0223 Retrouver Thibault.

Il est deux heures, je suis en train de ranger la dernière valise dans ma voiture, lorsque mon téléphone se met à vibrer dans ma poche. Je le sors vite pensant à un appel surprise de mon bobrun. Mais une surprise de taille m’attend lorsque je regarde le petit écran indiquant avec insistance :
« Thibault ».
Mon cœur fait là aussi un sprint digne de la fusée Ariane. Je n’arrive pas à croire qu’il m’appelle. Soudain, j’ai les mains moites, le souffle court. Mais je ne peux pas rater l’occasion. Je dois répondre. Je prends une profonde inspiration et je décroche.
« Salut Thibault ».
« Salut Nico, ça va ? ».
« Bien et toi ? ».
« Ça va. Alors, tu te prépares à partir ? ».
Il a retenu que je pars ce soir à Bordeaux. Ce mec est vraiment incroyable.
« Oui, je viens de ranger la dernière valise dans ma voiture ».
« T’as le temps de faire un saut chez moi pour un café ? ».
« Quand ? Vers quelle heure, je veux dire… ».
« Maintenant si tu veux ».
« J’arrive ».

Après avoir raccroché, je me sens tout retourné. J’ai tant attendu ce coup de fil, j’ai tant espéré qu’il arrive. Et pourtant, j’avais fini par me convaincre qu’il ne viendrait pas. Au point que son arrivée provoque en moi presque de l’étonnement. Je suis étonné et touché du fait que Thibault vient de me tendre la main, une fois de plus.
Je suis heureux qu’il ait accepté de me voir. Et en même temps, je les redoute un peu. Je me demande à quoi vont ressembler ces retrouvailles. Je sais que je ne peux pas m’attendre à rattr notre complicité d’avant. Le Thibault bienveillant, plein d’énergie et de générosité en a pris un coup. Je l’ai entendu à sa voix. Son attitude n’est plus la même. Je l’ai senti comme fatigué, blessé par la vie.
Je sais que je me suis mal comporté. Alors, j’appréhende de me retrouver face à lui.
Pendant le trajet en bus vers son appart aux Minimes, j’ai comme une boule au ventre.

En arrivant à l’arrêt le plus proche de l’immeuble, j’ai l’impression que mes jambes ne vont plus me porter. Lorsque je sonne à l’interphone, mon cœur joue un jive endiablé.
« Salut, c’est Nico » je lui lance, après avoir entendu un premier bruit disgracieux venant du petit haut-parleur.
« Salut, monte ».
Je prends l’ascenseur, je monte jusqu’à son étage. La porte de son appart est entrouverte. Et le bomécano m’attend sur le seuil.
Et voilà Thibault, le torse bien gainé dans un t-shirt gris redessinant à la perfection ses biceps rebondis, ses épaules carrées, ses pecs saillants, son cou puissant. Le pire, c’est que ce t-shirt n’est même pas particulièrement moulant. Mais comme d’habitude, ça lui va comme un gant. Tout comme ce short en jeans qui laisse admirer des mollets musclés.
Certes, avec un physique comme le sien, n’importe quel vêtement ressemble à une œuvre d’art. Car son corps est une véritable œuvre d’art. Une œuvre d’art qui semble resculptée depuis la dernière fois que j’ai pu l’admirer, un mois plus tôt, à l’hôpital de Purpan, le jour de l’accident de Jérém.
Car, certainement à la faveur des premières semaines d’entraînement intensif au Stade, le bomécano a encore pris du muscle. Et il est beau comme un dieu.
« Salut » je lui lance, en cherchant son regard. Un regard que je trouve d’emblée fuyant, presque vide, privé de sa chaleur. Mais il est passé où ce regard bienveillant qui faisait se sentir si bien ?
Et même si en me rendant mon « Salut » le bogoss esquisse un petit sourire, on est loin du beau sourire rempli de joie de vivre et d’un optimisme contagieux. C’est un sourire tendu, qui disparaît vite de son visage. Je le sens crispé, mal à l’aise. Je le suis aussi.
Le bogoss me fait rentrer et me fait la bise. Il sent bon. Je reconnais le délicat parfum de lessive qui se dégage de son t-shirt.
« Excuse le bordel, mais en ce moment je n’ai pas vraiment la tête à ça ».
« Ca ne fait rien t’inquiète ».

« Installe-toi sur le clic clac. Tu préfères un café ou quelque chose de frais ? ».
« Plutôt quelque chose de frais ».
« Une bière blanche ? ».
« C’est ça »
Je réalise qu’il se souvient de mon goût pour la bière blanche depuis la dernière fois où je suis passé chez lui des mois plus tôt. Vraiment adorable ce mec.
Thibault s’accroupit devant le frigo pour attr les bières. Son dos puissant est tout aussi beau que son torse. Et là, le short se baisse un peu, le t-shirt remonte et un épais élastique noir avec des inscriptions en lettres capitales mauves apparaît. Vision d'un bout de sa peau au-dessus de ses reins, vision de bonheur. Sa mâlitude me touche et me procure un intense frisson. Il y’a dans la sensualité une sorte d’allégresse, de bonheur cosmique.
Je regarde son torse gainé dans ce t-shirt et je repense à la nuit où j’ai fait l’amour avec Jérém, et avec lui. Je me souviens de sa virilité, et de sa douceur. Je me souviens de comment j’avais aimé lui donner du plaisir et le voir prendre du plaisir. Je me souviens de comment lui aussi avait voulu me donner du plaisir. Et de la tendresse. C’était le premiers gars qui me donnait autant de tendresse. Encore plus que Stéphane.
Dans ses bras, je m’étais senti vraiment bien, vraiment en sécurité. Depuis, je me suis senti bien et en sécurité dans les bras de Jérém aussi. Mais à ce moment-là, c’était quelque chose de complètement nouveau pour moi. Cette nuit-là, j’avais appris ce que c’était d’être vraiment bien avec un gars. Je crois que depuis, c’est cette sensation que j’avais voulu sans cesse retrouver. J’avais tellement les choses pour la retrouver avec mon Jérém que je j’ai fini par le perdre. Il avait fallu un choc, son accident, pour qu’il revienne vers moi, et que je retrouve enfin cette sensation, dans ses bras.
Thibault revient avec deux bières et s’installe sur le clic clac juste à coté de moi. Je le regarde décapsuler les deux petites bouteilles avec un geste aisé de mec qui a du en décapsuler tant d’autres.
Mon regard est aimanté par l’extrême sensualité d’un bout de pilosité dépassant du col de son t-shirt. Ce sont juste quelques poils posés sur sa peau lisse et douce. Mais c’est terriblement sexy.
Bâti comme un petit taureau, tout en muscles mais transpirant une immense douceur, définitivement ce mec représente pour moi un sommet dans la Mâlitude. Il incarne pour une moi une sorte d’absolu masculin. Un canon, dans le sens « étant une référence ». C’est le Mâle à la virilité tranquille, portée avec naturel, assumée sans arrogance, comme une évidence.
Une virilité pourtant aujourd’hui marquée par un abattement inquiétant. Super Thibault semble avoir perdu ses super pouvoirs. Il semble fatigué, tant physiquement que moralement. Sa personne dégage cette fragilité que je lui avais vue pour la première fois le jour de l’accident de Jérém. Je le sens dans son regard et dans le ton de sa voix. Peut-être qu’il traîne cette fragilité depuis le jour de l’accident.
« Ca va, Thibault ? » je me lance, un brin inquiet.
« Oui, ça peut aller. Et toi, ça va ? ».
« Je suis content que tu m’aies rappelé ».
« Désolé de ne pas l’avoir fait plus tôt, j’ai été très occupé ces derniers temps ».
« Ca ne fait rien ».
« Alors, qu’est-ce que tu deviens ? » il enchaîne.
