0227 Par Un Beau Matin Ensoleillé.
Toulouse, Vendredi 21 septembre 2001, 10h17.
La journée commence par une belle matinée de début dautomne. Le ciel est bleu sur tout le sud-ouest.
Mario, agriculteur à la retraite, est en train de pêcher la carpe dans le petit lac au milieu de sa propriété, à près de cinquante kilomètres au sud de Toulouse.
La ligne frémit, un poisson semble avoir mordu. Lhomme lève sa canne pour essayer de le sortir de leau, lorsque quelque chose dinattendu se produit.
BOOOOOOM !!!!
Un bruit puissant, qui résonne dans tout son corps. Tellement puissant que sa main vacille, la canne plie, le poisson se décroche.
Mario racontera plus tard quil avait cru que ce bruit venait dune explosion rapprochée.
Il est un peu plus de 11 heures lorsque je trouve sur mon portable un message de Jérém : « Bien arrivé, cétait trop bien » datant dune heure plus tôt. Ça me fait un bien fou.
Midi arrive vite et je vais manger au resto U avec mes camarades. Pendant la pause déjeuner, Fabien, le nouvel arrivé, nous parle de lui, de ses études, de ses projets. Monica a lair sous le charme.
Nous sommes sur le point de quitter le resto et de nous diriger vers la salle où se tiendra le cours de laprès-midi, lorsque je surprends une conversation entre deux étudiants qui me glace le sang.
«
et il paraît que ça pourrait être un attentat
».
« Si cétait un attentat, ils auraient choisi Paris
».
« Quest-ce qui se passe ? » les questionne Raphaël sans détours, alors quil vient lui aussi dentendre le mot « attentat ».
« Il semblerait que la France soit visée à son tour par une attaque terroriste ».
« Où ça ? » je lâche, désormais mort de peur.
« Ce matin, il y a eu une grande explosion à Toulouse. Et il y aurait des victimes ».
Toulouse, Vendredi 21 septembre 2001, 10h17.
Valérie, éleveuse de volailles dans une petite commune située à soixante kilomètres au sud-ouest de Toulouse, est en train de nourrir ses canards.
Elle distribue le grain, vérifie la santé de ses animaux, lorsque quelque chose dinattendu se produit.
BOOOOOOM !!!
Un bruit puissant, qui résonne dans tout son corps. Tellement puissant que sa main vacille, le seau lui tombe des mains et manque de peu de glisser et de tomber.
Valérie racontera plus tard quelle avait pensé quun avion avait explosé en vol.
Ce nest pas possible, pas ça dans ma ville, pas ça chez moi. Pas là où se trouvent mes parents, Elodie, Thibault, Julien. Le visage des gens qui comptent pour moi défilent dans ma tête, associés au pire. Je sens la peur tétaniser mes muscles, la panique menvahir. Je retrouve avec horreur la sensation ressentie dix jours plus tôt, devant les images des Twin Towers, la sensation glaçante davoir été poignardé dans le dos, la sensation quon vient de marracher un membre.
Jai besoin den savoir plus, mais je nai pas la force de demander. Jai envie de pleurer, jai envie de ne pas croire à ce que je viens dentendre. Jai besoin dappeler maman, et tous les autres. Jérém nest pas à Toulouse. Mais si Toulouse est attaquée, est-ce que Paris ne le sera pas ? Jai besoin de prendre de ses nouvelles aussi.
« Je dois appeler chez moi » je lance, comme dans un état second.
« Tiens nous au courant, Nico » me lance Monica, lair grave.
« Ça va aller, courage » fait Raphaël, tout en posant une tape amicale sur mon dos.
Je fonce comme un zombie. Je sors du resto et, les doigts tremblants, jatt mon téléphone. Il me glisse des mains, il tombe par terre. Je le ramasse, en larmes, jessaie de composer le numéro de la maison. Quest-ce que je vais retrouver au bout ? Je suis mort de peur. Jappuie sur la touche verte, je porte lappareil à loreille, jattends plusieurs longues, interminables secondes. La tonalité ne vient pas. Je relance lappel, et je tombe sur une tonalité bizarre, comme de numéro occupé mais pas tout à fait.
Je ressaie plusieurs fois, mais mes appels naboutissent toujours pas.
Toulouse, Vendredi 21 septembre 2001, 10h17.
Marc, est en train de faire du vélo près de lAéroport de Blagnac. Il vient de sarrêter à un passage à niveau fermé. Le train vient de passer, la barre commence à se lever. Marc se prépare à redémarrer, lorsque quelque chose dinattendu se produit.
BOOOOOOM !!!
Un bruit puissant, qui résonne dans tout son corps. Tellement puissant que, au moment même où ses muscles se contractent pour produire leffort de démarrage, ses jambes vacillent. Tellement puissant, quil en est déstabilisé, déséquilibré et quil arrive à se rattr de justesse pour ne pas tomber.
Marc racontera plus tard avoir cru à lexplosion dune canalisation de gaz.
Je quitte le campus, je veux rentrer à lappart, je veux prendre la voiture, je veux rentrer à Toulouse.
Je passe devant un bar où des gens sagglutinent devant un poste allumé sur les infos. Je rentre et ce sont des images de guerre qui se présentent devant mes yeux.
Japprends alors que cest lusine dAZF qui a explosé. Japprends quon ne sait toujours pas sil sagit dun attentat, mais quil y aurait bien des morts et des blessés. La caméra montre les décombres fumants des installations industrielles. La rocade, les véhicules arrêtés, les tôles froissées, des gens en sang, le tout recouvert dune poussière grisâtre. Les immeubles de lautre côté de la rocade, les façades éventrées, les vitres explosées.
Non, Toulouse nest pas rayée de la carte. Mais elle a été sacrément meurtrie. Mais ils sont où mes parents et mes amis ? Est-ce quils vont bien ?
