Histoire Des Libertines (53) : Colette, Romancière Et Scandaleuse

Colette, née Sidonie-Gabrielle Colette (1873-1954) est une célèbre femme de lettres française, également mime, comédienne, actrice et journaliste.

Dans la logique de cette rubrique, nous nous intéresserons principalement à sa vie intime, qui défraya la chronique et fit scandale. Nous aborderons son œuvre littéraire quand elle est en rapport avec ses frasques. Colette bouleversa les valeurs de son temps et la place des femmes dans la vie littéraire : elle fut danseuse nue de music-hall, divorcée, financièrement indépendante, ouvertement bisexuelle. Elle a montré ses seins sur scène, affirmé sa bisexualité, couché avec le jeune fils de son mari, provoqué scandale sur scandale. Puis elle est morte respectable.

SA JEUNESSE

Gabrielle Colette est la dernière des quatre s de Sidonie Landoy, dite « Sido », remariée au capitaine Jules-Joseph Colette, saint-cyrien, qui a perdu une jambe lors de la bataille de Melegnano en 1859 et est devenu percepteur. Elle passe une enfance heureuse dans sa maison natale en Bourgogne.

SON PREMIER MARI ET MENTOR : WILLY

Adolescente, Gabrielle rencontre Henry Gauthier-Villars (1859-1931), séducteur compulsif, surnommé « Willy », avec qui elle se marie en 1895. Willy est un critique musical très influent et un auteur prolifique de romans populaires.

Avant de devenir une écrivaine mûre aux nombreux amants et amantes souvent plus jeunes qu’elle, Colette apprit la volupté dans les bras de l’expérimenté Willy.

Il introduit sa jeune femme dans les cercles littéraires et musicaux de la capitale, où Gabrielle fait sensation avec l'accent rocailleux de sa Bourgogne natale. Surpris par les dons d'écriture de sa jeune épouse, acculé par des obligations financières, poursuivi par ses créanciers, traqué par les huissiers et lâché par ses « nègres » qu'il oublie de payer, Willy va l’utiliser, elle aussi, comme nègre littéraire : le premier manuscrit de Colette date de 1893.

Femme inconnue dans le monde littéraire de l'époque, elle signera Colette Willy jusqu'en 1923.

La jeune femme trempe sa plume dans ses souvenirs d'enfance bourguignons. Sur des cahiers d'école, elle crée le personnage de Claudine. Or ce n'est pas son nom qui se retrouve en couverture, mais celui de son mari ! Suite au triomphe de la série des Claudine, Willy ne tarde d'ailleurs pas à devenir célèbre.

Ainsi paraît, sous le pseudonyme de « Willy », « Claudine à l'école », bientôt suivi d'une série de Claudine : « Claudine à Paris », « Claudine en ménage », « Claudine s'en va ». Après leur séparation, Colette écrira et signera de son nom la fin de la série des Claudine avec « La Retraite sentimentale ».

WILLY ENCOURAGE LA BISEXUALITE DE COLETTE

Willy entretient, entre autres, une liaison avec la femme d'Émile Cohl, Marie-Louise Servat, dont il a eu un fils, Jacques Henry Gauthier-Villars, né en 1889, donc bien avant son mariage avec Colette.

Si Willy exige de Colette une fidélité hétérosexuelle que lui-même ne respecte pas, il n'a aucune objection à ce que Colette expérimente une vie extra-maritale avec des femmes. Bien au contraire, comme Colette le traduira dans son roman « Claudine en ménage », son mari pousse, par vice, Colette dans les bras d’autres femmes. C’est par l’intermédiaire de Willy que Colette découvrira l’amour homosexuel, avec une maîtresse de son mari, Charlotte Kinceler.

L’étape suivante sera le trio : en 1901, Colette rencontre Georgie Raoul-Duval, qui devient sa maîtresse, puis celle du couple. Géorgie inspirera le personnage de Rézi dans la série des Claudine. Cette Américaine faisait partie de l’Académie de femmes saphiques et fit pénétrer Colette dans ce cercle de femmes avant-gardistes.

