Histoire Des Libertines (89) : Des Destins De Femmes Au Bas-Empire

AVERTISSEMENT :

J’ai souhaité rassembler sous ce chapitre quatre destins de femmes fascinantes qui ont voulu vivre libres sous le Bas-Empire, à un moment, celui du Vème siècle, où le christianisme est devenu la religion officielle et où les grandes invasions vont profondément transformer l’empire romain, entrainant sa chute en Occident.

Trois de ces femmes font partie de la dynastie valentino-théodosienne, du nom des empereurs Valentinien Ier (364-375) et Théodose Ier (379-395), qui régna sur l’empire romain de 364 à 457 (455 en Occident) :

• La belle impératrice Eudoxie, épouse de l’empereur d’Orient Arcadius, et qui fut la cible d’un des pères de l’église, le patriarche Jean Chrysostome, qui la qualifiait de nouvelle Jézabel

• Galla Placidia (388-450), fille d’empereur, épouse d’empereur et mère d’empereur, qui osa aimer un roi barbare

• Honoria (417-455), fille de la précédente, punie pour ses « débauches » et qui avait voulu s’offrir au fléau de Dieu, le roi des Huns Attila

J’ai voulu également évoquer le destin particulièrement tragique de la belle philosophe Hypatie d’Alexandrie (370-415), victime de l’intolérance du Christianisme triomphant.

CHAPITRE Ier : L’IMPERATRICE EUDOXIE, « LA NOUVELLE JEZABEL »

Rien ne destinait Eudoxie à devenir un jour impératrice des Romains. Née vers 375, Eudoxie est la fille de Bauto, un général de l’empereur Théodose Ier, d’origine franque.

Elle vit à la cour de Constantinople où son père est chargé de fonctions importantes. À la mort de son père, son ami Promote se charge de l'éducation d'Eudoxie avant d'être éliminé par Rufin (Flavius Rufinus 335-395), le préfet du prétoire d'Orient.

UNE BEAUTE EXCEPTIONNELLE ET UN COUP POLITIQUE

La beauté de la jeune fille allait être une pièce maîtresse dans le jeu des opposants au nouvel homme fort de Constantinople, le préfet du prétoire Rufin.

Le mariage d’Eudoxie avec l’empereur Arcadius (377-408), qui succède à son père Théodose en Orient en janvier 395, est le résultat de la rivalité qui oppose Rufin à l’eunuque Eutrope, le grand chambellan, l’un et l’autre voulant gouverner au nom du faible Arcadius.

Rufin voulait assurer son pouvoir en faisant épouser sa fille par l’empereur. Eutrope va ruiner ce projet par un stratagème : grâce à sa beauté exceptionnelle, Eudoxie est choisie par l'eunuque Eutropius pour épouser l'empereur. Lors d'une absence de Rufin en Syrie, en avril 395, Eutropius organise les préparatifs du mariage d'Arcadius avec Eudoxie dans le plus grand secret ; personne à la cour hormis le prince n'est au courant que la future épouse n'est pas la fille de Rufin. Celui-ci, revenu de voyage, est persuadé que les préparatifs du mariage qu'il observe au palais sont ceux de sa fille avec Arcadius. La manipulation est si bien montée que le nom de l'épouse n'est dévoilé qu'au dernier moment ! Rufin perdra alors beaucoup de son influence, avant d’être assassiné à l’instigation d’Eutrope en novembre 395.


INFLUENTE ET INFIDELE ?

Eudoxie prend rapidement l'ascendant sur son époux, à qui elle donnera quatre s, dont un fils, Théodose, qui succédera à Arcadius. Sa fidélité à l'empereur a pourtant été mise en doute.

