Histoire Des Libertines (38) : Marie-Antoinette, La Reine Calomniée ?
AVERTISSEMENT
Marie-Antoinette de Habsbourg-Lorraine (1755-1793), épouse de Louis XVI, fut au cur de la Révolution française. Surnommée « lAutrichienne », elle a été lune des reines de France les plus haïes de ses sujets et a été au cur des attaques contre la monarchie. On lappelait aussi « Madame déficit », « Madame Veto »ou encore « Lautruchienne ».
Comme cest la règle dans cette série, je mintéresserai principalement à sa vie intime. On lui a reproché sa légèreté et ses folies dépensières dans un royaume en banqueroute. On a mis en doute sa fidélité envers le roi, on lui a prêté de nombreux vices. Le personnage ma fasciné et je lui consacre donc, dans cette série consacrée aux libertines, un texte que jai souhaité exhaustif.
Marie-Antoinette fut une épouse qui a soutenu son mari, quand bien même elle fut souvent pour lui de bien mauvais conseil. Elle fut aussi une mère, pour laquelle jai de la sympathie, de la pitié et de la colère, face aux infâmes accusations que colporta contre elle, lors de son procès, laccusateur public, Fouquier-Tinville.
Je nentends pas trancher entre les deux images de la reine, encore moins prétendre la réhabiliter en ce qui concerne son rôle politique. Quelle fut calomniée dans sa vie personnelle est cependant évident.
Pour autant, jespère pour elle, dont le destin fut si tragique, quelle a pu mener, au moins en partie, cette vie libertine dont on la accusée, sans tenir compte de sa frustration dans sa vie de femme, aux côtés de Louis XVI, brave homme mais bien mauvais amant.
On peut raisonnablement penser que Marie-Antoinette était bisexuelle et que le bel Axel de Fersen fut son amant.
LARCHIDUCHESSE
Marie-Antoinette est la quinzième et avant-dernière de lempereur François Ier du Saint-Empire et de la grande Marie-Thérèse dAutriche, qui régna à Vienne durant 40 ans, de 1740 à 1780.
Marie-Antoinette reçoit une éducation où le maintien, la danse, la musique et le paraître occupent lessentiel de son temps, ne bénéficiant, de ce fait, daucune éducation politique.
Un mariage avec le Dauphin de France doit concrétiser, aux yeux de Marie-Thérèse, lalliance avec la France, quavait favorisée la Pompadour, mettant fin à une rivalité séculaire entre les deux dynasties.
Le 16 mai 1770, Marie-Antoinette épouse donc le Dauphin Louis-Auguste, futur Louis XVI, qui na que 16 ans.
UN MARIAGE QUI NE FUT CONSOMME QUAU BOUT DE 7 ANS !
La première nuit et les suivantes, furent un désastre et une immense frustration pour la jeune Marie-Antoinette.
La non-consommation du mariage, loin d'être une affaire privée, va rapidement devenir une affaire d'État : par sa descendance, ce n'est pas uniquement sa famille mais la monarchie tout entière que le futur roi doit pérenniser.
Pourquoi une telle attente ? Selon l'écrivain Stefan Zweig, Louis-Auguste est le seul responsable. Victime d'une malformation des organes génitaux, il aurait tenté chaque nuit d'accomplir son devoir conjugal, en vain. Ces échecs quotidiens se répercutent dans la vie de cour, le dauphin devenu roi étant incapable de prendre des décisions importantes et la reine compensant son malheur dans des bals et des fêtes. L'auteur avance même que le roi est « incapable de virilité » et qu'il lui est donc impossible « de se comporter en roi ». Puis, toujours selon l'auteur, la vie du couple est rentrée dans l'ordre, le jour où Louis XVI a enfin daigné accepter de faire confiance à la chirurgie.
Néanmoins, selon Simone Bertière, l'une des biographes de Marie-Antoinette, cette infirmité physique n'a pas été la cause de la longue abstinence des époux, puisque le Dauphin ne souffrait justement d'aucune infirmité de ce type.
Certes, dès juillet 1770, soit deux mois seulement après le mariage, le roi Louis XV profite d'une absence momentanée du dauphin pour convoquer Germain Pichault de La Martinière, un chirurgien alors réputé.
L'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche s'empare du sujet, refusant de croire que sa fille pourrait être la cause de cet échec.
En décembre 1774, devenu roi, Louis XVI se fait à nouveau examiner, cette fois-ci par Joseph-Marie-François de Lassone, médecin de la cour ; et en janvier 1776, c'est au docteur Moreau, chirurgien à l'Hôtel-Dieu de Paris, que revient la tâche d'examiner à nouveau le souverain. Les deux médecins sont formels : l'opération n'est pas nécessaire, le roi n'a aucune malformation.
