Histoire Des Libertines (36) : La Du Barry, La Dernière Favorite

Jeanne Bécu (1743-1793), fut, sous le nom de Mme du Barry, la dernière favorite de Louis XV.

Elle est donc la dernière de cette série de textes que j’ai consacrés aux grandes maîtresses royales de France :

• Agnès Sorel (« Histoire des libertines (18) : Agnès Sorel, la Dame de beauté », paru le 13 octobre 2018)

• Diane de Poitiers (« Histoire des libertines (21) : Diane de Poitiers ou le ménage à trois. », paru le 11 décembre 2018)

• Gabrielle d’Estrées (« Histoire des libertines (24) : Gabrielle d'Estrées, maîtresse d'Henri IV », paru le 14 février 2019)

• Mme de Montespan (« Histoire des libertines (29) : la Montespan », paru le 12 mai 2019)

• Mme de Maintenon (« Histoire des libertines (30) : Mme de Maintenon, pas seulement dévote! », paru le 28 mai 2019

• Mme de Pompadour (« Histoire des libertines (34) : la Pompadour », paru le 24 juillet 2019)

UNE ROTURIERE AUX « ORIGINES OBSCURES »

Jeanne nait à Vaucouleurs en 1743. Elle n’a pas de père connu.

Très belle, sa mère Anne Bécu était une femme légère. Outre Jeanne, elle aura en 1747 une autre naissance « illégitime », avant d’être entretenue par Claude Roch Billard du Monceaux, banquier, payeur des Rentes, munitionnaire général de l'Est, riche financier que sa charge appelait fréquemment en Lorraine. Séduit par la beauté de la jeune femme, naturellement bienveillant, Billard du Monceaux devint son protecteur. Il l'emmena avec lui à Paris et lui procura un emploi de cuisinière.

En 1749, il fait épouser Anne par Nicolas Rançon, un domestique auquel Billard du Monceaux fera obtenir une charge de garde-magasin en Corse, puis commis aux Aides et receveur des Gabelles.

Qui était le père de Jeanne Bécu ?

Parmi plusieurs hypothèses, la mieux fondée semble désigner Jean-Jacques-Baptiste Gomard de Vaubernier, dit en religion Frère Ange. C'était un moine franciscain, du couvent des Picpus où Anne Bécu, couturière, se rendait régulièrement pour son ouvrage.

Toute sa vie, la comtesse du Barry se fera appeler (et signera) « de Vaubernier ».

Jeanne Bécu fut mise en pension chez les dames de Saint-Aure, dans le couvent parisien de la rue Neuve-Sainte-Geneviève. Elle y resta 9 ans, y souffrit d'une règle sévère mais y apprit l'écriture et l'orthographe, la lecture, le calcul, la musique, le dessin, la danse, la broderie, l'histoire et - bien sûr - la religion.

UNE DEMI-MONDAINE

En 1759, après avoir passé 5 mois chez un coiffeur nommé Lametz, qu'elle faillit épouser mais dont elle épuisa la fortune, Jeanne entra au service de la veuve d'un fermier général, Élisabeth de Delay de Lagarde, retirée dans son château de La Courneuve. Au contact d'une société choisie, elle acquit alors peu à peu l'aisance et la distinction des manières qui ne la quitteraient plus.

Jeanne fait à nouveau scandale. Elle repousse les avances saphiques de la belle-fille de Mme de Lagarde, mais couchera avec ses deux fils.
A partir de 1761, « Jeanne de Vaubernier » se mit à fréquenter le demi-monde. L'éblouissante beauté de la jeune fille la fit vite remarquer. La voilà qui entretient maintenant des liaisons avec un militaire, des financiers, un commis de la Marine et un ecclésiastique. À ses heures perdues, "l’Ange" s’offre aux clients de la Gourdan, gérante d’un lupanar élégant dans le quartier du Palais-Royal. Il est toutefois à noter que Jeanne ne fut jamais fichée par la police.

Jeanne était grande, blonde, aux yeux bleus. Son visage aux traits parfaits avait une expression à la fois mutine et angélique. Les contemporains ont comparé son teint à un pétale de rose tombé dans du lait !

