Erotisme Et Poésie (3) : « Lesbos» De Charles Baudelaire
Jai publié le 18 février 2020 « Erotisme et poésie (2) : « Les Bijoux » de Charles Baudelaire ».
Comme je lavais promis, je consacre un texte à un autre poème des « Fleurs du mal » qui fit scandale, « Lesbos ». Et naturellement, ma dédicace ira à ma compagne, à ma femme, ma douce Agun.
Je renverrai au texte précédent pour tout ce qui concerne Baudelaire, son recueil « Les Fleurs du mal » ainsi que le célèbre procès que lui attenta, en 1857, la censure du régime de Napoléon III.
COMMENTAIRES
Si Baudelaire nest pas le premier auteur français à avoir écrit sur lhomosexualité féminine, il semble, selon Paul Savouré (voir biographie) que ces femmes sont, pour Baudelaire, plus quun simple moyen de faire scandale, quelles sont a contrario pour le poète de véritables héroïnes. Cette fascination du poète pour le lesbianisme relève de son goût prononcé pour linsolite, létrange. « Ces femmes représentent pour lui des êtres « hors nature » qui dans une société imprégnée de valeurs bourgeoises incarnent une protestation contre lamour vu comme un outil ayant pour seule finalité la procréation et la famille. »
Les lesbiennes sont des femmes qui, en se dressant contre les conventions morales et intellectuelles du XIXème siècle, sont perçues par Baudelaire comme mises au ban de la société.
« Pour Baudelaire, lhomosexualité féminine porte le sceau de lamour idéal ». Lacte sexuel est une véritable hantise pour le poète.
Lamour saphique est pour le poète un amour infini. Il ne peut être détruit par la sexualité étant fait dun désir qui ne peut jamais être satisfait. Baudelaire projette son idéal féminin dans la poétesse Sapho.
Le thème de lhomosexualité féminine est soulevé. Le premier titre quenvisageait le poète pour son recueil de poésies était dailleurs « Les Lesbiennes », dénotant de lintérêt particulier quil porte à cette question, choquante à lépoque, puisquelle séloignait des conventions religieuses et morales établies.
« Lesbos » est, pour Baudelaire également un paradis perdu aux nombreux charmes ; cest une « terre des nuits chaudes et langoureuses », « aimable et noble », qui na perdu son éclat quà cause de la rencontre entre lhomme et la femme : « De Sapho qui mourut le jour de son blasphème / Quand, insultant le culte et le rite inventé, / Elle fit son beau corps la pâture suprême / Dun brutal dont lorgueil punit limpiété ».
Ainsi, lauteur effectue une subtile inversion, qui place désormais le pêché sur le couple hétérosexuel, et emploie des termes religieux, tels « blasphème », « culte », « rite », ou encore « impiété », détournés de leur utilisation première.
CE POEME ET MOI
Le premier texte que javais publié le 14 août 2017 dans la série « Histoire des libertines » fut consacré à Sappho : « Histoire des libertines (1) : Introduction et Sappho la poétesse de Lesbos ».
Ce nétait pas un hasard dû à la seule chronologie qui situe la poétesse de Mytilène entre -630 et -580.
Ce nest pas seulement non plus la conséquence de mes origines. Ce nest pas même dû à ma bisexualité.
Jai en fait découvert Sappho à travers ce poème de Baudelaire, parce que javais trouvé, comme je lai raconté, les « Fleurs du mal » dans la bibliothèque familiale.
Ouverts desprit, pétris de culture française, mes parents navaient pas jugé utile de placer le recueil de poésie baudelairienne dans « lenfer « de la bibliothèque familiale, qui était censée mêtre interdit. Précaution vaine dailleurs, comme je lai déjà expliqué à propos dautres ouvrages qui, eux, nauraient pas dû passer dans mes mains et auxquels jai eu accès, dune part parce que linterdit accroissait mon intérêt, dautre part parce quon avait voulu me laisser accéder aux lectures défendues.
Pour en revenir aux Fleurs du Mal, ladolescente que jétais a dévoré les poèmes de Baudelaire et était particulièrement attirée par les textes qui avaient fait lobjet de la censure du Second Empire. Par rapport à ce quon peut découvrir aujourdhui sur le net, ces poèmes suggestifs peuvent sembler bien timides. Et pourtant, ils me troublaient et en particulier ce poème Lesbos.
