du cheval, lodeur de la paille, du foin, du bois de la charpente, et des chevaux eux-mêmes. Cest un univers qui a quelque chose dauthentique et de réconfortant.
Jérém est tellement à laise dans ce monde. Et moi, je suis sous le charme de la découverte dune énième facette insoupçonnée de sa personnalité.
Les rayons du soleil sont déjà chauds. Ainsi, de retour à nos chevaux, Jérém se débarrasse de son pull à capuche, dévoilant ses bras, ses biceps, ses tatouages, son cou puissant, les pecs bien suggérés par le coton gris de son t-shirt sans manches.
« Putain, quest-ce que tes sexy avec ce t-shirt ! » je ne peux mempêcher de lui glisser discrètement, alors que je sens à nouveau monter la trique dans mon pantalon de cheval.
Pour toute réponse, le petit con soulève le bas du t-shirt pour sessuyer le front, dévoilant ainsi le bas-relief spectaculaire de ses abdos.
« Il fait chaud
» il me balance, avec un sourire de malade, un sourire coquin à me faire fondre.
« Je vais te coincer quelque part dans les bois ».
« Chiche
» il me nargue.
Quest-ce que jaime notre complicité, et en particulier notre complicité sensuelle !
Jérém me montre comment préparer un cheval pour la balade, comment le brosser, comment demander et prendre les pieds pour les nettoyer. Définitivement, jaime bien les sensations autour du cheval : lodeur du pelage, du cuir des selles et des harnachements ; mais aussi les bruits, les ébrouements dimpatience de lanimal, le bruit sourd du sabot ferré sur le sol, le froissement de la brosse sur le pelage, les crissements du cuir.
Jérém est en train de mettre la selle sur le dos dUnico. Je le regarde passer le mors dans la bouche, poser les rênes sur lencolure. Ses gestes sont précis, aisés, et ils dégagent un quelque chose dancestral et de délicieusement viril.
Jessaie de répéter ses gestes à lidentique, mais les miens sont aussi gauches que les siens sont assurés. Jessaie de mappliquer, et pourtant je réussis à mettre le licol des rênes en vrac.
Jérém me fait remarquer ma connerie, je tente de corriger le tir, jouvre une lanière, mais pas la bonne. Du coin de lil, je vois mon bobrun se marrer.
« Te marre pas ! ».
« Attends, je te montre ».
Et ce disant, il se positionne dans mon dos, il att les rênes et mes mains avec, il guide mes gestes. Je sens son paquet se presser contre mes fesses et, au travers des deux tissus élastiques de nos pantalons déquitation, je lui découvre un début dérection qui me ravit.
« Tu bandes
».
« Je ne sais pas comment je vais tenir jusquà ce soir
» il admet, alors que son souffle brûlant caresse mon cou.
« Tas envie de quoi ? ».
« Tu le sais bien
».
« Dis-moi
».
« Jai envie de gicler dans ton petit cul ».
« Très envie ? ».
« Tu peux pas savoir
».
« Quest-ce que je kiffe te lentendre dire ».
« Tu vas kiffer encore plus quand je vais te le faire ».
« Ça cest clair
».
Le licol de Tequila enfin bouclé, nos bassins séloignent. Nos pantalons déquitation ont du mal à dissimuler nos érections. Jérém allume une clope, je tente de faire pipi un peu plus loin. Nous avons tout juste le temps de laisser retomber nos ardeurs que nous sommes débordés par une arrivée massive de chevaux et de cavaliers.
Partout, ça selle, ça discute, ça rigole. Arielle est là, avec sa jument Canelle, Nadine, avec son hongre Otello, Martine est là aussi, avec sa pouliche Maggie. Carine et Jean-Paul ont terminé dapprêter Tornade et Mojito. Il y a aussi, Marie Line à la longue chevelure brune et son mari Bernard, avec Champion et Caramel, Daniel aux boucles dargent et à lhumour décapant, ainsi que sa copine Lola, avec leurs montures Speed et Paso, ainsi que Bimbo, une petite adorable chienne Jack Russel dont la tête dépasse dun sac à dos que Daniel porte non pas dans le dos mais à lavant.
Il y a aussi Satine, avec son entier Gringo. Satine est un petit bout de femme, avec de grands yeux verts très vifs, la cinquantaine rayonnante, une voix puissante et enjouée malgré sa petite carrure, grande gueule, au demeurant. Satine me scie net lorsquelle balance à mon mec, de but en blanc : « De plus en plus bogoss, le Jérémie
» ; réflexion reprise par Carla (accompagnée par sa jument Philae) : « Si javais 20 ans et 20 kg de moins
». Puis, Satine ne se gêne pas pour lancer à mon Jérém : « Mais regarde ces biceps
», tout en joignant le geste à la parole, en poussant le vice jusquà tâter le muscle rebondi de mon bomâle.
« Espèce de cougar ! » lui lance Carine.
« Quand on pense quon la vu
» fait Ginette, une dame dune soixantaine dannées, pétrie de gentillesse « on a limpression que cétait hier. Et aujourdhui, cest un homme. Ça passe tellement vite. Tes grands-parents vont bien ? Et Maxime ? ».
Ginette a lair vraiment adorable, tout comme son Tulipe, un cheval qui nest plus tout jeune et qui paraît extrêmement calme et posé. Un cheval est souvent le reflet de son cavalier.
Au fil des arrivages, Jérém refait sans cesse les présentations. Charlène débarque enfin avec le café et des madeleines.
« Et voilà, une riche idée » fait Jean-Paul, toujours aussi avenant et de bonne humeur.
Cest Chantal qui fait les présentations des derniers arrivants :
« Jérémie, je ne sais plus si tu mas dit si tu connaissais Loïc et Sylvain
».
« On a dû se croiser une fois » fait mon bobrun.
« Oui, une fois peut-être
» abonde Loïc, en dévorant mon bobrun des yeux.
