Histoire Des Libertines (52) : Des Libertines De La Belle Epoque

La Belle Epoque, un peu comme ce fût le cas avec la « fête impériale » (voir « Histoire des libertines (50) : femmes d’influence à l’époque du Second Empire », paru le 23 décembre 2019) a une réputation de libertinage et de plaisirs, dans certains milieux du moins.

Nous allons évoquer deux personnages qui symbolisent bien cette période : La belle Otero (1868-1965) et Liane de Pougy (1869-1950), pour qui de nombreux hommes se suicidèrent.

CHAPITRE 1er : LA BELLE OTERO, EMBLEME DE LA BELLE EPOQUE

Agustina Otero Iglesias, alias Caroline Otero, dite « La Belle Otéro » est une chanteuse et danseuse de cabaret et grande courtisane de la Belle Époque.

La Belle Otéro était originaire d’une famille misérable de Galice (et non d’Andalousie, comme elle le fera croire dans ses mémoires)

UNE JEUNESSE DIFFICILE

La mère d'Agustina, Carmen est une gitane, chanteuse, danseuse de rue, diseuse de bonne aventure. Carmen se marie en 1863 à un officier grec nommé Carasson. La famille, nombreuse, issue de pères différents, vit difficilement. Carasson, joueur invétéré accumule les dettes jusqu'à ce qu'il soit tué lors d'un duel. Agustina naîtra de père inconnu.

Agustina se rend compte que sa mère se prostitue pour pouvoir subvenir aux besoins de la famille. Carmen épouse un amant français en 1874 et Agustina se sent vite détestée par ce beau-père.

VIOLEE ET PROSTITUEE

Lors d'une fête villageoise, le 6 juillet 1879, Agustina est brutalement violée par un savetier du nom de Venancio Romero. L’auteur de ce crime ne sera ni poursuivi, ni condamné ! Les temps ont heureusement bien changé.

À treize ans, elle rencontre son premier amant, un jeune chanteur de trois ans son aîné, Paco, qui lui apprend à danser le flamenco, à chanter et jouer la comédie dans des cafés, mais la force aussi à se prosti. Quand elle tombe malade, le médecin dénonce la situation de la jeune mineure : elle est ramenée chez elle, mais sa mère la rejette.

Elle rejoint Paco à Lisbonne. Enceinte, son proxénète la force à un avortement qui la rendra stérile.

En 1882, elle s'installe à Barcelone, où elle rencontre son deuxième amant, Francisco Coll y León, croupier et lui aussi souteneur. Francisco la fait se produire dans des maisons de jeux et des établissements mal famés sous son nouveau nom de scène Caroline. Chantant et dansant avec une grande sensualité, elle acquiert une petite notoriété qui lui permet d'exercer ses charmes dans de petits cabarets.

MONDAINE

Sa rencontre avec le banquier Furtia est décisive. Il achète sa liberté, lui apprend les belles manières et lui décroche des contrats dans de grands cabarets. Il l'emmène à Marseille puis à Monte-Carlo. En 1889, elle monte à Paris, en pleine Exposition Universelle et rencontre l'imprésario Joseph Oller, propriétaire du Moulin-Rouge, qui fait décoller sa carrière de danseuse exotique. Elle se produit également au Grand Véfour et au Cirque d'été.

La belle danseuse espagnole enflamme les spectateurs parisiens : «Souple comme une panthère, le poignet sur sa croupe extra-andalouse, elle exécute une rotation lente, lascive, scandée par des mouvements automatiques: le ventre s'offre, se retire, et le torse se renverse complètement en arrière dans une attitude pâmée», comme l’écrit le critique de Gil Blas.

En 1890, Ernest Jurgens, coadministrateur de l'Eden Museum de New York, est en visite en France pour dénicher de nouveaux talents. Elle séduit cet imprésario américain qui lui offre une tournée triomphale aux États-Unis. Revenue à Paris en 1892, elle se fait une spécialité des rôles de belle étrangère aux Folies Bergère et au théâtre des Mathurins sous le nom de « Belle Otéro » trouvé par Joseph Oller.

