0305 Un Jeune Papa
Je rentre de la fête au petit matin. Je nai pas eu de nouvelles de Jérém depuis jeudi soir. Jai essayé de lappeler après le passage en mairie, mais je nai pas pu lavoir. Il me manque à en crever.
Je me réveille plusieurs heures plus tard, en tout début daprès-midi. Je grignote un peu et pense à ma promesse faite à Thibault de passer voir son gosse. Aujourdhui, cest jour de match. Je ne veux pas le déranger, je lui envoie un message pour lui proposer de passer le voir dans la soirée, sil est disponible.
Je passe laprès-midi à comater, à penser à Jérém, à avoir envie de ne rien faire, à broyer du noir. La fatigue est un catalyseur de tristesse. Heureusement, un rayon de lumière vient illuminer la fin de journée. En même temps que les infos sportives à la télé annoncent que cet après-midi le Stade Toulousain a remporté la victoire haut la main contre Montferrand, je reçois un message de Thibault qui me propose de passer pour une soirée pizza.
Sur le coup, je suis étonné que Thibault minvite chez lui un soir après un match victorieux. Quid de la troisième mi-temps ? Mais très vite, je me dis que le jeune papa doit avoir dautres priorités en ce moment. Lex-mécano na pas précisé si Nathalie sera là ou pas. Jimagine que trois semaines après laccouchement, elle na pas encore dû reprendre le boulot , et que par conséquent elle sera présente. Jespère que ça va bien se passer, jespère quelle ne va pas me regarder de travers. Jespère que je ne vais pas me sentir mal à laise. De toute façon, jai décidé de ne pas tenir compte de ce dont elle ma parlé lorsque Thibault était KO après son accident à AZF. Non, je ne vais pas couper les ponts avec Thibault pour ne pas la froisser, pour quil puisse rester dans le droit chemin de lhétérosexualité. Thibault est mon pote. Et même sil y a de la tendresse entre nous, je ne ferai rien qui puisse le déstabiliser.
Lorsque je débarque à lappart des Minimes, lancien mécano maccueille avec la chaleur bienveillante que je lui connais.
« Tu connais Nathalie
Oui, bien sûr !
Salut Nico, ça gaze ? » maccueille cette dernière, en me claquant la bise à son tour. Elle a lair de bon poil, ça fait plaisir .
« Ça va bien. Mais cest plutôt à toi quil faut le demander
dailleurs, félicitation la nouvelle maman !
Merci, merci !
Viens, je vais te présenter Lucas ! » fait ladorable Thibault .
Il a lair vraiment heureux. Ça me fait un plaisir fou de le voir si joyeux.
« Fais gaffe, il vient de sendormir, jai eu un mal fou à le calmer, glisse la jeune maman.
Yes ! »
Le jeune rugbyman mamène dans la chambre, sa chambre, puisque lappart nen comporte pas dautres. A côté dun grand lit, un berceau est installé. Lucas est là, tout petit, tout fripé comme un nourrisson, dormant à poings fermés, les quatre fers en lair. La vision de cette petite vie qui commence provoque en moi une intense émotion. Parce que cette petite vie provoque chez son papa un bonheur infini, et son papa mérite vraiment dêtre heureux. Mais aussi parce que cette petite vie va bouleverser celle de son papa, pour qui plus rien ne va être comme avant. Parce que jai toujours du mal à réaliser que ce gars avec qui jai fait lamour une nuit nest plus seul, mais quil y a désormais un petit être qui dépend de lui. Et cest une grande responsabilité.
« Ça va, Nico ? sinquiète le beau pompier.
Tu ne peux pas savoir comment je suis heureux pour toi, mon grand ! » je lui répète bêtement .
Je ne trouve pas dautres mots pour exprimer le mélange de sentiments que je ressens en moi.
« Tu es adorable, Nico, fait le jeune papa, tout aussi ému, en me serrant très fort dans ses bras.
Alors, vous allez les chercher ces pizzas ? » nous lance Nathalie qui vient de nous rejoindre.
Depuis sa petite mise au point quelques mois plus tôt, je pensais que Nath ne me portait pas vraiment dans son cur, car je représentais à ses yeux un danger pour la stabilité de son couple. Pendant mon trajet vers les Minimes, javais craint quelle ne maccueille froidement, que ce soit pénible, et que ça gâche cette soirée de retrouvailles avec mon pote.
Contre toute attente, lambiance du repas est bien sympathique, malgré la présence de Nathalie. Je dirais même grâce à la présence de Nathalie. Ce soir, elle me parle comme si on se connaissait depuis toujours, alors que nous ne nous sommes croisés quune seule et unique fois, et que notre échange na pas été des plus engageants. Ce soir, cest comme si cet échange navait jamais existé. Elle sintéresse à moi, me met à laise. Au final, je découvre une nana plutôt rigolote, avec beaucoup dhumour, de lautodérision, de léducation, et une belle intelligence. Ça me fait plaisir que ça se passe bien et je me laisse embarquer dans ce moment sympa entre potes.
Lors dune digression dans le thème « Bébé », thème qui monopolise en grande partie la conversation de la soirée les jeunes parents ont souvent limpression que, puisque leur rejeton est le centre de leur monde, il doit ment lêtre pour tout leur entourage aussi jarrive à féliciter Thibault pour la victoire de laprès-midi et à lui demander des nouvelles de sa blessure au genou.