Lanimateur insiste sur le fait quil ne faut pas essayer de rejoindre la ville car les accès sont endommagés ou bloqués, et aussi pour ne pas entraver les secours qui font tout ce qui est en leur pouvoir pour venir en aide aux victimes et protéger la population.
Je suis mort dinquiétude. Je sors du bar, jessaie à nouveau de passer des coups de fil, toujours sans succès. Je rejoins un arrêt de bus, jattends pendant un laps de temps qui me paraît une éternité. Je ne tiens pas en place, je me sens impuissant, cest horrible.
Je ne peux pas attendre, je décide de rejoindre mon studio à pied. Je marche comme un fou, je cours. Je pleure à chaudes larmes. Il me faut un bon moment pour retrouver le portail en bois peint en vert, pour retrouver la petite cour avec le sol peint en rouge.
Toulouse, Vendredi 21 septembre 2001, 10h17.
Nadège est assise à son bureau de secrétaire, devant son ordinateur. Nadège travaille dans un cabinet davocats en plein centre-ville. Elle sapprête à boire le café qui depuis quelques minutes est en train de refroidir à côté du clavier, lorsque quelque chose dinattendu se produit. Un arc électrique se forme entre lécran dordinateur et la lampe posée juste à côté.
Puis, quelques instants plus tard :
BOOOOOOM !!!
Un bruit puissant, qui résonne dans tout son corps. Tellement puissant quelle croit dabord à une explosion dans limmeuble même où elle travaille. Des plaques des faux plafonds se décrochent en tombent sur son bureau, sur sa tête.
« Nico ! Nico ! » jentends Denis mappeler. Depuis sa position privilégiée, derrière la porte fenêtre du séjour donnant pile face au passage dentrée à la petite cour, il a dû me voir ou mentendre rentrer.
« Oui
».
« Tu es au courant de lexplosion à Toulouse ? ».
« Oui, jai appris ça
».
« Viens, Nico, viens regarder les infos avec nous ».
Première note agréable à entendre depuis de longues minutes, que cette invitation empreinte de bienveillance.
Les images sont horribles. Le site dAZF est un champ de ruines. La ville est défigurée. On parle des morts, des blessés. On parle dun nuage toxique qui se serait échappé suite à lexplosion et qui, à la faveur des vents, se dirigerait droit vers le centre-ville. On parle dattentat. Ou pas. Encore dattentat. Derreur humaine. De malveillance isolée. On se demande comment est possible quune usine potentiellement aussi dangereuse demeure aux portes dune ville comme Toulouse, comment les autorités publiques aient pu tolérer un tel risque industriel. « Mais lusine était là avant que la ville ne lengloutisse
». « A ce compte-là, il aurait fallu lobliger à partir ailleurs
».
« Je narrive à avoir personne à Toulouse » je lance, triste à mort.
« Moi non plus » me répond Denis « apparemment les lignes téléphoniques sont saturées ».
« Je deviens fou de ne rien savoir de ma famille ».
« On ne peut rien y faire, il faut attendre ».
« Je deviens fou en pensant quils sont peut-être blessés ou morts ».
« Il ne faut pas penser au pire, il faut rester positif ».
« Cest pas facile ».
« Je sais ».
« Vous croyez que cest un attentat ? ».
« Après ce qui sest passé il y a dix jours à New York, on y pense tous. Mais cest difficile de le dire pour linstant ».
Toulouse, Vendredi 21 septembre 2001, 10h17.
« Le 21 Septembre 2001, il faisait beau. Dans mon bureau, nous avons senti le sol trembler. Je me disais qu'il y avait quelque chose de pas normal. Quelques secondes après, un énorme boum.
Lun des gars a dit de ne pas avoir peur, que c'était juste un avion qui venait de passer le mur du son.
Nous nous sommes tous réunis au centre de la pelouse en regardant le ciel.
Nous avons fini par retourner à lintérieur et nous avons pu écouter la radio.
Les infos parlaient dune bombe, dune explosion qui aurait eu lieu au centre-ville, puis à l'aéroport.
La circulation était bloquée et nous sommes restés cloîtrés longtemps, inquiets, sans savoir réellement ce qui se passait.
Quand enfin nous avons pu sortir nous avons vu des gens en sang. Ça faisait froid dans le dos.
Un terrible cauchemar. Le centre-ville avait été balayé. Notre ville rose était devenue une ville fantôme. De la poussière partout, des vitres brisées, des gens perdus. Un des plus grands traumatismes urbains jamais vécus ».
Je nen peux plus de ne pas avoir de nouvelles, jai peur, jétouffe. Je ne peux pas rester sans rien faire. Jai envie de prendre la voiture et de foncer à Toulouse.
Les infos relayent pourtant les consignes des autorités enjoignant à ne pas sapprocher de la ville pour ne pas entraver les secours.
Et si je prenais le train ?
Espoir de courte durée, car à lantenne on finit par annoncer que la circulation ferroviaire a été interrompue elle aussi.
Soudain, une sonnerie retentit dans la pièce. Mon téléphone sonne enfin. Cest maman.
« Nico, enfin jarrive à tavoir ».
« Vous allez bien ? ».
« Oui, oui, papa vient de rentrer ».
« Vous nêtes pas blessés ? ».
« Non, mais il y en a beaucoup de blessés, beaucoup. Et toi, tu vas bien ? ».
« Très bien, je me faisais un sang dencre ».
« Tout va bien, mon chéri ».
« Tu as des nouvelles dElodie ? ».
« Non, pas encore. Je vais essayer de la rappeler et dès que jarrive à lavoir, je dis aussitôt ».
« Il y a beaucoup de dégâts ? ».