La moyenne dâge des cavaliers est assez élevée, au-delà de la cinquantaine, ou même plus proche de la soixantaine pour certains (quand on a 18 ans, on se sent facilement entouré de viocs). Nadine, et maintenant Loïc et Sylvain (accompagnés respectivement par la jument Tzigane et par un cheval nommé Forain), sont en effet les seuls cavaliers en dessous de la trentaine.
A la base, ces deux gars minspirent une forme de fascination : cest la première fois que je rencontre un couple gay, et je me pose mille questions sur leur vie à deux, sur le bonheur de sassumer et sur leur choix de safficher au grand jour.
Cependant, quand je regarde ces deux gars, je ne peux mempêcher de repenser aux échanges entre Charlène et Martine au sujet dune rupture difficile qui serait en amont de leur bonheur de couple, et cela mattriste. Quand je pense à ce Florian, lex de Loïc qui, paraît-il, ne vivrait pas bien du tout cette rupture, je ressens un certain malaise. Ça peut paraître con, dans la mesure où ce Florian est pour moi un parfait inconnu, quelquun que je nai même jamais croisé. Et pourtant, cest ainsi.
Mais il y a pour moi un autre source de malaise, plus grande encore : cest celle qui vient du regard que Loïc a posé sur mon bobrun dès le départ, avant même de lui avoir serré la main, comme sil venait dapercevoir un Dieu sur terre. Ce qui est le cas, il faut bien ladmettre, mon Jérém est bel et bien un petit Dieu sur terre. Cependant, le regard de ce mec a le pouvoir de déclencher immédiatement en moi une violente poussée de jalousie et de me mettre illico sur la défensive. Le regard de Sylvain est un peu plus discret, certes, mais lui non plus ne semble pas insensible au charme de mon bel étalon. Bas les pattes, et bas les yeux, les gars, je vous ai à lil !
Est-ce que cest vrai que certains gays savent reconnaître les gars comme eux ? Est-ce que cest le cas de Loïc ? De Sylvain ? Est-ce quils ont compris que nous sommes comme eux ? Quont-ils pensé de mon Jérém, à part que cest une bombasse atomique ? Est-ce quils pourraient « griller notre couverture » ? Et Jérém ? Je crois bien quil a capté le regard aimanté de ce gars, notamment celui de Loïc : quest-ce que ça lui a fait ?
Les rires sonores et contagieux de Charlène et de Nadine me secouent de mes pensées.
« Allez, on est partis ? » fait Daniel, déjà en selle, la petite chienne Bimbo frémissant de la babine dans son sac à dos.
« Oui, on va y aller » lui répond Charlène en montant en selle de son entier, jai nommé Little Black.
Les autres cavaliers enfourchent à leur tour leurs montures. Cest marrant, les cavaliers ont tous le sourire lorsquils sont à cheval.
Jérém et moi restons les pieds sur le sol. Le fait quil renonce à faire la balade avec ses potes, parce quil sinquiète pour moi, parce quil veut être avec moi, ça me touche au plus haut point. Cest adorable.
« Allez, bonne balade » fait Jérém « on se retrouve sur les bords de lAdour, comme dhab
».
« Bonne balade à vous, et prends soin de ton pote
» lance Martine, en partant derrière les autres.
« Tinquiète, je tiens à le ramener entier ».
« Vous allez arriver pour manger quand on aura fini la sieste » elle se marre.
« Cest pas grave, on les attendra » assène Jean-Paul, avec son humour tout en finesse « cest pas comme si on était pressés. Il fait beau, on fait une petite boucle. Et puis, jai toujours entendu les anciens dire que le pas est lallure reine de la balade ».
Jadore la capacité de ce monsieur de nous faire profiter de son expérience, et de sa sagesse, de la plus efficace des façon, cest à dire avec lhumour.
« Cest gentil de faire ça pour moi » je lance discrètement à mon bobrun.
« Je nallais quand même pas te laisser tout seul pendant que je montais à cheval » fait-il, tout en sallumant une clope « et encore moins te lancer au milieu de 15 cavaliers expérimentés. Ce matin, on va faire une mise en selle tranquille. Je vais te faire un petit cours déquitation en accéléré ».
« Dabord, il faut savoir que le cheval est un animal très intelligent, et très sensible. Et, surtout, très puissant, bien plus puissant que nimporte quel cavalier. On ne domine pas le cheval, on lapprivoise, on gagne sa confiance. Pour quil nous fasse confiance, il faut avoir confiance en soi. Si tu as peur, il ne sera pas rassuré non plus. Certains chevaux vicieux, testent en permanence leur cavalier. Et dès quils sentent la peur, ils peuvent devenir très dangereux
».
« Ah bon ??? »
« Mais je te rassure, ce nest pas le cas de Tequila, car elle est adorable. Quoi quil en soit, tu dois amener le cheval à te respecter. Et pour cela, il faut commencer par le respecter ».
Jérém monte sur son Unico et enchaîne avec quelques explications sur les façons de monter en selle, de se tenir sur lanimal, sur la position du dos, de la tête, des jambes, des pieds, des talons, des bras, des mains, des rênes, sur la pression à exercer sur la bouche, sur les flancs, sans surprendre la bête ou lui faire mal ; sur les « commandes », les mouvements à faire et les mots à dire pour faire avancer le cheval, et, surtout, pour larrêter, sur la nécessité de guetter les dangers (bruits inattendus, présence de gibier qui pourrait perturber le cheval et provoquer des réactions de peur), et sur la nécessité danticiper les réactions du cheval. Jai limpression de refaire des cours de conduite, mais avec un véhicule à quatre sabots au lieu de quatre roues, avec des commandes moins réactives, et avec Jérém à la place de Julien en tant que moniteur. Je suis gâté.