« Ça va, jai bien récupéré, le chirurgien a bien réparé la pièce, il a fait une révision complète, je suis reparti pour 30 000 km » il plaisante.
Je suis sur le point de lui demander sil a des nouvelles de Jérém, sil est au courant du fait quil traverse une mauvaise passe avec son équipe, mais déjà le petit Lucas attire à nouveau toute lattention.
« Cest lheure du bib, fait Nath, qui a lair épuisée.
Tu as lair très fatiguée, je lance.
Jy vais, fait ladorable rugbyman.
Fatiguée , cest faible comme mot ! Je suis sur les rotules. Je te raconte pas les nuits blanches à essayer de calmer le petit monstre ! Heureusement que tu maides, mon chéri ! » elle ajoute à lintention de Thibault qui vient de se lever de table et qui est déjà en train de préparer le biberon.
Nous le suivons dans la chambre. Et là, je le vois attr le petit Lucas avec une attention infinie, une délicatesse qui contraste avec la vision de ses grosses paluches. Jai limpression que le bébé tiendrait presque entièrement dans une de ses grandes mains. Thibault dépose le petit Être en équilibre entre son avant-bras et son torse, la tête délicatement posée sur son biceps rebondi. Lucas se calme vite, comme sil se sentait bien, en sécurité, protégé. Je te comprends, petit Lucas, je sais combien il fait bon de se retrouver dans les bras de ton papa. Limage de Thibault donnant le biberon à son gosse est dune beauté émouvante. Le petit glouton termine vite son repas et lâche un petit rot qui rassure ses jeunes parents.
Le biberon est terminé, mais Thibault ne semble pas pressé de poser Lucas dans son berceau. Le demi de mêlée est vraiment touchant avec ce bébé dans les bras. Il ne le quitte pas des yeux, il lui fait des papouilles, il fait le zouave pour essayer de le faire sourire.
« Tu vas être un papa gâteau
je lance.
Un papa gaga, oui !
En tout cas, il est vraiment mignon
»
Et là, Thibault va me faire une proposition qui me trouble. Je la voyais venir, et je la redoutais.
« Tu veux le tenir ? »
Qui, moi, si maladroit, prendre Bébé dans mes bras ? Mais je ne sais pas comment le tenir ! Je nai jamais tenu un bébé ! Et si je lui fais mal ? Et puis
est-ce que Nath est daccord ?
« Jai peur de ne pas savoir le tenir
Mais cest simple, fait Nathalie, tu lallonges sur ton bras, la tête un peu relevée ».
Je ne suis toujours pas rassuré, mais déjà lavant-bras de Thibault frôle le mien pour la passation de « témoin ».
« Vas-y, pose-le sur ton bras, contre ta poitrine, fait Nath.
Jai peur de lui faire mal
Mais il nest pas en sucre. Il est plutôt en caoutchouc ! » samuse Thibault.
Les jeunes parents ne semblent pas inquiets le moindre du monde. Mais moi, je ne suis toujours pas à laise. Jai du mal à tenir ce bébé dans les bras. Il a lair si fragile ! Et puis, ses grands yeux ne cessent de me dévisager . Comme sils me questionnaient. Comme sils me demandaient : et toi, tu vas avoir un jour un bébé comme moi avec qui je pourrais jouer ? Peut-être que tu ne moffriras jamais un pote avec qui jouer parce que tu nes pas normal. Tu as encore le temps pour changer. Tu ne veux pas rater ta vie, hein ? Te retrouver à 50 piges en te disant que tu tes trompé ?
Jai de plus en plus de mal à supporter ce regard à la fois innocent et « accusateur » malgré lui.
Comment un être si minuscule et sans défenses peut-il autant me perturber par sa simple présence ? Peut-être parce que le regard innocent dun nourrisson est un miroir qui oblige à se regarder en face et à se poser des questions sur soi .
Le petit Lucas commence à simpatienter, je crois quil va bientôt commencer à chialer. Non, pas ça ! Je mempresse découter les conseils de ses parents et jarrive enfin à trouver une position rassurante pour lui.
« Tu vois, rien de compliqué ! fait Thibault.
Mais attends
il enchaîne en approchant son nez de la couche du bébé, je crois quil faut le changer.
Encore ? fait Nath, lair à bout de forces.
Si tu nous prépares un café je men occupe.
Si tu ten occupes je vais ten faire 10 des cafés ! »
Nathalie disparaît dans le séjour et Thibault récupère le gosse de mes bras, le pose sur une table à langer et commence à défaire la couche avec des gestes assurés. Je le regarde essuyer, soigner, caresser, incapable de quitter son gosse du regard.
Puis à un moment, il se retourne vers moi, les yeux humides et il me lance, la voix cassée par une intense émotion :
« Je narrive toujours pas à réaliser que ce beau petit gars est le mien ! »
Son émotion est contagieuse et je ne peux mempêcher de le prendre dans mes bras et de le serrer très fort contre moi.