« La ville est complètement retournée, tout sest arrêté dun coup. Il ny a plus de voitures dans les rues. Il y a des sirènes partout. Il paraît quil y a du danger à cause des gaz de lusine. On nous dit de nous calfeutrer chez nous, mais il ny a plus une vitre entière, même les encadrements ont bougé. Même la porte dentrée. Des meubles sont tombés et cest un grand bazar. Mais nous allons bien, cest le principal ».
Toulouse, Vendredi 21 septembre 2001, 10h17.
Maxime est en cours de sport dans le gymnase de son lycée à Toulouse. Il est en train de jouer au basket avec ses camarades. Il vient de faire un panier, ses coéquipiers le félicitent, lorsque quelque chose dinattendu se produit.
BOOOOOOM !!!!
Un bruit puissant, qui résonne dans tout son corps. Les murs de la salle se mettent à trembler. Des éléments du plafond se décrochent et lun dentre eux vient percuter le petit brun qui tombe à terre, inconscient.
Me voilà un brin rassuré. Papa et maman vont bien. Mais je suis toujours inquiet pour Elodie, Julien, Thibault.
Je viens de raccrocher davec maman, lorsque mon portable sonne à nouveau. Lorsque je regarde lécran je suis tellement submergé par lémotion que je ne peux retenir mes larmes.
« Nico ».
« Tu vas bien, Jérém ? ».
« Oui, oui, ça va. Tu as eu tes parents ? ».
« A linstant, ils vont bien. Et toi tu as des nouvelles de ton frère ? ».
« Je viens davoir mon père
Maxime a été blessé au lycée. Il est aux urgences ».
« Merde
cest grave comment ? ».
« Je ne sais pas, mon père venait de recevoir un coup de fil de Purpan ».
« Jespère que cest pas trop grave
».
« Jai peur, Nico
sil devait ne pas sen sortir
».
« Tais-toi, Jérém, ce nest juste pas possible ».
« Je monte dans le premier train pour Toulouse ».
« Je vais essayer de rentrer moi aussi ».
« Daccord ».
« Je te tiens au courant ».
Pendant les heures qui suivent, jessaie dappeler Elodie et Julien, toujours sans succès. Jessaie avec Thibault, je tombe sur le répondeur. Je lui laisse un message pour lui demander de donner des nouvelles dès quil le pourra.
Toulouse, Vendredi 21 septembre 2001, 10h17.
« Jétais à lhôpital de Rangueil pour passer une visite gynécologique à Rangueil lorsque lexplosion sest produite » raconte Elodie C. « tout sest mis à vibrer. Des vitres brisées tombaient des étages. Quelquun a dit quun hélicoptère venait de sécraser sur le CHU. La fenêtre de la salle où je me trouvais est tombée à lintérieur et a été retenue par un ordinateur, ce qui ma évité de me la prendre sur la tête. Jai cru que lhôpital allait seffondrer ».
Il est environ 18 heures lorsque je reçois un nouveau coup de fil de maman.
« Je viens davoir le copain dElodie au téléphone ».
« Alors ? Elle va bien ? ».
« Elle est à lhôpital
».
« Elle est blessée ? ».
« Elle na pas de blessures graves, mais elle a eu un tympan endommagé à cause du souffle de lexplosion. Elle est à Rangueil, ils sont en train de lexaminer ».
« Cest un cauchemar sans fin ».
« Elle est en vie, et cest le plus important ».
Toulouse, Vendredi 21 septembre 2001, 10h17.
« Je me trouve chez moi, à quelques centaines de mètres de cette déflagration assourdissante » raconte Julien B., moniteur dautoécole « mes oreilles sifflent, je suis abasourdi, figé et paniqué à la fois. Ce matin-là, je ne travaillais pas, je faisais la grasse matinée. Les volets encore fermés de ma chambre ont empêché que les éclats des vitres brisées me tuent dans mon propre lit.
Je mhabille, je descends, je sors dans la rue. Dans les rues, on court, on pleure, on saigne. Jassiste à un spectacle de désolation, des scènes de guerre, à ce que lon ne voit quà la télévision. Mon quartier, celui où jai grandi, ses commerces, mes repères, sont détruits. Limpossibilité de passer des coups de fil à nos proches participe dautant plus au sentiment de panique. On se réconforte, on se soigne, on saide. Peu à peu, nous avons de plus amples informations, les esprits se calment. Mais nous sommes sonnés, sous le choc. Un nuage rosâtre survole la ville. Je prête main-forte jusquau soir, nous sommes nombreux, jusquà lépuisement. On sapaise, on se soutient.
Le 21 septembre 2001, je suis témoin dun fait historique et japprends à cet instant ce que signifie le mot solidarité.
Nous nous trouvons en présence de lune de ces catastrophes qui nous dépassent et qui ont le pouvoir, face au malheur quelles apportent, de relativiser tous nos repères et de rabattre les cartes dans notre relation au monde et aux autres ».
Vers 19 heures, alors que jaide Denis à préparer le dîner auquel je suis invité, mon portable sonne à nouveau.
« Julien, ça va ? ».
« Oui, un peu sonné mais ça va ».
« Tu nas rien ? ».
« Non, jai eu un bol pas possible
».
« Ah bon ? ».
« Ce matin je ne bossais pas. Au moment de lexplosion, jétais encore au lit, et jétais en train de baiser. Jétais même en train de venir. Jai entendu les vitres de la fenêtre de la chambre se briser derrière moi. Mon lit est juste devant la fenêtre. Je pense que si les volets navaient pas été fermés, je ne serais plus là pour tappeler, Nico
jai eu la trouille de ma vie
jai cru quon était attaqués, comme à New York. Jai vraiment cru que jallais y passer. Cest fou de jouir en pensant que tu vas mourir ».
Toulouse, Vendredi 21 septembre 2001, 10h17.
