0230 Sous Le Ciel De Bordeaux Et De Toulouse.

Septembre 2001

Après mon week-end sur Toulouse suite à la catastrophe d’AZF et mon coming out désastreux auprès de mon père, les cours à la fac m’aident à aller de l’avant, à penser à autre chose.
Jour après jour, je constate avec bonheur que ce cursus d’étude me correspond vraiment. Les cours, qui paraissent parfois si indigestes à certains, moi je ne les vois pas passer. Lorsque la fin arrive, je me surprends souvent à me dire : « Déjà ? Pas encore, pas maintenant ! », comme à la fin d’un épisode d’une série à suspense. C’est rare et précieux de faire exactement ce que l’on a envie de faire, de se sentir totalement là on a envie d’être. J’ai de la chance, car c’est mon cas.
Avec mes camarades, Monica, Raphaël et Fabien, nous formons une bonne petite bande. Nous nous motivons mutuellement, nous rigolons beaucoup. Raphaël est toujours très drôle, très taquin. Quant à Monica et Fabien, ils ont un sacré sens de la repartie. Et moi aussi je commence à en avoir. J’arrive même à être drôle au contact de ces trois joyeux lurons. J’arrive à me moquer de moi-même, j’arrive à les faire rire. Ça occasionne souvent des échanges pimentés, qui ajoutent du plaisir à ces cours que j’adore.
Je trouve la vie à la fac bien plus drôle que la vie au lycée. Ici personne ne se moque de moi, du fait que je ne suis pas le plus viril des mecs, personne ne me traite de pd. Les gens que je rencontre ici, ce sont des adultes. Les blagues pipi caca n’ont pas cours ici. C’est peut-être l’écosystème intellectuel de la fac qui élargit nos horizons, nos esprits, notre raisonnement, qui nous tire vers le haut, nous inspire, nous insuffle la maturité.
Je crois que si j’étais passé directement de la sixième à la fac, ma vie d’étudiant aurait été moins pénible. Car ici, à la fac, je me sens respecté, intégré. Bref, je me sens bien.
La seule qui semble avoir un peu plus de mal à s’intégrer dans la petite bande semble être Cécile. Comme je l’avais deviné dès notre toute première rencontre, c’est une nana très réservée, très pudique.

Elle ne sourit quasiment jamais, et elle reste de marbre face aux échanges souvent très drôles entre nous autres. Même les vannes bon que Raphaël lui lance parfois pour essayer de l’impliquer dans groupe tombent à plat, lorsqu’elles n’essuient pas des réponses bien sèches. L’absence de sens de l’humour et d’autodérision de Cécile finit par décourager toute tentative de sa part de la décrisper.
Ce qui a pour conséquence de la laisser à l’écart. Car, même si elle vient toujours s’asseoir à côté de nous, elle parle peu, et on ne sait pas grand-chose d’elle.
Au fil des jours, je réalise que la personne dont Cécile semble être la plus proche, n’est autre que moi. Elle s’assoit tout le temps à côté de moi. Elle me parle davantage qu’aux autres. J’ai l’impression qu’elle m’aime bien.
Après la fin des cours, avant de rentrer à l’appart, je prends souvent le temps de me balader dans Bordeaux, souvent attiré par la Garonne et ce pont de Pierre qui me rappelle le Pont Neuf mais en beaucoup plus long, ce cours d’eau que j’affectionne tout particulièrement car il me relie à ma ville natale.
Rentrer chez moi est devenu également un moment agréable. Mes deux propriétaires sont toujours aussi sympa avec moi. Que ce soit pour un café, un apéro, un dîner, il n’y a presque pas de soir où je ne suis pas reçu chez eux. Parfois ils me demandent des petits services, comme d’aider Denis dans le jardin, ou de balayer la petite cour. Des services que je leur rends avec plaisir et qu’ils me rendent dix fois.
Albert et Denis jouent le rôle de nouvelle petite famille qui veille sur moi mais sans jamais me demander de comptes. Comme des grands parents bienveillants qui nous montrent la voie sans l’imposer, et qu’on n’a surtout pas envie de décevoir.
Ils sont aussi de bon conseil. Un jour où je leur reparlais de la réaction de mon père face à mon coming out et aux problèmes que cela engendrait, Albert m’a répondu :
« Le problème ce n’est pas toi, le problème c’est la fierté de ton père.
La crainte du regard des autres, c’est de la fierté. Le fait de te jeter à la figure que tu n’auras pas de gosses, ce qui est une manière de te reprocher que tu ne lui donneras pas de petits s, c’est de la fierté. La fierté de vouloir perpé sa propre lignée.
Vouloir que les s ressemblent aux parents, qu’ils se conforment aux projets qu’ils avaient imaginés pour eux, c’est aussi de la fierté.
Mais un n’est pas une extension des parents, c’est un être à part entière et il a le droit de chercher le bonheur auprès de la personne chez laquelle il pense pouvoir le trouver, quel que soit le sexe de cette personne.
C’est naturel de s’inquiéter du bonheur de son . Mais il ne faut pas l’ ».
Le week-end suivant le drame d’AZF, le dimanche, je pars en balade avec Monica, accompagnée de son petit ami Fred, et de Raph, assorti de sa conquête du moment, une nana qu’il a levée dans un autre cursus à la fac quelques jours plus tôt. Nous partons faire un tour sur l’un des sites les plus connus de Gironde.
La dune du Pilat est le genre de site qui se mérite. Pour atteindre son sommet, il faut traverser un bout de forêt, gravir une pente sableuse qui se dérobe sous les pieds à chaque pas. Monter à la dune du Pilat est un parcours qui est loin d’être une promenade de plaisir. Mais une fois au sommet, on en oublie la fatigue, le sable dans les claquettes, les piquants qui se sont enfoncés dans la peau, l’agressivité du soleil. Lorsqu’on se retrouve au sommet, avec sa vue dégagée et panoramique sur l’océan immense, on est happés par ce spectacle naturel d’une beauté saisissante.
Une fois en haut, nous dévalons la pente comme des gosses. Le sable saute partout, dans les cheveux, les t-shirts, les pantalons, les poches, les yeux.
La plage est toute pour nous, tout comme cet océan déchaîné et majestueux, une immensité d’eau aux vagues impressionnantes que de rares surfeurs ne cessent de défier et d’essayer de dompter. Le ciel est couvert, le vent musclé.
La pluie menace, mais la puissance des éléments qui s’entrechoquent dégage une force palpable qui happe l’esprit. C’est le propre des grands sites naturels, cette vibration qu’ils transmettent et qui nous remet à notre place, qui nous remet les idées en place, qui remet en perspective les destins individuels dans le Grand Dessin du Tout. Cette sorte de vibration de l’Immense, une vibration qui, lorsqu’on prend le temps de l’écouter, nous remet en phase avec l’Univers tout entier et avec nous-même. Cette vibration qui me donne la mesure d’à quel point mon bobrun me manque. Et à quel point, au fond, la réaction de mon père face à mon aspiration au bonheur n’a pas vraiment d’importance.