Sur le plan politique, elle fera éliminer en 399, puis exécuter l’eunuque Eutrope, à qui elle devait pourtant son mariage. Le patriarche de Constantinople, Jean Chrysostome (344-407) reçoit Eutropius et le protège grâce au droit d'asile des églises. Pourtant, Eutropius s'étant aventuré hors de l'église, est arrêté et mené devant Arcadius. Eudoxie le fait exiler à Chypre, d'où il est peu de temps après ramené vers Chalcédoine, pour y être jugé et décapité.

Dès lors, ce Père de l’église devient l’ennemi de l’impératrice.

Le second à être éliminé est le remuant général goth Gaïnas en 400, dont elle fait massacrer les soldats par la foule, ce qui provoque la fuite de ce dernier.


« LA NOUVELLE JEZABEL »

Eudoxie scandalise les chrétiens par son luxe et son amour du faste. Les rumeurs courent sur sa luxure. Dans une homélie, Jean avait dénoncé d’une façon très générale des vices propres aux femmes, et Eudoxie s’était sentie personnellement visée.

Elle se voit aussi reprocher par Jean Chrysostome des détournements de fonds. Jean Chrysostome compare l'impératrice à l'infâme reine Jézabel de l'Ancien Testament. Pour mesurer la violence de cette attaque et se figurer ce que représentait la reine Jézabel pour les Chrétiens de cette époque, je renvoie au texte que j’ai publié le 3 avril 2019 : « Récits érotiques de la mythologie (11). Récits érotiques issus de la bible : la femme adultère » Cela revenait à traiter ouvertement Eudoxie de femme adultère.

L’impératrice ne peut souffrir la présence d'un prélat aussi indépendant d'esprit. Pour se venger, Eudoxie profite d'une controverse canonique avec le patriarche d'Alexandrie, pour faire exiler Jean Chrysostome, en juin 403. Soutenu par la réaction outrée de la population de Constantinople, Jean est aussitôt rappelé à la demande de l'impératrice, qui, à la suite d’une fausse couche, y voit un avertissement du Ciel.

Souhaitant être adorée comme l'empereur, elle obtient du sénat qu'une statue la représentant soit érigée sur le forum de la cité en face de la basilique Sainte-Sophie ! En septembre 403, une statue d'Eudoxie en argent, posée sur une colonne de porphyre, donne lieu à des jeux de théâtre et à des danses à l'occasion de sa dédicace.

Jean Chrysostome réagit par une homélie indignée. Cette fois, il la compare à une autre reine adultère de la bible, Hérodiade (dont j’ai aussi parlé dans le texte publié le 3 avril 2019), réclamant la tête de Jean le Baptiste : « De nouveau Hérodiade est frappée de démence. De nouveau elle danse. De nouveau elle réclame la tête de Jean sur un plat. »

L'allusion à Eudoxie est très claire et, pour l’impératrice la limite est franchie.
Jean n’a pas la possibilité de se défendre contre les accusations dont il est l'objet devant l'empereur, car Eudoxie s'arrange pour empêcher que le patriarche rencontre l'empereur et le persuade de renoncer à l'exiler. Des troubles importants secouent alors la communauté chrétienne de Constantinople. Finalement, en 404, il est une deuxième fois condamné, déposé et exilé en Arménie.

Eudoxie, débarrassée de son ennemi, ne profitera guère de son triomphe : elle meurt peu après, le 6 octobre 404 à la suite d'une seconde fausse couche. La jeune impératrice, décédée prématurément, constia un bouc émissaire idéal pour tous ceux qui avaient planifié l’élimination de Jean Chrysostome et qui étaient toujours dans les coulisses du pouvoir quand l’évêque fut réhabilité et sa dépouille ramenée à Constantinople avec tous les honneurs dus à un saint.

Chapitre II : GALLA PLACIDIA, QUI OSA AIMER UN BARBARE

Galla Placidia (388-450), issue du second mariage de l’empereur Théodose Ier le Grand et, à ce titre, petite-fille de l’empereur Valentinien, fervente chrétienne, n’était certainement pas une libertine.

