Le Cirque

On était tous à bicyclette accrochés d’une main au camion rouge et jaune des romanichels. Nous les gosses du quartier.
On formait comme une tortue qui avançait lentement par les rues dans les stridences des hauts parleurs du camion.

Le parleur était un clown qui malaxait ardemment son micro en passant sa tête de clown par la fenêtre ouverte du camion. Le microphone était magnifique, tout d’acier chromé avec des stries fines parallèles, on aurait dit le micro des Platters de only you.

Le nez du clown était rouge et nous les gamins à vélo on riait.

Ce soir grand spectacle sur la place de la forêt, le cirque Zaglione vous présente ses attractions internationales. Les fauves lions tigres et léopards et leur dompteur, Zaglione lui-même, les filles de trapèze jeunes fines et sportives bondissantes de trapèze en trapèze sans filet, la jolie Lyudmila contorsionniste dans la cage du serpent python et puis moi, le clown Patate qui rigole et fait rigoler.
Il y aura aussi le magicien qui tourneboulera la comprenette de tout un chacun avec sa baguette et son chapeau.

Moi, les trucs dont je rêvais c’étaient surtout le magicien avec son chapeau claque et Lyudmila. Allez savoir pourquoi…

Lyudmila était brune et toute frêle. Elle me plaisait bien.

Nous les gars de la Place de la Forêt on avait un privilège. Vu qu’on avait aidé tout du matin à placer les bancs en amphithéâtre autour de la scène, on avait droit à assister aux répétitions de l’après-midi avant le spectacle du soir.

La scène était ronde et son sol était jonché de sciure de bois. De part et d’autre de la scène il y avait les deux mâts du cirque qui tenaient en hauteur la toile. En réalité la toile n’était que prétexte que décor. En plein mois d’août il ne pleuvrait assurément pas.
Mais un cirque qui n’aurait pas eu de grande tente n’aurait pas été un vrai cirque.

Les Romano’s prenaient le café à l’ombre d’une roulotte à l’ancienne.

Le canasson hippomobile tracteur bouffait l’herbe de la place de la Forêt à côté, nonchalant, même pas attaché, libre … exprimant ainsi le bonheur de vivre de ces gens-là en toute simplicité.

Moi j’étais là à traîner.
Celui qui me plaisait, c’était le magicien. J’ai toujours été fan d’énigmes, de ces habiletés qui subjuguaient.
Mais celle qui me plaisait surtout c’était Lyudmila et son corps longiligne frêle mais musclé. Lyudmila la contorsionniste brune aux cheveux longs peignés en tresses qui balayaient ses épaules et descendaient jusqu’au milieu du dos.

Elle me faisait penser aux squaws des westerns américains, fille sauvage et libre à regagner les plaines.

J’étais curieux de voir sa prestation, d’autant que j’ignorais la signification exacte de contortionisme. Elle m’avait parlé le matin quand je déchargeais avec les copains les planches de bois, qui feraient les bancs, du camion afin de les assembler devant la scène, derrière les chaises du parterre.
Elle m’avait parlé tout sourire. Elle m’avait dit, vois là tu vas construire le paradis. Le paradis au cirque c’est le lieu des s. C’est au dessus, c’est dur à la fesse, c’est branlant pas très solide. Le paradis ce sont ces bancs en équilibre instable où il fait bon se serrer les uns contre les autres en sautant criant chantant pour dire son bonheur du spectacle.
Au paradis il n’y a que les s car les places y sont à moitié prix.

Ludmila m’avait dit, mon numéro je le ferai pour toi. C’est toi que je préfère. Alors tu devras faire la claque pour moi et entraîner tout le public en applaudissements et acclamations.
Si mon numéro te plaît bien, alors je te mènerai à ma roulotte et tu pourras me biser de partout en tendresse et en amour.

Et elle riait et moi je chavirais.

Alors vous dire que j’étais là à traîner tandis que les gens de cirque prenaient le café à l’ombre d’une roulotte à l’ancienne.

Ils m’ont convié à partager.