Les docteurs Lassone et Moreau avancent néanmoins plusieurs raisons à ce retard conjugal, le premier parlant d'une « timidité naturelle » du monarque et le second d'un corps fragile qui semble néanmoins « prendre plus de consistance».
D'autres auteurs, comme le biographe Bernard Vincent (« Louis XVI », Gallimard, 2006) dénoncent quant à eux les coutumes de la cour qui, ajoutées à la timidité du roi et à la fragilité de son corps, ne pouvaient que retarder le moment suprême.
En effet, les époux vivent dans des appartements séparés : seul le roi a le droit de rendre visite à son épouse quand il s'agit de remplir le devoir conjugal. Une fois devenu roi, Louis XVI vit dans des appartements encore plus éloignés de ceux de sa femme qu'auparavant, et les allées et venues vers son épouse se font toujours sous le regard de courtisans curieux, notamment par la traversée du salon de l'il-de-buf. L'auteur ajoute que l'éducation prude et pudibonde des deux jeunes époux, au moment où ils étaient éduqués chacun dans leur pays, ne les avait pas disposés à s'abandonner du jour au lendemain aux audaces des relations conjugales.
Peu romantique, Louis XVI trouvera refuge dans l'une de ses activités préférées : la chasse.
Les mois et les années passent sans que de réels progrès soient perçus, le couple royal commençant à s'habi à cette situation.
Marie-Antoinette voit dans cette période une occasion de « jouir un peu du temps de la jeunesse », explique-t-elle à lambassadeur dAutriche Mercy-Argenteau.
Un semblant de consommation survient en juillet 1773, où la dauphine confie à sa mère : « je crois le mariage consommé mais pas dans le cas d'être grosse». Il semble en vérité que le Dauphin n'a pu que déflorer son épouse, sans aller jusqu'au bout. Marie-Antoinette est profondément frustrée et cherche à oublier cela en sétourdissant de fêtes et aussi par sa relation avec ses favorites.
L'attente est enfin récompensée le 18 août 1777. Trop tard pour sauver limage du couple royal !
Le 30 août suivant, la princesse écrit à sa mère : « Je suis dans le bonheur le plus essentiel pour toute ma vie. Il y a déjà plus de huit jours que mon mariage est consommé ; l'épreuve a été réitérée, et encore hier soir plus complètement que la première fois [...]. Je ne crois pas être grosse encore mais au moins j'ai l'espérance de pouvoir l'être d'un moment à l'autre ». L'accomplissement du devoir conjugal portera son fruit à quatre reprises, puisque le couple royal aura autant d's, sans compter une fausse couche en novembre 1780 : Marie-Thérèse Charlotte (née en 1778), Louis-Joseph (né en 1781), Louis-Charles (né en 1785) et Marie-Sophie-Béatrice (née en 1786).
Après ces quatre naissances, les époux n'entretiendront plus de relations conjugales.
Ces échecs et cette nouvelle abstinence donneront à Louis XVI l'image d'un roi soumis aux volontés de sa femme.
PORTRAIT DE MARIE-ANTOINETTE
Au moment de son mariage, à 15 ans, la jeune fille, au physique agréable, est assez petite et ne possède pas encore la « gorge », si appréciée en France. Elle est blonde, d'un blond assez soutenu tirant sur le roux, qui, sous la poudre, prend des reflets rosés. Ses yeux bleu pâle sont un peu trop saillants. Son visage, au vaste front bombé, considéré comme trop haut, offre un ovale très allongé. Le nez, qui promet d'être légèrement aquilin, offre peu de finesse. La jeune dauphine a néanmoins beaucoup de grâce et une légèreté presque dansante dans sa façon de se mouvoir.
Elle est « grande, admirablement faite » avec « des bras superbes » (Mme Vigée-Lebrun). [
]. « Sa peau, dit encore sa portraitiste, était si transparente qu'elle ne prenait point d'ombre. » [
]. « C'était la femme de France qui marchait le mieux.»
Marie-Antoinette aime le théâtre, la comédie, le jeu. Elle aime la danse et la musique. Elle chasse également. Le duc de Croÿ rapporte qu'«elle monte supérieurement.» Elle aime les toilettes, les voyages dans les différents châteaux de la Cour autour de Paris, l'aménagement intérieur et la décoration.
On lui passe difficilement ses bals et ses soirées dansantes chez ses amies ou ses beaux-frères. On ne lui pardonne pas les bals masqués de l'Opéra, inconvenants, juge-t-on, pour une reine de France. Malheureusement elle en raffole, et s'y fait conduire plusieurs fois pendant le carnaval.