Colette devint ainsi la maîtresse de plusieurs de ces femmes et fit ses débuts au théâtre dans divers tableaux vivants. Le couple, très libre, se partageait les maîtresses et les amants.
Souvent les maîtresses de Colette devenaient celles de Willy. Et inversement. Ainsi de Marguerite Maniez, dite Meg, que Willy épousera plus tard.

Colette a une autre relation saphique en 1905 dans les bras de Madeleine Deslandes (1866-1929), journaliste et romancière. Colette écrira : « Je la vois souvent, le soir, quand l'ombre a rendu impénétrables les futaies de la rue Christophe-Colomb (résidence de Madeleine), car je suis sa relation inavouable ». Madeleine déménagera au 177 bis, rue de Courcelles à Paris, où Colette et Willy vécurent quelque temps.

Au trio Willy – Colette – Meg, s’ajoutera Missy (1863-1944), née Mathilde de Morny, Marquise de Belbeuf, dont je reparlerai. Willy la présenta en 1905 à Colette. La rencontre avec Missy n’était en effet en rien due au hasard. Elle était calculée, Willy voulant jeter Colette dans les bras de la très masculine Missy, pendant que lui s’amourachait de Meg. Willy, qui souhaitait poursuivre sa relation avec Meg, et mettre Colette à l’abri de ses propres déboires financiers de joueur, pensa à Missy, de 10 ans l’aînée de Colette, nièce de Napoléon III, divorcée depuis 1887 et lesbienne notoire.

Le quatuor Willy-Meg-Colette-Missy sera épinglé dans « Le Cri de Paris », qui titre à leur propos dans son journal : « En Famille ».

La vie de Willy-Colette était faite de procès, de retrouvailles, de menaces, de dénonciations, mais le couple ne parvenait pas à se séparer.

Colette, jalouse et frustrée, se libère de plus en plus de cette tutelle. Elle se rend compte également que Willy exploite son talent littéraire.

LES ANNEES SAPHIQUES : LA FEMME DE MISSY

En 1906, Colette quitte son mari et s'engage publiquement dans une relation amoureuse avec Missy Leur liaison avait déjà commencée avant que Colette ne se sépare de Willy. Celui-ci avait tout fait pour pousser son épouse dans les bras de Missy, lesbienne revendiquée.

Les deux amantes séjournent ensemble, à partir de l'été 1906 au Crotoy dans la villa « Belle Plage ».
Colette y rédige « Les Vrilles de la vigne » et « La Vagabonde ».

Colette déménagera près de chez son amante à Villejust, puis s’installera très vite chez Missy jusqu’à son mariage suivant. Missy était-elle androgyne ? « La séduction qui émane d’un être au sexe incertain ou dissimulé est puissante…. Anxieux et voilé, jamais nu, l’androgyne erre … », écrira Colette dans « Le pur et l’impur », en parlant de Missy.

Pour gagner sa vie, Colette poursuit, de 1906 à 1912, une carrière au music-hall, où elle présente des pantomimes orientales, dans des tenues très légères.

Plus que son visage, c’est son corps tout entier que Colette dévoilera au public, lors de représentations qui font rapidement scandale. La préfecture de police interdira notamment son spectacle de pantomime nu sous une peau de panthère. Elle se produit au théâtre Marigny, au Moulin Rouge, au Bataclan ou en province. Ces spectacles transparaîtront dans « La Vagabonde ou L'Envers du music-hall ». Ce sont des années de scandale et de libération morale.

Jamais, en effet, mime n'a exprimé ainsi « les sentiments les plus divers de l'âme» rapporte Le Figaro du 20 octobre 1906. Au-delà de la sincérité du jeu, on vient admirer également la plastique de l'actrice: son «artistique et indiscret costume» dévoile les plus jolies courbes... Elle ose se mettre nue. Aucune comédienne ne s'était encore dénudée de la sorte au théâtre.