« Grande, bien faite, blonde à ravir, front dégagé, beaux yeux, écrira le prince de Ligne dans ses Mémoires, bouche au rire leste, peu fine, poitrine à contrarier le monde ».

Jeanne fréquentait assidument les salons parisiens où Jean-Baptiste, comte Dubarry, dit Le Roué, un gentilhomme toulousain quadragénaire, renommé dans les milieux de la galanterie pour sa dépravation et son absence totale de scrupules, a fait sa connaissance en 1764 et devient son amant, en plein accord avec sa mère et Rançon, qui ne pouvaient ignorer la réputation de Jean du Barry.


Subjugué par les charmes de Jeanne, convaincu que ses appâts lui ouvriront le chemin de la fortune et du pouvoir, Dubarry, devenu le maquereau de Jeanne, entreprend de la "brocanter" à de grands seigneurs, sous le nom de mademoiselle de Beauvarnier. Associé pour le meilleur et pour le pire, le couple tient bientôt un salon "hétéroclite, amoral et joyeux" dans son hôtel particulier de la rue de la Jussienne.

Jeanne mène alors une vie de débauche à Paris et devient une prostituée de luxe.

Elle est connue sous divers noms, tels que L’ange (de son père ‘‘le frère l’Ange’’) et tant d’autres. Elle devient tour à tour, la maîtresse du financier Radix de Saint-Foix et a d’autres amants, comme Richelieu et son fils, le duc de Fronsac, le marquis de Villeroy.

Moyennant un fort supplément, Du Barry la « loue » pour une journée entière au vicomte de Sabran. Cela ne fait pas pour autant de Jeanne une esclave sexuelle, elle est à l’époque sincèrement éprise de Du Barry.

La maison de Jean-Baptiste attirait beaucoup de monde et parmi eux, les gens venant de la cour. C'est là que MM de Richelieu, d'Ayen et de Soubise comprirent tout le parti qu’ils pouvaient tirer de Jeanne et décidèrent d'en parler au roi, pour en faire sa maîtresse royale.

FAVORITE ROYALE

Bien qu’âgé de 58 ans, Louis XV, veuf de la reine et de la Pompadour, avait toujours autant de besoins sexuels. Le ministre Choiseul essayait, de son côté, de placer alors auprès du roi Louis XV sa sœur, la duchesse de Grammont.

Chez les adversaires de Choiseul, Soubise cherche à pousser la comtesse d’Esparbès, sur nommée Mme Versailles, car elle a couché avec tout le monde au château. Mme de Pompadour l’appelait « ma salope », tout un programme !

Jean du Barry, heureux d’avoir la jolie et jeune Jeanne Bécu à ses côtés, veut aussi la marchander auprès du roi. Il espère que, si Jeanne devient la maîtresse officielle du roi de France, il va ainsi obtenir de nombreuses charges pour lui et pour sa famille et devenir très riche.
Il va arriver même jusqu’à la surnommer ‘‘le morceau du roi’’.

Le maréchal de Richelieu, vieux libertin très bien en cour, ancien proche de la Pompadour, souhaitait lui aussi placer une femme à sa dévotion pour contrer Choiseul.

Les amis intimes du roi (Richelieu, Soubise) parlèrent de Jeanne à Dominique-Guillaume Lebel, valet du roi de France et, avec la Pompadeur, grand pourvoyeur des maîtresses royales, pour que celle-ci devienne la nouvelle favorite officielle.

Lebel, qui veut en avoir le cœur net se rend chez du Barry pour voir la jeune Jeanne. Quand il la voit, il est lui aussi tout de suite charmé par la beauté de la jeune demoiselle Bécu. Il revient le lendemain pour amener Jeanne au château de Versailles. Avec l’aide de Richelieu, et après l’avoir « essayé », Lebel place Jeanne sur le chemin du roi, puis dans son lit. C’est dans l’appartement de Lebel que Louis XV baise pour la première fois Jeanne.