J’avais vu la mama avec sa boîte de conserve montée sur un fer à béton en forme de manivelle tourner le café vert dessus les braises. J’avais senti l’odeur forte du café torréfié. J’avais vu comment elle écrasait les grains noirs avec son pilon de marbre puis disposait la poudre dans les troncs de cône de laiton les recouvrant de sucre roux.
La bouilloire était posée sur les braises et la vapeur s’échappait de partout. Elle avait empli chacun des petits pots d’eau bouillante. Et puis après longue attente les hommes avaient versé le liquide dans leur tasse de faïence un peu ébréchée un peu brunie par les années de tanins en tenant fermement le manche de bois.

On est loin des Nespresso de notre monde moderne…

Lyudmila est sortie de la roulotte et s’est glissée auprès de moi, furtive comme salamandre. Ma main a pris sa taille. On a partagé la tasse de café. Plus de matière que de liquide. Mais c’était bon de partager.
Et puis la communauté gitane m’avait accepté, comme goy adoubé par Lyudmila.
J’étais un homme heureux.


Le numéro de contorsion était assez époustouflant, assez osé.
Lyudmila était amenée en cage de bois, cage à poulets, sur la scène par deux Hindous enturbanés de la tête mais du bassin aussi. On se demandait s’ils portaient au moins un slip en dessous vu le lâche de l’emmaillotage et les circonvolutions du bandeau.
La cage à poulets très plate ne permettait aucun mouvement et ma pauvre Lyudmila était bien coincée.
Les Hindous ont posé la cage sur deux tréteaux afin que tous puissent bien voir.
En fait bien mater le petit corps gracile de ma Lyudmila. Elle portait un body blanc tout fin tout léger. Les bretelles descendaient bas et le haut du body ne cachait pas grand chose de ses petits seins de très jeune fille pas encore bien développée.
Sur son bassin sur ses fesses le body était bien plus chaste et emballait haut son pubis charnu et velu. Le gonflé tendait le tissu léger et ne laissait rien ignorer de son abricot fendu couvert de toison épaisse.


Quand le python est entré en scène il y eut comme un frémissement. Un python, c’est long. Donc sa tête était là haute sur une ondulation de son long corps, regardant Lyudmila dans la cage à poulets avec des yeux d’hypnotiseur affamé.

Lyudmila dans la cage, immobilisée à la merci de la bête, souriait.
On aurait dit David Crockett à la chasse aux castors. Sourire en invite pour faire entrer le castor dans sa besace. La chasse au sourire.

La bête a passé sa tête entre les barreaux et est venue aux lèvres de la fille dardant une langue longue et fendue en Y, intrusive.
Lyudmila ne s’y est pas opposée, acceptant la visite au creux de sa gorge du tentacule froid et ondulant. On voyait bien que le numéro était rodé.

Nous les gars de l’assistance on pensait, tous, à des trucs qu’on ne doit pas dire ici.
Et on pensait en sus, nous, notre tentacule est bien plus chaud et bien plus doux. Et pas d’équerre comme certains que je ne nommerai pas.

La cage de bois plate posée sur les tréteaux était maintenant entièrement couverte emmitouflée enserrée du python. On ne voyait plus du tout Lyudmila.

Tous ceux des spectateurs qui avaient bandé en voyant cette sorte de fellation contre nature d’une femme sur un serpent avaient subitement débandé de voir la pauvre femelle humaine dorénavant à la merci d’un être froid et écailleux. Qui plus est, ondulant.

Mais Lyudmila était contorsionniste et je ne doutais pas qu’elle saurait s’échapper de la cage et aussi échapper au serpent.

L’idée qu’elle avait était bonne. Elle voulait faire échange et que le serpent se retrouve en cage lors qu’elle recouvrait, liberté.

Liberté, Liberté chérie.

Là nous on a rien compris de ses manœuvres des petits bras musclés de Lyudmila sur les anneaux du gros serpent des mouvements entre les barreaux de bois de la cage et du résultat étonnant de la fille toute frêle toute fine en body blanc qui ne cachait rien de son pubis velu sombre.
Et puis le grand serpent tout entier replié dans la cage à poulets de bois plate posée sur les tréteaux de la scène.

Lyudmila exultait. Elle sautait elle dansait et le pauvre python faisait grise mine enfermé.

Nous tous, au paradis, on bandait. Surtout moi qui savais qu’il y aurait une suite et que j’y étais personnellement convié

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