Histoire Des Libertines (60) : Coco Chanel, La Controversée.

Gabrielle Chasnel (1883-1971) est célèbre pour ses créations de haute couture, ainsi que pour les parfums portant son nom, elle est à l'origine de la maison Chanel, « symbole de l'élégance française».

Certains choix de vie de Coco Chanel sont à l'origine de controverses, en particulier son comportement et ses fréquentations pendant l'Occupation. Après avoir parlé de la vie de Joséphine Baker, authentique résistante, c’est un autre symbole de cette époque dont je vais parler.

Ce récit n’est pas celui de la maison de couture et du succès de Coco Chanel, mais celui de sa vie intime.

Je renvoie également au documentaire diffusé le 9 avril sur la Chaine Histoire (rediffusé régulièrement), intitulé «Les guerres de Coco Chanel», réalisé par Jean Lauritano, avec la voix de Lambert Wilson.

ENFANCE ET JEUNESSE DIFFICILES

Née hors mariage, Gabrielle est la deuxième fille d'Henri-Albert Chasnel, un camelot originaire de Nîmes et d'Eugénie Jeanne Devolles, une couturière, tous deux établis à Saumur et qui se marièrent un an après sa naissance.

La mère de Coco mourut en 1895, à Brive, à l'âge de 33 ans, épuisée par des grossesses successives, la tuberculose et le travail qu'elle effectuait sur les marchés de Paris dans le froid. La jeune fille n'a alors que douze ans. Son père la place, ainsi que ses deux sœurs, dans un orphelinat en Corrèze.

Le séjour de Coco Chanel dans cet orphelinat d’Aubazine n'est toutefois pas établi, et aucune preuve matérielle n'en existe. Au printemps 1896, Gabrielle Chanel vivait à Thiers, chez une cousine germaine de sa mère. Gabrielle Chanel, alors âgée de douze ans, y est bonne d's et domestique.

Pour échapper à un mariage , à 18 ans, Gabrielle Chanel se rend chez sa tante Louise à Moulins et s'inscrit chez les dames chanoinesses de l'institut Notre-Dame, où elle se perfectionne dans le métier de couseuse.

Vers 1907-1908, très courtisée, Chanel ne veut pas partager le sort anonyme des « cousettes », et recherche un avenir meilleur.



Elle fréquente alors le Grand café, lieu chic de la vie moulinoise où elle croise des officiers du 10e régiment de chasseurs à cheval stationné dans la capitale bourbonnaise. Elle les suivra dans un autre café-concert de la ville, la Rotonde. Gracieuse, avec sa lourde chevelure sombre comme son regard, ses seins sveltes qui marqueront son style et ses jambes maigres de garçon, elle devient bientôt la favorite de ces messieurs.

Bientôt, elle ose pousser la chansonnette et se met à rêver de music-hall. Âgée de vingt-quatre ans, elle se produit en spectacle devant les officiers qui la surnomment « Coco ».

LES PREMIERS AMANTS

Elle est convoitée par de nombreux jeunes garçons fortunés ou titrés, comme le riche Étienne Balsan, officier et homme du monde qui vient de quitter l'armée pour se consacrer à l'élevage de chevaux et aux courses. Il lui fait découvrir la vie de château au domaine de Royallieu près de Compiègne.

Pendant près d'un an elle apprend les codes et les usages de la haute société, mais l’idylle ne dure que quelques mois : elle se rend compte qu’elle ne l’aime plus, elle s'ennuie et pleure. Elle a vingt-cinq ans et nulle part où aller.

La fréquentation des relations de Balsan lui fait cependant rencontrer l'Anglais Arthur Capel, surnommé "Boy" ; elle devient sa maîtresse en 1909 et le suit à Paris, où il lui offre sa première boutique. Capel est un homme d'affaires qui fait ensuite fortune dans les frets charbonniers durant la Grande Guerre, et un homme de cheval possédant une écurie de polo. Cela va être un amour irrégulier et sincère qui dure dix ans, jusqu'à un accident de voiture en 1919 auquel il ne survit pas.

LES PREMIERS SUCCES : LIBERER LE CORPS DE LA FEMME

Devenue la compagne de Boy Capel, Coco Chanel développe ses activités grâce à son aide. En 1910, son amant britannique lui prête les fonds nécessaires à l'achat d'une patente et à l'ouverture d'un salon de modiste à Paris, sous le nom de "CHANEL MODES".


À l’été 1913, alors que le couple séjourne à Deauville, Boy Capel loue une boutique pendant deux étés consécutifs. Comme à Paris, elle est modiste mais l’enseigne est changée en mentionnant son nom complet : « GABRIELLE CHANEL » En 1915 à Biarritz, elle ouvre sa troisième boutique et première vraie maison de couture. Suivant son inspiration, elle raccourcit les jupes et supprime la taille. Elle veut libérer le corps de la femme.