« Rien de spécial, demain je pars à Bordeaux pour la fac ».
« Tu as trouvé un appart là-bas ? ».
« Oui, mais je n’ai même pas été le voir ».
« Ce soir ça va être la grande surprise, alors » il commente, tout en esquissant un petit sourire.
Et pourtant, malgré ce petit sourire, je sens Thibault distant. Poli, correct, mais distant. J’ai envie de le prendre dans mes bras, j’ai envie qu’il me prenne dans les siens. J’ai envie de retrouver cette complicité, cette magnifique connexion qu’on avait avant l’accident de Jérém.
« Et toi, quoi de neuf ? » je le questionne.
« Des entraînement, des entraînements, et des entraînements. C’est épuisant ».
« Ça donne des bons résultats ».

« C'est-à-dire ? ».
« Tu as repris du muscle ».
« Il paraît, oui. Mais j’ai mal partout. Je suis fatigué. Je n’ai même plus le temps pour faire des interventions ».
« Avec les pompiers ? ».
« Oui. Depuis que j’ai commencé les entraînements, je suis sorti tout juste deux fois ».
« Ça te manque ? ».
« Oui, beaucoup ».
« T’es vraiment quelqu’un de bien. Et c’est pour ça que… ».
« Dis, Nico, tu as des nouvelles de Jé ? Tu sais comment se sont passés ses examens au club ? » il me coupe, alors que j’allais tenter de rentrer dans le vif du sujet qui m’a conduit à vouloir lui parler.
Soudain, je me fais la réflexion qu’« avant », c’était moi qui lui demandais des infos sur Jérém. Alors que maintenant, c’est lui qui m’en demande. D’une certaine façon, j’ai l’impression de lui avoir volé son pote.
« Oui, tout est bon, il n’y a pas de problèmes, normalement il a commencé les entraînements ce matin même ».
« Ça me fait plaisir, vraiment ».
Thibault a l’air très ému. Ses yeux sont humides.
« Ça va ? ».
« J’ai eu tellement peur qu’ils lui trouvent une couille et qu’ils ne lui signent pas le contrat » il lâche, la voix cassée par les larmes.
Thibault est en train de pleurer. C’est dur de voir un gars comme lui pleurer. Je pleure aussi. Je le prends dans mes bras, je tente de le réconforter. Je suis triste, et pourtant, le contact avec sa musculature puissante est un vrai bonheur.
« Ca va aller. Il va bien, il va bien » je tente de le rassurer.
Thibault m’enveloppe à son tour avec ses bras musclés. Comme un flash, je retrouve la sensation de bonheur que j’ai connue le soir où nous nous sommes donné du plaisir avec Jérém.
« Excuse-moi » je l’entends me lancer quelques secondes plus tard, en quittant notre étreinte.
« Ne t’excuse pas, moi aussi j’ai été soulagé quand j’ai su que tout allait bien ».
« J’espère que ça va bien se passer pour lui. Je suis en train de passer par là et je sais que ce n’est pas facile d’arriver dans une équipe et de trouver sa place. C’est dur physiquement et mentalement ».
« Je l’espère aussi. Normalement je devrais avoir des nouvelles ce soir ».
« Vous vous êtes retrouvés, alors ? » fait le jeune rugbyman en essuyant discrètement ses larmes avec le dos des mains.
« Oui… ».
« Depuis longtemps ? ».
« Dix jours, pas plus. Il m’a appelé le vendredi soir de l’autre semaine et il m’a demandé de le rejoindre à Campan ».
« Je savais qu’il reviendrait vers toi. Il ne peut pas se passer de toi. Alors t’a aimé Campan ? ».
Je me retrouve alors à lui parler de mon escapade. Je suis un peu gêné de lui raconter ces quelques jours en compagnie de Jérém, les balades à cheval, les belles rencontres humaines, les gueuletons, la guitare de Daniel. Je suis un peu gêné de lui raconter mon bonheur.
« Ils vont tous bien ? JP, Charlène, Satine, Martine, Ginette… » il me questionne.
« Tous en pleine forme, tous à cheval. Tout le monde a demandé de tes nouvelles ».
« Ils sont adorables ».
« C’est vrai, et ils t’apprécient beaucoup ».
« Moi aussi je les apprécie beaucoup. JP en particulier, j’adore ce mec. C’est un modèle pour moi. Je voudrais lui ressembler ».
« Mais tu lui ressembles ! ».
« Je ne sais pas ».
« Je t’assure ».
« Ils m’ont tous dit de t’apporter leurs encouragements pour ta carrière au Stade. Ils sont fiers de toi ».
Le beau pompier est visiblement touché.
« Il allait bien Jé ? » il me questionne.
« Oui… un peu stressé, mais ça allait ».
« Il n’a pas à stresser, il va faire un tabac à Paris ».
Pendant que nous discutons, j’ai vraiment du mal à croiser son regard. Et lorsque j’y arrive enfin, je suis happé par ses yeux vert marron, par son regard transparent, doux et pourtant tellement viril. Un regard pourtant empreint de mélancolie, et qui se dérobe très vite. C’est un regard qui tranche d’une façon assez violente avec le regard vif mais tranquille, bienveillant, rassurant, réconfortant, qui était le sien il y a quelques semaines encore.
J’ai toujours connu un Thibault qui me regardait droit dans les yeux pendant nos discussions. Comme s’il avait voulu établir une communication plus vraie, un contact par le regard, l’esprit, la considération, en plus de la parole. Désormais, ce regard, cet esprit et cette considération sont aux abonnés absents.
J’ai l’impression que Thibault est à fleur de peau. Ça m’attriste. Et pourtant, il faut bien admettre que ce côté « cabossé-par-la-vie » donne à son allure de mec un je-ne-sais-quoi de spirituel qui le rend encore plus craquant.
Je le regarde porter la petite bouteille à ses lèvres et en siroter une longue rasade, je regarde sa pomme d’Adam s’agiter au gré de sa déglutition. Qu’est-ce que c’est sexy un mec qui boit à la bouteille !
Je bois un coup moi aussi, comme pour tenter de noyer le blanc qui vient de s’installer entre nous.
Le silence se prolonge jusqu’à ce que je décide de prendre les choses en main.
« Thibault… je suis vraiment désolé de comment les choses se sont passées ».
« Moi aussi, Nico ».
« Je regrette de ne pas t’avoir écouté à l’hôpital, d’être parti et d’avoir été distant par la suite ».
« Et moi je regrette de t’avoir fait du mal ».
Une question me brûle les lèvres. Je m’autorise à la poser.
« Thibault… tu ressens quoi au juste pour Jérém ? ».
Et là, après avoir pris une longue inspiration, le beau rugbyman finit par lâcher :
« Je vais être franc avec toi, Nico. Je crois que je suis amoureux de lui ».
« Ça dure depuis combien de temps ? ».
« Je ne sais pas te dire. C’est venu sans que je m’en rende compte. Jéjé est mon meilleur pote, depuis toujours. Depuis notre rencontre en CM, j’ai tout partagé avec lui. Je l'ai vu grandir, j’ai vu le gamin timide et gringalet devenir le mec superbe qu’il est aujourd'hui ».
« Je t’ai déjà parlé de cette nuit en camping, l’été de nos 13 ans, et de cette petite galipette sous la tente ».
« Oui, à l’hôpital » je confirme.
« Depuis cette nuit-là, ça a été clair dans ma tête. Jéjé me faisait envie. Et pourtant, je m'efforçais de ne pas y penser, j’essayais d’oublier. Je n’ai jamais su ce qu’il en avait pensé, car il a toujours fait comme si rien ne s’était passé. J’ai pensé qu’il l’avait regretté. J’avais très envie de recommencer, mais j’avais peur de tenter quoi que ce soit. J’avais peur de gâcher notre amitié. J’ai essayé de me convaincre que ce qui s’était passé cette nuit-là était juste une bêtise, parce qu’on avait bu. Et que ça ne devait plus jamais arriver ».