Un soir, c’est le scandale : Colette et Missy choquent l'audience durant une représentation aux tonalités ouvertement « homoérotiques ». Missy se présente avec Colette sous l'anagramme d'Yssim, dans la pantomime « Rêve d'Égypte », au Moulin Rouge. Elle joue le rôle d'un égyptologue, qui réveille une momie, jouée par Colette, en lui donnant un baiser langoureux. Cette scène de baiser lascif entre les deux femmes cause un énorme scandale, cette affaire déclenchant jusqu'à l'intervention du préfet de police de Paris, Lépine, qui interdira les représentations.


Après ce scandale, Colette continue sa carrière de pantomime. Elle poursuit toutes ses audaces: dans la pièce « La Chair », elle dévoile son sein, qui bientôt n'a plus aucun secret pour les Parisiens. Elle quitte les planches en 1912. Colette écrit en 1907 dans La chair : « Je veux faire ce que je veux… je veux danser nue…chérir qui m’aime… »

Dans le couple saphique entre Colette et Missy, la duchesse de Morny affiche sa virilité. A la différence de Liane de Pougy ou de Natalie Barney, la marquise est l'une des rares lesbiennes de la Belle Epoque à oser le travesti.

Missy est la protectrice de Colette, Colette vit la plupart du temps chez son amante. Colette est, aux yeux de la société parisienne de l’époque, la femme de Missy. Missy ira jusqu’à offrir à sa chérie une villa en témoignage d’amour. Le 21 juin 1910, Missy et Colette signent l'acte d'achat du manoir de Rozven à Saint-Coulomb en Bretagne, le jour même où la première chambre du tribunal de grande instance de la Seine prononce le divorce de Colette et Willy. La maison est meublée aux frais de Missy. Lors de leur séparation un an plus tard, en 2011, Colette garde la maison.

Missy inspire à l'écrivaine le personnage de « La Chevalière » du roman « Le Pur et l'Impur », publié en 1932. Colette dira d'elle : « La Chevalière » qui, « en sombre ajustement masculin, démentait toute idée de gaieté et de bravade… Venue de haut, elle s'encanaillait comme un prince ». Colette avait pris la mesure du mal-être de sa chérie.

Colette n’aura pourtant pas été fidèle à Missy. Elle aura aussi, pendant cette période, des relations saphiques avec Renée Vivien (1877-1909), la grande poétesse saphique et Natalie Barney (1876-1972), dont nous avons déjà parlée en évoquent Liane de Pougy (voir « Histoire des libertines (52) : Des libertines de la Belle Epoque », paru le 2 janvier 2020). Nous reparlerons de ces deux égéries du saphisme.

Même pendant sa « période saphique », Colette n’est pas exclusivement lesbienne : elle a une brève liaison avec Auguste-Olympe Hériot (1881-1951), homme d’affaire, rencontré à l'hiver 1909, alors qu'il est l'amant de Liane de Pougy ! Il rencontre Colette à Monte-Carlo et lui fait une cour assidue, la couvrant de cadeaux et d'invitations à dîner. En juillet 1910, il l'emmène en voyage en Italie. Colette, tout juste divorcée, est libre de mener la vie qu'elle entend. Rome l'ennuie. En novembre, ils arrivent à Naples, visitent Capri, qui l'éblouit. Ils se rendent également à Nice en février 1911. Néanmoins, et même si la mère de Colette la presse d'épouser ce jeune homme qui la mettrait définitivement à l'abri du besoin, leur liaison prend fin peu après : si Colette apprécie la gentillesse de son jeune soupirant, elle méprise son oisiveté et constate qu'il est en proie à une nature mélancolique qui lui rend tout bonheur impossible.

NOUVEAU MARIAGE : COLETTE LA COUGAR!

Colette venait d’être engagée comme journaliste au Matin en 1910. Jusqu’au printemps 1911, il semble que leurs relations avec Henry de Jouvenel (1876-1935), le rédacteur en chef, aient été purement professionnelles.

