0235 Le Vent Change
0235 Le vent change
Le jeudi, je nai pas le moral. Deux semaines déjà que je nai pas revu mon Jérém. Son refus de me recevoir chez lui à Paris le week-end qui arrive na fait quexacerber mes inquiétudes.
En cours, Monica remarque que je ne suis pas bien. Je prétexte une mauvaise nuit de sommeil pour faire cesser les questions.
Le soir même, je me laisse traîner à une soirée étudiante.
« Ça te changera les idées » me lance Raph pour me convaincre à laccompagner.
Ça se passe dans un bar du centre-ville.
« Cest ta première soirée étudiante ? » il me demande alors que nous attendons pour rentrer.
Je dois vraiment avoir lair à côté de la plaque.
« Oui » je réponds sobrement.
« Les premières impressions que tu donnes de toi sont primordiales » il mannonce « La règle dor pour toi ce soir est : tâche de paraître sympa. Ta popularité future en dépend ».
« Je ferai de mon mieux ».
Le bar, plutôt du genre branché, est rempli détudiants qui, au premier regard, semblent samuser. Ou plutôt essayer de samuser, et boire en attendant.
Lalcool est partout, mais il nest pas la seule distraction de la soirée. Lodeur des joints, que je connais bien depuis les « révisions » de la rue de la Colombette, remonte à mes narines et me rappelle des souvenirs.
Evidemment, dans le bar il y a un certain nombre de beaux mecs qui aimantent mon regard sensible. Mais je nai pas le temps de bien détailler la faune masculine car je suis de près mon camarade Raph qui lui file tout droit vers un grand gaillard brun attablé en compagnie dautres gars. Ce dernier nest pas particulièrement beau, mais il est très souriant et il a lair très avenant.
« Hey, Franck, tu vas bien ? » lui lance Raph en lui claquant la bise.
« Hey, Raph, content de te voir ».
« Voici mon pote Nico ».
« Salut, moi cest Franck » fait le grand brun en me broyant la main avec une puissante poignée de mec.
« Salut ».
« Cest sa première soirée » précise Raph « il est un peu timide ».
« Mais ça cest pas grave, ça peut sarranger très vite. Tu bois quoi, Nico ? ».
« Euh
une bière blanche ».
« Cest une blague ! ».
« Je préfère commencer en douceur ».
Franck se marre, puis sadresse à Raph :
« Pour toi, ça na pas changé ? ».
« Yes, mec ! Vodka à flots ! ».
Evidemment, Raph connaît plein de monde. Et très vite il sen va saluer dautres gars et faire son numéro de charme à des nanas. Je me retrouve seul avec Franck, qui essaie de me mettre à laise en me demandant dans quel cursus je suis, comment sest passée ma rentrée. Plus je discute avec lui, plus je trouve que son affabilité et son humour sont des véritables atouts charme. Finalement, je ne le trouve pas si mal.
En conversant avec Franck, je commets une erreur de débutant : je vide ma bière beaucoup trop vite. Et comme létudiant en soirée a horreur du vide (dans le verre), je me retrouve aussitôt avec une nouvelle bière dans la main. Je nai pas soif, mais je ne peux pas refuser. Je propose de payer à mon tour, il refuse catégoriquement.
Une petite bande de mecs approche et vient le saluer. Ils commencent à discuter entre eux et je me retrouve isolé dans un environnement bruyant où je ne connais personne. Je fais un tout dhorizon et je narrive pas à repérer Raph.
Me voilà seul au milieu dune multitude de jeunes a priori comme moi mais au milieu desquels je me sens comme un étranger.
Comment aller vers les autres dans ce genre de soirée ? Vers qui ? Avec quel prétexte, quelle accroche ? Vers un mec, une nana ? Je ne saurai de toute façon comment my prendre, de quoi parler, comment trouver quelque chose dintéressant pour capter lattention, comment ne pas paraître à côté de la plaque, relou, ou ridicule.
Une nana approche et me demande une cigarette.
« Désolé, je ne fume pas
».
Et voilà. Si encore je fumais, ou si je buvais, ça pourrait créer des occasions.