PREMIERS PAS A LA COUR, PREMIERES MALADRESSES
Nous avons vu, dans « Histoire des libertines (36) : La dernière favorite », paru le 16 août 2019, combien la dauphine, influencée par ses tantes, les filles bigotes de Louis XV, exécrait la favorite, Mme Du Barry, ce qui déplaisait fortement au roi. Cela contribua aussi à la disgrâce du ministre Choiseul, à lorigine du mariage autrichien.
En 1774, après le décès de Louis XV, Louis XVI et Marie-Antoinette deviennent souverains à 20 ans. La reine Marie-Antoinette aurait soupiré, de façon prémonitoire : «Mon Dieu ! Protégez-nous, nous régnons trop jeunes».
UNE IMAGE TRES RAPIDEMENT CATASTROPHIQUE
La reine devient, dès lété 1777, la cible de premières chansons hostiles qui circulent de Paris jusquà Versailles.
Une véritable coterie se monte contre elle, dès son accession au trône, des pamphlets circulent, d'abord de courts textes pornographiques, puis des libelles orduriers.
Ses déboires conjugaux étant publics, on laccuse davoir des amants (le comte dArtois son beau-frère, le comte suédois Axel de Fersen) ou même des maîtresses (la duchesse de Polignac, la princesse de Lamballe), de dilapider largent public en frivolités ou pour ses favoris, de faire le jeu de lAutriche, désormais dirigée par son frère Joseph II.
Elle est clouée au pilori comme une nymphomane perverse et insatiable et bien vite la certitude de son insatiable érotisme se répand. Elle est décrite comme une «prostituée babylonienne», une «infâme tribade» ayant l'habitude, à Trianon, d'épuiser quotidiennement plusieurs hommes et plusieurs femmes pour satisfaire sa «diabolique lubricité».
De plus, le couple royal n'arrive pas à procréer, ce qui alimente les rumeurs sur l'impuissance de Louis XVI ou la stérilité de Marie-Antoinette, rumeurs généreusement répandues par le frère du roi, le comte de Provence, qui se juge seul apte à gouverner. Le roi se révèle en fait inexpérimenté et intimidé par sa femme avec qui il ne s'entend pas. Cette dernière, peu attirée par son époux, se montre réticente à accomplir le devoir conjugal.
Sa mère Marie-Thérèse, craignant pour la survie de l'Alliance franco-autrichienne et que sa fille puisse être répudiée, envoie son fils aîné Joseph le 19 avril 1777 à la Cour de France, afin danalyser au mieux la situation du couple. Un an plus tard, le couple donne naissance à leur première fille, Marie-Thérèse-Charlotte, mais cette naissance tant attendue apparaît suspecte et fait naître la rumeur de bâtardise de l', la paternité de la princesse étant attribuée au comte d'Artois ou au duc de Coigny.
Laffaire du collier de la reine (1785) va encore dégrader son image. Bien quinnocente, elle sort de laffaire totalement déconsidérée auprès du peuple. Non seulement l'affront ne fut pas lavé, mais il généra une réelle campagne de désinformation, étendue à tout le royaume.
C'est à partir de cette époque qu'est diffusée une littérature diffamante, à propos des amours de la reine et du roi. Parmi ces représentations, l'une fut très populaire : « Les Amours de Charlot et Toinette», caricatures du couple royal (1789), un véritable succès de librairie.
Marie-Antoinette se rend enfin compte de son impopularité et tente de réduire ses dépenses. Rien ny fait, les critiques continuent, la reine gagne le surnom de « Madame Déficit » et on laccuse de tous les maux.
La perte dune de ses filles, en 1787, à lâge de 11 mois, puis, en plein au moment des Etats Généraux, en 1789, du premier Dauphin, Louis-Joseph, à lâge de 8 ans, la marqueront terriblement. On oublie généralement de dire que Marie-Antoinette fut la première « reine-maman », qui prenait soin délever elle-même ses s.
LA REVOLUTION ET LE PROCES
Ne traitant pas ici du rôle politique de Marie-Antoinette, nous ne parlerons pas de limpact quelle a pu avoir pendant la Révolution et de linfluence sur Louis XVI, notamment au moment de la désastreuse fuite à Varennes. Attachée à ses prérogatives royales, elle use de son influence sur le faible Louis XVI pour entraver la marche vers une monarchie constitutionnelle. La reine, dès lors, cache à peine son souhait d'une intervention militaire contre la France. Autant dire que ses tractations plus ou moins secrètes avec l'ennemi, assimilables à un crime de haute trahison, pèseront lourd dans son procès.
Le peuple est très remonté contre Marie-Antoinette, toujours appelée «lAutrichienne». Les pamphlets et journaux révolutionnaires la traitent de «monstre femelle» ou encore de « Madame Veto », et on laccuse de vouloir faire baigner la capitale dans le sang.
Après le 10 août 1792, le roi déchu et sa famille sont enfermés au Temple.