Colette avait rompu avec une amante de passage, Lily de Rême, qui avait interprété Claudine à l’école à Tunis, peu de temps auparavant mais elle était toujours la maîtresse de Missy et d’Auguste Hériot, qu’elle voulait épouser. Ce projet tomba cependant à l’eau dès qu’elle fit la connaissance d’Henry. De son côté ce dernier rompit avec sa maîtresse officielle, Isabelle de Comminges, dite la Panthère, mère de Bertrand et qui menaça de Colette. Cette menace fut prise au sérieux car des gardes de la Sûreté surveillèrent Colette jour et nuit jusqu’à ce que cette menace cesse sur un coup de théâtre : Auguste Hériot et la Panthère dont il avait fait la connaissance, embarquèrent pour une croisière de 6 semaines !

La relation avec Missy avait également cessé. Celle de Colette et Henry, qu’elle appelle Sidi, était passionnelle. Elle l’épouse en 1912. De lui, elle a, à 40 ans, son seul , Colette Renée de Jouvenel, dite « Bel-Gazou ».

La vie de Colette ne s’apaisera cependant pas avec son mariage, ni avec la naissance de sa fille : à plus de quarante ans, alors que son mari la trompe, elle devient la maîtresse du fils de son époux, Bertrand de Jouvenel (1907-1982), qui a alors seize ans. Cougar avant l’heure !

En 1910, peu après son entrée comme journaliste au Matin, elle avait envisagé le thème de la relation d’une femme mure avec un jeune homme Clouk ou Chéri. En 1919 il y eut l’amorce d’une pièce de théâtre avec Clouk ou Chéri qui se transformera en livre, « Chéri », à paraître en 1920. Colette y évoque l’amour entre Vial d’environ 35 ans et Léa, 59 ans : « Faut-il te l’avouer Vial, je ne songe jamais à la différence d’âge…..

Est-ce l’annonce de sa future relation en 1921 avec son beau-fils Bertrand de 30 ans son cadet ? A 47 ans, se sentait-elle vieillir et cherchait-elle à retrouver une verdeur sexuelle ? Apporter son expérience à un jeune homme ? Se comparant à sa mère qui avait été tentée par son fils Achille le très beau, le séducteur, elle évoquera dans « La naissance du jour » en 1928 sa propre relation à Bertrand : « combien je suis son impure survivance (de ma mère)….. La perversion de combler un amant adolescent ne dévaste pas assez une femme, au contraire ». En 1923 dans « Le blé en herbe », elle avait déjà évoqué sa liaison avec Bertrand.

Cette relation, qui dure cinq années, nourrit les thèmes et les situations dans « Le Blé en herbe ». En ce qui concerne Chéri, c'est un fantasme devenu réalité, puisque le livre publié en 1920 a été conçu en 1912, soit quelques années avant sa liaison avec Bertrand de Jouvenel. Le divorce d'avec Henry de Jouvenel sera prononcé en 1923.

Pendant cette période, ses proches amies sont la comédienne Marguerite Moreno (1871-1948), la journaliste Annie de Pène (1871-1918), la danseuse de cabaret Musidora (1889-1957) dite Musi. Ce qui les lie à Colette : un fort goût pour la liberté et un non-conformisme absolu. Elles font ce qu'elles veulent ; elles s'habillent comme elles veulent ; elles font l'amour avec qui elles veulent. Cheveux courts, bisexualité non dissimulée, passé sulfureux, liaisons avec des hommes plus jeunes, cigarette à la bouche, absence de corset. Elles choquent dans une époque bourgeoise. Elles sont libres. Elles en savourent l'ivresse et elles en paient le prix.

LE DERNIER MARI ET FIDELE COMPAGNON

C'est en 1925 que Colette rencontre Maurice Goudeket (1889-1977). Elle a alors 52 ans. Lui dit l'avoir déjà vue étant . Mais, au moment de leur seconde rencontre, dans les salons d'Andrée Bloch-Levalois, dont Goudeket est l'amant, il la regarde d'un autre œil. Marguerite Moreno l'a amenée avec l'autorisation de la maîtresse de maison, qui l'a invitée au no 15 avenue Carnot à Paris. Colette arrive détendue, s'allonge à plat ventre sur le sofa, une pomme à la bouche, jouant de ses charmes, ondulant son corps de félin. Maurice Goudeket, un libertin âgé de 36 ans, juge un peu trop en chair mais sait apprécier ses belles épaules, sa voix de bronze au son pénétrant et son profil si particulier.