« Mais tu n’y es pas arrivé… ».
« C’est pas simple d'oublier l'attirance pour quelqu'un qu’on côtoie au quotidien, qu’on voit régulièrement à poil dans un vestiaire, avec qui on prend sa douche, avec qui on se retrouve souvent seul, quelqu’un pour qui on est le confident. J’étais aux premières loges de sa vie, y compris pour ses exploits sexuels ».
« J’imagine bien ».
Je repense aux nombreuses fois où j’ai vu Jérém avec une nana, où je l’ai vu partir avec. J’en avais les tripes retournées. Alors je n’ai aucun mal à imaginer que Thibault ait pu ressentir la même chose, d’autant plus qu’il côtoyait son pote au quotidien, qu’il le voyait à poil dans les vestiaires, qu’il connaissait beaucoup de choses de sa vie sexuelle.
« J’ai longtemps eu peur de regarder en face ce sentiment qui me prenait aux tripes quand je le voyais sous la douche, quand il s'essuyait à côté de moi, quand nos peaux nues se frôlaient dans les vestiaires.
J’ai mis du temps à admettre que je ressentais plus que de l’amitié pour lui. Que j’avais aussi envie de le serrer contre moi, de le toucher, de le caresser, de lui procurer du plaisir.
Mais je n’ai jamais osé tenter quoi que ce soit. De toute façon, très vite, Jérém a été tellement branché nanas ! De plus, je l’entendais souvent tenir des propos homophobes.
Alors, j’ai essayé de cacher ça au plus profond de moi. Mais ça me rongeait. J’avais peur qu’un regard déplacé puisse me trahir, qu’il comprenne, qu’il me jette. Et pourtant, l’amitié ne me suffisait plus. C’était chaque jour un peu plus dur ».
« Je n’arrêtais pas de me dire que je devais revenir à la raison. Que je devais me contenter de l’amitié. Alors, quand on a commencé à tourner avec le rugby, et qu’on se retrouvait parfois à dormir à l’hôtel, presque toujours dans la même chambre, parfois dans le même lit, c’était une . J’en ai passé des nuits sans sommeil, à regarder dormir, à écouter sa respiration. J’avais envie de lui à en crever. J’en avais tellement envie que, parfois, je me suis fait des films ».
« C'est-à-dire ? ».
« Parfois, quand on dormait ensemble, et quand il avait bu ou fumé ou les deux, il avait des gestes un peu ambigus. Il était à poil et il me serrait contre lui, il me faisait des bisous sur les joues, sur le front, il me caressait. Pour lui, ça ne devait pas avoir une signification particulière. Il était juste défoncé. Mais pour moi, c’était autre chose. Son parfum me faisait tellement d’effet !
On passait des heures à discuter, à refaire le match. On rigolait beaucoup. J’adorais la complicité qu’il y avait entre nous. J’étais bien avec lui, parce que je sentais qu’il était bien avec moi, et qu’il appréciait ma compagnie. Il n’y a pas de mots pour décrire ça, il faut l’avoir vécu pour comprendre ».
Pour ne pas le blesser, je me retiens de lui dire que je comprends parfaitement ce ressenti, car je l’ai vécu chaque nuit, pendant mon séjour à Campan.
« Et ce bonheur, il arrivait presque à faire taire mes autres envies. Mais le sexe était très présent dans la vie de Jé et il n’hésitait pas à m’en parler. Je me souviens d’une nuit en particulier, où il m’a parlé d’une nana qu’il s’était tapée la veille et avec laquelle il s’était particulièrement amusé. Il m’a raconté ça dans les détails, tu vois… et après, il a voulu que je lui dise à mon tour ce que j’aimais le plus au pieu ».
« C’était dur pour moi de parler de ces choses là avec lui. Parce que lorsque je pensais sexe, j’avais envie de lui. Parce que lui raconter ce que j’aimais avec les nanas, c’était lui faire comprendre que j’étais hétéro et que rien ne pourrait se passer entre nous. Je savais que je ne pourrais rien tenter avec lui… et pourtant, au fond de moi, je gardais un petit espoir ».
« Mais cette nuit-là Jé n’était pas comme d’habitude. Il avait pas mal bu et je ressentais entre nous quelque chose qui me rappelait cette autre nuit sous la tente. Cette nuit-là, j’avais l’impression que quelque chose pouvait se passer.
A un moment, il m’avait parlé de deux gars de l’équipe contre laquelle on avait joué le jour même et qu’il pensait être gays. Il m’a dit qu’il croyait qu’ils étaient ensemble et qu’ils avaient l’air heureux. Ses propos sur le sujet étaient plus apaisés que d’habitude.
Moi aussi j’avais un peu bu. Et je me suis senti pousser des ailes. Je l’écoutais parler, je m’efforçais de lui donner la réplique. Mais mon cœur tapait à mille à l’heure. A un moment, j’étais vraiment à deux doigts de l’embrasser.
Je sentais à sa voix que la fatigue commençait à le gagner. Je me souviens m’être dit que c’était le moment, car qu’une occasion comme celle-ci ne se représenterait plus jamais. J’avais l’impression qu’à ce moment-là tout était possible. Dans ma tête, c’était presque une certitude. J’avais l’impression qu’il se passait un truc, qu’il allait se passer un truc. J’ai essayé de trouver le courage, de prendre le risque, de surmonter ma peur.
Je sentais les secondes s’écouler au fil des battements de mon cœur qui résonnaient dans mes tempes. A chaque instant je me disais que c’était le bon, tout en me disant que le suivant serait meilleur, et que je trouverais enfin le courage de me lancer.
J’ai attendu, tétanisé par la peur de me tromper, de faire une énorme bêtise. Le risque était trop grand. Si j’avais gâché notre amitié, si on ne s’entendait plus avec Jéjé, c’est notre parcours dans le tournoi de rugby qui allait en souffrir.
J’ai trop attendu, j’ai trop cogité. A un moment, je l’ai entendu me souhaiter la bonne nuit. La magie de cette nuit-là était partie, d’un coup. Un instant plus tôt, tout semblait possible. Un instant plus tard, tout était foutu. Deux mots et tout s’était écroulé.
Sur le coup, je me suis senti soulagé que cette tension cesse enfin. Mais en même temps, j’ai ressenti une frustration et une déception terribles. J’ai su qu’il n’y aurait jamais meilleure occasion que celle-ci. Et que même une occasion pareille ne se représenterait sûrement plus jamais. J’ai compris que je n’arriverais jamais à avouer à Jé ce que je ressentais pour lui.
Quand je l’ai entendu glisser dans le sommeil, j’ai eu envie de pleurer. J’ai essayé de me ressaisir en me répétant mille fois que Jé était comme mon petit frère, et que notre amitié, notre complicité étaient plus importantes que tout. Et que jamais je ne devais prendre le risque de gâcher ça ».
« Mais ça n’a pas suffi pour oublier ».
« Non… non… ».
Thibault marque une pause. Une question me brûle les lèvres. J’hésite avant de la poser. Mais je décide de me lancer.
« Thibault… tu crois que tu es… ? ».
« Gay ? ».
« Oui… ».
« Je n’en sais rien. J’ai toujours couché avec des nanas. Et ça s’est toujours bien passé. Après, c’est vrai que j’aime regarder un beau garçon. Au rugby, sous les douches, dans les vestiaires, on côtoie des gars vraiment canons. Mais je n’ai jamais ressenti ce que je ressens pour Jé pour un autre gars.
