Clorinde, Ma Colocataire (22)
Le lendemain matin, devant son café au lait, elle tirait une tronche de douze kilomètres.
Holà ! Ça va pas, toi !
Ah, non, ça allait pas, non !
Faut que jaille à la fac. Je peux pas y couper : il y a un partiel. Et ça memmerde !
Si vous saviez ce que ça memmerde. Parce que, de toute façon
Elle a soupiré, léché sa cuillère.
Vu que jai strictement rien révisé
Bon, mais vous allez faire quoi, vous, pendant ce
temps-là ?
Un petit tour à la pétanque, sûrement !
Ben, tiens ! Bonne chance alors ! Vous me raconterez ?
Tu sais bien que oui !
Mégane était là, toute seule, fidèle au poste, à sentraîner.
Vous allez croire que jy passe ma vie, mais il me reste tout un tas de congés à
prendre. Alors jen profite. Et puis il faut bien que de temps en temps, il y ait
quelquun quassure une permanence ici. Bon, mais vous voulez jouer ?
Cétait pas de refus, oui.
Et moi, ça marrange. Parce que jouer toute seule, cest pas vraiment lidéal.
On a équitablement entrelacé parties et pauses. Des pauses dont jai profité pour essayer
de la faire parler un peu delle. De son métier.
Oui, oh, vous savez, caissière en grande surface, ça na rien dexaltant.
De ses hobbies.
À part la pétanque, je peux pas dire quil y ait grand-chose qui me passionne.
Elle avait des s ?
Oui, oh, alors là, cétait un sujet
Elle aurait aimé, oui. Évidemment quelle aurait
aimé. Comme tout le monde. Seulement
Votre mari nen veut pas.
Cest pas quil en veut pas, cest que
Elle a marqué un long temps darrêt.
Il ma pas touchée depuis six mois.
Ah !
Elle a haussé les épaules.
Ce qui revient au même, finalement.
Je voulais pas être indiscret, mais
Il a quelquun dautre ?
Peut-être. Elle savait pas. Il y avait des jours où elle se disait que oui, ment, il
avait une maîtresse.
Ce quil y a de sûr, par contre, cest quil me voit plus. Je suis complètement
transparente à ses yeux. Et ça fait mal. Vous pouvez pas savoir ce que ça fait mal. Et
comment voulez-vous, en dehors du fait quil se passe plus rien entre nous sur le plan
sexuel, comment voulez-vous que je puisse envisager davoir des s avec lui ? Alors
que jarrête pas de me demander combien de temps ça va pouvoir encore durer comme ça tous
les deux ? Si cest pour quon se sépare six mois après et que le gamin soit ballotté en
permanence de droite et de gauche, non, merci bien.
Vous laimez encore ?
Elle a poussé un profond soupir.
Que je laie aimé, ça, cest sûr. On a eu trois ans de pur bonheur. Sans le moindre
nuage. Et puis, petit à petit, ça sest effiloché. Comment ? Pourquoi ? Ça reste pour moi
un mystère. Peut-être quil y a un cap quon na pas su franchir. Ou que cest dans
lordre des choses. Ce que jéprouve pour lui maintenant ? Franchement, je sais pas. Je
sais plus. Peut-être que le mot qui conviendrait le mieux, ce serait affection. Une
certaine affection. Et cest horrible, si on y réfléchit bien.
Elle sest levée.
Mais je vous embête avec mes histoires.
Pas du tout, non.
Allez, venez, on joue.
* *
*
Elle a jeté son sac sur le fauteuil, près de lentrée.
Alors ! La bouliste ? Eh ben, racontez, quoi !
Elle ma écouté, jusquau bout, sans jamais minterrompre, avec infiniment dattention.
Cest tout ?
Cétait tout, oui.
Cest clair comme de leau de roche où elle veut en venir, attendez ! Parce quune nana
qui fait des confidences comme ça à un type quelle a à peine vu trois fois, elle a
ment des idées derrière la tête. Et là, elle y est pas allée par quatre chemins,
elle. « Il y a six mois quil ma pas tirée.
la peur ! Et je donne pas huit jours avant que vous layez grimpée dans votre lit.
Maintenant, je sais pas. Peut-être que cest le genre avec qui il va falloir que vous
mettiez quand même un peu les formes. Qui veut pas admettre que cest juste un plan cul.
Qui va vous demander dêtre son confident pour enrober tout ça. Qui en a peut-être
réellement besoin, dailleurs. Mais de toute façon, à larrivée, le résultat sera le
même. Ce sera nique-nique. Et je la comprends, la pauvre ! Parce que si cest être mariée
pour jamais voir le loup
Et à trente ans en plus
Elle a esquissé un petit sourire mutin.
Pourquoi tu te marres ?
Non. Pour rien. Je pense à un truc.
Ben, dis !
Oh, non ! Vous allez me trouver vraiment très très tordue.
Mais si ! Dis !
Non. Ce que jimaginais, cest que cétait à lhôtel là-bas que vous alliez la
retrouver. Dans la chambre même où son mari senvoie en lair avec sa collègue Alexandra.
Cest vrai que tes particulièrement tordue. Mais cest aussi ce qui fait ton charme.
Entre autres choses, bien sûr !
Bon, mais en attendant, puisquon parle dAlexandra, vous savez ce que jai fait
aujourdhui ?
Tavais pas un partiel ?
Si ! Mais je me suis tirée au bout de dix minutes. Ça servait à rien que je reste.
Quand on sait pas, on sait pas. Et donc, je suis passée lui rendre une petite visite à
Alexandra, histoire de voir comment elle avait vécu notre petite soirée dhier et,
surtout, ce quelle avait pensé de vous. Elle avait pas beaucoup de temps à maccorder,
parce quelle partait bosser, mais jai pas été déçue du voyage.
Comment ça ?
Ben, vous lui avez carrément tapé dans lil, oui ! Elle a pas arrêté de me chanter vos
louanges. Sur tous les tons. Comment vous êtes calme ! Rassurant ! Et puis beau avec ça !
« Il a vraiment un charme fou
» Non, mais alors là, elle me comprenait pas.
tout ! « Je peux te dire que moi, je vivrais sous le même toit quun type comme ça, je me
poserais pas de questions, alors là, je foncerais ! » Oh, mais elle pouvait, hein ! Je
ny voyais pas, pour ma part, le moindre inconvénient. Quelle se fasse plaisir ! Quelle
séclate ! Ben, franchement, elle avait bien envie de se laisser tenter. Parce quil y
avait des éternités quun type lavait pas remuée comme ça. Et donc, à moins quelle vous
inspire vraiment pas
Tu sais bien que si !
Ah, ben ça, vous me diriez le contraire. Vu comment vous lui matez le cul chaque fois
que loccasion se présente
Bon, ben il y a plus quà linviter. Et le plus tôt sera le
mieux. Comment vous allez jouer sur du velours, vous, nempêche
Mais son magnétiseur, là ?
Lui ? Il nen a pas été du tout question. Mais, à mon avis, cest pas le genre de fille
à qui ça pose un problème de courir deux lièvres à la fois. À vous non plus, jespère !
Parce que, si tout se passe bien, vous allez être pris entre deux feux, là. La maîtresse
et la légitime. Cest pas banal, avouez, comme situation. Je me demande dailleurs si
moi, pendant ce temps-là, je vais pas soccuper de son cas, du coup, au magnétiseur.
Histoire de faire bonne mesure. Oui, je crois bien que moi aussi, je vais me laisser
tenter.
Comments:
No comments!
Please sign up or log in to post a comment!