La vie tumultueuse de cette princesse, qui exerça un rôle politique majeur su l’empire d’Occident, pendant des décennies, méritait pourtant qu’on s’y intéresse.

TEMOIN DU SAC DE ROME

Jusqu’en 408, l’homme fort d’Occident est le général Stilicon, d’origine vandale, qui gouverne au nom de l’incapable Honorius (384-423) et parvient longtemps à protéger l’empire. Stilicon, qui a épousé Serena, nièce de Théodose, est proche de la famille impériale. Alors que son père est devenu régent de l'Empire romain d'Occident après la mort de Théodose, il est prévu qu'Eucher épouse Galla Placidia, la sœur de l'empereur Honorius, mais celle-ci le détestant, fait sans cesse retarder le mariage.

Après l'exécution de Stilicon à Ravenne le 22 août 408, sur les ordres d'Honorius, Eucher est capturé dans une église de Rome et mis à mort.
Galla Placidia aurait aussi joué un rôle dans l'exécution de l'épouse de Stilicon, Serena, nièce de Théodose, et donc sa cousine.

OTAGE, PUIS REINE DES WISIGOTHS

Peu après la mort de Stilicon, Alaric, roi des Wisigoths, envahit l’Italie, sans trouver face à lui une résistance sérieuse ; en 410, à la suite de diverses péripéties, il envahit la ville de Rome et la soumet à un pillage de trois jours.

Galla, qui se trouvait à Rome, est alors prise comme otage par les Wisigoths. Alaric meurt à la fin de l'année 410 et est remplacé par son frère Athaulf, qui décide de quitter l'Italie et d'entrer en Gaule.

Pour s'imposer à Honorius, Athaulf épouse une première fois Galla Placidia à Forlì en Émilie, selon le rite germanique en 411. Le 1er janvier 414, il l'épouse à nouveau selon le rite romain à Narbonne. L'usurpateur Attale lui-même chante la chanson nuptiale. Lors de ce mariage, Athaulf, vêtu en romain, offre à sa femme 50 jeunes serviteurs portant chacun deux plateaux pleins d'une partie du butin volé à Rome quatre ans plus tôt.

Ce mariage, s’il avait une dimension affective, permettait aussi à Athaulf d’espérer pour sa descendance future une double légitimité, auprès des Goths mais aussi aux yeux des Romains, grâce à sa femme. Devenue reine romaine de Wisigoths indépendants, Galla encourage son époux dans sa politique de rapprochement avec Rome. Ce mariage d'une princesse impériale et d'un chef barbare, une première, frappe les esprits des contemporains. Il est clair aussi que Galla Placidia n’a nullement été e à cette union et qu’elle aime sincèrement son mari barbare. Quelle évolution chez elle, qui, quelques années auparavant, pensait s’opposer au parti pro-germanique en provoquant la chute de Stilicon.

DRAMES

C'est à Barcelone qu'en 415 Galla Placidia met au monde un fils qui reçoit le nom de son grand-père maternel, Théodose. Il meurt quelques mois plus tard. Le chagrin de ses parents est, semble-t-il, immense, à une époque où il est fréquent de perdre un en bas âge.

Quelques semaines plus tard, Athaulf est assassiné, victime d'un serviteur sans doute guidé par le parti wisigoth hostile à ce roi trop romanisé. Le nouveau roi Sigéric fait les s du premier mariage d'Athaulf et humilie Galla Placidia en la faisant marcher sur douze milles devant son cheval. La veuve d’Athaulf aurait été violentée par ce roi barbare, qui est à son tour renversé et assassiné par Wallia, un proche d’Athaulf.

Wallia finit par conclure un accord avec les Romains, ce qui ramène la princesse à la cour de l’empereur Honorius.

UN SECOND MARIAGE FERTILE ET PEU HEUREUX

Honorius impose en 417 à sa sœur d’épouser Constance, le généralissime de ses armées, qui sera associé au trône sous le nom de Constance III peu avant sa mort en 421.