Jessaie découter et de mémoriser chacun de ses mots, tâche rendue difficile par le grand nombre de points à retenir, par des nombreuses variables impossibles à combiner de façon purement cartésienne, par des inconnues et des impondérables, lanimal pouvant se révéler imprévisible et possédant une certaine marge daction, indépendamment des harnachements et de la volonté de son cavalier.
Mais si écouter les explications de Jérém nest pas vraiment une tâche aisée, ce nest pas seulement à cause du très grand nombre de points à retenir. Le fait est que le bogoss, installé sur son étalon, est sexy à mourir.
Les jambes légèrement écartées, épousant la forme du cheval, le bassin en avant, le dos droit comme un « I » et légèrement penché en arrière, les mains tenant les rênes avec fermeté et douceur à la fois. En selle sur son Unico, mon bobrun dégage une nouvelle assurance, dans la maîtrise de lanimal, une sorte de virilité brute qui me fait craquer.
Et puis, il y a ce putain de t-shirt gris sans manches, ce petit bout de coton qui dénude les biceps dune façon tout simplement scandaleuse. Et comme si cela nétait pas suffisant pour me donner toute sorte didées lubriques, le vent sy met à son tour : sous leffet des rafales, le coton léger se colle à ses pecs, à ses abdos, fait ressortir des tétons, moule sans pitié le moindre muscle de son torse.
Mais la malice ne sarrête pas là : le vent pousse le vice jusquà soulever le bas du t-shirt, me laissant entrevoir son nombril et le début de la petite ligne de poils qui court vers son sexe. Détail anatomique bien trop fugacement aperçu, mais en même temps si délicieux, justement parce que fugace. Vision magnifique, magique, je ne sais pas comment je tiens bon, comment jarrive à ne pas lui sauter dessus, là, tout de suite. Probablement à cause du fait quil est en selle sur son étalon, et que ce nest pas techniquement possible
Le fait est quau-delà de sa sexytude brûlante, il y a chez ce Jérém « de Campan » autre chose qui le rend à mes yeux insupportablement craquant, quelque chose qui me saute aux yeux comme une évidence lorsque je le regarde sur son Unico. Le Jérém de Campan, est très différent du Jérém de Toulouse. Certes, il y a eu laccident, et cela a pu contribuer à changer son état desprit par rapport à lépoque de nos révisions.
Et pourtant, ce Jérém « de Campan », existe bien dans les souvenirs des autres cavaliers, donc il existait avant laccident. Cest comme sil y avait deux Jérém, celui de la ville, et celui de la montagne. Comme si lenvironnement avait le pouvoir de faire ressortir lune ou lautre de ses personnalités. Comme si la montagne, en lui rappelant ses origines, avait le pouvoir de le rapprocher des choses importantes dont la ville aurait tendance à le détourner.
Le Jérém de Campan, ce nest plus du tout le même (petit con) quà Toulouse ; dans cet environnement sain et authentique, idéal pour se ressourcer dans le sens de pouvoir revenir à ses sources et, de là, prendre un nouveau départ mon Jérém semble sapaiser, mûrir, assumer ses sentiments, ses envies, ses faiblesses, sa pilosité.
Dans ce village loin du bruit de la ville, le « petit con » Jérém devient homme, un homme qui a encore gagné en sensualité. Jérém sur son Unico, on dirait un étalon sur un autre étalon. Quest-ce que je suis fou de lui, et quest-ce que jai envie de lui !
Jérém termine ses recommandations et sa clope au même moment. Il redescend de cheval, il re-sangle son étalon et ma jument, il me fait un bisou, et il me balance :
« Maintenant tu vas monter ! ».
Soudainement, je stresse.
« Déjà ? ».
« Oui, sinon on va arriver au lieu du bivouac à Noël, pas à midi ! ».
« Ok, ok
».
« Prends ça » fait-il, en me tendant une bombe déquitation.
« Cest ta bombe ? ».
« Oui, mais je nen ai pas besoin ».
« Tous les cavaliers avaient une bombe » jinsiste.
« Je préfère que tu la gardes ».
« Cest rassurant
».
« Il ne va rien tarriver. Cest juste au cas où ».
« Et toi, tu montes sans ? ».
« Je ne tombe pas, moi. Allez, dépêche ! ».
Jinstalle la bombe sur ma tête, je serre la sangle sous le menton et je suis prêt. Et alors que Jérém tient Tequila par le licol, je passe un pied dans létrier, je saisis fermement les rênes et la crinière, je mélance, je passe la jambe droite de lautre côté de la selle. Dans un bruit de cuir froissé, je minstalle à mon poste de cavalier, et je passe le deuxième étrier. Je vis cela comme une première petite victoire.
Sur le dos de Téquila, je me sens bien, la selle est grande et confortable, lanimal calme et apaisant. Sil y a un premier enseignement à tirer du fait de monter à cheval, cest que le monde na pas du tout la même allure lorsquon prend ne serait-ce quun mètre de hauteur.
« Comment tu te sens ? » me demande Jérém.
« Jai un peu peur, mais je me sens bien ».
« Tu dois te mettre à lécoute de ta jument, tu dois arriver à lui faire confiance, à faire un seul avec elle ».
« Facile à dire ».
« Je vais te montrer ».
Jai un peu peur, certes, mais limpatience de découvrir le monde du cheval avec mon Jérém est plus forte que la peur. Jérém remonte sur son étalon.
« Vas-y, fais-la marcher ».
« Et comment ? ».
« Tas pas écouté ce que je tai dit ? ».
« Non, jétais trop occupé à te mater ».
« Pffffff
allez, met un petit coup de talon dans son ventre et dis-lui : Marcher ! ».
« Marcher
Marcher
Marcher
».
Je répète le geste et la formule, et pourtant rien ne se passe. Ça commence bien.
« Sois plus ferme avec le ton de ta voix
Marcher ! ».
« Marcher ! Marcher ! Marcher ! » je tente dimiter mon beau moniteur. Toujours aucune réaction de la part de ma jument.