Pendant les Massacres de Septembre, son ancienne favorite, la princesse de Lamballe est sauvagement assassinée, démembrée, mutilée, déchiquetée et sa tête est brandie au bout dune pique, devant les fenêtres de Marie-Antoinette, pendant que divers morceaux de son corps sont brandis en trophée dans Paris. Les auteurs du veulent « monter dans la tour et obliger la reine à embrasser la tête de sa grue». Ils veulent lui montrer la tête et le corps nu et profané de la princesse sur lequel, ils en sont convaincus, la reine se serait si longtemps livrée à ses penchants saphiques.
Louis XVI est séparé de sa famille le 11 décembre 1792 et, après son procès devant la Convention, exécuté le 21 janvier 1793.
A son tour, Marie-Antoinette sera séparée de ses s et transférée à la Conciergerie. Durant son séjour dans sa prison, Marie-Antoinette, atteinte de saignements, aurait développé un cancer de l'utérus, un cancer cervical, un fibrome ou aurait été affectée d'une ménopause précoce.
Le 14 octobre 1793, Marie-Antoinette comparaît devant le Tribunal révolutionnaire, mené par laccusateur public Fouquier-Tinville.
Si le procès de Louis XVI devant la Convention avait conservé quelques formes de procès équitable, ce nest pas le cas de celui de la reine. Il fallait condamner la «veuve Capet»
Le dossier est monté très rapidement, il est incomplet, Fouquier-Tinville nayant pas réussi à retrouver toutes les pièces de celui de Louis XVI. Pour charger laccusation, il parle de faire témoigner le Dauphin contre sa mère, qui est alors accusée de par Jacques-René Hébert. Il déclare que la reine et Mme Élisabeth ont eu des attouchements sur le jeune Louis XVII. Marie-Antoinette ne répond rien et un juré en fait la remarque. Marie-Antoinette se lève et répond « Si je nai pas répondu, cest que la nature elle-même refuse de répondre à une telle accusation faite à une mère. Jen appelle à toutes celles qui peuvent se trouver ici !». Pour la dernière fois, la foule (et surtout les femmes) applaudit la reine.
La condamnation à mort, pour haute trahison, est prononcée le 16 octobre 1793 vers 4 heures du matin.
Marie-Antoinette adressera une dernière lettre, très émouvante, à sa belle-sur, Madame Elisabeth.
La femme autrefois décrite comme autoritaire et superficielle s'exprime à ce dernier instant en toute humilité. Sa préoccupation essentielle concerne l'état d'esprit dans lequel ses s assumeront la mort de leurs parents.
Cest son courage face à ce procès abominable et cette dignité devant la mort qui ne peuvent que susciter un profond respect envers Marie-Antoinette.
LA REINE MARTYRE
Après sa mort sur l'échafaud, les royalistes ont composé la légende de la reine martyre. Alors que de son vivant, la reine eut à subir des paroles ou des écrits malveillants, bien des souvenirs furent oubliés plus ou moins volontairement et camouflés après sa mort.
Pour les républicains, la dernière reine de l'Ancien Régime apparaît plutôt comme une princesse sotte, égoïste et inconséquente, dont on minimise le rôle politique. Cependant, Marie-Antoinette suscite généralement intérêt et compassion jusqu'à nos jours.
MARIE-ANTOINETTE, BISEXUELLE ? LA LAMBALLE ET LA POLIGNAC
La grande historienne Evelyne Lever est persuadée quil ne sagissait que dune rumeur malveillante, qui toutefois ne tombe pas du ciel. Les informations colportées sur le saphisme de Marie-Antoinette prennent racine dans ses amitiés féminines, notamment sa grande intimité avec Madame de Lamballe, puis avec la duchesse de Polignac.
Le jour de son mariage, elle fait la connaissance de Marie-Thérèse-Louise de Savoie (1749-1792), veuve du prince de Lamballe. Marie-Antoinette trouve en cette princesse de 21 ans une oreille attentive et une confidente sincère, dont elle devient rapidement dépendante. Elle la fait donc déménager au palais, tout près delle.
Marie-Antoinette ne jure que par cette belle blonde aux yeux gris. Les deux femmes deviennent inséparables et semblent tout partager. Cette proximité fait jaser toutes les commères, qui pullulent dans les allées de Versailles. On prétend alors que la reine et sa nouvelle amie sont plus quintimes.
Peu importe les rumeurs, Marie-Antoinette ne se sépare pas de la Lamballe. Au contraire, elle la nomme « surintendante de la maison de la reine » et la charge donc de lui organiser toutes ses fêtes et ses plaisirs. Mais très rapidement, madame de Lamballe savère peu douée pour divertir sa souveraine.
La reine va finalement délaisser son «cher cur»pour Gabrielle de Polignac (1749-1793), plus enjouée et spirituelle, plus fraiche et plus insolente.