Elle porte des tenues de scènes somptueuses, où des joyaux authentiques mettent en valeur ses seins. Elle fait plusieurs tournées en Europe, en Amérique et en Russie. Quitté par la danseuse en 1895, Jurgens met fin à ses jours.


PREMIERE STAR, OTERO EST UNE HYPERSEXUELLE QUI COLLECTIONNE LES AMANTS

En août 1898, Otéro devient la première star de l'histoire du cinéma, lorsque l'opérateur Félix Mesguich filme un numéro de danse au moyen d'un cinématographe Lumière à Saint-Pétersbourg. La projection qui a lieu le lendemain au music-hall Aquarium suscite des réactions si violentes que Mesguich est expulsé de Russie.

Elle devient l'amie de Colette (dont nous reparlerons), et l'une des courtisanes les plus en vue de la Belle Époque, avec la Carmencita, Espagnole comme elle, Cléo de Mérode, Émilienne d'Alençon et sa grande rivale, Liane de Pougy.

La Belle Otéro est une hypersexuelle, une croqueuse d’hommes. La belle Otéro s'entoure de tous les messieurs les plus puissants de l'époque. Elle est partout et tout le monde la veut.

La belle Otéro tient un carnet où sont consignées les performances de ses partenaires !

Petit à petit, l'Espagnole devient «la femme la plus fêtée, la plus courtisée et la plus adulée de la terre». La belle Otéro devient la demi-mondaine la plus impitoyable de la Belle Époque: elle se fait payer les dîners dans les plus beaux restaurants. Couverte de bijoux: elle devient richissime.

Le « tableau de chasse » de cette grande séductrice est impressionnant :

• Tous les souverains se disputent ses faveurs: Albert Ier de Monaco, le tsar de Russie, le Kaiser Guillaume II Édouard VII du Royaume-Uni, Léopold II de Belgique et même l'empereur du Japon !

• Des aristocrates russes et britanniques, comme le duc de Westminster ou le grand-duc Nicolas de Russie

• Des financiers, des écrivains tels que Gabriele D'Annunzio (qui sera rejeté par Liane de Pougy)

• Des ministres ou des hommes politiques, tels qu’Aristide Briand, qui reste son amant pendant dix ans et qui aurait été le seul homme auquel elle se serait réellement attachée.

Elle fait tourner bien des têtes et serait à l'origine de plusieurs duels et de six suicides, d'où son surnom de la «sirène des suicides», qui contribue à sa renommée de femme fatale !

UNE LONGUE RETRAITE

Pendant la Première Guerre mondiale, elle se produit pour soutenir le moral des soldats français.
En 1915, encore belle et au sommet de sa gloire, mais consciente aussi que sa silhouette est moins fine et que son nouveau répertoire au théâtre, avec des pièces plus classiques, ne servira plus autant son image, elle prend sa retraite et s'installe à Nice où elle mourra dans le dénuement en 1965 ! Elle y achète une maison, Villa Caroline, de quinze millions de dollars courants, mais termine dans un petit hôtel près de la gare où elle peine à payer sa logeuse, car sa fortune a été dilapidée notamment dans les casinos.

LA HAINE DES HOMMES

La Belle Otéro fut une femme fatale qui ravagea les cœurs.

Dans ses mémoires, la Belle Otéro tend à farder, voire à inventer de nombreux détails, mais c’est en toute sincérité qu’elle affirme s’être vouée à la ruine des hommes qu’elle séduit, bien qu’elle n’en explique jamais la raison : à l’âge de dix ans, elle a été violée par un cordonnier qui a échappé à la justice, tandis qu’elle, chassée par sa mère, a été obligée de quitter son village et de mener une vie errante, dansant et se prostituant dans de petites auberges de province.

Elle ne parle pas plus de sa stérilité, provoquée, lorsqu’elle était adolescente, par un avortement auquel l’a e son amant et proxénète : seul l’épisode de l’avortement est évoqué dans ses mémoires.