« Parfois elle est un peu difficile à démarrer ».
« On fait comment, alors ? ».
« Je vais passer devant. Tu vas voir, avec Unico devant, elle va suivre sans problème ».
Et en effet, dès quUnico commence à séloigner, la mère se met à suivre. Nous traversons un pré légèrement en descente, puis nous rentrons dans une sorte de sous-bois traversé par un étroit chemin qui monte de façon assez sévère. Je ne suis pas rassuré, mais je suis.
Je suis sur un cheval pour la première fois de ma vie, et je pars en balade avec le gars que jaime plus que tout. Je narrive pas encore à y croire. Mes narines sont frappées par une intense et agréable senteur de fraîcheur, de végétation et de pluie, de terre, de cuir, de poil. Et la trainée de déo que mon bobrun laisse derrière lui se mélange dans ce bouquet olfactif de bonheur simple mais intense.
Le claquement des sabots ferrés sur le sol résonne dans mes oreilles et dans tout mon corps. Ma peau est surprise par la fraîcheur matinale retrouvée dans ce sous-bois. Mon pull nest pas de trop et jhallucine en regardant mon bobrun dans son t-shirt sans manches, qui na pas du tout lair davoir froid. Et ce dos en V, puissant, musclé. Putain !
« Tout va bien ? » je lentends me lancer, sans se retourner.
« Pour linstant, oui ».
Ma jument suit son jeune étalon de fils, et moi je suis mon bel étalon brun à deux pattes. Oui, tout va bien.
Jérém sur son cheval, de dos, avec cette attitude en équilibre parfait entre le respect et la domination de son étalon, cest bandant à mourir. Je narrive toujours pas à réaliser comment cest possible que je fasse lamour avec ce mec.
Et lorsque quelques minutes plus tard il se retourne, en suspension sur ses étriers, la chaînette sagitant au gré des pas de sa monture par-dessus le coton gris, le désir de son corps me donne le tournis.
« Ça va toujours ? ».
« Jai envie de toi
».
Un petit sourire lubrique illumine alors ses beaux traits masculins.
« Pense à rester en selle » il me mouche « décrispe toi, tiens-toi droit, baisse tes mains, relâche tes rênes, ne lui tire pas sur la bouche, tu lui fais mal ! ».
« Ah pardon
je suis un peu stressé
».
« On est au pas, respire un bon coup, profite du paysage » fait-il, en se remettant correctement en selle.
« Je profite du paysage, oui, de ton dos, de tes bras, de ton t-shirt sans manches
» je le taquine.
« Tu ne penses quà ça ! ».
« Tu es pile devant moi, ce serait compliqué de penser à autre chose
».
« Cest pas faux
».
Puis, après quelques secondes, il me balance :
« Moi aussi
».
« Toi aussi, quoi ? ».
« Ce que tu mas dit
moi aussi. Mais cest pas le moment ».
Lui aussi il a envie de moi. Et quest-ce que cest bon de lui entendre dire. Rien que ce petit échange me fait bander comme un âne.
Dun coup, je me demande pourquoi nous ne sommes pas restés à la maison à faire lamour comme des lapins au lieu de faire cette balade et de nous priver pendant toute une journée du bonheur des sens.
La réponse a ma question me frappe au détour dun chemin, lorsque nous débouchons sur une clairière permettant au regard de balayer un paysage vallonné à couper le souffle.
Je réalise alors que la balade à cheval donne accès à dautres chemins, dautres lieux, presque dautres univers, des mondes parallèles à ceux de la « civilisation » des villes, des routes goudronnées, des voitures, des circuits ordinaires. En partant à cheval, on est très vite dépaysés, on a limpression de quitter la civilisation pour atterrir dans une autre dimension, celle de la nature.
« Cest beau, hein ? » fait mon bobrun, sans quitter le paysage du regard.
« Cest très beau, merci de me faire découvrir ça ».
« Allez, on y va, on a encore du chemin à faire ».
Les nuages cachent le soleil, et mon bobrun vient dôter ses lunettes et de les accrocher dans larrondi du col de son t-shirt.
Nous traversons des régions boisées, dautres plus dégagées ; nous empruntons des chemins qui montent, dautres qui descendent, nous nous faufilons entre les roches affleurantes, entre les branches qui ont poussé de façon anarchique en travers des chemins et à hauteur « dhomme sur sa monture » et qui nous obligent à nous coucher sur lencolure des chevaux pour rester en selle et en un seul morceau. Nous traversons des passages étroits, des clairières, des petits gué.
Dans un pré, un taureau rumine tout seul. Nous voyant approcher, il se lève dun bond. Cest plutôt impressionnant. Mais Tequila, bon soldat, avance sans faire dhistoires, comme un bonhomme bedonnant et jovial, elle me fait penser au bon Casimir. Pom pom pom pom
Quest-ce quelle est bien cette jument !
Pas après pas, jarrive peu à peu à maîtriser ma peur, à faire confiance à ma monture, et à prendre du plaisir à la balade. Tout se passe à merveille et rien ne semble pouvoir perturber notre petit périple.
Du moins jusquà ce que, sans prévenir, un petit grain de sable vienne enrayer cette machinerie bien huilée.
Tout se passe très vite. Unico sarrête net et fait un écart d'anthologie vers la gauche. Quelque chose a dû lui faire peur. Jérém tente de le maîtriser, mais létalon ne veut rien savoir, il a lair paniqué, il se lance au galop.
Jérém tente de larrêter, en vain. Entre mes jambes, je sens Téquila frémir. Je sens quelle va démarrer elle aussi. Je suis tenté de déchausser les étriers, et de descendre dun bond, mais je nai pas le temps.
Téquila accélère avec la poussée dun avion supersonique, jai limpression quelle pète le mur du son en moins dune seconde.