A la dune du Pilat, je suis bien avec moi-même, je vois clair dans mon esprit. Une seule chose manque dans ce tableau de bonheur. Les bras de mon bobrun autour de mon corps, ses bisous dans mon cou, comme à Gavarnie, sur la butte face à la grande cascade.

Jérém me manque chaque jour un peu plus. Heureusement, ses coups de fils quotidiens ensoleillent mes soirées. Chaque fois, le son de sa voix, ainsi que sa façon de m’appeler « ourson », me font un bien fou.
Mon bobrun me parle de ses entraînements, de ses sorties, de ses nouvelles habitudes. J’ai l’impression qu’il prend de plus en plus ses marques dans la jungle parisienne. Il me parle aussi de ses nouveaux potes. De Léo, d’Anthony, de Jordan, d’Ulysse. Surtout d’Ulysse. J’ai l’impression que ce gars est son nouveau meilleur pote. Qu’ils font les 400 coups ensemble. Je voudrais bien savoir à quoi ressemble ce mec. En attendant, je me l’imagine aussi grand que Jérém, brun, bien gaulé, bogoss. Pourvu qu’il soit complètement hétéro et qu’il n’ait pas des vues sur mon Jérém !
Je crois qu’une nuit, j’ai rêvé de ce gars. Je me souviens d’avoir rêvé qu’il était bogoss. Et qu’il s’intéressait à mon bobrun. Trop. Dans mon rêve, il l’embrassait, il le caressait, il voulait coucher avec lui. Mon bobrun semblait d’abord rester de marbre face à ces avances, avant d’y céder peu à peu.
Je me suis réveillé en nage, car le rêve était si réel !
Il faut vraiment que j’arrête d’avoir peur que tout le monde veuille se taper mon mec. Facile à dire, alors que le gars que j’aime est une bombasse mâle absolue, une bombasse qui vit dans une ville que j’imagine pleine d’autres bombasses et de tentations, et qui évolue dans un milieu où les sollicitations sont innombrables. Et si on ajoute à cela le fait que cette ville est à plusieurs centaines de bornes de là où je me trouve, que nos rencontres sont au mieux espacées de plusieurs semaines, que Jérém est un garçon de vingt ans avec les besoins qui vont avec, rien n’est fait pour me rassurer.
Je tente de relativiser, mais je sais que j’ai du souci à me faire. J’ai peur qu’il aille voir ailleurs pour se soulager. J’ai peur qu’il couche avec des nanas. Et j’ai encore plus peur qu’il couche avec des gars. Tant qu’il ne couche qu’avec des filles, je peux me dire que je suis le seul à lui apporter son véritable plaisir. Mais s’il tombe avec un mec, un beau mec, un très beau mec, est ce que je vais toujours faire le poids ?
Et ce que je crains par-dessus tout, c’est qu’il tombe sur un mec capable non seulement de lui donner du plaisir, mais aussi de lui ravir son cœur. Je crains moins cela de la part d’une nana que de la part d’un gars.
Je sais que tant que je serai avec Jérém, et tant qu’on sera loin, je serai constamment confronté à ces craintes. Alors, j’essaie de tout envisager, y compris de poursuivre mes études à Paris. Mais je sais que ce serait une folie. Car il faudrait que je trouve une place à la fac là-bas, ce qui est difficilement concevable en cours d’année. Il faudrait aussi que Jérém soit d’accord pour emménager ensemble, ou que je me trouve un appart. Il faudrait que je trouve un travail pour financer des études qui seraient certainement plus coûteuses là-bas. Il faudrait que j’en parle à mes parents. Et en l’état de mes relations actuelles avec mon père, je me vois mal mettre ce sujet sur la table. Surtout quand ma seule motivation dans cet hypothétique changement est de me rapprocher de mon « gigolo », comme il l’a appelé.
En attendant, mes inquiétudes ne font que grandir de jour en jour et ce, malgré nos coups de fils quasi-quotidiens qui m’apaisent, d’une certaine manière.
Bien sûr, le fait de l’avoir quelques minutes au téléphone le soir n’est pas une assurance qu’il se tienne à carreaux, car il lui reste bien d’autres minutes chaque jour et chaque nuit pour faire ce que bon lui semble, sans que je puisse l’en empêcher. Mais j’ai besoin de ces coups de fil. J’y tiens. Car les rares soirs où je n’arrive pas à l’avoir au téléphone, je m’inquiète, je m’inquiète, je m’inquiète.
Plus les jours passent, plus je me demande s’il peut tenir sans sexe. Parfois j’ai envie de lui demander s’il est sage. Ou bien de lui rappeler de se protéger, si la sagesse devait s’incliner face à la tentation.
Mais je renonce à chaque fois. J’y renonce de peur de devoir affronter une discussion que le téléphone rendrait encore plus pénible que de vive voix. Je me dis que cette discussion doit avoir lieu les yeux dans les yeux. Mais est-ce que j’oserai un jour la mettre sur la table ?
En attendant, je prends sur moi, j’essaie de relativiser, de me dire que je ne peux pas lui empêcher d’avoir des aventures, car un mec comme lui ne peut pas tenir des semaines sans sexe. Je me dis qu’il n’est pas con, qu’il connaît les risques liés aux MST, et qu’il se protège. Je me dis qu’il est bien avec moi, qu’il est amoureux de moi, et qu’il ne laissera personne prendre ma place dans son cœur.
Mais la peur de perdre Jérém devient une pensée obsessionnelle qui me poursuit partout. Rien n’arrive à me faire oublier cette peur, j’y pense même pendant les cours, au fil de mes balades. Enfin, rien ou presque.
Car il y a bien quelque chose, une force capable de m’en soustraire : c’est la bogossitude ambiante bordelaise.
Déjà, dans ma rue, il y a un lycée. Souvent, à l’heure où je pars à la fac ou à celle où je rentre, la cour et une partie de la rue est peuplée des petits attroupements de lycéens, des jeunes mecs en grappes.
Il y a des choupinous de tout genre. Certains, en dépit de leur jeune âge, affichent ostensiblement des attitudes de petits mecs, un brin machos, avec leur façon de se tenir, les jambes un peu écartées, les pieds bien plantés au sol, le buste un peu en arrière, la cigarette à la main, des petits mecs dans lesquels j’ai l’impression de retrouver l’étincelante petitconitude de mon Jérém lors du premier jour du lycée.
Parmi ces gars, il y en a un qui a tout particulièrement attiré mon attention et que je cherche chaque fois du regard. C’est un beau petit brun que j’ai qualifié de bel « a(b)dolescent », tant ses tablettes de chocolat de petit con, à tous les coups même pas majeur, m’ont impressionné un jour où j’ai eu la chance de le voir se balader dans la rue, torse nu, à la sortie des cours, en compagnie de ses potes. Pile le bogoss capable de faire tomber amoureux secrètement l’un de ses camarades de classe.