Je minstalle au comptoir, ma bouée de sauvetage dans cette mer dinteractions dans laquelle je ne sais pas nager et dans laquelle je me noie. Je reprends une troisième conso, plus pour me donner un genre que pour une véritable envie.
Tant quà faire, je choisis un truc que jaime vraiment, un mojito. Réflexe proustien, en le savourant je repense illico à ma cousine Elodie. Quest-ce que cette soirée serait autrement marrante si elle était là à boire un mojito et à rigoler avec moi ! Soudain, je réalise quavec cette histoire de mariage, peut-être que notre complicité, nos sorties, nos vacances à Gruissan appartiennent déjà à une autre époque. Et cela me rend profondément triste.
Ne sachant pas comment bâtir un pont vers lautre, je me cantonne à la seule occupation qui ne me demande aucun effort, celle qui me réussit le mieux : lobservation de la bogossitude ambiante.
Je regarde les mecs en train de discuter, boire, déconner entre potes, ou essayer daborder des nanas. Ils essaient de les emballer, ils espèrent certainement tirer leur coup un peu plus tard dans la soirée. Car le but ultime, dans ces soirées, semble justement être celui de tirer son coup. Baiser est bien une forme de socialisation.
Cette soirée me rappelle les sorties dans les boîtes toulousaines, la Bodega, le KL, lEsméralda, des soirées passées à mater Jérém, Thibault et ses potes. Là aussi, le comptoir était souvent ma bouée de sauvetage.
Comme toujours, je regarde les mecs avec un regard à la fois fasciné et curieux, jessaie de deviner leurs attitudes et leur façon dêtre en les observant interagir entre eux. Tout en ménivrant de tous ces petits détails les yeux, le regard, la bouche, le sourire, les oreilles, les brushing, la barbe, la stature, la carrure, la plastique, une chaînette, un tatouage, la façon de porter un t-shirt ou une chemise ou un jeans, une attitude, une position du corps, une traînée de parfum toutes ces petites choses qui retiennent mon attention, une infinité de détails qui font se réveiller en moi quelque chose qui me fait vibrer, quelque chose qui me parle à chaque fois de lincessamment renouvelée beauté du Masculin.
Oui, la vision de chaque bogoss attire mon attention et ma fascination. Mais également de la tristesse, car chacun dentre eux, dune façon ou dune autre, me renvoie sans cesse vers mon Jérém qui me manque terriblement.
Je me surprends à caresser les mailles de ma chaînette, cette chaînette qui na pas quitté mon cou depuis notre séparation à Campan. « Comme ça, je serai toujours avec toi » il mavait dit, en la passant autour de mon cou. Et cest vrai, à chaque fois quau gré dun mouvement je sens les mailles glisser sur ma peau, je ressens un frisson en repensant au gars que jaime.
Le souvenir de ses coups de reins, la marque de sa puissance sexuelle dans ma chair, sest estompé au bout de quelques jours après mon week-end à Paris. Mais la caresse de cette chaînette, la marque de son amour pour moi, est toujours avec moi. Et elle me rappelle le souvenir de son regard amoureux lorsquil me la offerte, alors que, je le sais, elle comptait beaucoup pour lui. Cest un bout de son intimité que Jérém ma offert avec cette chaînette. Et elle me donne régulièrement dintenses frissons.
Jérém me manque, et jai peur, je ne suis pas tranquille vis-à-vis de ce qui peut se passer dans sa nouvelle vie parisienne. Lavenir de notre relation minquiète de plus en plus.
La nuit avance, lalcool rend les mecs entreprenants et les nanas moins farouches, et des alchimies dun soir commencent à se former. Comment ces soirées se terminent-elles ? Combien de ces gars baisent après la soirée, et avec qui ? Combien de potes hétéros, de colocataires saouls se laissent finalement aller et tentent une plaisante « expérience » entre mecs ? Est-ce quil y a dautres gays que moi dans ce bar ? Est-ce quils kiffent les mêmes gars que moi ? Est-ce quils se sentent aussi seuls et isolés que moi ?
Peu à peu, je sens une douce fatigue, comme une ivresse, monter en moi. Comme dhab, quelques bières, un verre et ça y est, je suis ko. Je commande un soda pour essayer de calmer le jeu.