« Il a tellement de chance, ce gosse ! »
Ça me fait toujours bizarre de voir Thibault avec un gosse. Cest beau, émouvant et déroutant, tout en même temps. Parce que le jeune rugbyman na quun an de plus que moi, parce que je lai connu faisant partie de la bande de Jérém, une bande de jeunes mecs célibataires qui avaient lair de vouloir profiter de leur jeunesse , de leur insouciance, et pour qui les priorités dans la vie ne semblaient être autres que le rugby, les potes, les soirées en boîte, les nanas. Tout sest passé si vite, tout a changé si vite. Trop vite. Je nai pas eu le temps de my préparer. Est-ce quil a eu le temps de sy préparer ? Parce que je sais que ce gosse, qui est arrivé « par accident » va changer toute sa vie, en dévier le « cours naturel ». Je sais que Thibault vient de découvrir qui il est, et sengager avec une femme et un gosse va le ralentir dans la quête de son identité et de son épanouissement. Même si le voir si heureux me rend heureux aussi, jai peur que cela ne dure. Je sais que Thibault aspire à aller vers les garçons. Comment va-t-il faire pour faire cohabiter en lui ce désir avec lenvie dêtre un papa pour Lucas et un compagnon pour Nathalie ?
Jespère quil va être heureux, je lui souhaite dêtre heureux tous les jours de sa vie comme ce soir. Il le mérite vraiment, ce petit mec.
Après le café, Thibault sisole quelques minutes pour répondre à un coup de fil dun co-équipier. Ce qui me laisse en tête à tête avec Nathalie. Le coup de fil séternise et je ne suis pas à laise. Même si ce soir elle sest montrée aimable avec moi, je crains quelle profite de ce moment pour remettre sur la table le sujet de mon amitié avec Thibault. Je voudrais remplir le vide, mais je ne sais pas de quoi lui parler et le silence sinstalle.
« Je voulais te dire, Nico
»
Aïe, aïe, on y est
« Je voulais mexcuser pour ce que je tai dit la dernière fois. »
Ah, si je métais attendu à ça
« Je nai pas le droit de gérer la vie de Thib, elle enchaîne. Il a le droit de voir qui il veut. Tu as bien fait de ne pas mécouter. Jétais un peu sur les nerfs à ce moment-là et cest tombé sur toi.
Je ne ten veux pas.
Merci.
Thibault est vraiment un ami pour moi.
Je sais. Et je sais aussi ce qui sest passé entre vous.
Il te la dit ?
Oui. Un soir, il ma tout dit. Quil a couché avec toi et avec Jérém. Et il ma dit aussi quil est toujours attiré par les mecs.
Ah, ok
et
tu en penses quoi ?
Je pense que je ne peux rien faire pour changer les choses
tu sais, Nico, Thib, je laime, vraiment. Je nai jamais rencontré un gars aussi chouette. Je voudrais faire ma vie avec lui, faire dautres gosses avec lui. Mais je sais quil aspire à autre chose. Je sais que son bonheur ne sera pas avec moi. Il sera un excellent papa, mais malgré tous les efforts quil pourra produire, il ne sera jamais un homme heureux avec moi. Et sil nest pas heureux, je ne le serais pas non plus. Je ne regrette rien, tu sais ? Je ne regrette pas davoir fait un gosse avec lui, même si ce nétait pas prévu
».
Tu tappelles Nathalie Rouget et tu es folle amoureuse de Thibault Pujol depuis la première fois que tu lui as parlé en boîte deux ans plus tôt. Tu las trouvé sympa, rassurant, touchant. Il faisait déjà tellement « mec » que tu ne las pas cru quand il ta dit quil navait que 18 ans. Et pourtant, cétait bien le cas. Tu tes dit : il est un peu jeune pour toi, cinq ans décart ça commence à faire. Dautant plus que tu as toujours aimé les garçons plus âgés. Tu as toujours trouvé quavant 25 ans, un gars cest juste bon pour le sexe. Car, côté intellectuel et affectif, la plupart du temps, il reste du câblage à faire à cet âge-là. Mais bon, ce petit mec tout en muscles et au regard apaisant avait lair tellement plus mûr que les gars de son âge. Il ta surpris par sa droiture, par sa douceur, par son esprit. Tu as fait lamour avec lui. Il ta fait lamour comme aucun gars ne te lavait fait auparavant. Il avait voulu te donner du plaisir, il avait voulu te faire te sentir bien. Et tu nas pas pu tempêcher de tomber amoureuse de lui. Plus que ça, même. Tu tes rendu compte que tu laimais comme tu navais jamais aimé personne dautre .
Mais entre ton travail, son bac, son boulot au garage, le rugby, ses potes, et le fait que vous nhabitiez pas ensemble, ce nétait pas facile davoir une relation suivie. Vous vous aimiez, vraiment, mais en pointillés. A chaque fois que tu faisais lamour avec lui, cétait un pur bonheur. Car il te respectait, il te montrait que tu comptais pour lui, il te faisait te sentir belle, désirable, importante. Et ce gars généreux, bienveillant, fougueux, attentionné, protecteur, tu laimais de plus en plus.
Mais au fil du temps, tu as senti que quelque chose se passait en lui. Tu as capté ces regards quil posait sur certains mecs. Tu as voulu les ignorer. Mais un doute avait commencé à sinstaller en toi. A partir dun certain moment, tu as commencé à le sentir de plus en plus soucieux, comme si quelque chose le tracassait. Tu lui as demandé ce qui se passait, il ta dit que ce nétait rien. Tu as fait semblant dy croire, mais tu savais quil y avait autre chose. Cétait au printemps précèdent. Tu avais senti que Thibault avait besoin de prendre lair et tu as accepté despacer vos rencontres pour le laisser respirer. Ça a été dur, mais tu as pris sur toi, et tu lui as rendu sa liberté.