Et puis il y en a d’autres, plus effacés, plus timides, dans lequel je me reconnais à mon premier jour de lycée.
Evidemment, à chaque fois où je passe devant le lycée, je ne peux m’empêcher de me demander combien de Jérém, combien de Nico se cherchent, se désirent, se fuient dans cette cour, dans les couloirs, dans les salles de cours, dans les vestiaires du gymnase. Combien de désirs cachés, de regards discrets, fuyants dans ce petit monde, dans ce laboratoire de socialisation qu’est l’école et dont les expériences humaines que nous vivons nous marquent souvent à vie ? Combien de Nico soupirants, combien de Jérém enfermés dans leur rôle d’hétéro ? J’ai tellement envie d’aller les voir et de leur dire : « Les Nico, soyez patients, persévérants. Les Jérém, laissez-vous aller ! ». Et à tous les deux, envie de crier : « N’ayez pas peur, c’est possible d’être heureux ! ».

Mais il n’y a pas que le lycée dans ma rue. La bogossitude ambiante d’une grande ville est une présence imprévisible qui nous guette à chaque déplacement. Un bomec croise mon chemin et sa présence arrive à anesthésier mes soucis pendant le temps d’un trajet en bus, ou un peu plus, tant que l’écho du frisson provoqué par sa bogossitude vibre en moi. C’est le cas de ce beau brun que je croise depuis quelques jours, presque chaque matin, à « mon » arrêt de bus.
Vingt-cinq ans maximum, un peu plus petit que moi, sans doute 1 mètre 70 ou 72, carrure genre rugbyman mais rugbyman petit gabarit. A bien regarder, le gars semblerait un petit peu enrobé, mais rien de rédhibitoire, au contraire, ça lui va très bien, et c’est très sexy. Le gars a l’air d’être un bon vivant. Il a les cheveux courts mais pas ras, il est très brun, la peau bien mate, et il porte une petite barbe de quelques jours.
Il est toujours habillé d’un blouson en cuir, d’une chemise ouverte sur au moins deux boutons d’où dépasse à chaque fois un petit bout de t-shirt blanc très sexy, un petit bout de coton bien collé à la peau dans le creux de son cou, ce qui laisse imaginer que le t-shirt en question est porté très près du corps. Il porte également un jeans et des baskets blanches
Le gars n’est pas forcement hyper canon, et pourtant il est très sexy. C’est un mec plutôt viril, du genre sûrement même pas conscient du fait qu’on puisse le trouver sexy. Un mec qui donne tout autant des envies de baise bien sauvages et des envies tout aussi intenses de lui faire des tas de câlins. Sa douceur virile se manifeste également dans sa voix, que j’ai entendue un matin quand il a demandé un ticket au chauffeur du bus. C’était une bonne voix de mec, mais plutôt douce, pas « grave ».
En descendant du bus à l’arrêt de la fac, là où nos chemins se séparent car sa destination l’amène à continuer sur la même ligne et à descendre plus loin, je ressens à chaque fois un petit pincement au cœur. Je me dis que je ne sais rien de lui, et que je ne pourrais jamais avoir la réponse aux milles questions qui surgissent en moi à chaque fois que je suis confronté à sa présence, comme à chaque fois que je suis confronté à la vibrante sexytude, au mystère intrigant d’un bel inconnu.
Qui est ce mec ? Comment s’appelle-t-il ? Quel âge a-t-il exactement ? Que fait-il dans la vie ? Qu’est-ce qu’il aime ? Qu’est-ce qu’il déteste ? Quelles sont ses opinions ? Ses centres d’intérêt ? Comment est-il en compagnie de ses potes ? Est-ce qu’il est drôle, gentil, sympa, charmeur ? Avec qui il couche ? Est-ce qu’il est amoureux ? En couple ? Célibataire ? Fidèle ? Comme est-il à poil ? Comment est sa queue ? Il a joui quand la dernière fois ? Hier soir ? Ce matin ? C’était une pipe ? Une pénétration ? Comment se comporte-t-il au lit ? Qu’est-ce qu’il aime ? A quoi ressemblent ses attitudes pendant le sexe ? A quoi ressemble sa gueule pendant l’orgasme ? Est-ce qu’il a déjà couché avec un mec ?
Bref, ce mec est vraiment sexy en diable dans son genre. Et les trajets que je passe à le mater m’offrent bien de frissons. Alors que l’instant de la « séparation » provoque en moi un petit pincement au cœur, passager, certes, mais néanmoins assez violent.
Car ce mec est mon petit rendez-vous du matin, c’est un petit béguin qui me fait me sentir si vivant et qui, pendant quelques minutes, me fait planer bien au-dessus de mes inquiétudes au sujet de mon Jérém.
Mais le bobrun du bus n’est pas le seul à m’offrir de bons petits frissons. Car il y a un autre gars que je côtoie tous les jours et dont le charme me fait de plus en plus d’effet. Il s’agit de mon camarade Raphaël.
Ce gars n’a pas un physique musclé du genre qui attire d’habitude mon attention, mais il a un beau visage, des traits fins, un regard magnétique, un sourire à faire fondre des banquises polaires, un rire de bogoss carnassier qui me fait vibrer. Il a aussi de beaux cheveux, un beau brushing, et il porte un parfum captivant.
Bref, ce mec dégage quelque chose de profondément sensuel et sexuel qui touche mes cordes sensibles. Et le fait qu’il ne se prive pas de me raconter ses aventures avec les nanas, nombreuses, et que je sois aux premières loges pour assister à ses exploits de séduction à la fac, ne fait que contribuer à attiser mon attirance.
Ce qui me fait craquer chez Raph, c’est son assurance, sa forte personnalité, doublée d’une grande sensibilité et d’une grande acuité d’esprit. C’est sa tchatche, sa gouaille, son attitude iconoclaste, sa personnalité insolente, sa sexytude insolente. Mais aussi son intelligence, son humour, son côté « en dehors du système », ses fortes convictions, son caractère à la fois rêveur et très pragmatique. Tout cela compose un cocktail explosif qui, jour après jour, ravit mon esprit comme une sorte d’ivresse.
Le soir, je me branle en pensant à mon Jérém. Mais aussi à mon a(b)dolescent préféré capté dans la cour du lycée de ma rue. Le p’tit brun du bus s’invite lui aussi régulièrement dans mes branlettes. Tout comme Raphaël.
Mais si beaucoup de gars peuplent mes branlettes solitaires, Jérém est le seul à me manquer à en crever.

Les jours passent, les semaines s’enchaînent, septembre se termine. Adieu le mois des catastrophes en « 1 » : 11 septembre 2001, puis, 10 jours plus tard, le 21 septembre 2001, AZF. Heureusement, tu n’as pas 31 jours !
Octobre pointe le bout du nez et amène les premiers froids, avec des rafales de vent d’océan souvent glaciales. Un nouveau week-end arrive. Je n’ai rien de prévu, je pourrais rentrer à Toulouse.