Je ne sais pas vraiment comment l’expliquer. Avec Jé, c’est différent. Je ne sais pas comment te dire. C’est juste que quand je le regarde, quand je suis avec lui, je suis bien. Et j’ai envie de lui faire plaisir. Voilà, c’est ça. J’ai envie de le faire rire, de l’aider quand il a besoin de moi, j’ai envie de le rassurer, de le soutenir, de l’aider à avancer. Mais j’ai aussi envie de le serrer dans mes bras. J’ai envie qu’il soit bien. Parce que, quand il est bien, je suis bien aussi. C’est même plus fort que l’attirance ».
Soudain, je réalise que ce que Thibault vient de me donner en quelques mots, ressemble à une inconsciente mais magnifique déclaration d’amour.
« Tu es déjà ressenti ça pour une nana ? »
« Je ne sais pas » il finit par lâcher, pensif « je ne crois pas ».
« De toute façon » il continue « pour Jé ce n’était pas la même chose. Il appréciait mon amitié, mais il ne ressentait pas les mêmes choses que moi. Ça a été dur de le voir aller vers d’autres gars ».
Thibault me parle alors de la nuit où il avait surpris son pote en train de sortir d’un mobil home au camping de Gruissan, en compagnie d’un autre garçon. De son cousin Guillaume qui dormait parfois chez lui l’an dernier et avec lequel il pensait qu’il se passait des choses. Et aussi d’un rugbyman d’une autre équipe avec qui avait dormi chez lui tout un week-end. Il me parle également de ce plan à quatre avec son pote et les deux nanas quelques mois plus tôt.
Je suis au courant de tous ces moments, Jérém m’en a parlé à Campan. Mais je le laisse parler, je veux connaître sa version de l’histoire, son vécu, son ressenti. Et je sens qu’il a besoin de m’expliquer, de s’expliquer. Il a besoin de parler. Parce que je suis certainement la seule personne avec qui il peut le faire. Comment je regrette de ne pas lui avoir donné cette occasion plus tôt, de ne pas avoir su l’écouter et lui permettre de soulager son cœur.
« Quand il m’a proposé ce plan, il m’a scié. J’ai hésité à accepter, de peur d’être confronté à mes démons. Sur le coup, je me suis demandé pourquoi il voulait partager ça avec moi. Mais Jé semblait tellement emballé par ce plan que je n’ai pas su lui dire non. Alors, j’ai fini par accepter pour lui faire plaisir.
Je l’ai regardé emballer deux nanas d'un claquement de doigts. Ce mec est incroyable ».
« Je sais, je l’ai vu faire aussi, j’étais là ce soir-là ».
« Après, je te cache pas que si j’ai accepté, c’était aussi pour voir Jé nu, en train de prendre son pied. Je n’allais pas coucher avec lui, mais j’allais pouvoir le voir en train de coucher. La présence des nanas m’offrait cette occasion. Tant pis pour mes peurs, j’en avais trop envie ».
« Et on s’est retrouvés dans son studio, à poil, en train de baiser les nanas. Je le regardais en train de prendre son pied et je sentais mon excitation monter. La nana avait vraiment l’air de prendre son pied aussi. Elle était folle de lui, elle gémissait de plaisir, ses mains touchaient ses pecs, ses biceps. Elle ne se gênait pas pour lui dire à quel point il la faisait jouir et à quel point elle avait envie d’être à lui. Ca me rendait dingue. Ca me donnait envie, tellement envie de m'occuper de lui à sa place.
Parce que cette nuit-là, j’étais beaucoup plus attiré par son corps, pas son regard, par son plaisir à lui que par ceux des nanas. Cette nuit-là, j’avais envie de lui, bien plus que des nanas.
Nos épaules se touchaient, je sentais son parfum, j’entendais sa respiration et ça me donnait des frissons. Je sentais son regard sur moi. Lui aussi me regardait prendre mon pied. Je me suis demandé si ça l’excitait aussi me voir prendre mon pied.
Très vite, nos regards ont commencé à se croiser de plus en plus souvent. Je sentais mon orgasme arriver et je guettais l’arrivée de son orgasme à lui, j’avais hâte de le voir venir. Et on a fini par venir presque au même moment ».
« Après une bière, Jé a voulu recommencer, et les prendre par derrière ».
« En sodo ? ».
« Oui… ça m’a mis mal à l'aise d'entendre Jé demander ça. Surtout qu’il l’a carrément exigé. J’ai espéré que les nanas disent non, mais elles étaient partantes. Au départ, j’étais gêné. Je n’avais jamais fait ça. Mais après, j’ai aimé. Ce que j’ai aimé surtout, c’est de découvrir avec une nana ce que doit être le plaisir entre garçons, le plaisir que j'imaginais Jé devait prendre avec les mecs avec qui il avait couché.
Et puis, ce qui était bon aussi, c’était qu’on se sentait plus libres dans cette position, sans devoir composer avec le regard des nanas. Les regards de Jéjé me semblaient bien plus chauds qu’avant. Le contact entre nos épaules et nos cuisses était permanent, comme si on le cherchait. C’était tellement excitant ! Là aussi, on était venus presqu’au même moment. Et c’était encore plus fort !
Après ça, les nanas sont parties. Pendant qu’elles étaient là, j’avais eu envie de me retrouver seul avec mon Jéjé. Et maintenant, après ce qu’on avait partagé, après cette complicité pendant ce plan, je le redoutais. J’avais tellement envie de lui. J’avais peur de ce qui pourrait arriver. J’avais envie de partir à mon tour.
Mais Jéjé m’a demandé de rester dormir. J’ai essayé de trouver un prétexte pour rentrer chez moi, il a insisté. J’ai cédé pour lui faire plaisir, une fois de plus.
Nous nous sommes couchés, et il s’est endormi très vite. Mais moi j’ai eu du mal à trouver le sommeil. Pas facile de dormir dans le même lit qu’un mec qui fait tant d'effet, surtout avec ce qu’il venait de se passer. D’autant plus que la trique m’a gagné, même après deux baises rapprochées. J’ai essayé de me calmer, et j’ai fini par m’endormir aussi. Mais quand je me suis réveillé un peu plus tard dans la nuit, je le tenais dans mes bras. Je ne sais pas comment c’est arrivé, mais c’est arrivé, dans le sommeil. J’ai eu tellement peur qu’il s’en rende compte et qu’il me jette ».
« Et il s’en est rendu compte ? ».
« Je ne l’ai jamais su. Mais je pense que oui. Car le matin, au réveil, il y avait comme un malaise entre nous. Et même l’après-midi, au rugby j’avais l’impression qu’il m’évitait, qu’il n’était pas dans son assiette. Nous n’avons pas arrêté de foirer des actions sur le terrain. Aux vestiaires, sous les douches, on se parlait à peine. J’avais tellement peur que ce plan ait fait du tort à notre amitié ! ».
« Après cette nuit, ça a été le bazar dans ma tête. Encore plus qu’avant. J’avais qu’une envie, c’était de recommencer, de voir Jérém prendre son pied. Mais sans les nanas. J’avais envie de l’embrasser, de le caresser, de faire l’amour avec lui. J’en rêvais presque toutes les nuits. J’avais envie de savoir si je ne m’étais pas trompé, si vraiment lui aussi avait envie de moi. Et, comme toujours, j’avais peur pour notre amitié. Alors, comme d’hab, j’ai pris sur moi. J’ai voulu faire comme si de rien n’était. J’ai essayé de me raisonner.
Je me suis à me dire que renoncer à mes désirs pour Jé était nécessaire. Douloureux et difficile, mais nécessaire. Il fallait à tout prix que j'y arrive. Mais je ne voyais pas comment. Plus j’essayais de me raisonner, plus je crevais d’envie de lui. Je n’aurais jamais du accepter ce plan à quatre. Parce que j’ai trop aimé. Et après, c’était encore plus dur pour moi ».
Thibault marque une pause. Il sort un paquet de cigarettes.
« Ça te gêne si je fume ? » il me questionne.