Tu las revu un soir en boîte, tu es tombée sur lui presque par hasard. Ce soir-là, Thibault avait vraiment lair dêtre à coté de ses pompes. Tu lui as proposé de prendre un verre et il ta raconté que son pote Jéjé venait de se bagarrer avec un type dans les chiottes de la boîte et quil venait de rentrer avec un pote. Il ta dit quil avait envie de rentrer mais quaucun de ses potes ne voulait décoller. Tu lui as proposé de rentrer et de le déposer. Mais tu es montée dans son appart et vous avez fait lamour. Cétait toujours aussi bon, mais ce nétait pas comme avant. Tu avais limpression que pendant quil te faisait lamour, cétait à quelquun dautre quil pensait.
Pendant des semaines, tu nas pas eu de ses nouvelles, à part quelques échanges de SMS. Puis, un jour, cest ton corps qui ten a données. Tes règles nont pas été au rendez-vous. Ça tétait déjà arrivé, alors ça ne ta pas surpris plus que ça. Mais le retard a fini par devenir « suspect » et tu as fini par faire le test. Positif. Aucun doute sur la paternité. Thib était le seul garçon avec qui tu avais couché depuis des mois.
La nouvelle tavait bouleversée. Pendant un temps, tu avais pensé à Thibault comme au futur papa de tes s. Mais plus depuis que tu lavais senti séloigner de toi.
Tu ne savais pas vraiment quoi faire. Peu doptions se présentaient à toi. Avorter aurait été la plus simple. Mais pour toi ça nen était pas une. Tu tes imaginé élever ton en mère célibataire, sans impliquer le père. Tu as hésité, et puis tu tes dit que tu ne pouvais pas lui faire ça. Tu devais le lui dire. Il avait le droit de savoir. Tu as attendu quelques semaines pour être sûre et tu le lui as annoncé.
Après avoir accusé le coup dune nouvelle à la fois aussi inattendue et bouleversante, Thibault a sauté de joie. Il ta pris dans ses bras musclés qui tont toujours donné tant de bonheur et il a pleuré avec toi.
Et tu as su que tu avais fait le bon choix en décidant de limpliquer.
Cest à ce moment-là que tu as voulu avoir une conversation avec lui. Tu sentais quil en avait envie, quil en avait besoin. Toi aussi tu en avais besoin. Cest cette nuit-là quil ta parlé de son attirance pour les garçons, et en particulier pour son pote Jéjé.
Même si tu ty attendais un peu, ça ta fait un choc dentendre cela par le gars dont tu attendais ton .
Il ta dit quil ne pourrait jamais assumer le fait dêtre homo. Et surtout, surtout, surtout maintenant quil allait être papa. Il ta dit quil renfermerait tout ça dans un coin de sa tête et que tout ce qui comptait cétait cet qui arrivait et quil voulait lassumer, quil voulait être à tes côtés. Tu las cru, tu as voulu lui faire confiance.
Mais lorsque Nico était venu le voir après son accident dans les décombres dAZF, lorsque tu avais capté le regard que le futur papa de ton posait sur ce pote, tu tes sentie trahie. Alors, tu tes montrée possessive, jalouse, autoritaire, menaçante même.
Chose que tu as vraiment regretté depuis.
Alors, quelques temps après la venue de Nico, en regardant Thibault immobilisé sur le canapé à cause de ses blessures, tu as ressenti une profonde tendresse semparer de toi. Tu tes assise à côté de lui et tu lui as dit quil ne devait pas renoncer à être heureux, que tu laimais toujours et que tu savais quil taimait lui aussi. Tu lui as dit aussi quil est ton plus grand amour et peut être lamour de ta vie. Tu lui as dit que cet était un damour, et que tu ne lui empêcherais jamais de le voir grandir, quoi quil arrive .
« Ça va pas être facile de gérer tout ça
je considère.
Non, mais nous allons tout faire pour que les choses se passent bien, fait Nathalie. Pour linstant, nous nallons rien changer. Nous sommes tous les trois et nous sommes bien. Je vais bientôt recommencer à travailler, et nous allons nous organiser pour nous occuper de Lucas.
Et sil rencontre quelquun ? Et si toi tu rencontres quelquun ?
On avisera. Mais même si demain nous ne vivons plus ensemble, je ne lempêcherai pas de voir son gosse grandir. Je pense à une garde partagée avec beaucoup, beaucoup de souplesse et de bienveillance .
Je tavais mal jugée Nath, tu es une bonne personne.
Il arrive
»
« Désolé, Nico. Cétait Loris, un mec du rugby, un véritable moulin à paroles. Nath, ça tembête pas si je sors prendre un dernier verre avec Nico ?
Mais pas du tout ! Après avoir changé la couche de Lucas tu peux prendre ta semaine ! elle plaisante.
Une heure suffira.
Oui, cest ça
quand un rugbyman qui sort prendre un verre te dit " je reviens dans une heure ", ça veut dire le lendemain matin. Alors, comme je serai couchée depuis longtemps, Nico, bonne chance pour tes études, et au plaisir de te revoir.