Maman me manque et je sais que je lui manque aussi. Je pense souvent à elle, et aux relations tendues qu’elle doit avoir avec papa depuis ce fameux lundi soir où j’ai fait mon coming out.
Je l’appelle tous les deux jours, et à chaque fois elle se veut rassurante. Elle me dit que tout va bien, et que je n’ai pas à m’en faire. Elle me demande régulièrement quand je prévois de revenir sur Toulouse. Je lui promets tout aussi régulièrement de revenir « bientôt ». Pourtant, l’idée de recroiser mon père m’angoisse toujours autant. Je n’arrive pas à oublier ses mots durs, son regard rempli de colère, de dégoût, de déception. Je n’ai pas envie de me heurter à son hostilité.
Alors, ce vendredi soir j’appelle maman pour lui dire que ce week-end encore, je reste à Bordeaux pour travailler mes cours.
« Comme tu voudras mon chéri. Mais je t’attends le week-end prochain, sans faute ! Travaille bien ! ».
En réalité, un week-end bien vide se dresse devant moi. Je n’ai rien de particulier à réviser. Je sais que je vais passer mon temps à penser à mon bobrun, à me demander ce qu’il fait, à me faire du souci.
Dans un peu plus d’une semaine, ce sera son anniversaire. Je voudrais tellement pouvoir le fêter avec lui. Le week-end prochain, j’aimerais bien monter à Paris le voir. Ça fait quelques jours que cette idée me chatouille l’esprit, mais je ne lui en ai pas encore parlé, de peur d’essuyer un refus de sa part.
De toute façon, je ne sais pas du tout comment je pourrais faire, vu qu’il crèche toujours à l’hôtel, entouré de ses nouveaux co-équipiers. Je sais à quel point Jérém tient à la discrétion concernant notre relation. Et je sais que cette discrétion est une condition indispensable pour la paix dans notre « ménage ».
Je voudrais lui faire une surprise. Mais si je débarque à l’hôtel, adieu la discrétion. Certes, je pourrais me faire passer pour un pote, mais j’ai l’impression que ça ferait louche. Quand on a quelque chose à cacher, on a toujours l’impression que notre secret est affiché sur notre front.
Il n’en demeure pas moins que j’ai terriblement envie de le voir. Je me dis qu’on pourrait prendre une chambre d’hôtel ailleurs, dans un endroit tranquille. Il reste à convaincre mon bobrun. Dans tous les cas, pour la surprise, c’est raté.
Mais la chance semble se tourner soudainement vers moi car, le soir même, mon bobrun m’annonce que le club lui a trouvé un petit appart dans le quartier des Buttes Chaumont et qu’il va y emménager en tout début de semaine.
« C’est chouette ! » je réfléchis à haute voix, très heureux des possibilités que cette nouvelle configuration pourrait ouvrir à nos futures rencontres.
« Moi aussi, je n’en pouvais plus de l’hôtel ».
« Je vais pouvoir venir te voir, maintenant ».
« Doucement, il faut que je m’installe d’abord ».
« J’aimerais venir te voir le week-end prochain ».
« Tu perds pas de temps ».
« Le 16, c’est ton anniversaire… » je lâche, en retenant mon souffle, en priant de toutes mes forces pour qu’il accepte ma proposition.
« Comment tu sais ? » il me questionne, après un court instant de silence qui m’a paru interminable.
« Je le sais depuis le premier jour du lycée ».
« Ah ».
« C’est pour ça que j’ai envie de venir te voir le week-end prochain… ».
« Bah, viens alors ! ».
Puis, avant de prendre congé avec un énième « les potes m’attendent pour sortir », mon bobrun me donne sa future adresse parisienne, un enchaînement de lettres et de chiffres magiques qui définissent à mes yeux le futur berceau de notre bonheur.
Non seulement l’idée de retrouver mon Jérém dans une semaine, d’avoir une date, un compte à rebours pour nos retrouvailles, me remplit de joie, mais cela m’apaise également. Car je me dis que maintenant que Jérém sait que nous allons nous voir dans une semaine, ça va l’aider à tenir bon.
Et c’est le cœur débordant de cette joie que je trouve le courage de rappeler maman pour lui dire que finalement je reviendrai sur Toulouse dès le lendemain matin et pendant tout le week-end. Maman s’en réjouis et je me réjouis à mon tour de la retrouver.

Les retrouvailles avec ma ville, toujours marquée par l’explosion d’AZF, malgré les premiers nettoyages et les premiers rafistolages, est toujours aussi chargée d’émotions. Quant aux retrouvailles avec maman, elles sont tout aussi douces et chaleureuses que celles avec papa sont distantes et froides.
Déjà, il n’est pas là lorsque je débarque à la maison en fin de matinée. Il ne se pointe que pour déjeuner, il met les pieds sous la table, la télé à fond la caisse, et il ne crache pas un mot.
Heureusement, maman se charge de faire la conversation. Elle me questionne au sujet de mes études, de ma vie dans le petit studio. Mais entre la télé qui gueule et mon père qui fait la gueule, je ne me sens pas vraiment à l’aise pour discuter sereinement. A chacun de mes mots, j’ai l’impression de sentir son dégoût. J’ai juste envie d’être seul avec maman, pour discuter tranquillement avec elle. De plus, le volume de la télé est si fort qu’à plusieurs reprises nous sommes obligés de nous faire répéter nos mots.
Jusqu’à ce que maman finisse par s’agacer et par lancer à papa :
« Mais tu ne peux pas éteindre cette télé ? ».
« J’écoute les infos ».
« Je te signale que ton fils est là, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué. Ça ne t’intéresse pas de savoir ce qu’il fait de sa vie ? ».
Et là, papa la regarde fixement et lui lance un laconique :
« C’est sa vie ».
« C’est tout ce que tu as à dire ? ».
« Qu’est-ce que tu veux que je dise ? ».
« Quelque chose qui a du sens ! ».
« Ok… passe-moi le sel ! ».
« Tu te fiches de moi ? ».
« Je peux repartir tout à l’heure si tu veux » je lâche, très mal à l’aise et un brin agacé.
« Je m’en fous » fait papa, en baissant le nez dans son plat, sans daigner me lancer un regard.
« Non, Nico, tu restes comme prévu » décrète maman.
Au fond de moi, je regrette d’être venu. Et j’ai vraiment envie de repartir par le premier train. Si je reste, c’est vraiment pour faire plaisir à maman.
Sans même attendre le café, papa se rue dans son sempiternel garage et il n’en sort pas de l’après-midi. Ce qui n’est pas une mauvaise chose car, une fois seul avec maman, je passe enfin un bon moment avec elle. Je l’aide à faire la vaisselle et le ménage. Nous discutons enfin tranquillement. Elle veut tout savoir de ma vie à Bordeaux. Je lui parle de mes camarades de fac, de mes voisins, un couple de vieux gays assumés et heureux. Je lui parle de mon week-end à venir à Paris avec Jérém.