Dans une société machiste et patriarcale, qui adore « la Femme » sans aimer « les femmes » et qui divise la gent féminine en trois catégories, la vierge, l’épouse et la prostituée, la Belle Otéro utilise le seul moyen qui lui est permis, la séduction, pour se venger des hommes, qui ne cherchent en elle qu’une jolie poupée animée, qu’ils se plaisent à payer cher pour afficher leur puissance (financière) face à leurs rivaux.

Elle atteint son but, non seulement par sa beauté, mais aussi par la sensualité sauvage d’une véritable « panthère en chaleur » (selon l’expression de Jacques Sigurd) que sa danse révèle.

Vedette des Folies-Bergère, cette Espagnole dotée d’un charmant mélange de sensualité, de candeur et de verve comique revendique son statut d’artiste face aux « femmes spectacle », comme la détestée Liane de Pougy.


CHAPITRE II : LIANE DE POUGY

Anne-Marie Chassaigne, dite Liane de Pougy (1869-1950), épouse d’Armand Pourpe puis, par son second mariage, princesse Ghika, est, elle aussi, une danseuse et courtisane de la Belle Époque.

FILLE ET EPOUSE (ADULTERE) D’OFFICIER

Fille d’un officier de cavalerie, Anne-Marie, cadette et seule fille parmi quatre s, reçoit l'éducation d'une jeune fille de son milieu au couvent de Sainte-Anne-d'Auray, dans le Morbihan, où elle entre en 1878, à neuf ans, et restera jusqu'en 1885.

Elle est mariée à dix-sept ans, en 1886, à Lorient, à un officier de marine, l'enseigne de vaisseau Joseph Armand Henri Pourpe, dont elle aura un fils.

Mais alors qu'elle réside à Marseille, son mari ayant été affecté à Toulon, elle prend un amant. Mis au courant de son infortune, Armand Pourpe tire un coup de feu qu’Anne-Marie reçoit dans le bas du dos. Elle s'enfuit, s'installe à Paris et demande le divorce en profitant des nouvelles lois, au grand scandale de sa famille. Elle a alors 19 ans. Bien qu’issue, contrairement à la Belle Otéro, d’une « bonne famille », elle va devenir elle aussi une demi-mondaine, reine des nuits parisiennes.

LA PLUS JOLIE FEMME DU SIECLE

Enfin libre, Anne-Marie part à Paris, la ville de tous les plaisirs et de tous les possibles, qu’elle avait découverte lors de son voyage de noces : après une période d’apprentissage dans une maison close et grâce aux conseils de la célèbre Valtesse de la Bigne (1848-1910), qui a inspiré à Zola le personnage de Nana, la pudique Anne-Marie se transforme en Liane de Pougy et gravit rapidement les échelons de la galanterie. Proust s’inspirera d’elle pour créer le personnage d’Odette de Crécy, l’obsession amoureuse de Swann.

Sous le pseudonyme de Liane de Pougy, elle commence alors une carrière de danseuse de cabaret et devient rapidement une des courtisanes les plus en vue de la capitale.

Elle rencontre Henri Meilhac, auteur dramatique à succès, septuagénaire mais amateur de jolies femmes, qui succombe à son charme et la lance dans le monde du théâtre en la faisant engager aux Folies Bergères, où elle débute en avril 1894. Elle joue à l'Olympia dans la pantomime Rêve de Noël puis triomphe aux Folies Bergères en 1896, avec le rôle d’Oriane dans l’Araignée d'or.

Edmond de Goncourt la qualifiera alors de « plus jolie femme du siècle. »

LE PASSAGE DES PRINCES

Parmi ses adorateurs, on compte Charles de Mac-Mahon (1856-1894), Roman Potocki (1851-1915) ou le jeune Maurice de Roths (1881-1957) qui la couvrent de bijoux, lui offrent des équipages et le luxueux «nécessaire» à la vie d'une courtisane d'alors.

Liane multiplie les amants (à 21 ans on lui en compte déjà 43!) et, petit à petit, la qualité de ses «protecteurs» évolue jusqu’à toucher la noblesse et lui valoir le surnom de «Passage des Princes».