Le succès est immédiat. Loin des petites pucelles du Parc aux cerfs, Jeanne fait bénéficier à Louis XV de tout son savoir-faire. En peu de temps, Louis XV s'éprit vivement de Jeanne, dotée d'un charme infini et dont les talents aux jeux de l'amour lui donnaient une nouvelle jeunesse.

Des formes plantureuses, une crinière de lionne, des yeux bleus en amande, le visage d’une douceur exquise… Le Roi tombe amoureux fou, à près de soixante ans, de cette beauté douce et sensuelle, si experte aux jeux de l’amour.

Le roi désira faire de Mademoiselle de Vaubernier sa nouvelle favorite. Mais cela ne pouvait s'accomplir, convenances exigent, sans une présentation officielle à la cour par une personne y ayant ses entrées et sans que la personne présentée fût mariée !

MARIAGE BLANC ET PRESENTATION A LA COUR

Jean-Baptiste étant déjà marié, il fit appel à son frère Guillaume, encore célibataire, qui accepta d’être cocufié par le roi, en échange de nombreuses compensations. En septembre 1768, le père tertiaire franciscain Gomard de Vaubernier (le probable père de Jeanne !) bénit l'union de Jeanne et Guillaume : Jeanne devint donc la belle-sœur de son amant !

Guillaume, qui a accepté de jouer le rôle du mari complaisant, dûment pensionné, est renvoyé dans son Languedoc natal.
Pour prix de ses services, le souteneur, Jean-Baptiste du Barry, reçut de son côté le vidamé de Châlons en Champagne.

Mariée et munie d'un nom sonnant mieux que Bécu, Madame la comtesse du Barry fut présentée à la cour le 22 avril 1769.

Pour marraine, on eut recours à la comtesse de Galard de Béarn. Veuve, issue d'une très ancienne famille, âgée et surtout très endettée, elle accepta de présenter Jeanne à la cour contre paiement de ses dettes, à la réprobation des courtisans bien-pensants. Les dames de la cour, outragées, ne sont même pas venues assister à la cérémonie. Jeanne, éblouissante de beauté, réussit son entrée, alors qu’une meute de loups s’attendait à ce qu’elle soit ridicule.

INIMITIES ET INTRIGUES

Le roi, amoureux fou de sa maîtresse, lui donne beaucoup de cadeaux et présents (tels que bijoux, châteaux, etc.). Le 24 Juillet de la même année, Louis XV offre à sa nouvelle favorite, le Petit Trianon (bâti autrefois pour Madame de Pompadour, pour s’y reposer en paix, il sera donné plus tard à Marie-Antoinette par Louis XVI) ainsi que le domaine de Louveciennes et de Saint-Vrain et tous les revenus de ces propriétés.

La Cour est outrée. Le Roi, après s’être abaissé à mettre dans son lit la Pompadour, une ambitieuse bourgeoise, se ridiculise à présent avec une vulgaire cocotte ! Humiliation terrible pour toutes les femmes qui peuplent Versailles ! Certains courtisans ne supportent pas qu’une jeune fille de maquerelle, sans bonne famille, pire, une prostituée, soit devenue la nouvelle maîtresse du roi.

Elle est jalousée pour sa beauté par tant d’autres femmes de la cour, qui souhaitent l’évincer dans le cœur de son royal amant. Malgré la faveur royale, une bonne partie de la Cour brocarde la « noblesse de la verge ».

Jeanne s’acclimate pourtant à la Cour avec un naturel et une douceur qui en désarçonnent plus d’un…Jeanne du Barry s'adapta parfaitement aux usages de la cour, mais ne s'intéressa guère aux affaires et ne chercha pas à y jouer de rôle politique. Intermédiaire de la coterie du maréchal de Richelieu, elle ne fut pas sans influencer discrètement telle ou telle décision.

Généreuse, sensible et dépourvue d’ambition, la favorite a beau, au contraire de la Pompadour, se tenir à l’écart de la politique, se farder le moins possible, ménager les susceptibilités et les egos, elle se découvre ouvertement ostracisée par l’entourage de son amant. Et la cible de campagnes venimeuses qui, pour la plupart, raillent ses origines et son parcours licencieux. La Cour est un univers sans pitié, où fleurissent les commérages et où s’épanouissent les plus vils instincts.