Jattends ma conso lorsque je remarque un peu plus loin, assis au même comptoir, un petit mec seul lui aussi. Les cheveux châtains en bataille, un physique fin et élancé, habillé par un t-shirt bleu trop grand, le gars est plutôt mignon. Il a une bonne bouille, il a lair tout doux. Son regard dégage un je ne sais quoi de rêveur et de timide qui le rend craquant. Il a carrément une bonne tête à bisous et à câlins. Et il a lair de se faire chier tout autant que moi.
A un moment, le gars se tourne vers moi, il capte mon regard. Et après un petit instant de flottement, il me sourit. Demblée, il minspire un sentiment de sympathie et de tendresse.
Ça doit être lalcool qui me donne des ailes, mais quelques instants plus tard je fais quelque chose qui me paraît totalement inconcevable même à linstant où je le vis, et pourtant inévitable. Je me lève, je mapproche de lui et je lui parle.
« Salut » je lui lance, sans avoir la moindre idée sur comment je vais enchaîner.
« Salut. Moi cest Rubens » fait le petit mec en me tendant la main.
Ah beh, voilà un prénom pas banal et plein de charme. Tout comme le ptit gars qui le porte.
« Et moi cest Nico » je lui réponds en serrant la sienne qui est chaude et douce.
« Tu as lair de te faire chier » il me lance.
« Tas lair de te faire chier tout autant que moi, je me trompe ? ».
Je ne sais pas pourquoi je me sens si à laise avec ce petit mec. Une fois de plus, je mets ça sur le compte de lalcool.
« Non, tu te trompes pas ».
« Tu es dans quel cursus, Nico ? ».
« Sciences de la Terre ? Et toi ? ».
« Langues »
« Cest ta première soirée ? ».
« Oui. Et toi ? ».
« Aussi ».
« Tu es venu seul, Nico ? ».
« Non, avec un camarade de fac et toi ? ».
« Je suis venu avec une copine ».
Rubens a un regard à la fois pétillant et plein de douceur. Ça se confirme, ce petit gars est un véritable aimant à câlins.
« Tu es doù ? » il me questionne.
« De Toulouse et toi ? ».
« De Poitiers ».
« Tu ty plais ici à Bordeaux ? » il enchaîne.
Je suis en train de chercher une réponse pas trop banale à sa question lorsquune nana vient le voir.
« Hey, tu fais quoi ici tout seul ? » elle le questionne.
« Je me fais un nouveau pote. Sophie, je te présente Nico. Nico, voici ma copine Sophie ».
« Salut Nico ».
« Salut Sophie »
« Rubens, viens avec nous, mes potes taiment bien » lui lance cette dernière.
« Il se fait tard, tu veux pas plutôt quon y aille ? » fait le petit mec.
« Allez, fais un effort ».
« Jarrive, jarrive » fait Rubens, en quittant sa chaise de comptoir visiblement à contrecur.
« Ils me saoulent ses potes » il me lance, avec un regard complice. Avant denchaîner, visiblement très emballé par lidée :
« Eh, Nico, viens prendre un verre avec nous. Comme ça on pourra continuer à discuter ».
La proposition est tentante, mais mon ventre vient de décréter le couvre-feu de la boisson. Je sens les bières se battre avec le Mojito et le soda.
« Cest gentil, mais je ne vais pas tarder à y aller. Si je bois encore un verre, ça va mal se terminer » je suis contraint de prendre congé, alors que je sens monter en moi un mal au cur persistant.
« Comme tu voudras, Nico. En tout cas, ravi davoir fait ta connaissance ».
« Moi aussi jai été content davoir fait ta connaissance ».
« A un de ces quatre, peut-être ».
« Ça me ferait plaisir aussi ».
« Bonne nuit ».
« A toi aussi ».
Je le regarde rejoindre la tablée des potes de sa copine et sy installer. Je regrette que notre conversation se termine si tôt. Mais jai vraiment mal au cur. Mais pourquoi jai bu autant ?
Aux toilettes, je passe un sale quart dheure. Lorsque je reviens dans la salle, Rubens a disparu. Cest vraiment dommage, car ce gars avait lair très sympa. Jaime croire quon aurait pu devenir potes.