« Je suis content que tout se passe bien pour toi. Je te trouve tellement plus épanoui qu’au lycée. On est tellement bien quand on est amoureux ».
Maman est perspicace.
En fin d’après-midi, je retrouve Elodie chez elle, en compagnie de son bobrun, le très charmant Philippe. Elle a perdu une bonne partie de l’audition de son oreille touchée mais cela ne semble en rien avoir affecté sa joie de vivre. Elle me parle des préparatifs de son mariage, de ses projets. Et lorsque Philippe part faire quelques courses, je me sens à l’aise pour lui déballer tout mon bonheur avec Jérém.
« Je suis tellement heureuse pour toi, pour vous deux ».
Mais aussi pour lui parler également de mes craintes.
« Je suis certaine que ça va bien se passer. Dans votre histoire, il y aura des hauts et des bas, mais vous vous finirez toujours par vous retrouver. Il faut savoir attendre ».
« Et comment ça se passe avec tonton ? » elle me questionne.
« Pas génial. Il fait toujours la tête ».
« Tonton s’en remettra » elle me lance « il faut juste lui laisser le temps d’encaisser ».
Nous enchaînons avec une soirée pizza et scrabble, ce qui m’évite de devoir affronter un deuxième repas pénible à la maison.
Le lendemain, je me réveille de bonne heure. L’inévitable perceuse du dimanche matin de papa ne pardonne pas. Je me demande ce que je vais pouvoir faire de ma journée. Je repense à mon week-end à venir en compagnie de mon Jérém, qui va également être ma première fois à Paris. Dans six jours, je me réveillerai dans ses bras. Et je serai heureux. Je ferai peut-être l’amour avec lui. Je le réveillerai peut-être avec l’une de ces pipes du matin qu’il apprécie tout particulièrement. Et je ne peux m’empêcher de me branler.
Et l’idée de revoir le gars que j’aime, de passer deux jours et deux nuits dans ses bras, c’est justement ce qui me donne la force de me lever ce matin.
Lorsque je descends, après la douche, maman est dans la cuisine. Le parfum délicat des tartines grillées se mélange à celui plus fort du café qui vient de couler. « There’s no place like home », « c’est bon de revenir à la maison », affiche un magnet collé sur la hotte aspirante. Je crois que le type qui a écrit cette phrase pensait à un petit déj comme celui que je partage ce matin avec maman.
« Et si on invitait Elodie et Philippe ce midi ? » lance maman.
« Ah, ce serait super ! ».
L’idée me plaît tout particulièrement car la présence toujours marrante d’Elodie va empêcher la mauvaise humeur de mon père de gâcher un nouveau repas. Je soupçonne d’ailleurs maman d’avoir pensé la même chose.
J’appelle ma cousine qui accepte l’invitation avec joie.
Un peu plus tard dans la matinée, nous nous mettons à deux pour préparer mon plat préféré, les lasagnes. Soudain, un souvenir me revient, comme une claque. Quand j’étais petit, j’aimais tellement les lasagnes que papa avait fini par m’appeler « mon petit Garfield ». Ça fait longtemps qu’il ne m’a pas appelé ainsi. Je sens les larmes monter aux jeux. Je les retiens pour ne pas les mélanger à la béchamel que je suis en train de remuer, je les retiens pour ne pas faire de la peine à maman.
Pendant le déjeuner, ma cousine nous fait bien rire malgré son pansement à l’oreille. La télé reste éteinte. Papa ne parle pas beaucoup mais il n’ose pas faire autant la tête que la veille.
Lorsque Elodie et Philippe partent vers 16 heures, il me reste trois heures à occuper avant mon train pour Bordeaux. J’ai envie de voir si Thibault a le temps de prendre un café avec moi. J’ai envie de savoir s’il va bien. Et tant pis pour la mise en garde de Nathalie. Je m’en fous.
Je l’appelle, mais l’adorable pompier n’est pas sur Toulouse, il est dans sa belle-famille près de Lombez, dans le Gers. Nous n’échangeons que peu de mots, mais j’ai l’impression qu’il reprend du poil de la bête. Je l’entends dans sa voix, lorsqu’il me raconte que les médecins lui ont dit qu’il pourrait probablement rejouer avant la fin de l’année.
Faute de ne pas pouvoir revoir mon pote Thibault, je contacte mon autre pote toulousain, Julien.
Le beau moniteur d’auto-école est toujours partant pour un verre. Et il est toujours aussi souriant, toujours aussi charmant lorsqu’il débarque dans le bar dans mon quartier où il m’a rejoint.
Il me questionne sur ma vie bordelaise, sur mes études, sur mon « mec », comme il l’appelle, en faisant bien claquer le « c » avec son accent toulousain si marqué et si craquant.
Lorsque je lui réponds que je vais le voir à Paris pour son anniversaire le week-end suivant, il me dit :
« Tu vas prendre cher. Et lui aussi il va prendre cher ».
« Et toi, t’as une copine en ce moment ? ».
« J’en ai plusieurs ».
Quel incorrigible queutard que mon pote Julien ! Mais qu’est-ce qu’il me fait rire !

Quitter maman est un déchirement. J’ai l’impression qu’elle ne vit pas si bien mon départ à Bordeaux qu’elle voudrait me le faire croire. J’ai l’impression que ça lui manque de ne plus me voir tous les jours comme avant.
« Tu reviens quand tu veux, on refera des lasagnes ».
Le plus dur à supporter en quittant la maison est son regard qui dit « je suis fière de te voir prendre ton envol, chéri, mais qu’est-ce que tu me manques ».
J’ai de la peine car je sais que je lui fais de la peine. Je sais qu’elle est fière de moi, mais je sais aussi que c’est dur pour elle. Surtout depuis qu’elle ne peut plus compter sur le soutien de papa. J’aurais dû me taire, j’aurais pu attendre pour lui balancer que je suis gay.
Les premiers pas dans la rue en direction de la gare sont très pénibles. J’ai à la fois très envie de partir loin de l’ambiance pesante que fait régner papa et pas du tout envie de quitter maman.
J’arrive à Matabiau avec un peu d’avance et j’en profite pour acheter le ticket aller-retour Bordeaux-Paris pour le week-end suivant. Je suis tout content de les acheter, de les toucher, de les ranger dans ma veste, car j’ai l’impression que le fait de les avoir tout près de moi me rapproche un peu plus de Jérém. J’ai tellement hâte de retrouver ses bras chauds, ses poils, son sourire, son empreinte olfactive de mec, si rassurante. J’ai aussi hâte de découvrir Paris, notre belle capitale.
Il est près de 22 heures lorsque j’arrive à la gare Saint Jean. Une demi-heure plus tard, je retrouve la petite cour au sol peint en rouge. Les volets de l’appart de mes proprios sont déjà fermés. Je rentre dans mon petit studio, je verrouille la porte derrière moi, je me fais chauffer un café et je me sens bien. Je m’installe dans mon canapé.