« Je roulais sur la rocade et je me trouvais pile à hauteur de lusine » raconte un automobiliste « quand soudain mon attention a été attirée vers le ciel. J'ai levé la tête, et j'ai vu comme un « voile qui ondulait au vent » dans les nuages, comme une image qui se déforme. La terre a tremblé. Et 2-3 secondes plus tard, une énorme explosion.
L'explosion a été simultanée avec un énorme souffle. La voiture sest déportée dune dizaine de mètres et je me suis retrouvé contre la bande darrêt durgence, sonné.
Jai ressenti londe de choc dans tout mon corps et le souvenir est très vivace. Quand je me concentre j'en ai encore le souvenir et je peux toujours le « ressentir ».
Lexplosion a été accompagnée dune énorme colonne toute droite et noire, au-dessus de laquelle il y avait une espèce de grosse masse, comme un champignon atomique.
J'ai vu aussi une couleur orangée au sommet du champignon qui, par l'effet du vent dAutan, commençait à de dissiper et se diriger vers la ville. Jai cru quun nuage toxique allait envahir Toulouse ».
Après une nuit épouvantable, peuplée de cauchemars, je prends le premier train pour Toulouse du samedi matin. Je suis content de pouvoir rentrer, je suis impatient de retrouver papa et maman. Et je suis impatient et inquiet daller voir Elodie, jespère quelle ne va pas avoir de séquelles.
Je suis impatient aussi den savoir plus sur létat de Maxime. Hier soir, lors dun deuxième coup de fil, Jérém ma annoncé que son jeune frère souffrait de fractures aux côtes et de plusieurs blessures. Les médecins le gardaient quand-même en observation pour la nuit et pour dautres analyses, ce qui nétait pas vraiment rassurant.
Enfin, je suis impatient de retrouver mon Jérém, même si ce nest pas dans des circonstances heureuses. Il ma annoncé quil prendrait un train en début de matinée, et quil serait à Toulouse en début daprès-midi. Je veux être à ses côtés pour le soutenir.
Pendant tout le voyage, je suis angoissé à lidée de létat dans lequel je vais retrouver ma ville. Je lai quittée « en bonne santé » une semaine plus tôt et je mattends à la retrouver marquée par les stigmates dune catastrophe industrielle épouvantable. Le train arrive par le nord, pratiquement à lopposé du site dAZF. De ce côté de la ville rien ne semble avoir bougé. Il ny a pas de dégâts apparents.
A la Gare Matabiau, boulevard Riquet, Jean Jaurès, rue de la Colombette tout semble à peu près en ordre, exception faite de quelques vitres brisées, de plus en plus nombreuses au fil de mes pas.
Mais plus javance vers le sud, plus les blessures sont visibles et importantes. Des murs lézardés, des portes et fenêtres enfoncées, des toitures et panneaux soufflés ou envolés, des débris de toiture, de bois, de verre jonchent le sol. Dans les rues, des voitures aux pare-brises fendus, aux tôles froissées. Ma ville est blessée, touchée dans sa chair, et jai limpression de lêtre avec elle. Je pense au lourd bilan des morts et des blessés qui ne fait dempirer dheure en heure. Cest horrible, jai envie de pleurer. Mais comment cela a pu arriver dans ma belle ville rose ?
Mais un choc encore plus grand mattend lorsque jarrive dans la rue où se situe la maison de mes parents. Comme me la annoncé maman, il ny a pas de circulation, tout est comme figé. Lentendre raconté est terrible, mais le voir est glaçant. Tout nest que ruine, couvert dune poussière grisâtre. Tous les immeubles sont debouts, mais leurs façades sont défigurées. Si je ne savais pas quil sagit de lexplosion dun site industriel, on pourrait croire quil y a eu un bombardement et craindre quil il en aura dautres. On pourrait croire que cest la guerre. En arrivant dans ma rue, je pleure comme un .
Toulouse, Vendredi 21 septembre 2001, 10h17.
« Jétais dans mon bureau à Compans Caffarelli » raconte un employé de bureau « limmeuble a bougé de droite à gauche et gauche à droite. Ceci a été suivi par une forte explosion. Jai vu la fenêtre souvrir et se refermer violemment. Mon collègue avait plongé sous son bureau, terrorisé. Jai pensé de suite à lattentat de New York. Jai paniqué, je me suis précipité dans les escaliers, et je suis arrivé 3 étages plus bas, dans la rue. Je me suis mis à courir pour méloigner car dans mon esprit limmeuble allait seffondrer.
Cest alors que jai vu que dautres personnes sortaient des immeubles voisins. Personne ne savait ce qui se passait car les portables ne passaient pas. Nous avons vu passer des voitures couvertes de cendres.
Un souvenir marquant à vie ».
Jai du mal à parcourir les derniers mètres qui me séparent de la maison. Mon cur semballe, tape très fort, jusquà provoquer une véritable douleur dans ma poitrine. Je force mes jambes qui ne veulent plus avancer. Devant lentrée de ma maison, jessaie de maîtriser mes larmes pendant de longs instants. Je ne veux pas pleurer devant mes parents. Je ne veux pas leur saper le moral.
Je reste planté là, devant cette façade meurtrie, devant cette porte déglinguée, incapable de bouger. Lorsque jessaie enfin de rentrer, je ny arrive pas, la porte est bloquée. Malgré mes efforts, je narrive pas à louvrir.
Je me résous alors à sonner. Jattends plusieurs secondes, rien ne se passe. Je tape plusieurs fois sur la porte. Quelques instants plus tard, jentends la voix de papa demander :
« Cest qui ? ».
« Cest moi ».
« Ah, Nico
».
Jentends alors des bruits secs et la porte souvre enfin, en forçant, car elle est en partie dégondée. Je suis comme abasourdi, toujours planté sur le seuil dentrée.