La Duchesse ne laisse personne indifférent et chacune de ses venues à la cour est un événement. Marie-Antoinette est fascinée par cette beauté ravageuse et décide de linstaller dans ses appartements au château. Dun naturel rieur et enjoué, Madame de Polignac enchante le quotidien de la souveraine, qui est très souvent mélancolique. Lhistorienne Evelyne Lever affirme même quavec elle, «Marie-Antoinette a l'impression de vivre sa vie par procuration».
Quand elle aime, Marie-Antoinette ne compte pas : elle couvre sa nouvelle favorite de cadeaux, de faveurs et de grosses sommes dargent. Pour les aristocrates proches de la couronne, cela ne fait plus aucun doute : les deux femmes entretiennent bien une liaison. Et comme la reine voit plus souvent la Polignac que Louis XVI, le supposé saphisme de la souveraine est relancé. D'autant que le clan des Polignac pousse la duchesse à s'immiscer dans les affaires politiques du royaume. Raison de plus pour que ses détracteurs s'en donnent à cur joie.
Une rumeur sur une relation de la Polignac avec le comte de Vaudreuil mécontentera la reine, jalouse. Face aux nombreux scandales qui ne se taisent pas, la duchesse se résout à quitter Versailles avec ses s. Les adieux déchirants entre celles qui se sont tant aimées sont rapportés ainsi par le prince de Ligne, dans ses Fragments dHistoire : « La reine pleure, embrasse la comtesse, lui prend les mains, la conjure, la presse, se jette à son cou ».
De cette « amitié particulière », Chantal Thomas fera un roman : « Les Adieux à la Reine » (Seuil, 2002), adapté en 2012 au cinéma par Benoît Jacquot.
Les relations saphiques de Marie-Antoinette ne se seraient pas limitées à la Lamballe et à la Polignac. La reine protège la comédienne Mademoiselle Raucourt, qui se présente comme présidente dune société secrète consacrée à Lesbos. La Raucourt a par ailleurs une liaison publique avec la cantatrice Mlle Arnould qui «veut quon soit putain ou tribade» (Alain DagNaud)
SON GRAND AMOUR : FERSEN
Marie-Antoinette na aimé quun homme, un seul, jusquà sa mort. Ce nest pas Louis XVI, mais plutôt Axel de Fersen, un officier et comte suédois. Juliette Benzoni est persuadée que Fersen fut bel et bien lamant de la reine.
La romance de ses deux amants a rarement été heureuse et elle se construit comme lune de ces tragédies classiques, dont la reine raffolait tant. Le jeune aristocrate venu du Nord, qui avait exactement le même âge quelle, entre dans la vie de la reine lors dun des fameux bals masqués de lOpéra, donné en janvier 1774. Alors que chacun badine et baguenaude dans un coin, Marie-Antoinette est séduite par cet homme, dont le visage est dissimulé derrière un loup de velours. Elle ne voit que ses yeux, bruns, ténébreux, qui lenvoûtent. Les deux jeunes gens se tournent autour sans se soucier des regards inquisiteurs. Ce sont les dames de la maison de la Dauphine, qui se tourmentent des «qu'en-dira-t-on», qui arrêtent le petit manège. Le lendemain, le comte disparaît et Marie-Antoinette na plus de nouvelles.
Quatre ans plus tard, il revient à la cour de France, où il aime venir parfaire sa culture du beau langage. En lapercevant, Marie-Antoinette, devenue entretemps reine de France, se serait écrié : « voilà une vieille connaissance !»
Cette fois, Fersen reste plus longtemps et prend le temps de déclarer sa flamme à la souveraine, qui ny résiste pas. Puis, il est à nouveau appelé par les sirènes de la guerre, de lautre côté de lAtlantique, aux États-Unis. Marie-Antoinette le retrouve trois ans plus tard et lui fait promettre, cette fois, de ne plus labandonner. Durant plusieurs mois, ils vivent ensemble une idylle, souvent isolés dans les alcôves et les jardins ombragés du Petit Trianon. Certaines rumeurs prétendent alors que le comte serait le véritable père du petit Dauphin.
La cour gronde, et pour ne pas éveiller les soupçons, même si cest trop tard, Fersen est régulièrement envoyé en mission en province. À Paris, pour donner le change, il prend aussi dautres maîtresses, comme la courtisane italienne Eleanore Sullivan ou encore Elisabeth Foster, fille du comte de Bristol, à laquelle il avouera les liens qui le lient à la reine de France.