Et là, je réalise que je me sens désormais davantage chez moi dans mon petit studio à Bordeaux que dans la maison de mes parents à Toulouse. Dans mon petit chez moi, personne ne me demande de comptes, personne ne me fait la tête. A Bordeaux, j’ai mes études, des études que j’aime, j’ai des potes marrants, des voisins bienveillants. A Bordeaux, j’ai ma nouvelle vie. Ici à Bordeaux rien ne me manque, à part la présence de maman.
La semaine qui me sépare de mes retrouvailles avec Jérém est ponctuée par les « rencontres » du matin avec le beau petit brun du bus dont j’ignore toujours tout, à partir de son petit nom.
Le lundi, je le retrouve posté à côté de l’abribus. Il porte toujours la même ténue, t-shirt blanc, chemise, blouson en cuir, jeans. Et il tient un journal plié dans la main gauche. Il est toujours aussi sexy. Je me demande ce qu’il a fait de son week-end, s’il s’est amusé, s’il a fait la fête avec ses potes, s’il a fait l’amour. Le bus se pointe quelques secondes après mon arrivée. Le mec monte et s’assied juste derrière le fauteuil du conducteur. Il n’y a pas de place à proximité et je suis obligé d’avancer vers le fond pour laisser rentrer les autres passagers.
Pas cool, ce matin je ne peux pas me mettre en face ni à côté de lui pour le mater discrètement. Mon trajet en bus touche à sa fin, je descends par la porte arrière, tout en jetant un dernier regard furtif à ses beaux cheveux bruns. Ah, putain, qu’est-ce qu’il est craquant ce gars ! Ce matin, la frustration est grande de ne pas avoir pu le mater davantage.
Le mardi, je m’arrange pour arriver à l’arrêt du bus un peu plus tôt. Mais le petit brun n’est pas là, pas encore. Il arrive quelques minutes plus tard. Je me place de sorte à ne pas être loin de là où il va probablement s’arrêter, et je me tourne un peu vers lui. Et là, je croise son regard fixement rivé sur moi. En une fraction de seconde, je passe de la joie de le revoir à la crainte qu’il ait fini par capter mon attention certainement trop insistante et par en être indisposé.
Mais contre toute attente, le bogoss me lance un « Bonjour » bien sonore avec sa voix douce, accompagné d’un super joli sourire, comme s’il était content de me voir. Après un instant de flottement, je le salue à mon tour. Enivré par ce premier contact inattendu, je cherche le moyen d’engager une conversation. Mais je ne sais vraiment pas par quel bout commencer.
Au fond, je ne sais pas ce que j’espère. Je ne veux pas essayer de le draguer, j’aime trop mon Jérém. De toute façon, le gars m’est complètement inaccessible. Le fait est qu’il me fait un peu plus envie chaque jour. C’est dur de côtoyer un si beau mec et de ne pas être tenté. Alors qu’est-ce que je peux espérer, de devenir son pote ? J’aimerais bien, mais comment se contenter d’être pote d’un gars dont on a grave envie ? De toute façon la question ne se pose pas, ce n’est pas parce qu’il m’a dit bonjour que le gars a envie de quoi que ce soit d’autre avec moi.
Le mercredi, lorsque je me pointe à l’abribus, il n’y a encore personne. Mais deux minutes plus tard, je le vois arriver de loin. Je le regarde et le bogoss me lance un nouveau « bonjour » porté par voix mâle et pourtant douce qui me fait vibrer, accompagné par un nouveau beau sourire qui finit de m’achever.
Comme la veille, j’ai envie de lui parler. J’ai même trouvé un sujet de conversation, je vais lui demander ce qu’il fait comme boulot. Ça n’engage à rien, au fond. La situation est idéale, nous sommes que tous les deux. Je sais que je n’ai qu’une seconde, avant qu’il ne déplie son journal et qu’il s’y plonge dedans. Une seconde où je me sens pousser des ailes, une seconde qui paraît une éternité. Mais pendant cette éternité je n’arrive pas à me décider, et je ne fais rien.
La seconde d’après, c’est déjà trop tard. Je regarde ses avant-bras se plier, ouvrir les pages avec un geste bien assuré, bien mâle. Je me dis qu’à la rigueur je pourrais encore engager la conversation pendant qu’il tourne une page. J’ai le cœur qui tape à dix-mille.
Mais déjà trois nanas approchent de l’arrêt de bus tout en discutant bruyamment. Je sens mon courage s’évaporer instantanément. Aujourd’hui non plus, je ne lui parlerai pas.
Jeudi, même manœuvre que la veille, le beau brun arrive, je croise son regard. Et cette fois, c’est moi qui lui dis bonjour en premier. Et là, je n’y crois pas, le gars me rend le bonjour avec un sourire encore plus grand que les deux jours précédents (genre « je suis vraiment content de te voir »). Une fois de plus, je voudrais savoir profiter de ce premier contact, de cette petite ouverture pour engager une conversation. Mais il y a déjà plein de monde à l’arrêt de bus. Et de toute façon, je suis tellement troublé par son sourire que je perds tous mes moyens. Nous restons côte à côte sans rien dire, lui le nez plongé dans son journal comme d’hab, moi en ressassant ma frustration, comme d’hab, jusqu’à l’arrivée du bus.
Le vendredi matin, je me sens bien décidé à lui demander ce qu’il fait dans la vie. Pourquoi je devrais avoir honte de lui parler ? Au fond, je n’espère rien de lui, et discuter avec un inconnu ce n’est pas interdit. Ce gars pourrait devenir mon « pote » du bus. Mais ce matin, le mec n’est pas là. Je l’attends avec impatience et fébrilité jusqu’à l’arrivée du bus, jusqu’à la fermeture des portes, jusqu’au démarrage du bus. Mais le bobrun ne vient pas. Il n’est pas là. Du moins physiquement. Car il est bien là, dans mon attente et dans ma déception. L’absence est une présence dans l’esprit, une présence exacerbée. Je me dis que peut-être il a déjà terminé sa semaine. Ou que, comme je le craignais, son chantier est fini et qu’il a changé ses horaires et ses trajets.
Je me rends compte que tout ce petit manège est idiot, car il ne se serait jamais rien passé avec ce mec. Malgré tout, je trouvais bien sympa ce petit "contact" spontané qui s’était créé « entre nous », ce petit « bonjour » du matin accompagné par ce joli sourire. C’était à la fois un délice et une , mais ça faisait du bien et ça m’aidait à bien démarrer la journée.
Soudain, je me demande ce que j’aurais ressenti, et comment j’aurais réagi si ce gars avait été partant. Non, je ne veux pas tromper Jérém. Mais j’ai tellement envie de sexe. Et ce gars me fait tellement envie ! Heureusement, la question ne se pose pas. Mais que se passerait-il si un jour je croise un mec qui me plaît et qui me fait des avances ?