Je retrouve Raph sur un canapé en train de rouler des pelles à une inconnue.
« Ça va Nico, tu tamuses ? » il me lance, en reprenant son souffle.
« Ça va ».
« Je te présente Amandine ».
« Sandrine ! » fait la fille, vexée.
« Ah oui, pardon ! ».
« Je vais y aller » je lui annonce.
« Tu déconnes ! Il nest que 2 heures ! Le meilleur commence maintenant ! ».
« Je vais quand même y aller, je suis fatigué ».
« Allez, Nico ! ».
« Pour ma première soirée, cest déjà pas mal ».
« Allez, rentre bien mon pote ».
Le vendredi, je me réveille avec le moral plus bas que mes chaussettes. Il pleut. Toujours pas de nouvelles de mon Jérém. Je nai vraiment pas envie de partir en cours. Mais il le faut.
Et cest ce matin, alors que je suis en mode zombie, que quelque chose dinattendu se produit.
Pas de Justin lorsque jarrive à larrêt de bus. Mais deux minutes plus tard, je le vois arriver de loin sous un grand parapluie. Du coup, jattends quil soit assez convenablement proche de moi et je lui dis bonjour. Et là, il me balance son plus beau sourire, ainsi quun « bonjour » charmant, avec sa voix douce de mâle. Sa prise de main est toujours aussi virile.
Son sourire est tellement beau et engageant quil me donne enfin le courage de lancer une conversation.
Comme il pleut des cordes, le sujet est tout trouvé.
« Quel sale temps aujourdhui » je lance.
« Cest clair, cest un temps à rester au chaud au lit ça ! » il relance, tout en glissant un beau sourire qui, à lui tout seul, a le pouvoir de faire oublier la pluie.
« Passer la matinée à somnoler devant la télé, prendre un petit déj tranquille » je rêve à haute voix.
Justin semble hésiter à dire quelque chose, comme sil cherchait un truc sympa à balancer. Sur ce, un bus se pointe, mais il est plein à craquer. Des passagers descendent, dautres devant nous montent.
« Je crois que je vais attendre le prochain » il lance.
« Moi aussi ».
Le bus repart et du coup nous nous retrouvons tous les deux seuls sous labribus.
« Tu as lair davoir eu une nuit difficile » je lentends me lancer dès que le bruit du bus séloigne de nous.
« Oui, cest le mot, difficile ».
Le gars me sourit et ça fait du bien.
« Au fait moi cest Justin ».
« Et moi cest Nico ».
« Alors taurais bien fait la grasse mat » il me taquine.
« Oh que, oui, surtout après cette soirée ».
« Une soirée bien chargée ? ».
« Une soirée étudiante ».
« Tu es étudiant, alors ».
« Je suis à la fac de sciences en première année ».
« Et toi ? » je lui retourne tout naturellement.
« Moi je suis façadier. Tu vois, le crépi, lisolation
».
« Ah, tu travailles à lextérieur
».
« Eh oui
mais sil continue à flotter comme ça, le chef de chantier va nous mettre en intempérie. Surtout un vendredi ».
« Alors, cétait bien ta soirée ? » il enchaîne.
« Oui, pas mal. Mais je crois que ces soirées cest pas trop pour moi. Je ne suis pas du genre à aller vers les gens, et je me fais vite chier ».
« Tu es timide ».
« Oui ».
« Cest limpression que je me suis fait de toi ».
Sa remarque me touche, car elle dévoile le fait quil ma observé à son tour depuis que nous nous croisons.
« Je crois que je ne bois pas assez pour mamuser. Le fait est que je ne tiens pas lalcool ».
« Moi, en revanche, je le tiens très bien » il se marre.
Un nouveau bus approche, tout aussi plein que le précèdent. Comme nous sommes sur le bord du trottoir, nous arrivons quand même à nous faufiler à lintérieur. Mais nous sommes tellement serrés quil nest plus possible de discuter.
Au fil des arrêts, des gens sortent, dautres rentrent. Ça brasse dans tous les sens et Justin et moi nous nous retrouvons ballottés aux deux extrémités du bus.