Merci, bon courage à toi aussi, avec le taf et avec le petit Lucas ! »
En terrasse dun bar de la rue Péri, Thibault me demande comment ça se passe entre Jérém et moi. Je lui parle de nos rencontres depuis Noël, de ses visites surprises à Bordeaux, de notre nuit à lhôtel à Poitiers. Et aussi de cette dernière période où il ne trouve plus le temps pour me voir à cause du stress de la fin de saison.
« Il ne te ment pas, tu sais. A la fin de la saison, le management nous met une pression de fou. On est fatigués de tous ces mois de compétition et il faut donner encore plus. Cest dur ! »
Je le sais, mais cest dur aussi de ne pas le voir. Mais jattendrai ce quil faut. Ce quil faut.
Et, toi, Thib, tu en es où dans ta vie ? jenchaîne .
Je suis papa
Ça je sais, mais je te parle du reste.
Jai envie daller vers les mecs. Mais je nose pas sauter le pas.
Par rapport à Nath ?
Un peu. Mais pas tellement. Nous venons de mettre les choses à plat entre nous. Tu sais, je lui ai tout dit et elle me soutient. Jai beaucoup de chance dêtre tombé sur une nana comme elle. Non, je suis surtout mal à laise par rapport au mon petit bout de chou. Je me demande ce quil penserait de moi
Je pense quil voudrait que son papa soit heureux
Je le pense aussi. Mais il y a autre chose qui me tracasse.
Cest quoi ?
Le fait même de coucher avec un gars
Mais cest pas ta première fois, non ? Je veux dire, toi, Jérém et moi, cette nuit
Avec Jé et toi, ce nétait pas pareil. Cétait nous trois, tu vois
nous trois
»
Parce que cétait vous, parce que cétait nous, je paraphrase une célèbre citation dans ma tête.
Tu tappelles Thibault Pujol. Et tu sais désormais que ce sont les garçons qui attirent ton attention et attisent ton désir. Au fond de toi, tu le savais depuis longtemps. Depuis un soir en camping, lété de tes 13 ans, lorsque tu as fricoté avec Jé, ton meilleur pote. Depuis ce soir-là, et certainement même avant, tu as été amoureux de lui. Mais ton amour était un amour secret, parce que tu as voulu faire passer lamitié avant lattirance, avant tes sentiments. Lamitié avant tout. De toute façon, tu ne voulais pas non plus ressentir ces choses-là pour un garçon. Tu as essayé de ne pas y penser, mais ce truc te taraudait sans cesse, sans pitié.
Avec le temps, tu tétais accommodé tant bien que mal de cette amitié derrière laquelle tu cachais ta souffrance. Mais quand Nico est arrivé dans la vie de ton pote, quelque chose a basculé dans ta tête. Et la nuit que vous avez passée tous les trois ensemble, ça a réveillé en toi des démons que tu avais essayé denfouir depuis des années au plus profond de toi.
Puis, après cet accident où tu as vraiment cru perdre ton pote, tu as décidé de lâcher prise. Ça a été dur, ça a été au prix de mettre une grande barrière entre lui et toi, mais tu as réussi à aller de lavant. Cette épreuve a eu le mérite de touvrir les yeux sur le fait que toi, Thibault Pujol, tu aimes les garçons et que tu as envie daller vers eux.
Ça tavait fait un bien fou dacter cet état de choses, même si tu ne savais pas encore comment tu allais lassumer. Et pile au moment où tu arrivais enfin à voir clair dans ton esprit, ta vie a été une nouvelle fois retournée par un évènement inattendu et bouleversant. Nathalie ta annoncé quelle attendait un de toi.
Ça fait deux ans que tu as rencontré Nathalie. Votre relation na jamais été vraiment une relation de couple. Vous vous êtes trouvés, vous vous êtes fait du bien, de temps en temps. Vous étiez amis, confidents, amants. Tu ressens une profonde affection pour elle et tu sais que tu comptes beaucoup pour elle. Vous ne vous êtes jamais rien promis, ni rien interdit. Vous aviez chacun une bande de potes, et des aventures chacun de votre côté. Et vous vous retrouviez parfois, pour vous faire du bien.
Mais cette belle relation est devenue plus difficile quand tu as réalisé que les sentiments de Nathalie pour toi avaient changé, et quelle était vraiment amoureuse de toi. Ça ta fait peur, et tu as voulu prendre un peu de recul. Tu sais que tu lui as fait de la peine, et tu ten veux. Mais tu nas pas pu faire autrement. Tu as voulu être sincère avec elle, tu lu as dit que tu ne ressentais pas les mêmes sentiments quelle ressentait pour toi. Tu avais quelquun dautre en tête, et ce quelquun cétait Jé. Et même si tu savais que cétait un amour impossible, tu narrivais pas à ten faire une raison.
Vous êtes restés plusieurs mois sans vous voir, Nathalie et toi. Et tu es retombé sur elle, une nuit, en boîte, où tu avais le moral dans les chaussettes. Tu venais dapprendre que ton pote Jé venait de se battre dans les toilettes de la boîte avec un autre gars, son t-shirt blanc était souillé de sang. Tu venais de le voir repartir de boîte avec Nico, son camarade de lycée, et tu savais que cette nuit-là ils allaient faire lamour. Tu étais heureux pour eux, mais au fond de toi, tu étais malheureux comme jamais. Car Nico avait pris la place que tu voulais auprès de ton Jé.