Fersen continue de filer le parfait amour avec la souveraine, quil rejoint régulièrement, en catimini, dans ses appartements. Quand ils sont éloignés, les deux amants senvoient même des lettres enflammées dans une langue cryptée, pour plus de sécurité. Lors de la fuite de Varennes en 1791, cest Fersen, déguisé en cocher, qui la planifie. « Mon seul chagrin est de ne pouvoir la consoler entièrement de tous ses malheurs et de ne pas la rendre aussi heureuse qu'elle mérite de l'être », écrit-il à sa sur, quand il apprend que son aimée est enfermée dans une geôle. Jusquà la fin, il tentera en vain de la sauver. Il survivra 17 ans à celle quil a tant aimée.
LE COMTE DARTOIS ET LA BAGATELLE
Celui qui sera le futur Charles X (1757-1836) fut-il lamant de la reine ?
Alors que Marie-Antoinette s'ennuie aux côtés de son époux, elle trouve une meilleure compagnie en la personne du jeune frère de ce dernier, le comte d'Artois. Le comte partage beaucoup de passions communes avec la reine. Avec l'enthousiasme et l'insouciance de ses vingt ans, il dépense sans compter pour les plaisirs de la fête, du jeu et du sexe. Et puisqu'il a hérité des traits de Louis XV, le comte ne laisse aucune femme de la Cour indifférente. Même Marie-Antoinette est charmée et ne se cache jamais de le complimenter en public. Elle retrouve régulièrement celui qu'elle considère comme un «confident», pour l'accompagner aux courses, à la promenade ou à l'opéra.
Un soir d'octobre, alors qu'ils achèvent l'une de leurs folles journées, la reine défie son beau-frère de lui construire un château dans le bois de Boulogne. Après plusieurs mois de travaux acharnés, durant lesquels quelques mille ouvriers se relaient jour et nuit, le domaine de Bagatelle ouvre ses portes.
L'esprit de ce lieu est compris dans son nom. Meublé de lits incommensurables, de miroirs suggestifs et décoré de fresques licencieuses, ce petit palais accueille les amours libertines de son créateur, mais aussi celles de la reine. Certains disent même que tous deux s'y rencontrent bien trop souvent.
ON LUI A PRETE BEAUCOUP DAMANTS
«On dit que jai des tas damants», aurait un jour lancé, amusée, Marie-Antoinette à sa «confidente», la Polignac.
«On dit pire», aurait alors répondu la duchesse. En effet, on ne compte plus les prétendues liaisons de la souveraine. Parmi elles, sa brève histoire avec Armand-Louis de Gontaut Biron, duc de Lauzun, est certainement des plus célèbres. À la cour, il a la réputation dêtre un «gascon hâbleur» comprenez un invétéré séducteur comme lécrivait Madame Campan dans ses Mémoires.
Lors dune réception, il flirte avec la reine et va jusquà lui offrir la plume de héron blanc quil porte sur son chapeau. Le symbole était bien trop clair pour ne pas éveiller les ragots. Un soir, alors quil flatte Marie-Antoinette dans ses appartements privés, celle-ci le congédie en hurlant. Elle ne voudra plus jamais le revoir. Personne, à part certainement sa femme de chambre, ne sait ce qui sest vraiment passé.
Il est à noter que Louis XVIII, contrairement à Napoléon, ne sopposera pas à la publication en 1822 des mémoires du duc de Lauzun, qui laissent entendre que Marie-Antoinette eut une aventure avec lui.
Juliette Benzoni, dans le chapitre quelle consacré à Marie-Antoinette dans son ouvrage « Dans le lit des reines » rapporte que Mme Campan, femme de chambre de la reine, tout en affirmant le contraire dans ses Mémoires, reconnut que Marie-Antoinette fût également la maîtresse du Duc de Coigny.
ORGIES AU PETIT TRIANON ?
Pour fuir les sempiternelles règles de la cour, Marie-Antoinette se réfugie dans les joies de la fête. Elle organise de nombreux bals masqués, folles bambochades et autres carnavals durant lesquels elle peut oublier son statut de souveraine en se dissimulant derrière un masque. Au Grand Trianon, la reine planifie ses réceptions les plus somptueuses, où le faste et labondance sont de mise.
Dans son petit Trianon, son paradis terrestre, elle retrouve ses amis les plus proches pour des soirées plus intimes. Devant eux, elle se produit sur la scène dun petit théâtre : seul endroit où elle semble retrouver toute sa liberté.
La reine danse souvent jusquà la pointe du jour. Seule ombre au tableau de ses innombrables fêtes, le roi Louis XVI en est souvent absent. Et que fait Marie-Antoinette quand son époux nest pas là ? Tout le monde sinterroge. Et même si elle a visiblement le pas lourd quand elle sessaie à la contredanse, on dit quelle aurait au contraire la cuisse légère
HEROINE DE PAMPHLETS EROTIQUES DHIER
Rarement reine de France n'aura déchaîné autant de passions, mais aussi de critiques. Dès les premières années de règne de son époux, Marie-Antoinette devient la cible toute choisie de la caricature.