Lorsque le bus arrive à mon arrêt de la fac, Justin est carrément à lautre bout du bus. Je le regarde, il me regarde, il me fait un signe de la main et il me lance un nouveau beau sourire. Je lui retourne le signe de la main, jessaye desquisser un sourire à mon tour, tout en me sachant incapable de lui en renvoyer un aussi beau que le sien.
La journée à la fac sécoule lentement. Le temps maussade donne limpression que tout se passe comme au ralenti. Jérém na pas voulu que je le rejoigne à Paris, le week-end sannonce comme profondément ennuyeux et rempli dangoisses.
Heureusement, jai une maman formidable. Le vendredi soir, elle mappelle pour me demander si je suis daccord pour quelle prenne le train et quelle vienne me voir le lendemain. Elle souhaite arriver samedi en fin de matinée et repartir le dimanche. Bien évidemment, cela me fait très plaisir.
« Cest une très bonne idée maman ».
« Comme ça on pourra se balader dans Bordeaux, je nai jamais mis les pieds dans cette ville ».
« Amène mon sac de couchage, comme ça je te laisserai mon lit ».
Après lannonce de la venue de maman, le week-end et sa solitude annoncée ne me font plus peur.
Je suis tellement requinqué par cette nouvelle, que je trouve le courage dappeler mon Jérém. Même si je me dis quil y a très peu de chances pour quil réponde, surtout un vendredi soir, car il doit assurément être de sortie avec ses potes. Je me dis quau pire je lui laisserai un message, histoire de lui faire sentir ma présence, histoire quil ne moublie pas.
Mais à ma grande surprise, mon bobrun décroche.
« Jallais justement tappeler ».
« Tu me manques, Jérém ».
« Toi aussi, ourson ».
« Tu vas faire quoi de ton week-end ? » il me questionne après un petit blanc.
« Maman vient me voir demain, je vais lui faire découvrir la ville ».
« Cest bien ».
« Jaimerais tellement que tu sois là avec moi ».
« Si je pouvais ».
« Tu penses que nous pourrons nous voir bientôt ? ».
« Dans quelques semaines ce sera la pause de Noël, ce sera plus facile ».
« Jespère quon se verra avant quand même ».
« Je ne sais pas Nico ».
« Jérém
».
« Il faut que jy aille, les gars mattendent ».
Jérém prend très rapidement congé. Dès le téléphone raccroché, je sens une profonde tristesse menvahir. Car je sens mon Jérém méchapper.
[A plusieurs centaines de bornes de là, dans son studio aux Buttes Chaumont à Paris, Jérémie vient de raccrocher à son tour. Il saffale dans son clic clac, il allume la console de jeu, il lance un match virtuel. Jouer à la console ça le détend dhabitude. Il essaie de se concentrer sur laction, mais il ny arrive pas.
Car il ressent un profond malaise au fond de lui. Quelque chose le tracasse. Ce coup de fil a été pénible pour lui. Mais ce qui le tracasse le plus cest de penser que ça a dû lêtre tout autant pour Nico. Il sait quil a fait de la peine à ce petit gars qui est si spécial à ses yeux. Et il déteste ça. Il se déteste pour ça.
Nico lui manque, il lui me manque beaucoup. Il a très envie de le voir. Sil sécoutait, il le rappellerait pour lui dire de venir le rejoindre dès que possible. En fait, il beaucoup plus envie de le voir ce week-end que de sortir en boîte avec les collègues du rugby.
Mais sil accepte que Nico vienne le voir, comment va-t-il gérer ça ?
Il se dit quil ne peut pas lamener avec lui au match et en boîte comme la dernière fois. Les gars commencent à se foutre de sa gueule parce quil nemballe pas les nanas sous prétexte dune hypothétique copine à Bordeaux, alors il faut à tout prix éviter déveiller les soupçons.
Il ne peut pas non plus se passer de sortir. Déjà quil a du mal à se sentir à sa place et quà part Ulysse, qui a été sympa avec lui dès le premier jour, les autres gars ne lui font pas vraiment des cadeaux, si en plus il reste dans son coin, sa côte de popularité ne va jamais décoller.