« Rentre mon fils » fait papa, en me serrant lépaule, en se laissant aller à lun de ses rares gestes de tendresse.
Sur ce, maman arrive à son tour et me prend dans ses bras.
« Je suis tellement contente que tu aies pu rentrer ».
« Moi aussi. Tu as des nouvelles dElodie ? ».
« Il semblerait que les dégâts au tympan soient assez importants ».
« Elle pourrait ne plus entendre ? ».
« Ou moins entendre de loreille touchée ».
« Vous êtes allé la voir ? ».
« Non, pas encore. On a prévu dy aller cet après-midi ».
Pendant le reste de la matinée et le début de laprès-midi, jaide papa à boucher les ouvertures avec des planches de contreplaqué, et maman à faire du ménage et du rangement.
A 15 heures, mon portable sonne à nouveau.
« Ourson ».
« Ça fait plaisir de tentendre ».
« Tu es à Toulouse ? ».
« Oui, depuis ce matin. Et toi ? ».
« Je débarque à linstant ».
« Tu vas aller voir Maxime ? ».
« Oui. Tu veux venir avec moi ? ».
« Bien sûr que je vais venir ».
Toulouse, Vendredi 21 septembre 2001, 10h17.
« Jétais dans le métro » raconte un étudiant « les murs ont tremblé comme sil y avait un gros orage, un immense orage ».
Je retrouve mon bobrun boulevard Carnot, non loin de la rue de la Colombette. Je le retrouve pour la première fois sur Toulouse depuis notre dispute chez moi. T-shirt gris, jeans, blouson noir et baskets, tenue de bogoss. Son regard brun est rempli dinquiétude. Il est à la fois terriblement sexy et tellement touchant.
« Jai tellement envie de tembrasser » je lui chuchote à loreille, alors que nous nous faisons la bise et que jen profite pour effleurer discrètement et fugacement ses doigts avec les miens.
« On ne peut pas ici » je lentends me répondre sèchement.
« Je sais ».
« Mais moi aussi jen ai envie » il finit par admettre alors que nous montons dans le bus.
« Jai eu mon père hier soir » il mannonce « Maxime a plusieurs côtes cassées. Il ma dit quil était conscient mais quil devait passer dautres examens pour voir quil ny ait pas de dégâts internes ».
« Ça va aller » je tente de lencourager, en lui serrant brièvement mais intensément la main.
A Purpan, les souvenirs de laccident de Jérém remontent en moi. Cest dur daller voir quelquun quon aime et dont on ne connaît pas létat. Je suis content de pouvoir laccompagner, je suis content quil me lait demandé. Je suis content dêtre avec Jérém, en ce moment.
Je le regarde foncer dans la rue, dans lenceinte de lhôpital, dans le hall, pressé de revoir son frérot et de savoir comment il va. Il est beau, tellement beau, tellement viril et tellement émouvant.
Dans un recoin qui nous cache des regards, Jérém me colle contre le mur et membrasse. Il me prend dans ses bras et il me serre fort contre lui.
« Jai peur ».
« Ça va aller, ça va aller, il ny a pas de raison
les Tommasi ont la peau dure » je tente de le rassurer.
Nous avançons dans les couloirs et nous arrivons à la chambre qui nous a été indiquée.
Et alors quil a avancé dun pas speedé jusque-là, le bobrun sarrête net sur le seuil, il se fige. Par-dessus son épaule, je retrouve Maxime, le haut du crâne entouré dun pansement cachant ses beaux cheveux bruns. Son visage porte quelques égratignures et quelques bleus. Il est amoché, mais il est conscient, assis, et il a même lair amusé.
Une femme et un homme se tiennent dun côté et de lautre du lit médicalisé.
« Jérémie » fait la femme.
Jérém se raidit.
Toulouse, Vendredi 21 septembre 2001, 10h17.
J'étais au travail ce jour-là. Normal, c'était un vendredi.
A l'heure de l'explosion, j'ai senti mon siège poussé vers la table du bureau. Jai dabord pensé à une petite blague dun collègue, je me suis retourné. Personne.
Puis j'ai entendu le « boum ! » 3 à 4 secondes après, en même temps que le reflet du bâtiment où je travaillais se déformait dans les vitres de celui d'en face.
Nous sommes sortis de nos bureaux, montés sur le toit d'un bâtiment, rien vu de spécial, à part des bouts de nuage orange qui flottaient.
J'ai croisé notre secrétaire qui nous a dit qu'elle regardait par hasard par la fenêtre au moment de l'explosion, et qu'elle avait vu un nuage de feu et de la fumée en direction d'AZF.
Je me souviens que c'était le vent d'Autan, et je me suis dit (égoïstement), "ouf ça ne va pas venir dans notre direction". Quand on a peur, on pense à soi dabord.
C'est à ce moment-là que nous avons croisé des gens entre les bâtiments, dans les couloirs et l'imagination est partie au galop.
« Tu fais quoi, là ? » lance Jérém, sèchement, à la femme qui vient de le saluer.
« Comment, je fais quoi, là ? Mon fils est à lhôpital, je viens le voir ».
« Tu te rappelles que tu as des fils juste quand ils sont aux urgences ! ».
« Jérémie, sil te plaît ».
« Quoi sil te plaît » fait Jérém en montant dans les tours.
« Eh, oh, ici il y a un blessé » lance Maxime en forçant sa faible voix pour se faire entendre. Ce qui a pour conséquence de provoquer une quinte de toux, fait particulièrement douloureux lorsquon a des côtes cassées. Le petit brun grimace, porte ses mains sur son flanc.
« Désolé » fait Jérém, en baissant de plusieurs tons.
« Ça va mon chéri ? » demande la mère au cadet de ses deux beaux bruns.