En 1918, immédiatement après la guerre, elle commence à édifier peu à peu l’une des maisons de couture les plus importantes de l’époque, qui emploie plus de 300 ouvrières, et rembourse enfin Boy Capel, refusant le statut de femme entretenue. La guerre terminée, Boy doit prendre femme, selon les règles de l'aristocratie anglaise, et Chanel en éprouve une insupportable humiliation. Mais, comme sa mère, elle acceptera cette situation et continuera d'aimer Boy. La nuit du 22 décembre 1919, elle apprend qu'il s'est tué la veille au volant de son automobile. Alors que la guerre ne l'a guère émue, la mort de son amant l'affecte profondément, et, pour ne pas sombrer dans le chagrin, Chanel se raccroche à son travail. Le succès de ses modèles va grandissant et l'incite à développer encore sa maison.

En 1939, elle est à la tête d'une entreprise de 4 000 ouvrières qui fournissent 28 000 commandes par an.

INSPIREE PAR SES LIAISONS

Dans son documentaire, Jean Lauritano dit que, dans l’entre-deux-guerres, Coco changeait aussi souvent ses amants que ses collections !

Ses liaisons masculines lui donnent souvent des motifs d’inspiration, c’est ainsi qu’elle crée des robes à motifs slaves lorsqu'elle a une liaison amoureuse avec le Grand-duc Dimitri Pavlovitch de Russie, cousin du dernier tsar de Russie en exil qui lui aurait inspiré la forme du flacon de son célèbre No 5 (flasque de vodka des troupes russes). Elle est aussi la maîtresse du poète Pierre Reverdy, qui édite des aphorismes et citations de la couturière, avant que celui-ci, de plus en plus mystique, ne se retire à l'abbaye de Solesmes.
Son amant Paul Iribe travaille pour elle en tant que créateur de meubles tandis que son ami François Hugo, arrière-petit-fils de Victor Hugo, lui dessine des faux bijoux.

On a aussi prêté à Coco un flirt, voire une liaison avec le futur Edouard VIII, alors Prince de Galles et héritier du trône britannique.

Coco eut aussi pour amant Hughes Richard Arthur Grosvenor, IIe duc de Westminster, réputé l'homme le plus riche d’Angleterre. C’est lors de cette liaison qu’elle fit la connaissance de Winston Churchill. Westminster comprit toutefois qu’une femme comme Coco ne serait jamais admise dans les milieux aristocratiques et encore moins à la Cour. Ce fut certainement une nouvelle blessure pour Chanel.

AMIE DES ARTISTES

La pianiste Misia Sert, rencontrée en 1919 chez son amie Cécile Sorel, sera la meilleure amie de Chanel pendant l'entre-deux-guerres. Certains pensent que Misia fut plus qu’une amie pour Coco. Mais comme on ne prête qu’aux riches !

Misia tenait un salon où elle recevait l'élite culturelle et artistique de Paris ; elle a introduit Chanel dans ce milieu.

Égérie de nombreux peintres et musiciens du début du XXe siècle (Toulouse-Lautrec, Pierre Bonnard, Odilon Redon et Auguste Renoir), Misia Sert se fait connaître dans le milieu artistique parisien par ses talents de pianiste et par sa beauté. Elle fréquente Stéphane Mallarmé et Marcel Proust, puis Erik Satie, Colette, elle se lie avec Serge Diaghilev, Picasso, Cocteau et Serge Lifar et avec le secrétaire général du Quai d'Orsay Philippe Berthelot. Les journalistes la surnomment la "Reine de Paris".

La proximité de Chanel avec les artistes a été constante. Elle était une personnalité du Tout-Paris, amie de Cocteau, pour lequel elle créera des costumes de scène. Jeanne Toussaint est sa fidèle amie qui a toujours été là quand elle avait besoin.

Elle réalise également des costumes pour le cinéma, notamment, en 1939, pour La Règle du jeu de Jean Renoir.
On lui prête, en suivant Misia Sert, une liaison amoureuse avec le poète Pierre Reverdy à la fin des années 1930.

COLLABORATION ET FIN DE CARRIERE

L’annonce de la guerre donne à Chanel l'opportunité de représailles envers ses ouvrières qui, revendiquant de meilleurs salaires et conditions de travail, avaient « osé » arrêter le travail lors des grèves de 1936.

Gabrielle Chanel se consacre alors uniquement à son activité dans le domaine des parfums, dont la boutique reste ouverte. En 1941, elle tente d’évincer de la propriété des parfums la famille Wertheimer, au nom des lois antisémites.