Il convient de souligner que Louis XV et Madame du Barry se furent mutuellement fidèles durant toute leur liaison. L'attachement de Louis XV fut indubitable. On connaît son agacement face aux querelles d'étiquette des arrogantes marquises et duchesses de sa cour... La fraîcheur d'esprit de Madame du Barry, sa gaieté, sa simplicité, sa gentillesse foncière et ses talents dans les jeux de l'amour surent séduire le roi vieillissant et le réconforter.

Jamais plus Jeanne ne reverra les Du Barry, ni son « mari », ni le roué.

Le roi dit à Richelieu : « Je suis enchanté de votre Madame du Barry, c’est la seule femme de France qui me fait oublier que je suis sexagénaire ».

Quand il confiera à un proche son étonnement devant certaines pratiques de Jeanne, un grand seigneur lui répond : « Cela se voit que vous n’allez pas au bordel, Sire ! ». Grâce à Jeanne, Louis XV va désormais au bordel tous les jours !

Cependant, le clan Choiseul ne désarmait pas. L'une de ses créatures, Pidansat de Mairobert, publia des « Mémoires secrets », à l'origine des attaques dont Madame du Barry fut dès lors constamment l'objet. Il diffusa, ou suscita, des chansons grivoises, des pamphlets injurieux et même des libelles pornographiques (L’Apprentissage d’une fille de modes ou L’Apothéose du roi Pétaud).

Prévenue contre Madame du Barry dès son arrivée en France en 1770, la très jeune Dauphine, Marie-Antoinette, lui voua d'emblée une vive antipathie.

Dès le 9 juillet 1770, elle écrit à sa mère, l’impératrice Marie-Thérèse : « Le Roi a mille bontés pour moi et je l’aime tendrement, mais c’est à faire pitié la faiblesse qu’il a pour Mme du Barry, qui est la plus sotte et impertinente créature qui soit imaginable. »

Encouragée par le clan Choiseul et Mesdames, filles de Louis XV, elle la traita avec un mépris affiché, refusant de lui adresser la parole, ce qui constituait une grave offense, indisposant le roi. Cette haine viscérale pourrait s'expliquer par le ressentiment d'une princesse dont le mariage ne fut consommé qu'au bout de 7 ans, à l'encontre d'une courtisane qui, depuis longtemps, n'ignorait aucun des plaisirs de la chair. C’est aussi un mépris « de classe » que la future reine affiche contre la Du Barry.

Marie-Antoinette surnomme Jeanne « la grande sauteuse qui ressuscite les morts » !

En décembre 1770, à la suite d'humiliations répétées envers Madame du Barry, Louis XV décida du renvoi de Choiseul et le fit remplacer par le duc d’Aiguillon, ce qui accrut encore la rancœur de Marie-Antoinette.

L’EXIL A LOUVECIENNES

Dès la mort de Louis XV, son petit-fils et successeur Louis XVI, probablement inspiré par Marie-Antoinette et ses tantes, fit délivrer une lettre de cachet contre la comtesse du Barry.

On fit saisir ses papiers, qui parvinrent en partie entre les mains du clan Choiseul. Certains furent utilisés pour publier une correspondance apocryphe mêlant le vrai au faux qui parut quelques années plus tard.

A partir de 1776, Jeanne est autorisée à vivre au château de Louveciennes, dans les Yvelines, que Louis XV lui avait attribué en 1769.

Durant toute sa vie, Jeanne eut de nombreux amants, même après la mort de son royal-amant. Jeune, belle et célibataire, elle sera tour à tour maîtresse d’un certain Henry Seymour, le comte puis le duc de Cossé-Brissac, qui durera plus longtemps et sera son plus grand amour, Louis-Antoine de Rohan-Chabot et tant d’autres.