Cest à ce moment-là que tu es retombé sur Nathalie. Tu avais le cur en miettes et elle a su te réconforter. Ce soir-là, tu es rentré avec elle. Et vous avez fait lamour. Tu lui as fait lamour. Mais ce nétait pas comme dhabitude. Ton corps était avec le sien, mais ton esprit était ailleurs. Tu narrivais pas à cesser de penser à Jé, à Nico. Nathalie sest rendu compte que tu nétais pas vraiment avec elle. Elle ta questionné. Tu nas rien voulu lui cacher. Elle a été très chouette avec toi. Elle ta dit quelle taimait et quelle voulait que tu sois heureux, même si ce nétait pas avec elle.
Trois mois plus tard, elle ta annoncé que tu allais être papa.
Tu étais super heureux de devenir papa. Mais quelque chose te tracassait. Cette attirance pour les garçons qui tempêcherait dêtre un bon compagnon. Vous avez parlé, et elle ta dit que tu avais le droit de vivre ta vie comme tu lentendais, que tu avais le droit dêtre heureux. Et quelle te laisserait jouer ton rôle de papa sans te poser dobstacles. Cette discussion ta enlevé un grand poids du cur. Depuis, tu te sens mieux. Tu te sens libre. Tu laisses enfin parler tes envies. Et ce sont des envies de sensualité et de plaisir avec un garçon que tu ressens. Ça fait des mois que tu nas pas touché un garçon, senti un corps masculin contre le tien. Depuis que tu as couché avec ton pote Jé, quelques jours avant son accident. Ça commence à faire un bail. Alors tu as envie de ça, très envie. Mais aller trouver dautres gars
« Mais aller trouver dautres gars
je narrive pas à franchir le pas. Jai limpression que si je couchais avec un gars ma vie basculerait, et que je ne pourrais plus jamais revenir en arrière, continue le jeune pompier.
Ça te fait peur dêtre homo, cest ça ?
Ouais. Tu sais, autour de moi, dans les vestiaires, sur le terrain, je nentends que des moqueries et des insultes vis-à-vis des gars comme nous
»
Oui, tu tappelles Thibault Pujol et tu es quotidiennement confronté à une mentalité machiste et homophobe. « Sale pédé » est une expression utilisée à tort et à travers pendant les entraînements. Tu trouves de plus en plus dérangeant le fait quelle remplace un simple « tu as fait une erreur de jeu » ou toute autre invective vis-à-vis de lautre en cas de désaccord. Tu narrives pas à comprendre pourquoi le mot « pédé » est utilisé comme la plus polyvalente et méprisante des insultes. Tu narrives pas à comprendre en quoi pédé doit être une insulte. Tu te demandes pourquoi cette haine est enracinée si profondément et comment elle se transmet dune génération à lautre.
Tu te souviens avoir été invité par lun de tes co-équipiers à assister à un match de foot de léquipe dans laquelle jouait son petit frère de 8 ans. Tous les gamins avaient entre 7 et 10 ans. Dès les premières minutes du match tu as assisté à quelque chose qui ta frappé.
Tu te souviens avoir vu des petits gars jouer les machos avant lheure, singer les attitudes, répéter bêtement les expressions de leurs frères aînés ou de leurs pères. Il y avait ceux qui veulent être les leaders, ceux qui veulent attirer lattention, les agressifs, et puis il y avait les souffre douleurs. Cétait plutôt caricatural, et ça taurait fait sourire, si seulement tu navais pas vu le regard des petits gars qui subissaient ce grossier jeu de rôles. Si seulement tu ne tétais pas dit que cela annonçait les futurs comportements de certains et les futures souffrances pour dautres.
Tu te souviens que le petit Alex avait reçu le ballon et tu te souviens de sa démarche hésitante, de son regard apeuré par deux gars plus grands qui fonçaient sur lui et qui nauraient pas hésité à le bousculer pour récupérer le ballon. La collision était inévitable. Alex avait pris peur. Il sétait débarrassé du ballon juste avant que les deux mecs ne le dégomment. Son coup de pied était faible, le ballon était parti en sucette, et Alex était tombé.
« Tu joues comme un pédé ! » tu avais entendu fuser.
Ce ne sont que des mots, et personne ne les avait relevés. Ni lentraîneur, ni les parents autour du terrain. Personne ne sétait insurgé contre ces mots stigmatisants. Ce ne sont que des mots, mais ils tont profondément touché, comme ils ont touché le petit Alex.
Tu aurais voulu intervenir et dire : « Eh, il a juste raté un coup ! Cest pas ça être pédé ! Être pédé, cest un gars qui aime un autre gars. Et ce nest pas une insulte, en aucun cas. Car on a tous le droit daimer qui on veut ! » Mais ce nétait ni le lieu ni le moment. Tu navais aucune autorité sur ces gamins. Ils étaient à fond dans le match et personne ne taurait écouté. Mais si tu avais été leur entraîneur, tu aurais arrêté le jeu sur le champ et tu aurais fait une saine mise au point.