Javais essayé den parler à ma mère et je me suis heurtée, ce nétait pas la première fois, à un refus, se contentant de me dire que « ce ne sont pas des choses pour ton âge ». Comme jinsitais, je me suis faite traitée de « vicieuse ».
Comme souvent, cest auprès de mon père que je men suis ouverte. Il ma expliqué qui était Sappho et ma permis de découvrir les fragments de ses poèmes. Jai fini par lui demander si une femme pouvait en aimer une autre et, au lieu de me rabrouer, il ma répondu que oui, que tout amour était dans la nature et que lamour entre femmes était une chose particulièrement belle, un bonheur qua chanté Sappho.
Ce sont ces lectures, le trouble quelles causaient chez moi, qui ont fait que naturellement je suis devenue bisexuelle le jour même où, déflorée, je devenais une femme, comme je lai raconté dans le premier texte que jai publié sur HDS (voir « Olga l'hypersexuelle et Philippe le candauliste. Comment j'ai découvert mon hypersexualité », publié le 29 novembre 2016)
Je publie à nouveau ci-dessous et complète des extraits de la conclusion de larticle que jai consacré à Sappho sur HDS.
Jai toujours vu ma bisexualité comme un plus : être bi, cest justement avoir le choix non pas dun sexe mais dune personne, et ce choix est bien plus élargi pour moi que pour les hétéros et les homos.
Je ne remercierai jamais assez ce couple, Gianni et Maria qui ont successivement fait de moi une femme, en me déflorant, puis une bisexuelle. Cest une des meilleures choses qui me soit arrivée dans la vie ! À mes yeux, être bi, cest aimer lêtre humain tout simplement.
Ma bisexualité me permet de réaliser une chose qui semble impossible, le « poly amour ». Avec deux personnes du même sexe, cela semble impossible ou en tout cas ne saurait durer. Avec un homme et une femme, avec Agun et Philippe, nous prouvons que cest possible et jajouterai que cest indispensable à mon équilibre.
Les relations amoureuses saphiques sont souvent plus intenses et plus complices ! Autre particularité : dans le couple lesbien, pas de hiérarchie des rôles prédéterminée comme dans les couples hétéros. Le couple lesbien est souvent de type très fusionnel.
Dans mes relations avec mes amantes, jadopte alternativement des positions passives ou actives. Les choses ont beaucoup changé depuis que je suis en couple avec Agun. Avec elle, je suis de préférence active, elle est ma femme avec qui jaime prendre linitiative.
Entre femmes, on est moins pudiques, on ne craint pas de montrer nos fragilités à lautre. Alors, on se dit beaucoup quon saime, quon a besoin lune de lautre. Cette attitude se répercute sur notre sexualité, qui est très douce, très « amoureuse » ce qui nexclut pas la franchise : au lit, on sait dire quand on aime ou pas ! Une femme avec une femme, ça ne fait pas semblant.
Hypersexuelle avec les hommes et ayant connu un grand nombre damants, je ne le suis pas avec les femmes. Et sil mest arrivé davoir des relations saphiques uniquement basées sur le sexe, le nombre de celles qui furent mes amantes est de loin plus faible.
Depuis plus de six ans, aux côtés du couple officiel que je forme avec Philippe, il y a mon couple avec Agun, dont jai parlé longuement dans « Philippe, le mari candauliste et Olga, lépouse hypersexuelle (52) : Agun mon amour, mon épouse », publié le 14 novembre 2018. Oui, Agun est ma femme, mon épouse, mon roc, grâce à qui jai pu réparer les dégâts que javais faits et qui, sans elle, auraient été irréversibles.
Avant de publier le magnifique texte ne résiste pas à la tentation de reproduire ce poème de Sappho, que je dédicace également à Agun : « Ode à une Femme aimée »:
SAPPHO : « ODE A UNE FEMME AIMEE »
« Lhomme fortuné quenivre ta présence
Me semble légal des dieux, car il entend
Ruisseler ton rire et rêver ton silence,
Et moi, sanglotant,
Je frissonne toute et ma langue est brisée:
Subtile, une flamme a traversé ma chair
Et ma sueur coule ainsi que la rosée
Âpre de la mer;
Un bourdonnement remplit de bruits dorage
Mes oreilles, car je sombre sous leffort,
Plus pâle que lherbe, et je vois ton visage
À travers la mort
»
TEXTE DU POEME DE BAUDELAIRE : LESBOS
Mère des jeux latins et des voluptés grecques,
Lesbos, où les baisers, languissants ou joyeux,
Chauds comme les soleils, frais comme les pastèques,
Font l'ornement des nuits et des jours glorieux,
Mère des jeux latins et des voluptés grecques,
Lesbos, où les baisers sont comme les cascades
Qui se jettent sans peur dans les gouffres sans fonds,
Et courent, sanglotant et gloussant par saccades,
Orageux et secrets, fourmillants et profonds;
Lesbos, où les baisers sont comme les cascades!