Plus le fruit est gros et plus il en sort du jus : Liane va donc presser tout ce beau monde tant qu’elle pourra pour développer sa fortune personnelle :

• Lord Carnavon (celui qui, en 1922, découvrira avec Howard Carter la tombe de Toutankhamon) lui offre une perle inestimable

• Elle absorbe littéralement la fortune de Charles de Mac Mahon, parent de l’ancien Président de la République.

• Elle fait payer 80.000 francs à Henri Meilhac, 70 printemps bien tassés, le simple droit de la voir nue.

• Elle se fait offrir plus de 400.000 francs de bijoux pour participer à des jeux sadomasochistes avec des russes…

A l’aube de ses 30 ans, Liane de Pougy est LA courtisane des puissants et ne recule plus devant aucun caprice, allant jusqu’à se payer le luxe d’humilier le grand poète italien Gabriele d’Annunzio, en lui envoyant sa femme de chambre plutôt qu’elle-même, sous prétexte qu’il avait mauvaise haleine !

Sa rivalité avec la Belle Otéro contribue à la célébrité de l'une comme de l'autre.

Le guide Paris-Parisien la considère bientôt comme une « notoriété de la vie parisienne ». L'édition de 1896 la décrit comme une « demi-mondaine connue pour ses beaux bijoux »; celle de 1899, comme une « demi-mondaine connue pour ses ventes, son suicide, ses essais littéraires et dramatiques ». Georges Montorgueil, dans son ouvrage sur Les Parisiennes d'à présent (1897), s'amuse : « Mais si elle n'est de Pougy elle est bien Liane pour sa souple beauté et ses enlacements ».

LIANE ET LE CULTE DE LESBOS

La Belle Epoque fut aussi une période où s’affichait ouvertement la bisexualité féminine dans les milieux mondains et artistiques. Nous en reparlerons à propos de Colette, de Renée Vivien et de Natalie Clifford Barney.

Ouvertement bisexuelle, Liane de Pougy a des amants des deux sexes et entretient des liaisons amoureuses avec Valtesse de La Bigne ou bien Émilienne d'Alençon.

En 1899, elle rencontre Natalie Barney, qu’elle décrit ainsi dans ses souvenirs (« Mes cahiers bleus ») : « un don du ciel, (...) un rayon lumineux et subtil qui dore tout sur son passage » mais aussi « Nathalie l'inconstante, qui sait être si fidèle malgré ses infidélités ».

Natalie est une jeune américaine de vingt-trois ans, qui deviendra poétesse et romancière. Celle-ci se présente chez Liane déguisée en page florentin.

Liane, touchée par tant de fraîcheur et de spontanéité, tombe follement amoureuse. La jeune Américaine, fascinée par Liane, lui offrira la démesure de son innocence, l'insolence de cet amour. Elle témoignera de cette passion dans « Souvenirs indiscrets »

Durant l’été 1899, Liane écrit à Natalie : « Des mots, des caresses, des effleurements, cela, c'est nous deux ». Natalie, fascinée par sa « sveltesse angélique » et quelque peu « androgyne» veut retrouver Liane à Lesbos : « Passer ma vie à tes pieds comme ces jours derniers (...) Nous nous retrouverons à Lesbos (...) Je veux nous imaginer dans cette île enchantée d'immortelles. Je la vois si belle. Viens, je te décrirai ces frêles couples d'amoureuses, et nous oublierons, loin des villes et des vacarmes, tout ce qui n'est pas la Morale de la Beauté ».

Leur liaison qui ne dure qu'une année, défraie la chronique, mais Natalie est rapidement infidèle et c'est avec la poétesse Renée Vivien qu'elle séjournera à Lesbos.

Liane met en scène sa liaison avec Natalie (le personnage de Flossie) dans un livre intitulé « Idylle saphique », qui paraît en septembre 1901. Présenté comme un roman, le livre à la réputation sulfureuse est un grand succès de librairie. Liane en envoie un exemplaire à Natalie et lui écrit : « L'Idylle a vu le jour et le public s'arrache, c'est le mot, ces lambeaux de nous et de nos anciennes aspirations ».