« Non, tu es chez toi ».
« Mais au club on ne t’a pas dit à toi aussi d’arrêter ça ? » j’enchaîne, pendant qu’il allume sa cigarette.
« Si, bien sûr. Il faut que j’arrête. Je n’aurais pas du reprendre ».
« Excuse-moi, tu as le droit, ce ne sont pas mes oignons ».
« Mais tu as parfaitement raison ».
« Quand j’ai compris ce qui se passait entre Jé et toi » il enchaîne « ça a été un nouveau choc pour moi. Certainement le plus grand de tous ».
« Tu as compris quand ? ».
« Le jour où je t’ai croisé dans les escaliers chez lui, tu te souviens ? ».
« La première fois qu’on s’est vus ? ».
« Oui. Jé venait quasiment de me mettre à la porte parce que tu devais arriver pour le faire réviser. Déjà c’était louche. Après, quand je t’ai croisé, j’ai vu ton regard. Tu étais tout excité, ton cœur battait la chamade. Vous étiez tellement pressés de vous retrouver, et il n’y a que le sexe et l’amour qui peuvent faire ça ».
« Ca a été dur pour moi de te voir débarquer dans la vie de Jé. Parce que tu n’étais pas une simple aventure comme il en avait eu avant avec d’autres mecs. Cette fois-ci, Jé était tombé sur un gars qui était vraiment amoureux de lui. Car j’ai senti que tu l’aimais ».
« Pendant un temps, j’ai cru que Jé couchait avec des gars juste pour le sexe. J’ai cru qu’il était bi. Mais je me suis dit qu’il ne renoncerait jamais aux nanas. Et, surtout, qu’il ne serait jamais amoureux d’un gars. Et puis tu es arrivé. Jé a peu à peu oublié les nanas. Et j’ai compris assez rapidement que, malgré ce qu’il voulait croire et faire croire, tu étais quelqu’un de très important à ses yeux. Et tout est remonté en moi. Donc il aimait bien les mecs. Plus que les nanas. Et il pouvait ressentir des choses pour un gars. Et j’ai compris qu’il ne s’intéresserait jamais à moi autrement que comme à un pote. Parce qu’il ne me voyait que comme un pote ».
Je réalise que Thibault a été également aux premières loges pour voir naître ma relation avec son Jé. Combien de fois, coincé derrière ce mur de verre cruel qui l’empêchait d’atteindre son bonheur, Thibault a du avoir les tripes retournées en voyant son pote coucher avec d’autres mais pas avec lui ?
« Mais ce n’était pas tout. Quand tu es arrivé dans sa vie, c’est notre amitié qui a changé. Du jour au lendemain, Jé était moins disponible, pour le rugby, pour les sorties, pour moi. D’un côté, ce n’était pas une mauvaise chose. Moins je le voyais, moins ça me faisait mal de devoir accepter une amitié qui ne me suffisait plus. Et pourtant, il me manquait. Notre complicité me manquait. Jé ne se confiait plus à moi, il me cachait toute cette partie de sa vie ».
« Mais ça aurait été dur pour toi de l’entendre te parler de sa relation avec moi ».
« Je le sais, j’étais dans une situation intenable. Ne pas savoir me faisait souffrir. Mais s’il m’avait raconté, je crois que j’aurais souffert encore plus. Et ce qui me faisait du mal aussi, c’était de me rendre compte que si votre relation lui apportait du bonheur, il avait du mal à accepter tout ça, à l’assumer. Si je n’avais pas été amoureux, j’aurais pu le pousser à se confier, et tout aurait été plus simple. Quand un amour à sens unique se mélange à l’amitié, ça produit un mélange explosif ».
« J’avais déjà du mal à oublier ce que j’avais ressenti pendant le plan à quatre, et le fait de vous imaginer vous donner du plaisir, ça me remuait. Mais en même temps, je me disais que c’était une bonne chose que tu sois arrivé dans sa vie. J’avais besoin de prendre un peu de distance pour essayer d’oublier ce que je ressentais pour lui. Et je croyais pouvoir compter sur toi pour y arriver ».
« Mais moi je me suis confié à toi ».
« Je t’y ai poussé. J’avais besoin d’être sûr de ce que tu ressentais pour lui pour encourager votre relation ».
« Tu as tout fait pour nous rapprocher ».
« Après coup, tu as du te dire que j’ai joué un drôle de jeu avec toi. Essayer de vous rapprocher alors que j’avais des sentiments pour Jé ».
Je me dis que c’est vrai, lorsqu'on a des sentiments pour quelqu'un, on n'essaie pas en général de faire copain copain avec la personne qui a la place que l'on convoite dans le lit et dans le cœur de ce quelqu'un. Et surtout pas de pousser son « rival » dans les bras de l’être aimé.
Mais je me tais. Et je l’écoute. Là encore, je veux entendre son récit et sa cohérence.
« Et pourtant j’étais sincère. Au fond de moi je savais que je n’avais aucun espoir avec Jé, aucun espoir de bâtir une relation au-delà de l’amitié. Je me suis dit que vous aider à être heureux ensemble me permettrait de tourner la page.
Et comme je savais que ce n’était pas une mince affaire de s’attaquer au cœur de Jé, j’ai voulu t’encourager, te soutenir. J’ai voulu essayer de te donner quelques clefs pour connaître et comprendre un peu mieux ce sacré bonhomme. Mais ça a été plus difficile que prévu ».
« J’imagine ».
« L’un des moments les plus durs, ça a été la nuit où Jéjé s'est battu à l'Esmé, et qu’il n’a pas voulu me dire ce qui s’était passé ».
« Il s’est battu avec un mec saoul qui voulait me taper parce que je l’avais regardé ».
« Je me doutais que c’était un truc comme ça. Je crois que c’est cette nuit-là que j’ai compris clairement que Jé ne faisait pas que coucher avec toi, mais qu’il t’aimait. Sans se l’avouer encore, certes, mais il t’aimait. J’ai compris que tu allais prendre une grande place dans la vie et dans son cœur. Une place qui ne serait jamais la mienne.
Et quand je vous ai regardé partir tous les deux dans la 205, vers son appart, vers son lit, ça a été un déchirement. J’aurais voulu être heureux pour vous, mais je n’y arrivais pas. Je n’y arrivais plus. J’étais trop malheureux ».
« J’avais plus que jamais besoin de prendre de la distance. De ne plus le voir, de ne plus vous voir pendant un temps. Mais on avait un tournoi à gagner. Toujours pareil, on avait des entraînements, on se voyait dans les vestiaires, sous les douches. Après sa blessure à l’épaule, Jé m’a même demandé de rester dormir chez lui. C’était très difficile pour moi ».
Thibault allume une nouvelle cigarette. Il tire une longue taffe et il se retourne pour expirer et ne pas m’envoyer la fumée.
« La nuit qu’on a passé tous les trois ensemble a du être compliquée pour toi » je considère.
« Ça l’a été ».
« Comment se fait que tu es passé le voir si tard cette nuit-là ? ».
« J’avais besoin de lui parler. Plusieurs fois, avant cette nuit, après des soirées où on avait bu, ça avait failli dér entre nous. Mais ça n’avait jamais été plus loin qu’une branlette. Et pourtant, ça avait créé un malaise entre nous. J’avais aussi essayé de lui parler de toi, de votre relation, et il m’avait jeté. Je sentais qu’on s’éloignait, on se voyait de moins en moins, au rugby c’était plus comme avant. On était à deux doigts de foirer le tournoi, alors qu’il était tout à fait à notre portée.
Ce soir-là, j’étais à une soirée chez des potes. En rentrant, je suis passé dans la rue de la Colombette, et j’ai vu qu’il y avait de la lumière chez lui. J’avais besoin de lui parler. J’avais besoin de lui dire que son amitié était trop importante pour moi et qu’il ne fallait pas laisser quoi que ce soit lui faire du tort. Je voulais aussi lui reparler de toi, lui dire que ça ne me posait aucun problème. Je voulais lui dire qu’il avait le droit d’être heureux avec toi.