Me voilà lancé au galop, allure que je navais pas du tout prévu dadopter lors de mon baptême à cheval. Dans ma tête, tout se bouscule : maccrocher pour rester en selle, éviter de tomber, essayer darrêter le cheval avant darriver dans un passage étriqué, où elle pourrait marracher une jambe ou un bras ou la tête en passant trop près dun arbre ou dun rocher. Penser à rester vivant.
Mais pourquoi je me suis laissé embarquer là-dedans, pourquoi nous ne sommes pas restés au lit à faire lamour pendant toute la journée ? Cétait si bien, hier, de prendre le temps de se faire du bien.
Dans la panique, jarrive quand même à me souvenir de certains enseignements de Jérém.
« Pour larrêter, tu penches le dos vers larrière, tu serres tes jambes le plus que tu peux, tu tends les rênes sans tirer sur la bouche. Et si tu as peur de tomber, rappelle-toi que ta selle a un pommeau, si tu as peur de tomber, prends appui dessus ».
Je tente de les appliquer, mais rien narrive à arrêter cette folle chevauchée qui semble durer une éternité. Soudain, je vois au loin Jérém sur Unico, à larrêt. Très vite, je réalise que si je narrive pas à arrêter ma jument, je vais faire un accident déquidés. Je risque de me faire mal, je risque de blesser mon Jérém !
Je tente le tout pour tout, je serre encore les jambes, je tire un peu plus (un peu trop) sur les rênes. Mais Tequila continue son galop, la collision approche. Jérém sest retourné, il voit le danger arriver. Mais alors que prie pour quil ait la bonne idée de se serrer pour laisser passer la furie qui me sert de monture, je le vois au contraire se mettre en travers du chemin. 4, 3, 2, 1
impact imminent
Jai tout juste le temps de crier un « JEREM !!!! » à men défoncer les poumons, que Tequila se met à freiner des quatre fers, comme dans les vieux dessins animés. Jai presque limpression de sentir le bruitage typique de Tom et Jerry.
Le brusque changement de vecteur de vitesse me surprend et me déséquilibre violemment, ce qui manque de me faire tomber par-dessus lencolure. Chance du débutant, jarrive à me rattr de justesse en mappuyant à fond sur le fameux pommeau de la selle.
Tequila, quant à elle, termine son sprint en encastrant ses naseaux dans lencolure de son fils, position qui a lavantage de mapprocher de très près de mon bobrun.
« Ça va, Nico ? » il me demande, avec un sourire de malade, à la fois charmeur et doux. Jérém a transpiré, son visage a lair échaudé, il est sexy à mort.
« Ça va, ça va, il faut juste que je retrouve mes esprits ».
« Putain, tu las fait ! » il me félicite.
« Jai fait quoi ? ».
« Ton premier galop ! ».
« Ce nétait pas du tout volontaire ».
« Mais tas tenu en selle ».
« Je me serais bien passé de cette poussée dadrénaline ».
« Arrête, je suis sûr que tas kiffé ».
Jérém a raison : si je mets de côté la peur, ce sprint impromptu a été génial. La sensation de vitesse, les claquements rapides et sonores des sabots, la puissance de lanimal en action, la sensation de léviter au-dessus du sol. Oui, cétait vraiment très bon.
« Oui, un peu ».
« Viens là » fait Jérém, en passant sa main derrière ma nuque, en mattirant à lui et en membrassant.
« Tu mas bluffé, tu tes accroché, et tas rien lâché. Tu ne lâches jamais
jaime ça, chez toi
».
Les mots de Jérém me font chaud au cur. Je sens dans son regard quil est vraiment impressionné par ce qui vient de se passer, quil est fier de moi. Je sens également dans ses mots une sorte décho aux difficultés de la première partie, houleuse, de notre relation, à ces galops sentimentaux que létalon Jérém a piqué à plusieurs reprises, et par lesquels je ne me suis jamais laissé dégoûter.
Jamais comme en cet instant, je me suis senti aussi bien, dans mon cur, dans son regard.
« Ça me fait plaisir que tu me dises ça ».
« Vraiment, tu mas rabattu le clapet ».
« Toi non plus tu tes pas mal débrouillé, Unico ta bien secoué ».
« Il ne mavait encore jamais fait ça ».
« Quest-ce qui sest passé ? ».
« Je crois quil sest fait piquer par quelque chose, et il a dû avoir vraiment mal. Dhabitude jarrive à larrêter facilement. Mais là, il ma fait mouiller le maillot ».
En effet, son t-shirt sans manches présente désormais des marques de transpiration autour du cou et des aisselles.
« Mais quest-ce qui ta pris de te mettre en travers ? Jai eu trop peur de te percuter ».
« Je savais quen voyant lobstacle, elle sarrêterait. Elle naurait jamais percuté son Unico ».
« Merci en tout cas ».
« De rien, de rien » fait-il, tout en passant rapidement sa main dans mes cheveux, avec un geste plein de douceur.
« Et moi qui commençais à me sentir en confiance ».
« Tu sais, le risque zéro nexiste pas à cheval ».
« Cest vrai que la pédale de frein nest pas aussi réactive que sur une voiture ».
« En voiture non plus, le risque zéro nexiste pas ».
« Cest vrai aussi
».
« Jean-Paul te dirait quil faut faire confiance à son cheval, sans jamais baisser la garde ».
« Jaime bien ce type, il a lair sympa ».
« Cest un mec plein de bon sens et dhumour ».
Jérém vient de descendre de son étalon, il pose les rênes sur lencolure, il allume une clope et séloigne un peu. Je descends à mon tour de Téquila, sans quitter mon bobrun des yeux. Je le regarde, les jambes écartées, le dos en arrière, en train de défaire sa braguette. Et alors que je lentends lâcher un jet dru et bruyant dans la végétation, je le vois lever le visage vers le ciel, signe évident de soulagement. Je le mate jusqu'à ce qu'il se secoue sa queue pour faire partir la dernière goutte, avant de refermer sa braguette.