Marie-Antoinette cristallise la haine : ambitieuse, téléguidée par lAutriche, elle serait la nouvelle Messaline, une nymphomane adultère.
Et la légèreté de ses murs, dont les frasques se murmurent jusque dans le bas-peuple, inspire le nouveau courant littéraire de cette seconde moitié du XVIIIe siècle : le libertinage, voire parfois la pornographie.
Héroïne de nombreux pamphlets particulièrement graveleux, la souveraine voit sa sexualité fantasmée et noircie sur des pages et des pages, distribuées dans les rues ou publiées dans les journaux : « Les fureurs utérines de Marie-Antoinette », « L'Autrichienne en goguettes », « Bordel royal », « la Vie privée, libertine et scandaleuse de Marie-Antoinette » et surtout « Essais historiques sur la vie de Marie-Antoinette ». Les titres ne manquent pas !
Elle apparaît dans la plupart des pamphlets comme incapable de contrôler ses pulsions sexuelles, prête à tous les subterfuges pour les assouvir, lors dorgies quelle organise au petit Trianon, ou dans les appartements de Versailles, à la barbe du Roi qui, en abruti accompli, ne voit rien. Dans le pamphlet « Bordel royal », paru en 1790, Marie-Antoinette se livre à des bacchanales paillardes et bestiales, où elle ne craint pas de faire la grâce de son corps à quatre, cinq voire six hommes à la suite
Aucun avilissement nest épargné à Marie-Antoinette, transformée en furie lubrique, «folle de son corps», outragée en des termes très crus. Sodomie, entretien de partenaires sexuels, prostitution
Elle est celle par qui la décadence sinstalle. Certains pamphlets se surpassent en vulgarité, décrivant de véritables scènes pornographiques.
La police est incapable denrayer limpression toujours croissante de ces pamphlets, car des gens de Cour les font imprimer ou en protègent limpression. Autant certains pamphlets ne sembarrassent pas desthétique littéraire, autant il apparaît clairement que dautres ont été écrits par des «écrivains de race».
Lun d'eux, «les Amours de Charlot et Toinette», aurait été écrit par Beaumarchais et publié en secret à Londres. « Son membre est un tison, son cur est une fournaise. Il baise ses beaux bras, son joli petit con. Et tantôt une fesse et tantôt un téton », peut-on lire dans cette version avant lheure de « Cinquante Nuances de Grey ».
Dans les «Essais historiques», on «apprend» que le Duc de La Vauguyon aurait placé sa bru, la duchesse de Saint-Maigrin, dans le lit de Marie-Antoinette. Lui auraient succédé la duchesse de Cossé et bien dautres.
Les «Essais» accusent la reine davoir conçu lun de ses s avec le duc de Coigny. Ils se complaisent dans la description des prétendues orgies de la reine dans les bosquets de Versailles, qualifiés de «nocturnales». Selon Les essais : « Il est inouï combien la reine chercha et trouva daventures : hommes et femmes, elle essaya tout ».
Dans l'ensemble de ces histoires, les auteurs lui prêtent des pulsions sexuelles incontrôlables et une liste d'amants longue comme le bras. Marie-Antoinette ne pourra pas lutter, puisqu'au contraire la publication de ces textes insultants pour la famille royale se fait de plus en plus fréquente jusqu'à la Révolution de 1789.
ET DAUJOURDHUI
Encore de nos jours, Marie-Antoinette est la «vedette» de textes érotiques. Le plus récent exemple est une bande dessinée érotique, que jai citée en biographie. Dans « les plaisirs dune reine », lauteur imagine les souvenirs de la Princesse de Lamballe, enfermée à la prison de La Force, où ses geôliers nt delle.
Ses souvenirs concernent une Marie-Antoinette frustrée par la non-consommation de son mariage et ignorante des choses de lamour. La Dauphine découvre dans la bibliothèque des ouvrages libertins, qui linspirent dans ses plaisirs solitaires.
Exaspérée par létiquette de la Cour et la cérémonie du lever, Marie-Antoinette décide que seule désormais Marie-Thérèse de Lamballe soccupera delle. Elles deviennent intimes, la Lamballe, «son cher cur», racontant en détail à la Dauphine ce quelle a vécu auprès de son débauché de mari.
Cest tout naturellement que les deux femmes deviennent amantes. Pour parfaire son «éducation», Marie-Antoinette demande à la Lamballe de se faire baiser par un garde, pendant quelle-même ne perd pas une miette du spectacle, quelle observe grâce à une glace sans tain.
Lors dune seconde séance, Marie-Antoinette ne se cache plus et se masturbe, pendant que son «cher cur» se fait sodomiser.