Bien des années plus tard, Natalie Barney déclarera à Jean Chalon : « Liane, ah ! Ma Liane, c'est mon souvenir le plus voluptueux. Et dire que, à la fin de sa vie, elle prétendait que j'avais été son plus grand péché ! »

ROMANCIERE ET COURTISANE

Déjà, en 1898, Liane de Pougy avait fait sensation en publiant son premier roman intitulé « L'insaisissable ». L'ouvrage parut d'abord en feuilleton dans le quotidien Gil Blas. Dans ce qui est, selon son biographe Philippe Martin-Lau « le roman de Liane de Pougy écrivain sur Liane de Pougy courtisane », l'auteure décrit la vie d'une courtisane, Josiane de Valneige, et offre une réflexion sur l’image dans la société de ces demi-mondaines dont l'unique péché serait tout autant d'aimer que de vouloir être aimées : « Aimer !!! Aimer !!! Oh ! Oui (...) Rencontrer un regard pur où mirer mon cœur fatigué. Palpiter dans une étreinte d'un bonheur non joué, laisser tomber sur mes joues une larme, une vraie ! »Le roman trace aussi ce que pourrait être un chemin de rédemption sociale et spirituelle dans la quête de l'amour véritable.

Entre 1899 et 1908, outre « Idylle saphique », Liane de Pougy publiera une comédie, « L'Enlizement » et cinq romans qui « répètent uniformément la lassitude, l'ennui et le dégoût de la courtisane à faire ce métier, sa souffrance, mais une souffrance nécessaire à ses yeux qui lui permettra de racheter ses péchés et de connaitre la béatitude ».

En juillet 1904 paraît une revue illustrée féminine, « L'Art d’être Jolie », dont Liane Pougy assure la direction. L’éditorial du premier numéro, dont la couverture offre un portrait de Liane d’après Léopold-Émile Reutlinger, affirme l'objet de cette publication hebdomadaire : guider chez la femme « cet art instinctif en elle, l'art d’être jolie (...) en apportant chaque semaine, en son format élégant et parfumé, véritablement digne de celles qui le feuilletteront, l'essence même de ce qui fait le charme féminin ». Vingt-cinq numéros de « L'Art d’être jolie » paraîtront jusqu'en janvier 1905.

Avec les encouragements de plusieurs de ses amis, en particulier Salomon Reinach, Liane commence à tenir un journal. Il couvrira la période de 1919 à 1941 et sera publié de manière posthume, en 1977, sous le titre « Mes cahiers bleus ». On y lit une chronique de la vie de l'entre-deux-guerres mêlée de souvenirs de la Belle Époque parmi lesquels se trouvent d'innombrables portraits, en particulier son histoire d’amour avec Natalie Barney.

MARIAGE ET RETOUR A LESBOS

En 1908, alors au sommet de sa carrière, Liane de Pougy, qui aura bientôt quarante ans, rencontre le prince roumain Georges Ghika, de quinze ans son cadet, très noble mais fort désargenté, qu'elle épouse en 1910.

La putain devient princesse et l’événement fait la une du New-York Times dès le lendemain.

Celle qui est redevenue Anne-Marie revend alors toutes ses toilettes, ses bijoux, fait ses adieux au Grand Paris et à l’univers des cocottes pour emménager à Saint Germain en Laye, dans une jolie maison bourgeoise, qu’elle transforme en salon où on cause, lors de diners entre amis.

L’ancienne cocotte est sujette à la dépression et sombre dans la quotidienneté et la routine. Elle devient aigrie, renfermée, pingre, ne supportant plus ni les artistes, ni la légèreté de mœurs qui l’ont pourtant par le passé consacrée. Sa dépression est aggravée par le drame que constitue la mort au combat de son fils Marc, en 1914.