Le mariage est, semble-t-il, peu heureux pour Constance, confronté à une Galla Placidia dominatrice et d'une piété intransigeante ; ils ont cependant deux s, Honoria et Valentinien.

Constance III meurt dès 421. En 423, Honorius fait exiler sa demi-sœur et ses s à Constantinople chez son neveu Théodose II. Il semblerait que l'exil aurait été plutôt volontaire pour échapper aux sentiments ueux d'un demi-frère de plus en plus déséquilibré.

LA REGENTE

Après une usurpation et grâce à l’aide de son neveu Théodose II, Galla réussit à imposer son fils Valentinien III (419-455) sur le trône. Elle exercera de fait le pouvoir, même après la majorité de son fils, réussissant tant bien que mal à trouver un modus vivendi avec l’homme fort de l’empire, le Patrice Flavius Aétius. Beaucoup de romans historiques consacrés à Galla Placidia ont imaginé qu’ils étaient amants. Il semble plus juste de dire qu’ils ont su cohabiter dans l’intérêt de la survie de l’empire.

Curieusement se met alors en place un étrange duo entre le général et Galla Placidia, duo qui va durer seize ans. Ætius respecte toujours officiellement le pouvoir de la dynastie théodosienne. Certes il fiance son fils Gaudentius à la seconde fille de Valentinien III, ce qui lui permet de prendre pied dans la famille impériale, mais il s'occupe surtout de la Gaule et de ses relations à la fois fructueuses et conflictuelles avec les barbares. Quant à Galla elle laisse le soin à cet énergique général de défendre ce qu'il peut des frontières de l'Empire et se consacre principalement à des problèmes religieux.

Galla Placidia meurt en 450. Elle est inhumée à Rome et non dans le merveilleux mausolée qu’elle avait fait édifier à Ravenne et dont les mosaïques comptent parmi les plus belles de toute la chrétienté.

Chapitre trois : HONORIA, LA PRINCESSE QUI VOULAIT S’OFFRIR A ATTILA

Si Galla Placidia a aimé le Wisigoth Athaulf, elle n’autorisa pas sa fille Honoria à aimer le roi des Huns, Attila. Ce refus servit de prétexte au « fléau de Dieu » pour envahir l’empire d’Occident en 451-452.

Honoria (Justa Grata Honoria), née en 417 à Ravenne, serait morte en 455 ou 457 à Constantinople, est la fille de Galla Placidia et du futur Constance III. Honoria reçoit en 425 le titre d'Augusta, peu après l'avènement de son frère, Valentinien III.

Cette princesse, sœur d'empereur, a été maltraitée par les chroniqueurs antiques qui la dépeignent comme une « créature diabolique, nymphomane, Messaline, fossoyeuse de l'Empire ». Femme rebelle, flamboyante et débauchée, au milieu des invasions barbares et du christianisme devenu religion d'Etat, Honoria ose tout : aimer un Affranchi, et même demander Attila en mariage.

CHASTETE FORCEE

Elle est e par son frère cadet Valentinien III de vivre chastement afin de sauvegarder l’unité du pouvoir. Mais Honoria prend un amant, Eugène, son chambellan, en 449 et le scandale éclate. Elle est envoyée à Constantinople pour y être mieux gardée, tandis qu'Eugène est condamné à mort.

OFFRE A ATTILA

Au printemps 450, Honoria, retenue à Constantinople, demande secrètement l’aide d’Attila et lui envoie sa bague. Attila accepte l’offre et réclame à Valentinien la Gaule comme dot. Honoria est rapatriée d’urgence à Rome où la cour s’est installée en 450, et e d'épouser Flavius Bassus Herculanus, un sénateur sans ambition. Elle ne dut qu'à l'intervention de sa mère de ne pas être exécutée.