« Ça va, ça va ».
« Allez, on va prendre un café en bas » fait celui que jimagine être son compagnon.
« Comment tu vas frérot ? » fait Jérém en serrant la main de son frère.
« Je tiens le coup, tu vois ? Jétais jaloux de toi, il me fallait un accident à moi ».
« Tes con ! ».
« Salut Nico ! ».
« Salut Maxime ».
Et alors que le couple vient de quitter la chambre, Maxime nous lance :
« Ça va, vous, les amoureux ? ».
« Mais ta gueule, ferme là ! » fait Jérém.
« Vous êtes beaux tous les deux ».
« Oui, cest ça ».
« Il a fallu que je me prenne une poutre sur la tronche pour pouvoir vous voir enfin tous les deux ensemble ! » continue ladorable petit con.
« Cest très drôle ! ».
« Surtout ne vous lâchez plus ! ».
« Occupe-toi de tes fesses ! ».
« Toi, Nico, ça va ? Tout le monde va bien chez toi ? ».
« Mes parents vont bien, il y eu juste des dégâts matériels. Mais ma cousine a été touchée au tympan. Elle est à Rangueil ».
« Tes très mal ? » le questionne Jérém.
« Ça va
».
« Ta gueule, dis-moi en vrai ».
« En vrai, jai mal partout. Aux côtes, aux épaules, au dos. Jai une migraine terrible et lestomac en vrac à cause des médocs. Mais ça va passer ».
« Ils tont fait toutes les analyses ? ».
« Je pense. Même un scanner du cerveau. Ils ont été troublés par ce quils ont trouvé ».
« C'est-à-dire ? ».
« Du vide, comme dans lespace »
« Tes trop con, frérot ! ».
En sortant de lhôpital, Jérém pousse un long soupir de soulagement.
« Putain, jai eu peur ».
« Je te lai dit que ça allait aller ».
« Tu mavais pas dit que ta cousine était blessée » il me lance.
« Jai zappé. On doit aller la voir avec mes parents ».
« Tu veux quon y aille maintenant ? ».
« Tu viendrais avec moi ? ».
« Mais bien sûr ».
Toulouse, Vendredi 21 septembre 2001, 10h17.
« Il y avait un léger vent dAutan ce matin-là. Cétait un beau vendredi ensoleillé de septembre. A 10h15 cest la pause, On fume, on plaisante, on envisage le week-end à venir. Plus que quelques heures.
Mon regard flotte au-dessus des arbres qui bordent lenceinte du lycée Jolimont. Et là, je vois les feuilles des arbres qui sorientent toutes dans le même sens et « BOUM !!! »
Un léger souffle, les vitres ondulent, on se regarde avec les collègues :
« Cest peut-être un attentat ? »
« Déconne pas, cest pas New York
».
Elodie est installée dans une chambre double avec une nana un peu plus âgée quelle. Lorsque nous arrivons, elles sont en train de se raconter leurs vies. Tout comme Maxime, elle porte un pansement autour du crâne.
« Oh mon cousin ».
« Salut Elodie ».
Nous nous prenons dans les bras, nous nous serrons très fort lun contre lautre.
« Comment vas-tu ? » elle me demande.
« Cest à toi quil faut le demander ».
« Je suis sonnée comme une cloche avant la messe ».
Jai toujours été impressionné par sa capacité à garder le moral dans les pires situations.
« Allez, sérieusement ».
« Moi ça va, il faut juste me parler dans la bonne oreille désormais ».
« Tu vas pouvoir récupérer laudition ? ».
« Les médecins ne sont pas très optimistes pour loreille gauche qui a été la plus exposée ».
« Ma pauvre cousine ».
« Cest la vie, mon Nico. Ça aurait pu être bien pire. Ça me fait plaisir de te voir. Et ça me fait plaisir de voir enfin de près le fameux Jérémie ».
« Le plaisir est pour moi » fait mon bobrun.
Toulouse, Vendredi 21 septembre
1781, 10h30.
Au dix-huitième siècle, une poudrerie était installée sur lIle du Ramier à Toulouse, pas loin de lemplacement de lusine dAZF. Le 21 septembre 1781, à 10 heures et demie du matin, la poudrerie avait connu un accident majeur. Une grande explosion avait secoué le site. Laccident navait pas fait de victimes puisque, par un heureux hasard, les ouvriers étaient en train de prendre leur repas à une certaine distance.
Le 21 septembre 1781, à 10h30 et 21 septembre 2001 à 10h17, à 220 années de distance. Ça ne sinvente pas.
Il est près de 18h30 heures lorsque nous quittons Elodie.
« Jen ai ma claque des hôpitaux pour aujourdhui » me lance Jérém en quittant la grande bâtisse de Rangueil, dont la façade porte les blessures bien visibles de lexplosion.
Après avoir fait le tour de nos blessés respectifs, je ne sais pas quels sont les projets de Jérém. Jai terriblement envie de lembrasser, de le sentir contre moi, de faire lamour avec lui.
« Tu penses rester quelques jours ? ».
« Je ne sais pas encore. Au moins jusquà demain. Ou lundi ».
« Tu rentres chez ton père ce soir ? » je le questionne.
« Je ne crois pas, je nai pas trop envie ».
« Viens à la maison alors ».
« Je ne crois pas que ce soit une bonne idée ».
« Pourquoi ? ».
« Je ne sais pas
je crois que je vais plutôt prendre une chambre à lhôtel ».
« Allez, ça me ferait plaisir. Ce nest pas le grand confort en ce moment, mais il y a toujours un toit et des murs ».
« Tes sûr que tes parents vont être daccord ? ».