Par ricochet, je pense à mon bobrun, soumis aux mêmes tentations dans une ville comme Paris, convoité par des nanas et des mecs. Contrairement à moi, si l’envie lui prend, il n’a qu’à claquer des doigts pour l’assouvir. Comment peut-il résister à des tentations si nombreuses ? Jusqu’à quand ?

Ce vendredi matin, en cours, je retrouve mes camarades. Tous, sauf Cécile, qui n’est pas là. Ce matin, je trouve mon camarade Raphaël particulièrement sexy, avec sa belle chemise bleu électrique avec deux boutons ouverts qui laissent entrevoir une petite pilosité très virile. Ce matin, il semble particulièrement de bonne humeur. Il finit par m’expliquer qu’il a passé la nuit à baiser « comme jamais » avec sa copine.
Plus les jours passent, plus mon attirance pour ce gars grandit doucement en moi. Depuis quelques temps, lorsque je suis avec lui, je ressens un tel frisson dans le ventre, un tel désir, que j’ai de plus en plus de mal à contrôler mes regards, et même à suivre les cours. Et ce matin, sa présence, son parfum, sa belle petite gueule, sa proximité m’excitent terriblement.
Ce vendredi midi, Monica et Fabien nous annoncent qu’ils ne viennent pas manger à la cafétéria et qu’ils ne viendront pas non plus au cours de l’après-midi.
Depuis quelques jours, j’ai remarqué que ces deux-là semblent inséparables. Je me demande si entre eux, il n’y aurait pas plus que de la camaraderie.
Comme Cécile n’est pas là non plus, je me retrouve à manger au resto U en tête à tête avec Raph.
« Fabien va tirer son coup ! » il me lance, alors que nous venons de nous installer à une table devant nos assiettes escalope purée.
« Tu crois ? ».
« Monica est prête pour se faire secouer ».
« Tu crois qu’ils sont ensemble ? ».
« Je ne sais pas s’ils sont ensemble, mais ce qui est sûr, c’est qu’ils vont baiser cet aprèm. Hier Fabien m’a dit qu’il avait acheté des capotes au cas où… ».
« Il t’a dit ça… ».
« Oui, hier ».
Je me fais la réflexion que ce n’est pas à moi qu’on parlerait de ce genre de sujet. Comme déjà au lycée, je n’existe pas pour ce genre de confidence entre mecs. Mais au fond de moi je me dis que c’est normal qu’il en ait parlé à Raph, car ce mec inspire la confiance et la camaraderie.
« Toi aussi tu vas pouvoir tirer ton coup… » il enchaîne, de but en blanc.
« De quoi tu parles ? ».
« Avec Cécile… ».
« De quoi ? ».
« Ne me dis pas que tu n’as pas remarqué qu’elle est folle de toi ! ».
« Mais non, on s’entend bien, c’est tout ».
« Mon cul, oui ! Non, ce n’est pas tout, en tout cas ce n’est pas tout de son côté à elle ».
« Tu dis n’importe quoi ! »
« Je t’assure, je sais reconnaître une nana prête à se faire secouer ! Mais t’as rien vu, sérieux ? Même Monica l’a vu ».
« C’est vrai, ça ? ».
« Mais t’es puceau ou quoi ? ».
« Non, non… mais… ».
« Et tu n’as rien vu ?! » il répète, sur un ton dépité « Mais t’es bête ou quoi ? Quand elle te regarde, elle a des étoiles plein les yeux ! ».
Soudain, je réfléchis à ma relation avec Cécile à la lumière les mots de Raph. Certes, au fil des cours, il s’est installé une complicité entre elle et moi. En cours, elle est tout le temps assise à côté de moi et j’ai l’impression qu’elle s’entend mieux avec moi qu’avec les trois autres. C’est à moi qu’elle demande d’expliquer des passages du cours quand elle n’a pas pigé.
Elle me questionne sur ma vie à Toulouse, elle s’intéresse à moi. C’est vrai que je suis le seul à qui elle pose autant de questions. Mais de là à ce qu’elle me kiffe, je n’avais pas fait le lien, vraiment pas.
Mais si même Monica a vu ça, c’est que ça doit être vrai…
« Si tu le dis… » je fins pas admettre.
« Je le dis, je confirme et je signe ! Elle a envie de toi ! ».

Je sèche les cours de l’après-midi pour prendre le train de 14 heures 37 pour Paris Montparnasse. Dans le train, je réfléchis toujours aux mots de Raphaël au sujet de Cécile. Je repense désormais à certains regards, à certains silences, à certaines attitudes. Et je me surprends à trouver flatteur qu’une nana s’intéresse à moi. Le fait de plaire fait du bien à l’égo, d’où que ça vienne. Même si cette attirance est à sens unique.
Car moi je sais qu’elle est à sens unique, et que je n’aimerai jamais Cécile plus qu’en tant qu’amie. Mais elle ne le sait pas. Je me dis que je ne peux pas la laisser se faire plus longtemps des illusions. Dès que je rentre sur Bordeaux, il faut que je lui dise que j’aime les garçons, pour qu’elle puisse passer à autre chose. Mais comment j’ai pu ne pas voir qu’elle s’attachait à moi ?
Le train roule à toute allure à travers la campagne. Dans la rame, rien n’attire particulièrement mon attention. Ce qui est à la fois plutôt décevant, car la bogossitude illumine l’existence comme un rayon de soleil, mais propice à la concentration, car en sa présence je suis assez incapable de me concentrer sur autre chose.
J’en profite pour plonger mon nez dans le deuxième tome de la saga d’Harry Potter. J’en suis à l’exfiltration d’Harry de la maison de l’oncle Vernon, en pleine nuit, par son pote Ron, au bord d’une voiture volante, lorsque quelque chose attire enfin mon attention. Nous venons de repartir de la gare d’Angoulême, après un arrêt de quelques minutes. Et le paysage dans ma rame a quelque peu changé.
Deux rangées plus loin, de l’autre côté du couloir, assis face à moi, un mec sexy à mort vient de s’installer. Genre 20 ou 21 ans je dirais, brun, même très brun, le regard bien ténébreux, bien viril, avec un petit bouc lui aussi très brun, mat de peau, l’air quand-même un brin racaille. Une impression rene par sa tenue, casquette noire vissée à l’envers sur la tête, veste à capuche avec le zip complétement ouvert, laissant apparaître un t-shirt blanc à col rond sur lequel est posée une chaînette de mec assez épaisse. Il porte également un jogging en tissu molletonné gris laissant deviner une bosse plutôt prometteuse, ainsi que des baskets jaunes et bleu fluo, et des chaussettes blanches en coton.
Bref, le mec est sexy à un point que le simple fait de le regarder, sans même avoir pu croiser son regard, provoque ce flottement si agréable de l’esprit qui ressemble à la fois à une douce ivresse et à une gueule de bois terrible, ce flottement qui est l’éternelle oscillation entre désir et frustration.