Lesbos, où les Phrynés l'une l'autre s'attirent,
Où jamais un soupir ne resta sans écho,
À l'égal de Paphos les étoiles t'admirent,
Et Vénus à bon droit peut jalouser Sapho!
Lesbos où les Phrynés l'une l'autre s'attirent,
Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses,
Qui font qu'à leurs miroirs, stérile volupté!
Les filles aux yeux creux, de leur corps amoureuses,
Caressent les fruits mûrs de leur nubilité;
Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses,
Laisse du vieux Platon se froncer l'il austère;
Tu tires ton pardon de l'excès des baisers,
Reine du doux empire, aimable et noble terre,
Et des raffinements toujours inépuisés.
Laisse du vieux Platon se froncer l'il austère.
Tu tires ton pardon de l'éternel martyre,
Infligé sans relâche aux curs ambitieux,
Qu'attire loin de nous le radieux sourire
Entrevu vaguement au bord des autres cieux!
Tu tires ton pardon de l'éternel martyre!
Qui des Dieux osera, Lesbos, être ton juge
Et condamner ton front pâli dans les travaux,
Si ses balances d'or n'ont pesé le déluge
De larmes qu'à la mer ont versé tes ruisseaux?
Qui des Dieux osera, Lesbos, être ton juge?
Que nous veulent les lois du juste et de l'injuste ?
Vierges au cur sublime, honneur de l'archipel,
Votre religion comme une autre est auguste,
Et l'amour se rira de l'Enfer et du Ciel!
Que nous veulent les lois du juste et de l'injuste?
Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre
Pour chanter le secret de ses vierges en fleurs,
Et je fus dès l'enfance admis au noir mystère
Des rires effrénés mêlés aux sombres pleurs;
Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre.
Et depuis lors je veille au sommet de Leucate,
Comme une sentinelle à l'il perçant et sûr,
Qui guette nuit et jour brick, tartane ou frégate,
Dont les formes au loin frissonnent dans l'azur;
Et depuis lors je veille au sommet de Leucate,
Pour savoir si la mer est indulgente et bonne,
Et parmi les sanglots dont le roc retentit
Un soir ramènera vers Lesbos, qui pardonne,
Le cadavre adoré de Sapho, qui partit
Pour savoir si la mer est indulgente et bonne!
De la mâle Sapho, l'amante et le poète,
Plus belle que Vénus par ses mornes pâleurs!
L'il d'azur est vaincu par l'il noir que tachète
Le cercle ténébreux tracé par les douleurs
De la mâle Sapho, l'amante et le poète!
Plus belle que Vénus se dressant sur le monde
Et versant les trésors de sa sérénité
Et le rayonnement de sa jeunesse blonde
Sur le vieil Océan de sa fille enchanté;
Plus belle que Vénus se dressant sur le monde!
De Sapho qui mourut le jour de son blasphème,
Quand, insultant le rite et le culte inventé,
Elle fit son beau corps la pâture suprême
D'un brutal dont l'orgueil punit l'impiété
De celle qui mourut le jour de son blasphème.
Et c'est depuis ce temps que Lesbos se lamente,
Et, malgré les honneurs que lui rend l'univers,
S'enivre chaque nuit du cri de la tourmente
Que poussent vers les cieux ses rivages déserts.
Et c'est depuis ce temps que Lesbos se lamente!
Charles Baudelaire
REFERENCES
Outre les références générales déjà indiquées dans « Erotisme et poésie (1) », publié le 17 décembre 2019, je mentionnerai, au sujet de ce poème de Baudelaire, le lien suivant :
https://netboardme.s3.amazonaws.com/published/1790/files/efefdebb302576ac7af123957b69322b.pdf: Lidentité féminine dans luvre de Charles Baudelaire, par Paul Savouré
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