Goudeket, courtier en perles, mène grand train : voiture de luxe, chauffeur et splendide appartement dans le 16e arrondissement de Paris. Il a, sous des cheveux noirs corbeau, une peau satinée. Il est toujours tiré à quatre épingles, s'exprime avec grâce et aisance, écrit des vers. Il devient l'amant de Colette, qui devra batailler ferme pour l'enlever à Andrée Bloch-Levalois.

Colette emmène Goudeket dans sa villa Roz Ven à Saint-Coulomb près de Saint-Malo. Ils passent ensuite les vacances d'été 1925 en Provence, à la Bergerie de Beauvallon, une région que Maurice Goudeket fait découvrir à Colette. Elle a le coup de foudre pour cette région : elle vend alors Roz Ven, que lui avait offert Missy et achète en novembre une maison dans la Baie des Caroubiers, rue des Cannebiers à Saint-Tropez, qu'elle nomme « La Treille Muscate ».

En 1935, Maurice épouse Colette, qui l'appelle afin qu'ils puissent faire le voyage inaugural du paquebot le Normandie dans la même cabine et partager la même chambre en Amérique.

Elle acceptera ses maîtresses, très féminines, pour baiser, dira son amie Renée Hamon.

Pendant l'Occupation, elle séjourne quelques mois chez sa fille en Corrèze dans le village de Curemonte puis revient à Paris, avec Maurice Goudeke, qu'elle sauva de la Gestapo.

Colette sera la deuxième femme élue à l'unanimité membre de l'académie Goncourt, dont elle est présidente entre 1949 et 1954. Sur ses vieux jours, celui qu'elle surnomme « son meilleur ami », c'est-à-dire Maurice Goudeket, l'aide à supporter sa polyarthrite, qui ralentit durablement sa production. Sa réputation sulfureuse conduit au refus par l'Église catholique d'un enterrement religieux. La France l'honore : Colette est la deuxième femme à laquelle la République ait accordé des obsèques nationales.

LA BISEXUALITE DANS L’ŒUVRE DE COLETTE

La bisexualité tient un rôle important dans la vie personnelle de Colette mais aussi dans ses œuvres artistiques. C’est d’ailleurs un terme récurrent dans la série de romans Claudine, qui dépeint outre la protagoniste, de nombreuses femmes bisexuelles. Colette est aussi l’auteur d’un ouvrage de réflexion sur l’Amour et la sexualité : Le Pur et l’Impur, qui puise dans des exemples hétérosexuels comme homosexuels. Elle sera surnommée « La Reine de la bisexualité ».

La bisexualité est un élément récurrent de son œuvre, à commencer par sa série de romans Claudine, ses tout premiers romans, qui dépeignent, outre la protagoniste, de nombreuses femmes bisexuelles. Une partie des thèmes abordés dans sa littérature est autobiographique.

Dans « Claudine en ménage », Claudine s'est mariée avec Renaud et tous deux se sont installés ensemble. Ce dernier mène une vie mondaine. Mais l'arrivée d'une jeune femme, Rézi, vient perturber l'équilibre du couple. Attirée par Rézi, Claudine finit par entamer une liaison avec la jeune femme, tandis que Renaud ferme les yeux sur la liaison de sa femme.

Claudine met en scène sa relation avec Renaud et Rézi, l’héroïne : « l’inoubliable perfection du périlleux baiser (de Rézi) ne saura jamais qu’en mes yeux le désir….. la volupté se teignent toujours de nuances sombres. Je revois cet animal sursaut des reins, ce geste de buveuse qui l’a jetée vers ma bouche ……. La violence de mon attrait pour Rézi, tout me presse ….. de m’énivrer d’elle jusqu’à tarir son charme ……Renaud, Rézi, tous deux me sont nécessaires…. ».