Attila, qui a interprété l'envoi de la bague comme une demande en mariage, envahit la Gaule au printemps 451, campagne qui se termine par sa défaite à la bataille des champs Catalauniques. L'année suivante, il envahit l'Italie et réclame la main de sa « protégée », ce que Valentinien refuse. Seule l'intervention du pape Léon Ier, et peut-être le fait que son armée soit victime d’une épidémie, le fait rebrousser chemin.

Rien de sa vie après son intrigue avec Attila n'est connu. On suppose qu'elle a été mariée à Herculanus, mais en concluant son récit sur cet incident Jean d'Antioche écrit : « Et ainsi Honoria a était libérée de tout danger » Enfin, parce que son nom n'apparaît pas dans la liste des personnes importantes emportées à Carthage par les Vandales de Genséric à la suite de leur sac de la ville en 455, Etait-elle morte à cette date ? Nous n'avons pas de preuves suffisantes pour décider si elle est morte de causes naturelles ou par ordre de son frère l'Empereur.

Chapitre IV : LE MARTYRE D’HYPATIE, LA BELLE PHILOSOPHE

Hypatie (370-415) est une philosophe néoplatonicienne, astronome et mathématicienne grecque d'Alexandrie. Femme de lettres et de sciences, elle est à la tête de l'école néoplatonicienne d'Alexandrie, au sein de laquelle elle enseigne la philosophie et l'astronomie. Elle n’avait absolument rien d’une libertine, mais figure ici en tant que symbole, elle qui fut massacrée par des fanatiques parce que non-chrétienne, parce que femme, parce que belle.

Hypatie est la fille du mathématicien Théon d'Alexandrie (335-405). Théon, est à la tête d'une école dénommée « Mouseion », dont le nom est un hommage à l'ancien Mouseîon d'Alexandrie de l'époque hellénistique. L'école dirigée par Théon est jugée sélective, de haute renommée et de doctrine conservatrice, néo-platonicienne.

BRILLANTE PHILOSOPHE

Hypatie s’inscrit, comme son père, dans le cadre de l'École néoplatonicienne d'Alexandrie. Hypatie enseigne les mathématiques et la philosophie à des étudiants de toute la zone méditerranéenne, dont des païens, des chrétiens et des étrangers. Elle donne des conférences sur les écrits de Platon et d'Aristote. Elle arpente les rues d'Alexandrie vêtue d'un himation, un vêtement drapé de la Grèce antique, ample et enveloppant comme une sorte de châle. Il se porte à même le corps, se d ou s'enroule sur une épaule et ne comporte pas d'attache. Hypatie donne des conférences publiques improvisées.

BELLE ET VIERGE !

Hypatie est décrite comme extrêmement belle et gracieuse. Hypatie va ainsi devenir une ennemie de la foi et sa beauté considéré comme un signe du péché qui l’habite ; un comble pour elle qui serait restée vierge jusqu’à sa mort.

Lorsque l'un des hommes venus pour entendre ses enseignements tente de la séduire, elle s'efforce d'apaiser sa convoitise en lui jouant de la lyre, l'usage de la musique pour soulager les pulsions sexuelles est un « remède » décrit par Pythagore. Quand l'homme continue, malgré tout, ses avances, elle le rejette catégoriquement, lui montrant qu'elle dit venir de ses règles menstruelles et déclare : « Voilà ce que tu aimes, ce n'est pas beau ». Les jeunes hommes sont alors si traumatisés par cette expérience qu'ils abandonnent leurs avances immédiatement.

HAIE PAR L’EGLISE TRIOMPHANTE

Hypatie doit faire face aux préjugés et aux croyances religieuses qui se heurtent aux postulats scientifiques qu’elle défend. Les Chrétiens, dont l’influence s’étend chaque jour, ne voient pas la science d’un bon œil. Pour eux, chercher à comprendre l’univers et son fonctionnement, c’est vouloir rivaliser avec le Créateur ou, pis, devenir le complice du Malin.