Jérém revient vers son cheval, il monte en selle avec un élan à la fois puissant, léger et souple.
« Allez, on continue, on nest pas encore arrivés ».
Nous empruntons un nouveau petit chemin dans les bois. Les arbres et la végétation nous enveloppent, la lumière du soleil nous arrive filtrée par les cimes, les sons des sabots sur le sol nous parviennent comme ouatés, alors quun silence sépulcral semble régner sur les lieux. Lendroit a quelque chose doppressant, presque sinistre, comme un labyrinthe, et je me sens par la présence dense de ces arbres qui semblent vouloir nous retenir, nous empêcher davancer, nous piéger. Jai limpression dêtre dans une forêt « hantée », davoir été transporté à mon insu dans une autre dimension spatio-temporelle, cest vraiment étonnant comme sensation. Heureusement quil y a le chemin pour nous guider et la présence de mon bobrun pour me rassurer.
Lorsque nous sortons enfin de ce long passage étouffant, je suis heureux et soulagé de retrouver de lair, de lespace et du soleil. Je prends une grande inspiration, et je me sens de suite mieux.
« Ça va ? » il me demande, pour lénième fois.
« Oui très bien, je commence à avoir faim ».
« Cest normal, il va être midi. Et nous avons encore de la route ».
« Midi, cest vrai ? Ça fait plus de deux heures quon se balade, je nai pas vu le temps passer ».
« Moi si
» fait Jérém du tac au tac.
« Petit con ! ».
« Cest pas moi, ça
».
« Même Charlène te traite de petit con ».
Le bogoss sourit sous la moustache.
« Je rigole, Nico. En vrai, je trouve que tas bien de courage de monter sans avoir pris un seul cours. Rien quune balade au pas, cest énorme. En plus, tas même fait un galop. Alors, moi je dis que cest un sans-faute, Monsieur Sabatier. Et merci aussi de me faire confiance ».
Entendre Jérém me féliciter, me fait un bien fou, me met du baume au cur, lentendre mappeler par mon nom de famille, cest une douce mélodie qui me fait vibrer.
Le chemin débouche sur un nouveau point de vue dégagé, offrant une vue majestueuse sur le relief Pyrénéen, sur la vallée et très loin dans la plaine, un point de vue qui nous fait prendre soudainement et pleinement conscience du dénivelé franchi et de leffort produit par nos montures.
Jérém et Unico marquent une pause, Tequila sarrête à son tour, sans aucun effort de ma part, elle se gare pile à côté de son fils. Jérém semble comme happé par ce superbe paysage, et à mon tour je finis par me perdre dans la tentative dembrasser cette immensité du regard, de men imprégner.
Jusquà ce que la voix de mon bobun me tire de cette contemplation.
« Toulouse, cest vers là-bas ».
« Cest beau ! » je commente.
« Oui, cest beau » fait-il, la voix un brin altérée par la clope quil vient de glisser au coin de ses lèvres ; puis, il continue : « jai toujours aimé cet endroit. Plus jeune, je venais ici quand ça n'allait pas. Jy ai passé des heures, allongé dans lherbe ».
« Cest ton refuge, dune certaine manière ».
« Le week-end dernier, javais besoin dêtre seul, et je suis venu ici avec Unico. Jai regardé vers Toulouse et jai décidé de tappeler ».
« Merci la montagne
».
« Tu sais, jai vraiment cru que cétait fini cette nuit-là
» fait Jérém, après une petite pause.
« La nuit où tu tes battu ? ».
« Oui. Pendant que le mec me cognait, jai cru quil continuerait jusquà me . Quand jai tapé la tête contre le mur, juste avant de perdre connaissance, jai vu ma vie défiler, comme dans un film. Et le film se terminait avec un final de merde
».
« Quel final ? ».
« Le regret de tavoir fait mal, de tavoir fait souffrir
parce que
».
« Parce que ? ».
« Parce que tu étais la plus belle chose qui me soit arrivée ».
« Toi aussi tu es la plus belle chose qui me soit arrivée ».
Je suis ému. Jérém aussi. Ma main cherche sa main. Nos doigts sentrelacent.
« Quand je me suis réveillé à lhôpital, cest à toi que jai pensé en premier. Jai réalisé que si jétais parti pour de bon, les derniers souvenirs que taurais gardés de moi auraient été la torgnole que je tavais mis chez toi et le sketch quand on sest croisés sur les boulevards
quand tu étais avec « machin »
et ça ma rendu malade
».
« Je savais que tétais un gars génial, quelquun de bien
» je fais, au bord des larmes.
« Je ne sais pas ».
« Je te dis que oui ».
« Allez, on y va, nous y sommes presque ».
Nous reprenons notre route et, très vite, une jolie ligne droite dégagée se présente devant nous. Unico marche plus vite que Tequila, il prend vite quelques mètres davance. Au fur et à mesure que la distance se creuse, je sens Téquila frémir, comme si elle naspirait quà rejoindre son rejeton.
Alors, à moment, je me dis : tant pis, vas-y, Nico, laisse-toi porter. Tu as survécu à ton premier galop, tu ne vas pas te casser la gueule au deuxième. Je lâche un brin les rênes et, contre toute attente, la grosse jument ne part pas comme un boulet de canon comme tout à lheure, mais prend un petit trot plutôt agréable.
Je suis fier de moi, je commence à dépasser ma peur de la vitesse à cheval. Et justement cette sensation de vitesse, de puissance, de liberté et dharmonie avec la nature, le grand air, lanimal, mon chéri et, par-dessus tout, moi-même est une des sensations les plus enivrantes que je naie jamais connues.