Une relation à trois qu’elle décrivait déjà dans les « Lettres de la Vagabonde » (1911) : « Deux femmes enlacées sont l’image mélancolique et touchante de deux faiblesses peut-être réfugiées aux bras l’une de l’autre pour y pleurer, fuir l’homme souvent méchant et goûter, mieux que tout plaisir, l’amer bonheur de se sentir pareilles, infimes, oubliées. »

Colette est également l'auteure d'un ouvrage de réflexion sur l'Amour et la sexualité, « Le Pur et l'Impur », qui puise dans des exemples d'expériences hétérosexuelles comme homosexuelles.

En 1924 dans « La femme cachée » qui préfigure « Le pur et l’Impur », elle raconte la vie sexuelle libre d’Irène, une prostituée : « il était sûr qu’elle n’attendait ni ne cherchait personne et que les lèvres qu’elle tenait sous les siennes, abandonnant comme un raisin vide les lèvres qu’elle tenait sous les siennes, elle allait repartir l’instant d’après, errer ….., cueillir chez quelque autre passant le monstrueux plaisir d’être seule, libre ……. d’être l’inconnue à jamais solitaire. …... Elle parle encore le monstrueux plaisir. »

Pour toutes ces raisons, Colette a été étiquetée « Reine de la bisexualité » par Julia Kristeva (voir référence dans la bibliographie). Femme libre, Colette n’était cependant pas une féministe. Elle déclare ainsi en 1910 à Maurice Dekobra, dans Paris-Théâtre : « Les suffragettes me dégoûtent (...) Savez-vous ce qu'elles méritent, les suffragettes? Le fouet et le harem... »

LA SCANDALEUSE

Colette a tout traversé: deux guerres mondiales, l'anonymat du travail au noir (les «Claudine», avec Willy), la renommée montante, puis débordante, les liaisons multiples, un saphisme affiché, les exhibitions érotiques, le soufre, les fleurs, la nature, les jeux de rôle, le journalisme, une maternité distante, une attention spéciale pour les animaux, l'amour.

Cette aïeule d'un féminisme pas du tout féministe est tout sauf une intellectuelle. Sensualité d'abord et toujours. Elle est la première à montrer ses seins nus sur scène.

Colette fut libre, diverse. Willy l'exploite? Elle se vengera. «Missy» (Mathilde de Morny) s'imagine être son homme? Colette l'instrumentalise. Henry de Jouvenel la délaisse? Elle couche avec son jeune fils.

Colette est belle, elle a de l'esprit. Elle étonne, elle ravit, elle séduit. Colette a exploré toutes les sensualités, les sexualités, par amour plutôt que par jouissance.

La liberté chez Colette et ses amies est naturelle et non militante. Un parfum de liberté entoure chacun de ses gestes. Colette est une femme sans chaînes. La liberté coule dans ses veines de manière simple. Colette fut une mère détachée et une amante passionnée. Les hommes sont au centre de leurs existences. La si insoumise Colette a été follement amoureuse du si indépendant baron Henry de Jouvenel. Colette déteste être seule et rêve d'être dominée par un homme. Sa vie entière, elle chercha à être aimée et protégée par ses maris.

L’amour est effectivement le sentiment qu’elle n’a cessé de chanter dans presque tous ses livres et qui a toujours guidé ses relations sexuelles, hommes ou femmes. Déjà dans Les Vrilles de la Vigne en 1908, elle disait : « Quel plaisir je me donne en aimant ». En 1911, elle avait écrit à Missy « On ne se donne pas par pitié, on se donne par amour ».

Colette a aimé les femmes autant que les hommes. Autant. Et tous vont nourrir l’ensemble de son œuvre. On en a pour preuve les mots qu’elle utilise, pour décrire les corps, pour décrire les jouissances, pour décrire les folies charnelles, qu’offre chacun des deux sexes.

COLETTE ET MOI

Dans cette série sur l’histoire des libertines, Colette a évidemment une place particulière, qui m’amène à évoquer ce qu’elle représente pour moi.