L’arrivée, en 412, à la tête du patriarcat d’Alexandrie, de Cyrille, un des Pères de l’Eglise, va sceller le destin de la belle philosophe. L'école d'Hypatie semble avoir immédiatement suscité la méfiance du nouvel évêque.

En 414, l'évêque Cyrille fait fermer toutes les synagogues d'Alexandrie, fait confisquer toutes les propriétés appartenant aux Juifs, et fait chasser ces derniers de la ville. Oreste, préfet romain d'Alexandrie et ami proche d'Hypatie, récemment converti au christianisme, est choqué par les actions de Cyrille et envoie un rapport cinglant à l'empereur. Le conflit est alors ouvert entre Cyrille et Oreste, et une émeute éclate en ville.

Des chrétiens d'Alexandrie ayant un poids politique important interviennent pour contraindre Oreste et Cyrille à une trêve. Durant les négociations, Oreste fait fréquemment appel à Hypatie pour bénéficier de ses conseils, notamment parce qu'elle entretient de bonnes relations à la fois avec les chrétiens et les non-chrétiens, parce qu'elle n'est pas intervenue dans les précédentes phases du conflit, mais aussi parce qu'elle bénéficie d'une réputation irréprochable de sage conseillère.

Malgré la grande popularité dont jouit Hypatie, Cyrille et ses alliés tentent de la discréditer et de saper sa réputation. Ils accusent Hypatie d'empêcher Oreste de se réconcilier avec Cyrille et accusent Hypatie de pratiques « sataniques ».

MASSACREE

En mars 415, les Chrétiens, exacerbés par l’évêque Cyrille en rivalité avec Oreste, le préfet Romain d’Alexandrie, ami d’Hypatie, vont la pourchasser en pleine rue, la violenter, la déshabiller et peut-être même la violer. Son corps est démembré puis brûlé.

L’historien chrétien Socrate le Scholastique (380-440) décrit ainsi le martyre d’Hypatie : « Au cours de la fête chrétienne du Carême en mars 415, les parabalani (hommes de main de Cyrille), sous les ordres du Lecteur nommé Pierre, ont attaqué Hypatie alors qu'elle rentrait chez elle. Ils l'ont traînée au sol jusqu'à une église voisine connue sous le nom de Caesareum, où ils l'ont déshabillée de force, puis l'ont tuée avec des ostraka [ce qui peut être traduit par des « morceaux de poterie » ou des « coquilles d'huîtres »]. Ils ont ensuite découpé son corps en morceaux puis ont traîné ses membres mutilés à travers la ville jusqu'à un endroit appelé Cinarion, où ils ont mis le feu à ses restes. »

Pour les historiens modernes, la mort d'Hypatie est attribuée à la jalousie de l'évêque Cyrille dans la lutte de pouvoir qui oppose Cyrille à Oreste, et sa mort est une manifestation violente des tourments qui frappent Alexandrie à cette époque. Le niveau d'implication directe de Cyrille dans cette ie est encore l'objet de débats entre historiens. Toutefois, la plupart des historiens considèrent qu'il est au moins au courant du projet d'assassinat d'Hypatie. Bien qu'aucune preuve matérielle concrète reliant directement le d'Hypatie à Cyrille, n'ait pu être découverte, il est largement partagé au sein de la population que l'évêque en est à l'origine et a donné les ordres d'exécution. Parmi ceux qui pensent que Cyrille n'a pas ordonné l'assassinat, il est tout de même évident que la campagne de dénigrement menée à l'encontre d'Hypatie a largement inspiré les auteurs de la ie.

CE QUE LE MARTYRE D’HYPATIE REPRESENTE

Hypatie prônait des valeurs de tolérance. Sa mort et le faible empressement du gouvernement chrétien à punir les assassins mirent à mal ces valeurs. La vie et la mort d'Hypatie sont vues à la lumière des droits des femmes. Son est un acte antiféministe et a amené un changement dans le traitement des femmes, ainsi que le déclin de la civilisation méditerranéenne en général.