En aucun cas j’étais passé pour qu’il se passe quoi que ce soit avec lui. Bien au contraire, je ne voulais surtout plus qu’il se passe quoi que ce soit. Je pensais qu’il était seul ».
« Mais j’étais là… ».
« Oui… ».
« Je venais tout juste d’arriver ».
« Quand Jé a lancé l’idée de ce plan, je me suis demandé à quoi il jouait. Au fond de moi, je me disais que c’était la dernière chose à faire, parce que ça allait encore compliquer les choses. Et pourtant, j’en crevais d’envie. L’idée de retrouver les sensations du plan avec les nanas me faisait vraiment envie. Et l’idée de partager ce moment avec toi, le mec qui faisait du bien à mon pote, me plaisait bien aussi. Je voulais aussi savoir ce que Jé aimait. Et pourquoi il n’arrivait pas à l’accepter. J’étais aussi curieux de découvrir le plaisir entre garçons ».
« Je crois que pendant ce plan il voulait te montrer que j’étais juste son objet sexuel et qu’il ne ressentait rien de plus pour moi ».
« Je le crois aussi. Mais je savais déjà que ce n’était pas vrai ».
« Cette nuit-là, j’ai ressenti tellement de choses » il continue « c’était ma première fois avec un mec… enfin, tu sais… la première fois… jusqu’au bout. Et c’était génial. C’était décomplexé, c’était assumé, c’était bon. Je n’avais jamais pris autant mon pied ».
« Et moi pareil. C’était la première fois que je couchais avec un gars qui voulait vraiment me faire plaisir. Car jusque-là, Jérém ne semblait se soucier que de son plaisir à lui ».
« J’ai toujours regretté de ne pas lui avoir empêché de te traiter comme il l’a fait ».
« Je sais. Mais ça aurait crée des tensions entre vous ».
« Mais j’aurais du être plus ferme ».
« Tu as fait ce que tu as pu. Et surtout, tu m’as fait l’amour. Devant Jérém. Et ça, ça l’a rendu fou ».
« Tu es un gars touchant, Nico. Tu es doux et sensuel. Et tu m’as aidé à regarder en face cette partie de moi que j’avais enfouie depuis toujours. Et de ça, je t’en étais reconnaissant. Tu m’as montré à quel point l’amour entre garçons est bon. Tellement bon qu’on ne peut pas le mépriser, mais uniquement le respecter. Alors, j’ai voulu montrer à Jé qu’il n’y avait aucun mal à ça, qu’il n’avait pas à avoir cette attitude méprisante vis-à-vis de toi. Je me suis dit que s’il me voyait assumer, ça l’aiderait à assumer. Et puis je l’ai vu jaloux. Et je me suis dit que cette jalousie était saine, et que ça le pousserait à se remettre en discussion ».
« Mais cette nuit-là, j’ai aussi ressenti autre chose » il continue.
« C'est-à-dire ? ».
« Jamais je n’ai eu autant envie de lui qu’à ce moment-là. J’ai trouvé que Jé était terriblement sexy, bien plus que pendant le plan avec les nanas. Il avait l’air de prendre son pied comme jamais ».
« Tu peux pas savoir à quel point j’avais… » il ajoute, avant de marquer une pause, l’air très gêné.
« A quel point ? » je le questionne.
« Laisse tomber ».
« Au point où nous en sommes, tu peux tout me dire. Ça te fera du bien ».
« A quel point j’avais envie d’être à ta place, de lui faire ce que tu lui faisais, de lui laisser faire ce qu’il te faisait. J’avais envie de faire l’amour avec lui ».
« D’autant plus » il continue « qu’il ne me lâchait pas du regard. Son attitude était troublante. Il s’est lâché beaucoup plus qu’avec les deux nanas. Je me suis dit qu’il avait lui aussi envie qu’il se passe quelque chose entre nous deux. Pendant un moment, j’ai même cru que ce serait lui qui prendrait l’initiative ».
« Je l’ai senti, j’ai senti votre attirance. Et j’ai cru que vous alliez le faire ».
« Et ça aurait été mieux que ça se passe là, devant toi, plutôt que plus tard, dans ton dos. C’était la nuit de toutes les folies, et ça se serait arrêté là ».
« A un moment, j’ai même cru que Jérém avait voulu ce plan pour s’approcher de toi » je lance.
« Je ne le crois pas. Cette nuit-là on n’a pas vraiment couché ensemble Jé et moi ».
« Mais ça aurait pu » je considère.
« S’il ne s’est rien passé, c’est parce que je savais que c’était toi qu’il aimait. Je savais aussi que tu l’aimais. Cette nuit-là, dans cette intimité j’ai senti toute l’intensité de votre amour. Je ne voulais pas te faire de mal. Je ne voulais pas que tu te sentes trahi. Mais j’en crevais d’envie. De toute façon, à partir du moment où il a commencé à être jaloux, il a oublié tout le reste. Sa tentation envers moi s’est évaporée aussitôt ».
« Cette nuit-là a remué bien de choses dans ma tête » il continue « et je me suis rendu compte que je n’en pouvais plus d’endurer tout cela, que j’avais plus que jamais besoin de prendre de la distance.
Mais je ne pouvais pas m’éloigner de suite. Une fois de plus, j’attendais la fin du tournoi. Jérém serait peut-être parti travailler ailleurs. Si je n’avais pas été recruté par le Stade, je me serais investi davantage au SDIS, j’aurais voulu devenir pompier pro. Et je crois bien que j’en aurais profité pour changer de ville. Je me souviens m’être dit qu’il fallait que je tienne bon encore quelques mois, et que j’arriverais enfin à tourner la page.
Mais rien ne s’est passé comme prévu. Après cette nuit, ça a failli à nouveau dér entre Jé et moi. Et à chaque fois, j’avais le cœur de plus en plus lourd. Je culpabilisais. Je ne voulais pas gâcher notre amitié, et je ne voulais pas non plus trahir ta confiance, je ne voulais pas me mettre entre vous deux. Je savais aussi que s’il avait failli se passer quelque chose entre nous, c’était aussi parce qu’il était mal dans sa peau. Je ne voulais pas compliquer les choses inutilement ».
« Après la fin du tournoi, j’ai cru que ça allait bien se passer pour la suite. Je pouvais enfin prendre de la distance. D’autant plus que Jé était accaparé par son taf à la brasserie et que ses horaires étaient très différents des miens.
C’était dur, mais c’était la seule chose à faire. Ce qui me faisait tenir bon c’était le fait de vous savoir amoureux l’un de l’autre, de vous savoir bien ensemble, de croire que votre bonheur était possible. Je me suis dit qu’il avait le droit passer avant le mien, qui lui n’avait aucune chance.
J’ai su d’emblée que tu étais un bon gars et que Jé était bien avec toi. J’ai su que tu pourrais lui offrir tout ce que moi je ne pouvais pas lui offrir. Non seulement le plaisir et l’amour, mais aussi une relation assumée. J’ai vite compris que tu assumais qui tu étais. Et que tu pouvais l’aider à se connaître lui-même, à s’accepter. Tu pouvais l’aider à s’aimer. Ce qui n’a jamais été le cas. Tu sais, derrière sa façade de « petit con je me la pète », Jé ne s’aime pas vraiment. Pas du tout même. J’ai essayé de lui faire comprendre qu’il est génial, mais il ne l’a jamais imprimé. Je me suis dit que tu avais des chances de réussir là où j’avais échoué. L’amour peut bien des choses. Je me suis dit que tu pouvais le rendre heureux, sans que l’amitié s’en mêle et vienne compliquer les choses.