Pour tenter de délivrer sa femme de cette spirale, Georges décide de revenir à Paris et de reprendre la vie mondaine. L’effet escompté semble atteint, puisque la princesse retrouve un peu de son sourire.

Surtout depuis qu’ils ont rencontré Manon Thiebaut, une jeune artiste de 23 ans à la fraicheur piquante donc ils s’amourachent tous les deux. Georges va jusqu’à proposer à sa femme de faire ménage à trois. Mais Liane refuse de partager.

Georges Ghika la quitte brusquement en juillet 1926, et amène Manon Thiébaut en Roumanie.

Pour se consoler, la princesse retrouve alors Natalie Barney à Paris et forme avec elle et son amie Mimy Franchetti, qui, dira-t-elle « réunit tous les dons du Ciel », une sorte de ménage à trois, dont Natalie fera l'objet d'un récit autobiographique, publié de manière posthume : « Amants féminins ou la troisième ».

Dans son journal, Liane se rappellera : « Nathalie à droite, me câlinant, m'embrassant, Mimy à gauche, ses lèvres sur mes lèvres ... »

Menacé de divorce, le prince finit par lui revenir, mais leur relation devient difficile et chaotique.

VIEILLE SAINTE

A l’exemple de l’impératrice Théodora (voir « Histoire des libertines (8) : Théodora, la putain devenue impératrice de Byzance. », paru le 15 octobre 2017), celle qui avait été une femme légère mourut dans la piété. A Théodora comme à Liane de Pougy peut s’appliquer ce proverbe allemand : « Jeune putain, vieille sainte ».

En 1928, la princesse Ghika se lie d'amitié avec mère Marie-Xavier, mère supérieure de l'asile Sainte-Agnès à Saint-Martin-le-Vinoux, près de Grenoble. Dans les années qui suivirent, Mère Marie-Xavier guide la lente métamorphose spirituelle de la princesse Ghika. En 1943, le R.P. Rzewuski, son confesseur depuis 1939, « juge sa pénitente digne d’être reçue dans le Tiers-Ordre de Saint-Dominique » : le 14 août 1943, l'ancienne étoile des Folies Bergère, la scandaleuse, prononce ses vœux et prend le nom de Sœur Anne-Marie de la Pénitence. Laïque consacrée, elle vivra désormais selon la règle dominicaine.

Après la mort de Georges Ghika, en 1945, Anne-Marie s'installe à Lausanne où elle transforme une chambre de l'hôtel Carlton en cellule.

UN SYMBOLE D’EMANCIPATION

La société de la Belle Époque tolère des personnages comme les courtisanes Liane de Pougy, Émilienne d’Alençon ou la Belle Otéro. Jouissant d’une liberté impensable pour les autres femmes, ces hétaïres peuvent même afficher leurs éventuelles tendances saphiques sans craindre de décourager leurs soupirants qui, au contraire, sont attirés par le défi d’une conquête apparemment impossible, oubliant, ou faisant semblant d’oublier, que leurs relations avec les « grandes horizontales » se fondent sur l’argent.

Les courtisanes de haut vol n’ont pas toujours vécu une enfance dramatique comme celle de la Belle Otéro, ou du moins misérable, comme celle d’Émilienne d’Alençon : l’histoire de Liane de Pougy prouve qu’une jeune mère de famille peut devenir une grande cocotte, en dépit d’une bonne éducation et d’un mariage bourgeois, si les germes de la révolte et de l’ambition couvent dans son esprit.

LES DEUX RIVALES

Réunir sous un même texte la Belle Otéro et Liane de Pougy était une évidence. Toutes deux courtisanes, ayant presque le même âge, les deux rivales, reines de Paris, se détestaient

Les deux femmes sont d’exactes opposées : Otéro est tout en rondeurs, a un tempérament de feu, rit fort, porte quantité de pierreries colorées et s’exhibe avec opulence, en laissant un sillage capiteux sur son passage, tandis que Liane se fait plus discrète, sent la violette, porte des perles et rit sous cape et le rose aux joues des blagues grivoises des hommes qu’elle attire dans ses filets.