VICTIME DE LA TERREUR

En 1789, pas rancunière, la comtesse du Barry offre ses services à la Cour, vidée de nombreux courtisans émigrés dès les premiers moments de la Révolution. Elle soutient de l'intérieur la contre-révolution naissante, mais son passé la rend suspecte. Son ancienne condition de maîtresse royale en fait une cible pour certains révolutionnaires.

En 1791, elle se fait voler ses bijoux, qu’elle tentera en vain de retrouver à Londres.

Son amant, le Duc de Cossé-Brissac sera victime des Massacres de Septembre. La tête du duc est jetée par une fenêtre dans le salon de la comtesse du Barry !

Début 1793, Madame du Barry revient précipitamment en France, pour éviter l'apposition des scellés sur sa propriété de Louveciennes.

Devenue suspecte, ses séjours en Angleterre sont dénoncés comme une aide aux émigrés contre-révolutionnaires. Dénoncée par son ancien page Zamor, qu'elle avait renvoyé, déclarée ennemie de la Révolution, elle est emprisonnée le 22 septembre 1793.

L’accusateur public, Fouquier-Tinville, est ravi d’avoir devant lui « la putain du roi ».

Le procès s'ouvre le 6 décembre 1793 devant le Tribunal révolutionnaire et, le lendemain, elle est condamnée à la guillotine et sera exécutée Place de la Révolution, le 8 décembre 1793. Ses derniers mots auraient été : « Encore un moment, Monsieur le bourreau ! »

LES PAMPHLETS

Son origine roturière et sa jeunesse agitée ont suscité un certain nombre de pamphlets injurieux, voire orduriers. C’est ainsi qu’il est écrit que « La Du Barry ne suce que si l’on s’insère » !

Ou encore :

« Combien d’heureux fit-elle dans ses bras !
Qui, dans Paris, ne connut ses appas ?
Du laquais au marquis chacun se souvient d’elle »

La plupart des anecdotes sur Madame du Barry proviennent de l'esprit malveillant de ceux qu'elle avait gênés dans leurs ambitions, notamment Mathieu-François Pidansat de Mairobert, pamphlétaire virulent, auteur de « Mémoires secrets » et proche de Choiseul.

Ainsi, celle-ci rapportée par Pidansat : le surnom que Madame du Barry donnait à son royal amant était « La France ». Un beau matin de 1773, le roi, qui ne dédaignait pas de préparer lui-même son café, le laissa s'échapper, s’attirant cette apostrophe de la favorite : « Hé, La France ! Ton café fout le camp !... », ce qui était de très mauvais goût (voire une insolence envers la majesté royale) après la perte des colonies en 1763, au terme de la guerre de Sept Ans. En fait, la comtesse du Barry s'adressait à son valet de pied nommé La France à cause de sa région d'origine, l’Île-de-France !

En revanche, la correspondance de la dauphine Marie-Antoinette, avec sa mère ou celle de l'ambassadeur d'Autriche Mercy-Argenteau avec Marie-Thérèse d'Autriche, ne laisse aucun doute sur l'animosité de Marie-Antoinette vis-à-vis de la comtesse du Barry qui, par contre, manifesta toujours un grand respect à son égard.

Louis XV, tout de même inquiet du passé agité de sa nouvelle favorite, aurait demandé un jour au duc d'Ayen : « Est-ce que je ne succède pas à Sainte-Foix ? » Le duc aurait répondu : « Oui, Sire, comme votre Majesté succède à Pharamond. »

COURTISANE ET MECENE

Dans le chapitre qu’elle consacre à Jeanne dans son ouvrage « Les salopes de l’Histoire », Agnès Grossmann parle de la « fille de joies ».

Madame du Barry fut une courtisane, mais une courtisane amie des lettres et des artistes. Elle ne fut pas que la « putain » qu’a retenue l’histoire.