La bande dessinée mentionne ensuite la passion de la Reine pour la rivale de la Lamballe, Yolande de Polignac. Cest la seconde expérience saphique de la Reine.
Autant la Lamballe est amoureuse de la reine, autant la Polignac est décrite comme une garce.
La Lamballe nécoute que son amour pour la reine et surmonte sa jalousie. Les trois femmes se livrent désormais à des parties saphiques à trois.
La bande dessinée décrit ensuite ladultère de la reine avec Axel de Fersen, organisé avec la complicité de la Polignac et de la Lamballe, qui se gouinent pendant que Marie-Antoinette découvre (enfin) le plaisir viril.
Louvrage se termine sur les Massacres de Septembre et lhorrible mort de la Lamballe, fidèle à sa reine jusquau bout.
HYPERSEXUELLE OU CALOMNIEE ?
« Accusée de quantité de choses, Marie-Antoinette, frivole et tragique, est devenue le miroir dans lequel se projettent les fantasmes de n'importe quelle époque », a écrit l'historienne Évelyne Lever. Aucune reine de France na en effet fait couler autant dencre. Certainement parce que tout au long de son règne, elle est au cur de nombreux scandales.
Beaucoup a été dit sur la dernière reine de France : frivole, dépensière, écervelée, infidèle, lubrique. On ne saura jamais la vérité sur lintimité de la reine la plus haïe et bafouée de lhistoire de France.
Comme lécrit Evelyne Lever, dans son « Dictionnaire amoureux des reines », le couperet de la guillotine a rendu à Marie-Antoinette la majesté dont ses ennemis lavaient dépouillée », faisant oublier la légende noire de la « reine scélérate »
On réécrit inlassablement lhistoire de cette femme sensible et imprudente que rien ne préparait à son terrible destin. Les images se superposent : une princesse au charme rayonnant, frivole par désuvrement, mais aussi mère attentive, amoureuse sincère du comte de Fersen, femme et reine humiliée.
Il nest pas possible de conclure. Bien évidemment que Marie-Antoinette ne fut pas la Messaline que ses ennemis ont brocardé dans les pamphlets.
Il y a une certitude : elle fut profondément frustrée dans son couple et, même après que le roi soit « enfin » parvenu à assumer son devoir conjugal, il ne lui a pas apporté ce quappelait la sensualité de la reine.
Il y a ensuite une forte probabilité : son amour pour Fersen nest pas resté platonique et a certainement été consommé.
Il y a enfin une hypothèse plus que probable, celle de la bisexualité de Marie-Antoinette, qui a cherché la consolation dans les bras de ses deux favorites, la Lamballe et la Polignac.
Pour Marie-Antoinette, cette femme malheureuse, au destin si tragique qui a effacé sa légèreté et ses « fautes », je veux croire en cette probabilité et cette hypothèse et dire à ceux ou celles qui soffusqueraient au nom de la morale et parce quil y a eu adultère, quils sont mal placés en étant des habitués de ce site HdS, sans ajouter ce que dit la parabole sur la première pierre !
PRINCIPALES SOURCES
Les références concernant Marie-Antoinette sont évidemment très nombreuses.
Comme la règle dans cette série de textes est daborder les aspects intimes dun personnage, je recommande plus particulièrement :
Le chapitre que lui consacre Juliette Benzoni dans son ouvrage « Dans le lit des reines » (Perrin, 2011)
Le chapitre que consacré Patrick Caujolle au phimosis de Louis XVI dans son livre « Histoire de la France polissonne » (Le Papillon rouge, 2013)
Alain DagNaud consacre également tout un chapitre au couple de Marie-Antoinette et Louis XVI dans son ouvrage « Les dessous croustillants de lHistoire de France » (Larousse 2017)
Evelyne Lever : « Dictionnaire amoureux des reines » (Plon, 2017)
Une bande dessinée érotique, qui soutient la thèse dune Marie-Antoinette libertine et bisexuelle : « Les Plaisirs dune reine. La vie secrète de Marie-Antoinette » (Pylate, 2018)
Voici les principaux liens que jai consultés sur Internet, en plus de larticle de Wikipédia :
https://www.histoire-pour-tous.fr/histoire-de-france/2959-la-biographie-de-marie-antoinette-1755-1793.html
https://www.herodote.net/Marie_antoinette_1755_1793_-synthese-1871.php
https://www.lepoint.fr/people/marie-antoinette-la-reine-la-plus-haie-de-france-20-03-2012-1443248_2116.php
http://iutmdl.over-blog.com/2018/12/marie-antoinette-la-reine-au-destin-tragique.html
https://www.vanityfair.fr/savoir-vivre/diaporama/ces-scandales-sexuels-qui-ont-eclabousse-marie-antoinette/35535
http://plume-dhistoire.fr/marie-antoinette-victime-pamphlets-erotico-obscenes/
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