« Mais oui, surtout en ce moment. Après ce qui vient de se passer, tout le monde a besoin daide, il faut se serrer les coudes. Je vais leur dire que tu es là pour ton frère et que tu nas pas dendroit où passer la nuit. Je les appelle
».
« Attend, Nico
et ta mère, tu crois quelle va être daccord ? Je veux dire
après ce qui sest passé la dernière fois
».
« Ma mère sait aussi que jai été à Campan et que tu as été adorable et que je suis heureux avec toi ».
« Et ton père sait ? ».
« Non, et il na pas besoin de savoir pour linstant. Tu es un ancien camarade de lycée. Point à la ligne ».
« Je ne vais pas savoir quoi lui raconter ».
« Tu vas lui parler rugby, de tes entraînements à Paris, et tu lauras dans la poche ».
Jappelle maman malgré la perplexité persistante de mon bobrun. Non seulement elle est ok pour que Jérém passe la nuit à la maison, mais elle insiste pour quil vienne dîner à la maison.
En parcourant la ville en bus vers le sud, Jérém est de plus en plus horrifié.
« Putain, le bordel. Il va falloir des années pour remettre tout ça en état ».
A lapproche de la maison, je le vois stresser.
« Ça va aller ? ».
« Je suis pas très à laise ».
« Ça va aller, tu vas voir ».
Pendant le repas, la conversation tourne longuement au sujet de la catastrophe. Ce nest quautour du dessert quelle se porte enfin sur un sujet moins grave et bien plus fédérateur, le rugby.
« Alors, il paraît que tu as été recruté par le Racing ? » lance mon père.
« Oui, monsieur ».
« Tas commencé les entraînements ? ».
« Oui, depuis une semaine ».
La conversation est lancée. Et elle se poursuit bien au-delà du dessert et du café.
Pendant que papa et Jérém discutent, jaide maman à débarrasser la table. Jérém se propose daider aussi, mais jinsiste pour quil reste assis à sympathiser avec papa.
« Ils ont lair de bien sentendre ces deux-là » me glisse discrètement maman.
« Oui, ça fait plaisir. Tu nas rien dit à papa, hein ? ».
« Non, mon chou, cest à toi de le faire, quand tu te sentiras prêt ».
« Merci davoir dit oui ».
« Ce sera toujours oui pour rendre service à ton copain ».
« Merci maman, merci ».
« De rien mon chou ».
Maman a lair très fatigué et elle monte se coucher dès le lave-vaisselle lancé.
La conversation entre les deux passionnés de rugby se prolonge désormais au salon. La télé déblatère en sourdine sans que personne ne lui prête attention. Papa est installé dans son fauteuil attitré, je minstalle sur le canapé à côté de Jérém. Je ne connais rien au rugby, alors je ne peux pas vraiment prendre part à la conversation. Alors, je me contente découter, dobserver, dêtre heureux, et ému.
Avoir Jérém à la maison, chez mes parents, partager un repas en famille. Puis, le regarder discuter avec papa, lentendre raconter ses tournois du rugby, sattarder sur la dernière saison, celle de la victoire, mais aussi celle de notre amour. Et encore, voir papa pendu à de ses lèvres, attentif et admiratif par ce que petit mec lui raconte du haut de ses vingt ans même pas révolus, cest juste un bonheur infini.
Plus ça va, plus ils ont lair de bien sentendre. Au fond de moi, jai terriblement envie dannoncer à papa que Jérém est plus quun ancien camarade de lycée. Mais je ne veux pas gâcher ce pur instant de bonheur. Je ne veux pas mettre Jérém mal à laise. Je me dis que pour linstant, mon bobrun est en train dinvestir dans un capital sympathie auprès de mon père qui me sera utile le jour où je lui annoncerai que ce jeune joueur de rugby quil semble trouver passionnant est aussi mon mec.
« Allez, je vais me coucher aussi » fait mon père sur le coup de 11 heures « bonne soirée les gars ».
« Il est sympa ton père ».
« Je crois quil taime bien ».
« Parce quil ne sait pas tout ».
« Un jour je lui dirai ».
« Ok, mais attends que je sois parti ».
« Oui, tinquiète ».
Jérém membrasse et me caresse longuement. Jai envie de lui, et je sens quil a aussi envie de moi.
Nous montons à létage. Une fois encore, nous nous brossons les dents ensemble, nous allons dormir ensemble. Ces petits moments du quotidien sont si précieux à mes yeux.
« Cette pièce a connu des jours meilleurs » se moque le bobrun en t-shirt gris et boxer blanc en passant la porte de ma chambre.
« Cest clair ».
En effet, elle a connu de bien meilleurs jours. Une plaque en contreplaqué est vissée sur le cadre de la fenêtre, fenêtre dont les battants, sans vitres, sont entreposés contre un mur. Tout comme les planches de mon étagère renversée et complètement déglinguée par lexplosion. Mes livres et mes cours du lycée gisent en tas dans un coin de la pièce. Mon placard, dont les étages ont lâché aussi, est un fouillis de fringues entassées et poussiéreuses.
« Fais gaffe où tu poses les pieds. Maman a passé laspi toute la journée, mais il pourrait rester des éclats de verre ».
Une fois au lit, je me colle contre lui et nous nous faisons plein de bisous et de câlins. Jai terriblement envie de lui. Je passe une main sous son t-shirt, jeffleure ses abdos. Mon avant-bras effleure sa queue.
« Pas ici, Nico ».
« Pourquoi ? ».
« Ça me gêne ».
« Cest pas la première fois quon le fait ici ».
« Je sais, mais il y a tes parents juste à côté ».
« On va être discrets ».
« Non ».
« Allez
» je fais, en glissant ma main dans son boxer.
« Tes chiant » il me balance, tout en bloquant ma main avec la sienne.
« Tu nas pas envie ? ».
« Bien sûr que si ».