Coco séjourne à l'hôtel Ritz dès les années 1920, elle y loue une suite au troisième étage, en 1937. Bien que l'hôtel réquisitionné soit devenu le quartier général de la Luftwaffe en 1940, elle dispose néanmoins d'une suite où elle vit durant la Seconde Guerre mondiale de 1941 à 1944 avec son amant, le baron Hans Gunther von Dincklage. Cet ancien attaché d'ambassade allemand appartient au renseignement militaire allemand, l'Abwehr. Ils ont une longue liaison amoureuse, qui se poursuivra après la fin de la guerre.

Coco fut recrutée comme espionne de l'Abwehr, devenant l'agent F-7124 sous le nom de code « Westminster » (en référence à son ancien amant le duc de Westminster), ce que confirme une fiche récemment déclassifiée des archives de la préfecture de police de Paris, concernant Gabrielle Chanel et portant le même numéro d'agent et le même nom de code. Chanel a été recrutée par le lieutenant Hermann Niebuhr qui l'a mise en relation avec le baron Louis de Vaufreland, ancien agent français de la Gestapo au Maroc et recruteur d'espions allemands, et l'a envoyée en mission en Espagne dès 1941. En 1943, un petit cercle au sein de l'armée allemande auquel est lié Hans Gunther von Dincklage voit dans la relation passée de Chanel avec le duc de Westminster et son amitié avec Churchill une carte à jouer. Cette tentative échouera.

En septembre 1944, à la Libération, Coco Chanel est brièvement interrogée par un comité d'épuration des Forces françaises de l'intérieur (FFI) mais relâchée deux heures après ; Winston Churchill, qu'elle connut en 1927 lors de sa liaison avec le duc de Westminster, serait intervenu en sa faveur.

En 1954, Chanel accepte de rouvrir sa maison sur l'insistance de ses commanditaires, les frères Wertheimer, qu'elle avait tenté de déposséder pendant l'Occupation et qui comptent sur sa présence pour relancer la « maison ».

Chanel devient de plus en plus tyrannique, s’enferme dans son monde fait d’essayages, de défilés, de mannequins et de courtisanes. Sèche et acariâtre, elle est très seule, accompagnée dans ses dernières années parfois par Jacques Chazot et surtout par sa confidente de longue date, Lilou Marquand. Elle déteste la jeunesse en minijupe ou en blue-jean, critique le féminisme. Elle souffre de blessures intimes jamais cicatrisées que masque mal sa réputation de « femme de fer » ne montrant pas son désespoir.

FAUT-IL REHABILITER « MADEMOISELLE » ?

Née pauvre, Coco n'eut de cesse que de masquer ses origines. Toute l'existence de cette reine de l'Allure oscille entre les éclats du succès, ses amours de haute volée et le bruit sourd de son destin solitaire.

Les hasards de la chronologie m’ont fait présenter Coco Chanel immédiatement après la grande Joséphine Baker, une autre reine de Paris. Je ne cache évidemment que ma préférence va à la résistance et non à la collaboratrice, à l’agent de liaison de la France libre et pas à celle qui fut soupçonnée de travailler pour l’Abwehr, à l’infatigable militante antiraciste plutôt qu’à celle qu’on a accusé d’antisémitisme.

Pour autant, il ne m’appartient pas de juger. Coco fut, elle aussi, une femme libre, un symbole de libération de la femme et de sa réussite, elle qui exécrait les féministes. Ayant perdu tragiquement Boy Capel, celui qui lui mit le pied à l’étrier et qui fut l’homme de sa vie, Coco eut un nombre certain d’amants, affirmant sa volonté farouche d’indépendance. Ne s’étant jamais mariée, n’ayant jamais constitué une famille, sa vie privée est au final un échec qu’elle dissimule dans un travail acharné et al construction d’une maison mythique. C’est au regard de ça que, sans occulter les zones d’ombre, il n’est pas question d’accabler une grande dame qui fut une icône de la mode, mais plus largement de Paris et de la France.

Je n’avais pas caché mon admiration pour Joséphine Baker. Ici, je n’ai pas eu peur d'égratigner le mythe Chanel, au regard de ses idées, proches de l’extrême-droite, de son comportement (antisémitisme et collaboration), sans jamais nier ni son génie de créatrice, ni qu’elle fut, elle aussi, une femme libre. Entre Joséphine et Coco, toutes les deux femmes qui assumèrent leur destin et leur liberté, je préfère d’évidence Joséphine, résistante, militante des droits civiques et de nombreuses autres causes libératrices.

PRINCIPALES SOURCES :

Outre l’article Wikipédia dont je me suis largement inspirée, je renvoie aux liens suivants :

• https://vivreparis.fr/portrait-de-femme-qui-a-marque-paris-coco-chanel/

• https://www.voici.fr/bios-people/coco-chanel#

Je rappelle également le documentaire «Les guerres de Coco Chanel» réalisé par Jean Lauritano, avec la voix de Lambert Wilson.

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