Ladrénaline commence à circuler en moi, elle me donne des frissons. Jamais je nai ressenti quelque chose de semblable. Ma crispation disparaît, je respire profondément comme jamais je ne lai fait. Je trouve le bon tempo avec Tequila et je me laisse porter. Ce trot, cest comme une renaissance Je mentends pousser un cri dexcitation, le même genre de cri que lon pousse la première fois que lon fait les montagnes russes. On a beau essayer de se maîtriser, à un moment donné on est obligés de lâcher prise face à une force qui nous dépasse. Et on a alors limpression de senvoler tellement haut que ça en donne le tournis.
Lorsque Jérém me voit le dépasser, il me lance un « Waaaaaahoooooooo ! » qui me fait frémir de bonheur. Puis, au cri de « Iiiiiiiiiiiiiii-aaaaaaaaaaaaaa ! » il lance à son tour son entier au trot, il me ratt, et il cale son allure sur celle de ma jument. Ce qui fait que nous chevauchons côte à côte, comme deux cavaliers expérimentés. Jai limpression dêtre sur un nuage.
Lorsque le trot prend fin (Tequila et ses dizaines de kilos de trop sépuisent vite), nous revenons au pas. Jérém me regarde, lair impressionné par mon exploit.
« Tu prends goût à la vitesse, on dirait ».
« Je naurais pas pu la retenir. Mais oui, jai bien aimé ».
« Ça se voyait, tavais la banane ».
« Jétais bien ».
« Je suis content que tu aimes faire du cheval. En plus, tu as une bonne posture sur Tequila ».
« Merci, toi aussi tas une bonne posture sur Unico. Tes sexy comme pas permis à cheval ! ».
Une petite, adorable moue de fierté saffiche sur son visage : je sais quil aime quand je le flatte.
« Toi non plus tes pas mal » il lâche, au bout de quelques secondes.
Sur ce, nous arrivons au bivouac. Nous avons droit à un accueil triomphal par les autres cavaliers, accueil dans lequel se mélangent soulagement (certains commençaient à penser que notre retard aurait pu être dû à un accident) et railleries (il y a de quoi, nous sommes partis un quart dheure après les autres et nous arrivons une bonne heure après).
« Merci davoir fait la balade à mon rythme » je lui chuchote.
« Je navais pas le choix » il se marre, en lâchant un clin dil qui manque de peu de me faire tomber de ma jument.
« Merci quand-même ».
« Cest moi qui dois te féliciter davoir accepté de le faire, je suis fier de toi ».
Je fonds, jai envie de pleurer.
Oui, je lai fait, et je suis heureux de lavoir fait.
Nous attachons les chevaux à un arbre un peu plus loin, avec assez de mou pour quils puissent brouter de lherbe et reprendre des forces ; puis, nous les dessellons.
Lorsque nous revenons du bivouac, Daniel nous tend des gobelets.
« Vous buvez quoi ? ».
« Un whisky » fait Jérém, sans hésiter.
Après avoir servi mon bobrun, Daniel sadresse à moi :
« Et toi ? Cest Nico, cest ça ? Oui, cest ça
Nico, tu bois quoi ? ».
« Un jus dorange » je fais, mort de soif, en voyant une grande brique sur la table de camping installée au milieu des cavaliers assis à même le sol, et dont la plupart est déjà en train de siroter leur café.
« Il a dit quoi ? » il demande, en regardant de biais, en faignant de sadresser à lassemblée, comme sil était assommé par lénormité quil vient dentendre.
« Un jus dorange » je répète, alors que de nombreuses voix me font écho.
« Un jus de quoi ? » il interroge, en feignant colère et agacement.
« Dorange ! » fait Martine, en se saisissant de la brique pour remplir mon gobelet à rebord.
« Mais ça se vend, ça ? » fait-il, lair faussement dégoûté.
« Bien sûr que ça se vend
» rigole Martine.
« Et vous en êtes content ? Ah ouais, vous êtes pas difficile alors
» samuse Daniel.
Ces répliques font écho dans ma mémoire à un sketch célèbre, celui de « Lautostoppeur ». Cest à cet instant précis que je réalise que ce gars me fait penser à limmense Coluche.
« Nous sommes vraiment à la bourre » fait Jérém.
« Ça fait rien. Chi va sano va piano et va lontano. Cest pas ça que disent tes cousins italiens ? » intervient JP.
« Oui, cest ça. De toute façon, Nico avait besoin dun démarrage en douceur pour se préparer aux aléas de léquitation. Et à un moment, il a pris un de ces galops ! » se marre mon bobrun.
« Sur Tequila ? » sétonne Satine sur un ton sarcastique.
« Oui, parfaitement, elle est encore capable de prendre le galop, malgré ses rondeurs ».
Jérém raconte plus en détail ce qui sest passé, la frayeur dUnico, son galop soudain et imprévu, Tequila qui semballe à son tour, mon « exploit malgré moi ». Il raconte que nous avons frôlé un « accident de canassons » mais que je me suis débrouillé comme un chef.
Comme jaime, lorsquil parle de mon expérience à cheval, entendre dans sa voix cette petite vibration de fierté et dadmiration qui me fait sentir si bien. Se sentir bien dans le regard du gars quon aime, ça na vraiment pas de prix.
JP et Carine me félicitent à leur tour, ainsi que Charlène, Martine, Arielle, et dautres encore.
Javais peur de ne pas arriver à mintégrer dans le groupe : il nen est rien. Les cavaliers sont des gens accueillants et drôles, francs et directs. Leurs compliments me vont droit au cur, jai limpression dêtre entouré par la bienveillance dune nouvelle « famille ».
Nous ne nous connaissons que depuis quelques heures, et on me complimente et on me charrie comme si on se connaissait depuis toujours. Le pote de Jérém, le pote de lun des leurs, et le pote de tout un chacun. Une attitude qui me fait sentir bien, qui me fait très vite sentir comme chez moi.