« Alors, laisse-toi faire, juste une petite gâterie ».
« Coquin, va » me chuchote le bogoss alors que le simple contact de mes doigts est en train de faire monter sa queue à vitesse grand V.
« Et toi donc
tes pas très crédible dans le rôle de la Sainte Ny Touche ».
« Ta gueule et suce » il soupire, alors que la montée de son excitation efface dun coup toutes ses réticences.
Devant une invitation aussi claire et appétissante, je ne peux que mexécuter. Je me faufile sous la couette, je fais glisser le boxer le long de ses cuisses musclées, et je mattaque à la bête chaude et conquérante. Je commence par laisser ma langue caresser ses couilles, avant de la laisser remonter lentement le long de son manche vibrant de désir, jusquà titiller le creux de son gland et lui arracher un frisson de plaisir incontrôlable. Je le fais languir, japerçois les ondulations sensuelles de ses abdos, jentends sa respiration changer, ses ahanements contenus.
Et alors que javale enfin sa queue jusquà la garde, un soupir de bonheur qui vient « du cur » lui échappe malgré ses précautions. Ça me fait sourire et ça mexcite tout à la fois.
Je suis content de coucher à nouveau avec Jérém dans ma chambre, dans ce lit où nous avons couché chaque jour pendant la semaine magique lété dernier. Je suis content de pouvoir remplacer le dernier souvenir de Jérém dans cette chambre, un souvenir malheureux, avec ce nouveau souvenir, heureux, malgré les circonstances qui lont rendu possible.
Je pompe mon bobrun avec bonheur et délice, mais sans précipitation. Lavoir en bouche est un bonheur dont je ne me lasse pas. Je sais quil kiffe ça, alors je vais lui en donner « pour son argent ».
Mais le bogoss a envie de me sucer aussi, et même de me faire jouir dans sa bouche, et davaler mes giclées. Cest tellement bon que jen oublie presque que mes parents dorment juste à côté et manque de peu de manifester bruyamment mon bonheur.
Un bonheur que je lui renvoie à lidentique lorsque, moins dune minute plus tard, je jouis à nouveau en recevant ses giclées puissantes dans ma bouche et en les laissant glisser lentement dans ma gorge.
« Ça va ? » je lui demande, en remontant vers mon oreiller.
« Grave. Toi aussi ? ».
« Oui, très bien. Vraiment, très bien » je lui chuchote, tout en cherchant ses lèvres.
« Jai envie dune cigarette ».
« Mince, tu ne peux même pas ouvrir la fenêtre. Elles sont toutes condamnées ».
« Je vais descendre et fumer dans la rue ».
Je regarde le bogoss se rhabiller dans une sorte de rituel fait de gestes inconscients, assurés et très virils. Je lentends descendre les escaliers en bois. Il me manque déjà. Jai tellement envie de lui, tellement envie de lavoir en moi.
Jattends son retour, et ces quelques minutes de cigarette me paraissent une éternité.
Lorsque je lentends enfin remonter les escaliers, comme pendant la semaine magique, je décide de lattendre dans une position sans équivoques. Je mallonge à plat ventre sur la couette, les cuisses bien écartées. Je lentends ouvrir la porte, la refermer. Le bogoss ne dit rien, mais je ressens son excitation. Je la ressens dans la précipitation de ses gestes pour se débarrasser de ses fringues, au léger bruit du coton qui glisse sur son torse, au cliquetis de la boucle de sa ceinture, au frottement du jeans sur ses cuisses. Je lentends à sa respiration.
Je sens le matelas se dérober sous mes pieds et mes mollets sous leffet du poids de son corps sapprochant du mien. Je frémis, alors que ses doigts saisissent mes fesses, les écartent. Mon excitation semballe lorsque je sens sa langue sinsinuer dans ma raie et aller direct exciter ma rondelle. Le temps est comme suspendu lorsque, quelques instants plus tard, je sens une bonne goutte de salive tomber lourdement sur ma rondelle. Et je membrase alors que son gland se presse sur mon trou.
Lorsque sa queue commence à senfoncer lentement en moi, je suis une torche brûlante de plaisir.
Ses va-et-vient sont puissants, virils et fougueux, mais pas précipités. Ses caresses sont douces et sensuelles. Ses baisers chauds et émouvants. Faire lamour, cest ça, ça ne peut pas être autre chose.
Faire lamour, cest aussi ne pas pouvoir résister à lenvie de lui proposer de changer de position, pour pouvoir le regarder sapprocher de son orgasme, pour le caresser pendant quil me fait lamour, pour amplifier son plaisir en excitant ses tétons. Faire lamour cest aussi le couvrir de bisous alors que, submergé par lorgasme, il sabandonne sur moi pendant quil me remplit de sa semence. Faire lamour cest aussi sa main qui, une minute après, branle ma queue et qui me fait jouir alors quil est toujours en moi.
Faire lamour cest se trouver enlacés après lamour, et se couvrir de bisous et de tendresse.
« Quest-ce que je suis bien avec toi » je ne peux mempêcher de partager mon bonheur.
« Merci de mavoir invité à dormir chez toi. Je navais pas envie de rester seul ».
« Je naurais pas pu ne pas passer la nuit avec toi ».
« Tu as des nouvelles de Thibault ? » me questionne le bobrun.
« Non, pas encore. Je nai pas eu le temps aujourdhui. Je vais essayer demain ».
« Tu me diras, sil te plaît. Je minquiète pour lui ».
« Bien sûr. Mais tu as prévu quoi demain ? »
« Je vais retourner voir mon frérot à Purpan. Jai aussi envie daller chercher quelques affaires chez mon père ».
« Mais tu nas pas de voiture ».
« Je vais voir si un pote du rugby peut men prêter une ».
Nous nous endormons lun dans les bras de lautre.
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