« Tu joues comme un pédé ! »
Oui, ce ne sont que des mots, mais tu sais que ce sont les mots qui enracinent le rejet, la haine et la honte de demain. Un enracinement qui survient très tôt, trop tôt. Tu tes dit quil faut que ce cycle infernal soit cassé. Parce que lhomophobie est ni plus ni moins que du racisme.
Ce rejet, cette haine, cette honte, tu les ressens chaque jour dans les vestiaires. Tu fais genre plutôt hétéro et ça tarrange bien. Tu as une copine, et maintenant un gosse, tu joues bien le rôle quon veut te voir jouer. Mais tu sais que tout ça ce nest pas toi, que ce nest pas « tout » toi. Tu es attiré par les gars et tu voudrais faire des rencontres. Mais tu as peur. Ton visage commence à être placardé sur les affiches des matches, et tu as peur quon te reconnaisse.
Tu sais quil y a une partie de toi que tu dois taire, au risque de tout perdre. Si « ça se savait », tu sais quon te pousserait à bout, on te pousserait à partir et à renoncer à ta carrière sportive.
Tu entends des insultes qui taffectent parce quils laissent entendre quun pédé mérite la double peine dêtre considéré comme un malade et dêtre puni pour sa maladie. La banalisation de la haine contre les gays te révolte, mais tu ne peux pas vraiment tinsurger , sous peine de te faire remarquer et être pris pour cible. Pas une fois, tu as entendu un discours positif sur les homos. Pas de la part dun coach, dun président, nimporte qui dans le staff. Personne .
Tu sais quil n'y a pas de place pour un homo dans les sports d'équipe. Cacher sa sexualité est une source de peur constante. Faire semblant tout le temps est fatiguant. Ça te prend de lénergie et ça mine ton mental. Et ça, ce nest pas bon, pas bon du tout.
Tu as limpression de jouer ton avenir sportif à chaque entraînement. Cela est source de stress et tu ne dors plus aussi bien quavant. Cest difficile de se reposer sans être en paix avec soi-même.
Dans un sport comme le rugby, cest le mental qui détermine si tu perces ou pas. La performance sportive est avant tout un exploit mental.
Tu as passé les six derniers mois à avoir peur. Et maintenant, depuis que le petit Lucas est arrivé, tu te prives parce que tu veux être un papa « digne ». Mais Nico a raison, Lucas ne voudrait pas savoir que son papa se rend malheureux par peur de son jugement. Lucas voudrait que son papa soit heureux. Car un papa heureux, est un papa meilleur .
Alors, ce soir, assis à cette table avec Nico, tu décides de dire adieu à ta honte et ta peur. Tu as la chance inouïe davoir le soutien de la mère de ton . Tu ne veux pas que ton bout de chou te voie malheureux. Quant au rugby, tu laimes comme peu de choses dans la vie, ça tapporte beaucoup de bonheur. Mais tu sais désormais que tu nes pas prêt à sacrifier ton bonheur, tes bonheurs, tes autres bonheurs, pour le ballon ovale.
Alors, ce soir, tu décides de vivre ce que tu as à vivre, sans tenir compte du regard des autres. Tu feras tout ce que tu pourras pour être un bon joueur, un bon coéquipier, un bon pote, un gars sur qui on peut compter. Tu seras irréprochable. Tu ne crieras pas sur les toits qui tu es. Mais si on te pose des questions, tu seras franc. Si des ragots circulent, tu mettras les choses au point. Tu diras haut et fort que tu aimes les garçons et que cela ne fait pas de toi un pestiféré. Tu diras à tes coéquipiers que tu ne feras rien pour les mettre mal à laise, mais que tu mérites leur respect, et ta place dans léquipe. Et que tu as le droit de jouer comme eux tous.
Et si malgré tout ils te rejettent toujours, si tes qualités sportives et humaines ne font plus le poids, tu partiras. Tu seras pompier, ou mécano, ou autre chose. Mais tu seras un papa et un homme épanoui. Et ça, cest non négociable.
« Cest pas facile dêtre homo, et encore moins dans un environnement comme celui du sport de haut niveau. Jérém a les mêmes peurs, et je comprends la pression qui pèse sur vous, je considère.
Jérém a la chance de tavoir, je suis sûr que ton soutient est précieux pour lui. Et moi jai la chance davoir Nath, car son soutient est précieux pour moi.
Au fait, tu as dit à Jérém que tu es papa ? » je lance, sans transition.
Je sais quil a appelé Jérém, car ce dernier men a parlé vite fait un soir au téléphone. Jérém ne sétant pas vraiment épanché à ce sujet, jai envie de connaître le ressenti de Thibault.
« Oui, je lai appelé.
Jimagine quil était heureux pour toi
Il létait. Mais cétait un peu bizarre.
Bizarre comment ?
Cétait bizarre de reprendre contact après tous ces mois, de lui annoncer que je venais dêtre papa après ce qui sétait passé entre nous, après ce que jai ressenti pour lui pendant si longtemps. Jai eu limpression quil était gêné, et moi aussi je létais. Jai aussi eu limpression que nous nétions plus en phase, comme si nous étions maintenant à différents stades de notre vie. Tu comprends ce que je veux dire ?
Je crois, oui. Tu as désormais des responsabilités qui te font revoir tes priorités alors que ce nest pas le cas de Jérém.