La série des « Claudine » figurait dans la bibliothèque familiale, sans que mes parents n’aient jugé nécessaire de les ranger sous clé, dans « l’enfer » de cette même bibliothèque. Précaution qui aurait d’ailleurs été tout à fait inutile, puisque j’ai raconté dans quelles conditions j’ai accédé, adolescente, aux ouvrages qui étaient censés m’être interdits (voir « Lectures érotiques (6). Emmanuelle Arsan : Emmanuelle, la leçon d'homme », paru le 17 décembre 2017 et « Lectures érotiques (8). Le Déclic de Milo Manara (Albin Michel) », paru le 23 février 2018). C’est bien à la lecture de « Claudine en ménage » que j’ai pris conscience, pour la première fois, de mon attirance pour les femmes, même si c’est la lecture d’Emmanuelle qui fut sur ce sujet comme d’autres la véritable découverte.

J’ai d’ailleurs été initiée aux amours saphiques le jour même de mon dépucelage par la jolie Maria, épouse de mon premier amant Gianni. Cela avait pour moi coulé de source. Mes plaisirs solitaires de jeune adolescente étaient alimentés par le désir que j’avais pour celui qui m’était interdit. Mais ils étaient aussi provoqués par l’excitation que provoquait moi la gente féminine.

D’ailleurs, autant je n’avais et n’ai eu aucune attirance pour les garçons de ma classe, leur préférant des hommes plus expérimentés, autant j’avais très tôt recherché l’intimité et les caresses de mes camarades filles. Au grand dam des garçons, jaloux de mon succès auprès des filles. J’ai eu droit très tôt à être traitée de gouine, parce que j’avais été surprise en train d’embrasser une de mes condisciples, la jolie Mélina. Une fois déniaisée par Maria, j’ai fait profiter à mes amies de mon expérience. Les garçons de ma classe ne m’aimaient guère, d’une part parce que je ne m’intéressais pas à eux, d’autre part parce qu’ils me percevaient comme une dangereuse rivale.

Comme indiqué plus haut, la psychanalyste Julia Kristeva a qualifié Colette, dans un texte publié en 2012 et que j’invite à lire, de « reine de la bisexualité ». Viscéralement bisexuelle, je ne peux donc qu’être attirée par le personnage de Colette. Comme elle, je suis bisexuelle et pas lesbienne. J’ajouterai que je suis poly-amoureuse, faisant cohabiter mon couple officiel avec Philippe et mon couple bi avec Agun. Mon couple bisexuel est construit sur une relation stable et sur la fidélité. Contrairement à Colette, avec Missy, je ne ressens nullement le besoin d’autres relations saphiques, Agun m’apportant tout ce que je peux attendre et espérer avec une femme.

Plus généralement, j’admire profondément la femme libre qu’était Colette, dans un monde où son comportement et son mode de vie ne pouvaient que choquer. Je ne partage évidemment pas son refus du combat féministe, même si, dans la pratique, sa farouche volonté d’indépendance relève bine du féminisme. J’ajoute que, comme Colette, je suis exhibitionniste et aime autant être admirée que choquer. Enfin, comme elle, j’aime l’écriture et la beauté de la langue.

Je précise enfin, pour anticiper certains commentaires, que ce sont les hasards de la chronologie qui m’amènent à traiter successivement de Liane de Pougy, de Colette et prochainement de Renée Vivien, Natalie Barney et Missy, toutes bisexuelles ou lesbiennes.

J’affirme ma bisexualité, mon bonheur de la relation stable que nous avons su construire avec Agun, mais je n’envisage pas, comme certaines lectrices nous y incitent souvent, à nous engager dans une relation saphique exclusive. Ma personnalité fait que j’ai besoin de mes deux relations de couple et que je n’envisage pas de modifier cet équilibre. La vie de Colette m’incite à poursuivre dans cette voie.

PRINCIPALES SOURCES (outre les articles Wikipédia)

A signaler une biographie, écrite par Gérard Bonal (Editions Perrin 2014). Sur le net, j’ai consulté :

• https://ephep.com/fr/content/texte/marie-noelle-lanneval-sidonie-gabrielle-colette-bisexualite

• http://www.amisdecolette.fr/biographie/

• http://www.kristeva.fr/colette-une-reine.html

• https://bibliobs.nouvelobs.com/la-guerre-du-gout-par-philippe-sollers/20140804.OBS5481/je-veux-faire-ce-que-je-veux-colette-la-scandaleuse.html

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