Elle a joué un rôle de mécène en encourageant l'artisanat d'art français. Elle inspira les plus grands artistes de son époque dont le sculpteur Louis Boizot, directeur de la manufacture de Sèvres. Elle contribua aussi à l'essor du néo-classicisme, en révélant l'architecte Claude Nicolas Ledoux qui bâtit son pavillon de musique de Louveciennes, ou en passant des commandes aux peintres Joseph-Marie Vien, François-Hubert Drouais, Jean-Baptiste Greuze ou Jean-Honoré Fragonard, aux sculpteurs Félix Lecomte, Augustin Pajou ou Christophe-Gabriel Allegrain et à d'autres encore. Ses collections de meubles et objets d'art furent somptueuses et donnèrent naissance aux plus belles créations du menuisier en sièges Louis Delanois, de l'ébéniste Martin Carlin ou du bronzier Pierre Gouthière. D'un goût très sûr, comme en témoignent ses collections décrites par Charles Vatel, Madame du Barry a, d'une certaine manière, inventé le style Louis XVI.

Élégante et de goûts affirmés, la comtesse du Barry exerça une influence prépondérante sur la mode vestimentaire de son époque. Elle lança notamment la vogue des étoffes à rayures qui durera dans toute l'Europe jusqu'à la fin du XXVIIIe siècle.

REHABILITATION ?

L’histoire de la dernière favorite de Louis XV est celle d’une naturelle, d’une fille de couturière à la beauté saisissante, que l’appétit des hommes et les enjeux de pouvoir ont jetée dans l’enfer de Versailles.

Comme d’autres, Jeanne fut injustement calomniée, jugée parce que roturière et ancienne courtisane.

Les pamphlets du temps ont fort exagéré ses aventures. Il serait évidemment ridicule vouloir la transformer en une vertueuse personne, mais elle n’était point descendue aussi bas que ses ennemis se plurent à le dire.

Le peuple, comme du temps de La Pompadour, grogne :

« France, tel est ton destin
D’être soumis à la femelle
Ton salut vint d’une pucelle
Tu périras par une catin »

Madame du Barry, qui ne se piquait assurément point de principes austères, avait gardé, pour tous, une certaine retenue. Elle n’était pas seulement d’une beauté vraiment captivante ; il y avait en elle un fond de bonté naturelle, qu’elle garda quand les circonstances l’eurent faite toute-puissante.

Sensible, intelligente plus qu’on ne voulut le reconnaître, d’esprit cultivé, elle n’exerça sur le souverain qu’une influence heureuse. Elle ne joua guère, en fait, de rôle politique, et c’est à tort qu’on lui attribue la chute du ministre Choiseul. Malgré tout le mal que fit dire d’elle celui-ci, elle n’eut point de ressentiment contre lui, et elle s’employa même à adoucir son exil. La postérité n’en a pas moins retenu toutes les fables haineuses lancées par Choiseul.

Après la mort de Louis XV, elle ne supporta pas sans dignité les rigueurs de la nouvelle cour. Plus tard, pendant la Révolution, elle montra du dévouement à un parti qui l’avait pourtant abreuvée d’humiliations, et ses voyages en Angleterre, qui avaient pour but apparent la recherche de ses diamants volés, étaient plutôt des missions auprès des émigrés.

Arrêtée, elle était la Conciergerie, attendant son jugement. Un Irlandais, un aventurier fécond en ressources, parvint à s’introduire dans sa prison et à lui communiquer un plan d’évasion qu’il avait formé en sa faveur. Ce projet était hardi, mais non irréalisable.

— Pouvez-vous sauver deux personnes ? demanda Mme du Barry.

— Non, une seule, répondit l’Irlandais.

— Eh bien, ce n’est pas à moi qu’il faut songer.

Et elle donna tout ce qu’elle possédait pour que l’homme entreprît de délivrer Mme de Mortemart, la fille de ce Brissac qu’elle avait tant aimé et auquel elle restait fidèle par-delà la tombe. Cette abnégation n’est pas, on en conviendra, d’une âme vulgaire. L’Irlandais lui obéit et put, en effet, arracher Mme de Mortemart à l’échafaud. Il réussit à la faire passer en Angleterre. Ce fut donc par un acte de dévouement que Mme du Barry termina son existence. A lui seul, ne rachèterait-il pas bien des fautes ? On est loin, là, de la légende de cynisme et ensuite de faiblesse, de l’ancienne favorite, tant diffamée, semblant résumer en elle toutes les folies et toutes les erreurs d’une époque.