Cest ça !
Il ta parlé de son équipe ?
Oui, et ça a été lautre sujet compliqué à aborder
Parce que pour toi et ton équipe ça se passe plutôt bien
je mavance.
Et que lui et son équipe galèrent sévère en ce moment
il complète.
Ça laffecte beaucoup
Il pense quil ne sera pas renouvelé pour la saison prochaine
je nai même pas osé lui dire que moi, je le suis déjà
Tu crois quil pourrait trouver une autre équipe ?
Je ne sais pas, mais je ne lai pas senti motivé pour chercher.
Tu crois quil pourrait laisser tomber le rugby ?
Jai limpression quil est tellement déçu quil pourrait tout envoyer chier sur un coup de tête, oui. Il en est tout à fait capable. Le fait est que sil sort du circuit maintenant, cest fichu. Il faut quil tienne bon. Jé est un super bon joueur, et ce nest pas parce quil na pas trouvé comment sintégrer dans une équipe quil est moins bon. Il na peut-être pas rencontré les bonnes personnes, les bons joueurs, les bons entraîneurs. « Bons », dans le sens où ils sauraient mettre en valeur son talent. Parce que du talent, Jé il en a à revendre. Mais il faut quil ait en face quelquun qui sache le canaliser.
Et tu lui as dit tout ça ?
Bien sûr que je le lui ai dit. Mais jai limpression que cette saison et cette équipe ont sapé son moral et sa confiance en lui. Je lai connu davantage battant que ça. Jai essayé de le secouer, mais jai senti quil était moins réceptif quavant. Si nous jouions dans la même équipe, si on se voyait chaque jour, si je connaissais en détail les problèmes quil a rencontrés, ce serait différent, je pourrais laider. Mais là, à laveugle, cest difficile de taper juste.
Je voudrais pouvoir faire quelque chose pour arranger les choses.
Ça fait longtemps que tu ne las pas vu ?
Plus dun mois. Il na pas le temps.
Je pense quil na surtout pas la tête à ça. Mais ça lui ferait du bien de te revoir.
Il faut que je monte à Paris.
Je pense, oui.
Thibault est un garçon intéressant, avec une conversation agréable et variée, agrémentée dune bienveillance de chaque instant qui me fait me sentir meilleur et qui me tire vers le haut. Il y a des gens comme ça, qui savent tirer le meilleur de chacun. Et Thibault est de ces personnes-là, des personnes rares et précieuses. Nous parlons longtemps et je ne vois pas le temps passer. Lorsque la fatigue commence à se faire sentir et que je regarde enfin lheure, il est déjà deux heures du matin passé.
« Jadore discuter avec toi, Thibault, mais là je dois vraiment y aller. Demain je dois rentrer à Bordeaux, et le réveil va sonner de bonne heure.
Ça marche, Nico. En tout cas, ça ma fait vraiment plaisir de te revoir. Tu passes quand tu veux, tu es toujours le bienvenu ! ».
Au moment de nous quitter, en bas des allées Jean Jaurès, je sens que nous nen avons pas envie, ni lui, ni moi. Dans ses regards, dans son attitude, je retrouve cette tension, ces non-dits qui mont beaucoup troublé la dernière fois.
« Je le sais, merci, je finis par lui répondre après un instant de flottement. Et toi aussi tu es le bienvenu chez moi à Bordeaux. Si un jour tu passes par là
Je passerai avec grand plaisir !
Prends soin de toi, mon grand ! » fait ladorable demi de mêlée tout en me prenant dans ses bras et en me plaquant contre son torse musclé.
Cette douce et chaude accolade se prolonge, chaque instant est plus troublant que le précédent et moins que le suivant. Cest plus fort que moi, le contact avec ce gars me fait un effet de dingue. Ses bras puissants sont si rassurants et sa douceur est attendrissante. Beau jeune papa, comme tu es jeune pour avoir tant de responsabilité sur tes épaules ! Elles sont si solides, mais elles sont tellement chargées. Tiendras-tu sur la durée ? Bonne chance, mon pote Thibault.
Dans cette étreinte où se mélangent amitié, émotion, tendresse, sensualité, je me dis, jen suis certain, que dans une autre vie, sur une autre planète, dans une autre dimension, nos destins et nos curs auraient pu marcher ensemble. Et dans les mots que Thibault me glisse tout bas, pendant que notre étreinte se défait doucement, je trouve un écho saisissant à mes pensées.
« Si on sétait rencontrés dans dautres circonstances, si on navait pas été fous du même gars, peut-être que toi et moi
» il souffle tout bas dans mon oreille, alors que ses lèvres effleurent mon lobe provoquant dintenses frissons en moi.
Je suis à la fois flatté, touché, et gêné par ses propos. Mais je ne peux pas ne pas être aussi sincère avec lui quil vient de lêtre avec moi.
« Tu sais, Thib, jy ai pensé aussi.
Quest-ce que jai aimé, cette nuit-là !
Moi aussi jai aimé.
Ça a été un déclic pour moi.
Je pense que ça la été pour tout le monde.
Bon courage mon grand » il me glisse, tout en me claquant une double bise sonore. Une bise amicale, suivie par deux petits bisous légers dans le cou que je reçois comme une douce notification de ce quelque chose quil y a entre nous et qui ne saura pas éclore.
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