Si le nom d’Hypatie a survécu au cours des siècles, c’est pour le sort tragique dont elle fut victime, devenu un symbole de l’intolérance religieuse. Hypatie aura marqué les esprits autant par son savoir et son désir de découvertes que par sa fin tragique qui en fait une icône pour tous les pourfendeurs de l’intolérance.

Cet évènement tragique aurait pu retomber dans les limbes de l’Histoire si la figure d’Hypatie n’avait pas été réappropriée à partir de la Renaissance, au moment où les cultures antiques suscitent l’admiration des intellectuels, faisant d’elle la première des femmes intellectuelles de l’Histoire et le symbole de valeurs antiques sacrifiées et disparues avec l’avènement du christianisme.


Voici ce que j’écrivais au sujet du martyre d’Hypatie, victime de l’antiféminisme des clercs et des vieilles malédictions, en conclusion du texte « Récits érotiques de la mythologie (11). Récits érotiques issus de la bible : la femme adultère », paru le 3 avril 2019 » :
« Comme l’écrivirent Pierre et Janine Soisson dans leur livre « Byzance » (Editions Minerva 1977), au sujet du massacre, par des fanatiques chrétiens, de la philosophe Hypatie à Alexandrie en 415 : « Jamais l’église n’aima la femme, incarnation de cette Eve qui perdit Adam, instrument du démon » Jean Chrysostome en parlait ainsi : un mal nécessaire, une tentation naturelle, une désirable calamité, un péril domestique, une fascination mortelle, un fléau fardé. »

C’est de tout cela que la belle Hypatie est le symbole et la raison pour laquelle je voulais raconter son histoire et son martyre.

Je ne retrancherai rien à ma conclusion sur le texte publié en 2019 : « Face aux malédictions millénaires lancées à travers ces textes contre les femmes, j’affirme mes convictions féministes en faveur de la liberté de la femme, de son droit à disposer de son corps, au même titre que les hommes. »

REFERENCES :

Outre les articles de Wikipédia, je renvoie aux liens suivants :

1. Sur Eudoxie :

• Eudoxie, l’impératrice mal-aimée : http://caritaspatrum.free.fr/spip.php?article865


2. Sur Galla Placidia :

• Une biographie d’Henri Gourdin « Galla Placidia, impératrice romaine, reine des Goths » (Editions L’œuvre historique, 2008)

• https://eduscol.education.fr/odysseum/galla-placidia-fille-et-mere-dempereurs-epouse-dun-roi-wisigoth

• http://www.cosmovisions.com/Placidia.htm

• https://www.cairn.info/revue-historique-2008-3-page-507.htm

• Galla Placidia, une héritière à poigne au milieu des barbares :

• http://www.bigmammy.fr/archives/2016/12/20/34706762.html

3. Sur Honoria :

• https://www.leparisien.fr/week-end/histoire-honoria-et-attila-un-amour-impossible-25-11-2018-7948872.php

Judith Houssez lui a consacré un roman historique « Honoria » (Editions Equateurs, 2018)


4. Sur Hypatie :

• https://www.rtbf.be/culture/article/detail_hypatie-d-alexandrie-une-etoile-brillante-parmi-les-savants?id=10624932

• https://journals.openedition.org/edl/390#tocto1n1

• https://www.lestoutespremieresfois.com/5-les-temps-modernes/hypatie-premiere-femme-savante-illustre

• https://compediart.com/index.php/2018/06/28/la-femme-philosophe-rayee-de-lhistoire-hypatie-dalexandrie/

Un film, « Agora », a raconté son histoire, en 2009. La biographie de référence : « Hypatie d’Alexandrie » écrite par Maria Dzielska (Editions des femmes, Antoinette Fouque, 2010).

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