Son destin rencontra, aux derniers jours, celui d’une autre femme célèbre, détenue en même temps qu’elle à Sainte-Pélagie ; mais Mme Roland a dû détourner les yeux de cette compagne de prison, qui n’était pour elle qu’une créature vile, favorite impure d’un roi détesté.

On eût étrangement surpris la vaillante girondine, en l’assurant que cette prétendue courtisane avait su montrer, à son heure, du désintéressement, du dévouement, de l’abnégation, qu’elle aussi avait servi son parti avec courage.

LA VERITE EST SOUVENT AU MILIEU

Il est incontestable que Jeanne, quand elle rencontre Louis XV, est une demi-mondaine, une prostituée de haut-vol.

Elle fut celle qui, par sa jeunesse, sa beauté, son caractère enjoué et sa grande expérience des jeux de l’amour, qu’elle devait à son passé de prostituée de luxe, redonna joie de vivre au souverain connu pour être «mélancolique».

Jeanne n’était pas la nymphomane que ses détracteurs ont prétendu dénoncer. Je dirai même qu’elle n’était pas hypersexuelle, combien même elle avait une connaissance infinie des choses de l’amour et n’était pas la femme frigide que fut la Marquise de Pompadour.

Le destin a fait naître Jeanne Bécu à Vaucouleurs, un des hauts-lieux de l’épopée johannique. Elle portait le même prénom, les pamphlétaires ne se sont pas gênés d’opposer la Pucelle et la catin.

On ne juge pas les gens du fait de leur origine sociale, ni à cause de leur passé. C’est pourquoi j’ai voulu donner une image de Jeanne plus proche de la réalité, sans occulter son passé, mais sans cacher non plus ses qualités, que ce soit dans le rôle qu’elle joua auprès de Louis XV, comme dans sa fidélité à la monarchie qui l’avait pourtant ostracisé après la disparition de son royal amant. Ce n’est sans doute pas ce camp que j’aurais choisi dans les tourmentes de l’époque révolutionnaire, mais la fidélité à ses convictions et le courage sont des vertus qui méritent le respect.

A la lecture de nombre des textes que j’ai déjà publiés dans cette rubrique « Histoire des libertines », on aura observé que ces femmes souvent belles, libres, assumant leurs envies, exerçant le pouvoir ou ayant cherché à l’influencer, ont souvent été décrites en des termes abominables et couvertes de boue.

La plupart d’entre elles n’étaient pas des saintes et des parangons de morale et de vertu.

Ce que l’on pardonnait aux hommes de pouvoirs n’a jamais et n’est encore pas accepté pour les femmes.

Un homme qui collectionne les aventures, passe pour un Don Juan et on y voit une preuve de virilité.

Une femme qui s’aventure, même un peu, sur le même terrain, est une perverse, une dégénérée, une putain, une nymphomane.

Sans doute ne leur pardonnait-on pas leur manière de vivre. Pour ma part, je m’efforce, dans ces textes, de retracer leur réalité, au-delà des caricatures.

Jeanne Bécu, comtesse du Barry était de celles-là.

PRINCIPALES SOURCES

Outre le chapitre qu’Agnès Grossmann consacre à la Du Barry dans son ouvrage « Les salopes de l’histoire » (Acropole, 2016) et les développements d’Alain Dag’Naud dans les « Dessous croustillants de l’Histoire de France » (Larousse, 2017), voici les principaux liens que j’ai consultés, en plus de l’article de Wikipédia :

• https://www.pointdevue.fr/histoire/madame-du-barry-le-reve-enfui-dune-courtisane_5410.html

• https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article5639

• http://plume-dhistoire.fr/marie-antoinette-contre-la-du-barry/

• https://www.parismatch.com/Royal-Blog/royaute-francaise/La-Du-Barry-ses-bijoux-lui-ont-fait-perdre-la-tete-1118576

• http://favoritesroyales.canalblog.com/archives/2011/06/12/21376951.html

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