La soirée au Casino de Monte-Carlo en 1897 illustre très bien ce duel mythique de cocottes :

Imaginez ! Tout le gratin est là. Les hommes ont la barbe impeccablement taillée, le portefeuille garni et rivalisent de fierté en exhibant les galantes à leurs bras.

La belle Otéro fait son entrée et jubile littéralement : elle est fardée, porte une robe somptueuse et ruisselle littéralement de cailloux. Tous les yeux sont braqués sur elle, les murmures sont extatiques… le triomphe est total !

Jusqu’à ce que la foule devienne brusquement silencieuse : Liane de Pougy vient d’entrer à son tour, simplement vêtue d’une robe virginale et uniquement ornementée d’une fleur fraiche qu’elle vient de planter dans ses cheveux.

La belle Otéro savoure sans attendre son triomphe : elle est indubitablement la plus remarquable ce soir, Liane n’est qu’une douce folledingue…

Mais dans sa précipitation, Caroline Otéro n’a pas vu venir de subterfuge.

Continuant d’avancer à travers la foule, Liane de Pougy révèle sa femme de chambre qui trottine derrière elle en portant tous les bijoux de sa maitresse !

Le message est clair : « La belle Otéro a besoin de ces artifices pour faire sensation ? Moi pas. Je laisse ça aux femmes de chambre ». Et non contente d’avoir raflé tout le prestige à la belle Otéro, Liane de Pougy lui soufflera également son amant en titre ce soir là !

DES ICONES FEMINISTES ?

Il peut sembler paradoxal de poser ces questions, alors que la prostitution constitue, depuis la nuit des temps, la pire des aliénations pour la femme, dont le corps est traité comme une marchandise. Il est vrai cependant que la Belle Otéro, comme Liane de Pougy, n’étaient pas pensionnaires des maisons closes de sinistre mémoire, mais des courtisanes de haut vol, qui avaient à leurs pieds puissants et fortunés.

Elles n’en constituent pas moins un exemple de liberté de mœurs, dans un monde où les femmes sont alors totalement soumises à la volonté des hommes et considérées, dans l’héritage judéo-chrétien et la conception du Code Napoléon, comme éternelles mineures qui passent de la loi du père à la domination du mari.

En découvrant la vie de ces deux femmes, j’ai admiré leur volonté de liberté, comment elles ont affirmé leur hypersexualité et se sont affranchies des règles. J’ai une tendresse particulière pour Liane de Pougy, dont je partage la bisexualité. Agun est lesbienne comme l’était Natalie Barney, je suis bisexuelle comme l’était Liane de Pougy. La différence essentielle, c’est qu’Agun est fidèle et que notre amour est durable. J’ai retrouvé une réédition de « Idylle saphique », le roman de Liane de Pougy consacré à ses amours avec Natalie Barney. Il avait été réédité en 1987 aux éditions « Des femmes-Antoinette Fouque », avec une préface de Jean Chalon. Je l’ai offert à Agun en modeste témoignage de notre amour.

PRINCIPALES SOURCES (outre les articles Wikipédia)

1. La belle Otero.

A signaler le livre de Marie-Hélène Carbonel et de Javier Figuero « La véritable biographie de la Belle Otero et de la Belle Époque » (Fayard, 2003).

Sur Internet, je recommande :
• https://www.histoire-image.org/fr/etudes/belle-otero-embleme-belle-epoque
• https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2018/11/02/26010-20181102ARTFIG00234-la-belle-otero-envoutante-courtisane-de-la-belle-epoque-naissait-il-y-a-150-ans.php
• http://www.janinetissot.fdaf.org/jt_otero.htm

2. Liane de Pougy

On peut citer la biographie suivante : Jean Chalon « Liane de Pougy, courtisane, princesse et sainte » (Flammarion, 1994).

Sur Internet, je renvoie aux liens suivants :
• https://www.histoire-image.org/fr/etudes/liane-pougy-charme-ambiguite-belle-epoque
• https://parciparla.fr/cocotte-liane-de-pougy-histoire/

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