Dès que Jérém et moi sortons nos sandwiches, nous sommes submergés par des propositions alimentaires tout azimut : nous profitons ainsi dune pizza, dune quiche, dune salade de pâtes, dun taboulé. Cest la bonne franquette, et cest génial. Je nai jamais vécu ce genre de partage et de bonne humeur permanents.
« Il me reste des pâtes » fait Arielle, nous tendant un tupperware dans lequel gît un amas informe à laspect très pâle.
« Nen mangez pas, cest un piège ! » fait Charlène.
« Un piège ? » je métonne, tout en goûtant ce plat gentiment offert.
Laspect aurait dû me mettre en garde : cest pas cuit, cest pas bon, ça na pas de goût. Cest de la maltraitance gustative. Je fais la grimace.
« Je ne sais pas comment cest possible de rater des pâtes à ce point » fait Jérém, lair dépité.
« Je te lavais dit. Personne nen a voulu de ses nouilles, même elle nen a pas mangé. Tas pas vu que le tupperware est plein ? Alors, elle a voulu la fourguer à quelquun qui ne connaît pas encore ses exploits en cuisine ».
« Mais enfin, elles sont trop cuites et pas assez cuites à la fois. Cest pas possible ».
« Tout est possible avec la bouffe dArielle » conclut Martine.
« Jai mes secrets » réagit enfin lintéressée, lair plutôt amusée den prendre plein la gueule.
« Le problème cest que ta passion pour la cuisine est du même ordre que celle de Loïc pour les femmes » fait Charlène.
« Cest ça
ou comme celle de Charlène pour la propreté de la maison
» fait Loïc, du tac au tac.
« Petit merdeux
».
Les piques fusent dans tous les sens, mais toujours dans une ambiance bon . A un moment, Nadine part dans fou rire retentissant, interminable. Je nai jamais entendu un fou rire comme le sien. Au départ, je croyais quelle en rajoutait, mais jai vite compris que son fou rire est incontrôlable, inarrêtable. Preuve en est le fait quelle devient toute rouge, quelle en pleure même.
Satine nous passe une part de tarte salée, délicieuse (« Cest pour réparer vos papilles »). Le délicieux flan de Carine (Jérém na pas menti) vient clôturer un repas bien plus copieux que nous lavions imaginé.
« Tas bien mangé ? » me demande Jérém.
« Comme un petit cochon ».
« Cest toujours comme ça en balade, beaucoup de bonnes choses à manger, sauf du côté dArielle ».
Le fait de redécouvrir mon bobrun dans ce nouveau décor, le voir rigoler, se moquer, samuser, interagir avec tous ces gens qui ont lair de le connaître si bien, me donne de nouveaux frissons. Le fait quil ait envie de partager cela avec moi, mémeut au plus haut point. Je crois que nai jamais été aussi amoureux de lui quà cet instant précis.
« Alors, Nico, tu vas être une nouvelle recrue de lasso ? » me questionne la charmante Ginette. Cest marrant comme elle me rappelle ma grand-mère.
« Jaimerais bien. Mais je vais partir à Bordeaux pour mes études, alors ça va être compliqué » je lui réponds, alors que Daniel, le joyeux luron de la bande, chante à sen casser les cordes vocales « Il est des noooooootreeeeeeeees ».
« Moi je dis bravo à Nico » fait JP, le bienveillant « car cest pas facile de se lancer comme ça, sans jamais avoir pris un cours. Le cheval, cest pas un vélo
».
« Cest vrai » je confirme « cest pas évident à démarrer, parfois les vitesses ne veulent pas passer, parfois elles passent toutes seules, sans prévenir
et pour ce qui est du freinage, il faut se lever de bonne heure ».
« Churchill a dit » fait JP, le sage « le cheval est dangereux devant, dangereux derrière et inconfortable au milieu ».
Ce repas pris au bord de leau devient un moment de convivialité et dagréable conversation entre amis. Il y a une très bonne ambiance dans ce groupe, je me sens bien. Tous ces gens minspirent une profonde sympathie, sauf deux dentre eux, Loïc et Sylvain. La raison est simple : cest à cause des regards quils posent sur mon bobrun.
Oui, les regards de ces deux gars minquiètent. Pas tant pour le fait dexister (car cest normal de mater un gars comme Jérém, à moins dêtre aveugle), mais pour le fait que Jérém ait pu les remarquer. Car je suis certain que Jérém les a remarqués.
Je me doutais bien que le pendant dêtre avec une bombasse comme Jérém, cest de devoir accepter quil se fasse mater à chaque coin de rue : ce qui minquiète le plus, cest quun Jérém qui assume enfin son attirance pour les mecs, est un Jérém potentiellement accessible par les autres gays ; un Jérém qui, notamment à Paris, pourrait être exposé à des sollicitations et des tentations autres quà Toulouse ou Campan. Déjà quil ne sest pas privé davoir des expériences alors quil nassumait même pas son attirance pour les mecs, alors, maintenant quil sassume
Le repas tout juste terminé, je ressens une douce fatigue menvahir et jadhère volontiers à lidée, lancée collectivement, dune demi-heure de sieste avant de repartir. Lun après lautre, les cavaliers sallongent sur lherbe et se mettent en veilleuse. Je mallonge sur lherbe à mon tour, alors que Jérém séloigne pour griller une clope.
Le ciel est dun bleu profond, le soleil chauffe ma peau, le clapotis de leau dans le ruisseau me berce. Les chevaux broutent autour de nous. Cest reposant de regarder ou même simplement écouter les chevaux pâtre. Je me sens peu à peu glisser dans les bras du Morphée de la sieste.
Mon repos est de courte durée, une caresse légère sur le dos de ma main moblige à rouvrir les yeux. La première image qui se présente à moi, cest le visage de Jérém, illuminé dun petit sourire coquin.
« Viens voir
» il lâche discrètement.
« Quest-ce qui se passe ? ».
« Viens voir, je te dis
».
Comments:
No comments!
Please sign up or log in to post a comment!