D’une certaine façon, j’ai voulu te confier mon Jéjé. Je me suis dit que tu lui apporterais un nouvel équilibre, que tu veillerais sur lui, à ma place. Parce que c’était devenu trop dur pour moi de le faire.
Oui, après la fin du tournoi, j’ai vraiment cru que ça allait bien se passer. Mais il a fallu que Jé se fasse expulser. Et qu’il me demande de crécher quelques temps chez moi ».
« Ca n’a pas du arranger les choses ».
« Non, pas vraiment. Tu sais, j’ai hésité avant de dire oui. Je ne voulais plus être confronté à la tentation, à cet amour impossible. Mais je ne pouvais pas le laisser dans la rue. Je ne pouvais pas lui dire non, surtout qu’il m’avait dit que ce n’était que pour quelques jours. J’ai même prétexté que j’avais du mal à dormir pour lui laisser le lit et prendre le clic clac. Finalement, c’est lui qui a pris le clic clac. Pendant les quelques semaines où il est resté chez moi, j’ai tout fait pour l’éviter. Je n’étais pas là pendant sa pause de l’après-midi, je me couchais avant qu’il rentre du service du soir. On se voyait très peu. Et ça se passait très bien.
Jusqu’à ce soir du 15 août. Jé a débarqué à l’improviste, en pleine nuit. Il venait de découcher plusieurs nuits d’affilé. Moi j’étais déjà couché, et j’ai été surpris de le voir arriver. Il était complètement paumé. Il était stone. Il était si mal dans sa peau. Et je crois que c’était avant tout parce que tu lui manquais à en crever.
J’ai essayé de lui parler de votre histoire, de le mettre à l’aise, de lui dire qu’il n’y avait rien de mal à aimer un gars. Il m’a jeté comme d’habitude. Il voulait ressortir et je ne voulais surtout pas qu’il reparte, si tard dans la nuit, dans cet état. J’ai juste voulu le réconforter. Je l’ai rejoint sur le clic clac et ça a dérapé ».
Je réalise que je suis assis sur le clic clac dans lequel les deux potes se sont donné du plaisir. Je ne peux empêcher une poussé de jalousie parcourir ma colonne vertébrale et me couper le souffle. Mais elle retombe très vite, chassée par l’envie d’entendre et de comprendre le récit de Thibault.
« Jé avait davantage besoin d’affection que de sexe. Si le sexe est venu, c’est parce que nous, les garçons, nous avons besoin de ça pour nous détendre et laisser tomber la carapace. S’il a voulu coucher avec moi, c’est parce qu’il se sentait seul et perdu. Après le sexe, je l’ai pris dans mes bras. J’ai senti qu’il en avait envie, qu’il en avait besoin. Nous n’avons pas parlé. Mais tout était dit. J’étais bien, et je sentais qu’il était bien aussi. C’était si bon de le sentir s’apaiser, partager ce moment de complicité et d’intimité.
C’était tellement bon d’être là pour lui. Mais aussi très dur ».
« Je comprends ce que tu as du vivre ».
« Je pensais vraiment pouvoir garder le contrôle, mais mes sentiments ont fait surface, et c’était violent. J’ai essayé de résister, mais ça a été plus fort que moi.
Tu sais, Nico, j’ai passé des années à me maîtriser, tout le temps, à arrondir les angles partout, à m’oublier pour faire plaisir aux autres. Cette nuit-là, j’ai perdu pied. C’était une folie et pourtant c’était tellement bon d’écouter enfin mon cœur. Je n’ai pas eu la force de résister. Est-ce que j’ai assez réfléchi aux conséquences ? Je ne crois pas. Non, je ne savais pas comment j’allais gérer ça après, mais j’en avais besoin. En tout cas, je me suis dit que j’assumerais et que je trouverais les mots pour faire comprendre à Jé qu’il devait s’assumer aussi. Mais je n’en ai pas eu l’occasion ».
« Parce qu’il est parti ».
« Pendant quelques heures, j’ai cru qu’il reviendrait. Mais il n’est pas revenu ».
« Tu lui en as voulu ? ».
« Sur le coup, oui, un peu. J’aurais voulu qu’on se réveille ensemble, qu’on prenne le petit déj, qu’il me laisse l’occasion de lui montrer que ce qui s’était passé ne changeait rien entre nous, que je ne lui demandais rien du tout. J’aurais voulu au moins que ce qui s’était passé entre nous lui montre qu’il n’y a pas de mal à se faire du bien entre mecs.
Mais il a préféré partir. Je sais qu’il n’a pas voulu me faire du mal. Peut-être qu’il a eu peur de m’avoir donné des faux espoirs, de m’avoir blessé. Peut-être qu’il a eu peur de me faire davantage de mal s’il était resté. Mais ça a été dur pour moi de le perdre de cette façon.
En fait, tu l’as compris, c’est ça, bien avant et bien plus que mon recrutement au Stade Toulousain, qui nous a éloignés ».
« Je comprends, oui ».
« Je regrette de ne pas t’avoir tout dit le jour où t’étais venu me voir au garage. Mais j’étais tellement mal à l’aise ! Je ne voyais pas comment je pourrais te raconter ça et comment tu pourrais l’accepter. Jé venait de te quitter, vous vous étiez battus, ça avait du être horrible pour toi. Comment t’expliquer que quelques jours plus tard il couche avec son meilleur pote, moi, en qui tu avais confiance ? Car tu avais confiance en moi et je l’ai trahie ».
Je me souviens qu’au fond de moi, j’avais remarqué le malaise qui s’était glissé dans son regard lorsque je lui avais demandé si Jérém lui avait parlé de notre rupture. Oui, au fond de moi, j’avais détecté l’empressement avec lequel il avait semblé vouloir balayer ce sujet. « Vite fait… » il avait balayé ma question sur un ton évasif, comme si ça le mettait mal à l’aise de parler de ma relation avec Jérém.
Pourtant, sur le moment, pressé de lui parler de la rupture entre Jérém et moi, je n’y avais pas prêté plus d’attention que ça.
« Après cette nuit, j’ai culpabilisé à fond » il continue « j’avais perdu mon pote de toujours. Je me suis dit que ce qui s’était passé avait été une grosse erreur. Si tu savais comment je m’en suis voulu ! Et encore plus après l’accident ».
« L’accident n’était pas de ta faute ».
« Non, mais si on n’avait pas couché ensemble, il n’aurait pas été si mal dans sa peau, il ne serait pas parti en vrille, et probablement il ne se serait pas battu avec ce type ».
« Avec les si… ».
« Je sais bien. Mais sur le coup, je voyais tout en noir. Mais depuis, j’ai eu le temps de réfléchir. Et j’ai arrêté de voir cette nuit comme une erreur.
Au risque de te choquer, je ne regrette pas ce qui s’est passé entre Jé et moi. Parce que cette nuit-là, on avait besoin l’un de l’autre. L’espace d’une nuit, on s’est fait du bien. Jamais nous n’avions été si proches que pendant ces quelques heures. Pendant, et surtout après le sexe, j’ai été heureux. Il aurait suffi qu’il reste et qu’on assume tous les deux ce qui s’était passé et il n’y aurait pas eu de malaise. En tout cas, ça aurait été bien moins compliqué pour moi.
D’une certaine façon, je pense qu’il fallait que ça arrive. Car cette nuit nous a permis de nous avouer ce que l’on ressentait l’un pour l’autre. Et elle nous a fait comprendre qu’entre nous ce n’est pas possible. Car Jé est amoureux de toi et moi je ne serais jamais que le bon pote. Cette nuit était une façon de nous dire adieu, alors que le rugby et la vie allaient nous éloigner. Cette nuit a donné la réponse à toutes les questions que nous pouvions nous poser l’un sur l’autre et sur nous-mêmes aussi ».