Le bogoss est accompagné d’une pétasse vulgaire à souhait qui est accrochée à son cou comme une moule a son rocher. Quel dommage que très souvent, chez les p’tits cons, chez les petits kékés sexy, leur degré de sexytude ne soit égal qu’à leur mauvais goût en matière de nanas.
Plus je le regarde, plus je me dis que le gars dégage une sensualité intense, avec un je-ne-sais-quoi d’animal. Je ne peux m’empêcher de me dire que si sa dinde est aussi folle de lui, c’est qu’elle doit l’être de son corps, de sa queue, de ses coups de reins, de sa virilité. J’imagine le bogoss en train de la baiser, et la nana en train de crier son plaisir. J’essaie d’imaginer le mec en train de prendre son pied, en train de jouir. Je bande.
Après d’innombrables bisous baveux sur l’une des jolies oreilles sexy du bogoss, la pouffe se décolle enfin. Le mec vient de recevoir un message sur son portable, le montre à la nana, qui le prend dans sa main. Ça doit être un truc drôle, car le bogoss se marre. Mais pas la nana. Au contraire, elle semble vexée. Et le mec a l’air de se moquer d’elle, son visage s’illumine d’un beau sourire amusé et plein de malice qui ajoute de nombreux degrés supplémentaires à une sexytude déjà incandescente.
Puis, un instant plus tard, alors que la nana semble en train de répondre au message, le bogoss s’étale complètement dans son fauteuil, il avance nonchalamment le bassin sur le siège, il écarte un peu ses cuisses, il glisse les mains dans ses poches. Attitude qui déclenche instantanément en moi une furieuse envie de me retrouver à genoux entre ses cuisses et d’avaler sa virilité.
Et là, il fait le truc qui me rend dingue. Ça ne dure qu’une ou deux secondes, mais je suis sûr d’avoir détecté qu’il se touche la queue et les couilles à travers la poche. Son geste ne dure vraiment pas longtemps, mais il a le pouvoir de me rendre fou. Puis, le bogoss reprend son portable. La grognasse se recolle à son cou et recommence à le dévorer de ses lèvres trop rouges. Je me demande s’ils ont baise hier soir, s’ils vont le faire tout a l’heure…
Nous allons arriver en Gare de Blois lorsque le bogoss se lève, suivi de sa pouffe. Et une fois debout, il a ce geste s’un érotisme inouï à mes yeux, il lève les bras, il plie les coudes, il croise les mains derrière la tête, il penche le buste et la tête en arrière. Bref, il s’étire.
Et là, par la magie des glissements des tissus, les pans du pull s’écartent, le bas du t-shirt glisse vers le haut, dévoilant au passage l’élastique de son boxer, ainsi que les deux lignes convergentes et assez marquées du pli de l’aine. Le t-shirt remonte encore un peu, jusqu’à dévoiler une petite mais très excitante portion de pilosité brune sortant de l’élastique du boxer et remontant tout droit en direction de son nombril. Image d’un instant, et néanmoins furieusement érotique, scandaleusement érotique. D’autant plus que ce geste me rappelle certaines attitudes de mon bobrun pendant que je suis à genoux devant lui, en train de rendre honneur à sa virilité comme il se doit. Quand je pense que c’est cette pouffe qui se tape ça !
Je regarde le mec s’éloigner dans le couloir, les tripes vrillées à l’idée de le voir disparaître de ma vue dans un instant. D’autres passagers se lèvent, le bogoss est englouti par une foule anonyme. Adieu beau brun sexy à mort qui a illuminé de ta présence une partie de mon trajet vers Paris !
Le train relance sa course, et pendant quelques minutes l’écho de la présence sexy du beau brun à casquette vibre encore dans ma rétine, dans ma mémoire, dans mon esprit, dans mes entrailles.
Ce n’est qu’au bout d’un petit moment que j’arrive enfin à retrouver Harry et Ron en train de se faire malmener par le saule cogneur du château de Poudlard.
Le souvenir du beau brun à casquette s’estompant peu à peu de ma mémoire, je frémis à l’idée de retrouver mon bobrun à Paris.
Car, si chaque bogoss qui rentre dans mon horizon suscite en moi des désirs et des fantasmes, ces derniers disparaissent au moment même où le bogoss en question disparaît de ma vue et de ma vie. Car, même si je ne peux m’empêcher d’être aimanté par la bogossitude, je n’ai aucune envie de tromper Jérém, aucune. Mais c’est quand-même dur de ne pas faire l’amour pendant deux semaines,
Ça doit être la même chose pour lui. Est-ce que mon Jérém, très porté sur le sexe, a tenu bon ? Est-ce que je ne risque rien en continuant à coucher avec lui sans me protéger ? Je ressens un frisson douloureux en me posant ces questions.
Mais comment affronter le sujet de la protection ? Comment lui imposer une capote sans le braquer, sans lui faire comprendre que je ne lui fais plus confiance ou sans provoquer en lui le doute que j’ai pu prendre un risque de mon côté ? Comment mettre une capote entre nos deux désirs, au beau milieu de notre complicité sexuelle sans lui mettre un sacré coup ? Comment exiger une capote dont je n’ai, par ailleurs, pas du tout, mais pas du tout envie ?
Je me pose trop de questions, je ne suis pas bien. J’ai besoin d’être rassuré, j’ai besoin de retrouver confiance, j’ai besoin de penser à autre chose.
Je sors de la poche de mon blouson les deux petits cadeaux emballés dans du papier cadeau. Je pense que les photos de Campan vont lui faire plaisir. J’espère que ça va être le cas aussi pour cette nouvelle chaînette de mec que je lui ai achetée dans la semaine.
Moi, en tout cas, je l’aime beaucoup. Dès que je l’ai vue dans la bijouterie de la rue Sainte Catherine, avec ses mailles brillantes, épaisses sans l’être trop, et dès que la vendeuse me l’a mise dans mes mains, en me demandant « c’est un cadeau ? », dès que j’ai senti son poids et sa texture entre mes doigts, je me suis dit que ça lu irait à ravir. Je suis impatient de la voir pendouiller de son cou, se poser sur ses pecs, et de la voir onduler au gré de ses va-et-vient pendant qu’il me fait l’amour.
Oui, plus je m’approche de Paris, plus j’ai envie de lui. Ah putain, comment il me tarde ! Je compte les heures et les minutes qui me séparent de nos retrouvailles.
Je suis tellement content qu’il ait son appart et que nous puissions nous voir tranquillement. Et je suis tellement content qu’il ait accepté que je vienne le voir. Je trouve que c’est une belle preuve d’amour.
A l’approche de Paris, le train ralentit. Il est 17h20, nous sommes à l’heure. Au gré des virages du chemin de fer, j’arrive à apercevoir la tour Eiffel au loin. Paris est là, juste devant moi. Les battements de mon cœur redoublent d’intensité et de vitesse.


Prochain épisode « 0231 Sous le ciel de Paris (partie 1/3) », dans moins de 10 jours.

Comments:

No comments!

Please sign up or log in to post a comment!