« Il vaut mieux avoir des remords que des regrets » je réfléchis à haute voix.
« La seule chose que je regrette » il continue « c’est le mal que ça t’a fait à toi, Nico ».
Thibault marque une pause, le regard dans le vide. Je me sens bizarre. Je viens de comprendre que Thibault est tout aussi amoureux de son Jéjé que je le suis de mon Jérém. Et qu’il l’est depuis beaucoup plus longtemps que moi, en secret. Je réalise à quel point ça a dû être dur pour lui pendant tout ce temps à côtoyer ce pote dont il était amoureux. Tout en essayant de maîtriser ses sentiments, et de me permettre de me rapprocher de son pote. Car il a été sincère dans sa démarche, j’en suis certain.
Oui, Thibault a souffert aussi, et bien plus que moi. Moi, avec Jérém, j’ai eu de la peine mais aussi de la joie, beaucoup de joie. Mais Thibault, à part cette unique nuit d’amour, n’a pratiquement retiré de cette histoire que de la souffrance. Et dans cette histoire, il a perdu plus que tout le monde.
Bien sûr, une partie de moi lui en veut quand même d’avoir couché avec le gars que j’aime. Et pourtant, je comprends désormais son geste. Quand on est amoureux, quand on ressent une attirance, on a beau lutter. Elle finit toujours par nous rattr.
Finalement, la « faiblesse » révélée du beau pompier est loin de ternir son image. En réalité, ce qui s’est passé avec Jérém, ne fait que dévoiler sa sensibilité, depuis trop longtemps dissimulée derrière le garçon fort et généreux. Et ça le rend on ne peut plus humain. Thibault dévoile ses fêlures, sans pour autant perdre ses qualités.
Depuis toujours, Thibault a plutôt eu tendance à s'oublier et à se tourner vers les autres. Mais le fait de trop s'oublier peut jouer des tours, ça peut faire perdre sa propre identité et réserver un beau choc inattendu lorsque la gravité terrestre nous rappelle à ses lois.
« Les semaines après l’accident de Jé ont été très difficiles ».
« Je suis désolé de ne pas avoir été là pour te soutenir ».
« Je ne devrais pas ressentir ça pour mon meilleur pote… » il enchaîne, le regard ailleurs, sans prêter attention à mes mots.
« Ça ne se commande pas ».
Plus je le regarde, plus je me dis que ce mec est beau, beau, infiniment beau ! Il l’est dans tous les sens que ce mot peut s’appliquer à un garçon. Son corps est beau, son visage est beau, son cœur est beau. Avec sa gentillesse et sa droiture, avec ses fêlures, ce petit mec est un ange.
Son regard ému me fait fondre. Il est beau et touchant. Je prends ses mains dans les miennes et je les serre très fort. Ses pouces caressent mes doigts.
« Je n’aurais pas du réagir comme j’ai réagi, te laisser tomber sans te permettre de t’expliquer ».
« Tu étais déçu et en colère ».
« Sur le coup, j’étais sonné, comme si j’avais reçu un coup de massue sur la tête ».
« Je le comprends, et je pense qu’à ta place j’aurais peut-être réagi de la même façon ».
« Même si, au fond de moi, je savais déjà que tu étais amoureux de Jérém. Moi aussi j’ai ressenti des trucs la nuit qu’on a couché tous les trois. Après cette nuit, j’ai eu peur que vous puissiez coucher ensemble. Et pourtant, j’ai toujours cru que tu arriverais à gérer. Mais quand tu m’as raconté ça, alors que je vivais la période la plus dure de ma vie, entre la séparation avec Jérém et son accident, je suis tombé de haut ».
« J’aurais pu te le cacher, mais j’ai préféré être sincère ».
« Je sais que tu as voulu agir pour le mieux et tu as bien fait ».
« Je savais que vous alliez vous retrouver un jour, et je ne voulais pas non plus laisser le fardeau à Jé de te l’avouer. Et prendre le risque que ça explose à nouveau entre vous à cause de ça. Mais je ne voulais pas l’accabler, au contraire, je voulais t’expliquer pourquoi c’était arrivé ».
« Mais je ne t’en ai pas laissé l’occasion ».
« J’avais aussi besoin de te le dire, pour me soulager de ce poids, surtout après l’accident de Jé ».
« Après l’accident, j’ai passé des semaines difficiles. Je me sentais tellement mal, tellement fautif vis-à-vis de ce qui était arrivé. J’avais tellement peur qu’il ne se réveille pas ! Et quand il s’est réveillé, j’ai eu peur que cet accident brise sa future carrière au rugby. J’en ai longtemps fait des cauchemars ».
« Vraiment, je suis désolé de ne pas avoir été là ».
« Je ne t’en veux pas, Nico. Enfin, je ne t’en veux plus. Je comprends que tu aies été blessé par ce qui s’est passé ».
« Mais tu m’en as voulu… ».
« Si je te disais non, je mentirais. Du moins pendant un temps. J’avais perdu mon meilleur pote, et toi aussi tu me tournais le dos. J’ai essayé de t’expliquer, je t’ai demandé pardon. Je regrettais, vraiment, sincèrement. Quand tu es parti sans un mot, je me suis retrouvé seul. C’est bien connu, il n’y a rien de tel que ce genre d’histoires pour venir à bout des plus belles amitiés. Et moi, dans ce cas, j’avais perdu deux potes d’un seul coup ! Il faut le faire ! ».
« Maintenant tout va bien, le plus important c’est qu’il soit est en bonne santé et qu’il puisse réaliser son rêve » considère le jeune rugbyman.
« Jérém regrette que ce qui s’est passé vous ait éloignés. Il a toujours besoin de toi, de ton amitié. Il me l’a dit. Et je crois qu’il regrette aussi d’être parti comme un voleur cette nuit-là ».
« Je l’imagine, je le sais même. Il m’a appelé deux fois, je sentais qu’il voulait me parler, mais je n’ai pas pu. C’est trop dur pour moi. Je n’y arrive pas. Pas encore. Tu sais, Nico, malgré ce qui s’est passé, j’ai toujours des sentiments pour lui. Son départ pour Paris est une bonne chose finalement. Ca va nous permettre de prendre de la distance de tout ça.
Que ce soit clair, je ne fais pas la tête, il ne faut surtout pas qu’il pense ça, hein ? Mais j’ai besoin de temps, tu comprends ? J’espère que tu comprends et que tu sauras lui expliquer ».
« J’essaierai ».
Je réalise que le Thibault bienveillant, plein d’énergie et de générosité en a pris un coup. Il est las de prendre sur soi. Las de faire passer le bonheur des autres avant le sien. Ce n’est pas qu’il ait changé. Sa nature demeure généreuse au plus haut point. Mais il n’en a plus l’énergie.
« Et je voudrais aussi que tu veilles sur lui à ma place, maintenant que je ne peux plus le faire. Je sais que tu sauras assurer à merveille ».
Je suis touché par ce passage de témoin symbolique, et par la confiance que Thibault m’accorde.
« Et si vraiment un jour il a un problème » il continue « il peut toujours m’appeler. Et s’il n’ose pas, tu peux toujours m’appeler, toi. Tu peux m’appeler même si c’est toi qui a un problème ».
« Merci Thibault. Toi aussi tu peux m’appeler si tu as besoin de quelque chose ».
Avant de nous quitter, et alors que nous sommes en train de nous dire au revoir devant la porte d’entrée, Thibault va me glisser quelques mots qui vont me bouleverser.
« De toute façon, maintenant tout ça ça n’a plus la même importance pour moi. A présent, je dois me concentrer sur le rugby. Et il faut surtout que je m’occupe de ma famille… ».
« Pourquoi, tu as des soucis ? ».
« Non, pas de soucis. Que du bonheur. Je vais être papa, Nico… ».

Comments:

No comments!

Please sign up or log in to post a comment!