Il ne peut pas non plus sortir sans Nico. Il ne peut pas lui dire de venir le voir et le laisser seul. Il comprendrait vite quil essaie de le cacher. Il ne peut pas lui faire ça. Il ne mérite pas ça.
Non, il ne peut pas laisser venir Nico sur Paris. Du moins pour linstant. Car en plus, en ce moment, entre les entraînements, les matches et la fac, Jérémie se sent en stress permanent.
Il na pas envie de lui parler de ses difficultés à sintégrer à léquipe, des entraînements qui lépuisent, des matches qui ne marchent pas toujours comme il le voudrait, de sa peur de ne pas y arriver, de la pression quil sent sur lui et qui létouffe. Il na pas non plus envie de lui parler de ses problèmes à la fac, où il a de plus en plus de mal à suivre. Il ne veut pas que Nico voit quil trime, il ne veut pas se montrer faible. Il ne veut pas quil vienne le voir tant que ça nira pas mieux dans sa tête et dans sa vie.
Jérémie sait que Nico commence à trouver le temps long et quil ne vit pas bien cet éloignement. Et encore moins le fait de lui empêcher de revenir à Paris.
Cest dur de ne pas le voir. Mais ce qui est le plus dur cest de penser au mal quil est en train de lui faire, à nouveau, après lui en avoir bien assez fait par le passé.
Jérémie sait que plus le temps passe, plus il risque de le perdre. Et il ne veut pas que cela arrive. Il a eu tellement peur à lidée de lavoir perdu pour de bon après le clash avant son accident, et il en avait mal à en crever ! Car Nico lui fait du bien, et il est bien avec lui.
« On était si bien à Campan ! Jai tellement adoré le tenir dans mes bras devant la grande cascade à Gavarnie ! Ce petit mec me rend dingue ! » se dit Jérémie, avec nostalgie et une pointe de mélancolie.
Oui, sil sécoutait, Jérémie rappellerait Nico pour lui dire de venir le rejoindre.
Mais il ne sécoute pas, pas assez. Et au lieu de quoi, il passe à la douche, il arrange ses cheveux bruns au gel, il met du déo sur son corps. Il shabille sur son 31 et il quitte son appart pour aller faire la fête avec ses potes.
Il est parfois plus simple se conformer à ce que son milieu et son entourage attendent de nous, que découter son propre cur].
Deux semaines après le week-end à Paris.
Le lendemain matin, samedi je me réveille aussi triste que la veille. Jai très mal dormi, et je ne me sens pas vraiment en forme. Heureusement, maman va être là dans quelques heures.
Elle débarque à la gare à 11h30. Je suis tellement content de la voir que jai du mal à retenir mes larmes.
« Ça va, Nico ? ».
« Oui, maman, je suis content que tu sois venue ».
Dès notre arrivée dans la petite cour au sol rouge, maman fait la connaissance de mes deux adorables voisins et propriétaires.
« Nico est un garçon fort bien élevé. Vous lavez bien réussi » rigole Albert.
« Jai fait de mon mieux et je ne suis pas mécontente du résultat ».
« Vous allez repartir ce soir ? » se renseigne Denis.
« Non, je compte rester jusquà demain, si mon fils ne me met pas à la porte ».
« Et vous allez dormir où ? ».
« Jai apporté un sac de couchage pour Ni
».
« Jai une meilleure idée. Jai un appart qui est inoccupé juste à côté de celui de Nico. Je vais laérer et mettre des draps et ce soir vous pourrez y dormir ».
« Non, je ne peux pas accepter ».
« Jinsiste ».
« Quand on lit sur une annonce « 13 mètres carrés » on ne se rend pas compte à quel point cest minuscule » commente maman en rentrant dans lappart.
« Lavantage est que le ménage est très vite fait » je plaisante.
« Ça cest clair ».
« En plus, jai des voisins extra ».
« Ils sont vraiment sympa tes proprios ».
« Jai de la chance ».
A midi, nous déjeunons dans un restaurant du centre-ville.
Après mavoir questionné sur ma vie à la fac, maman mentraîne sur des sujets plus intimes.
« Alors, raconte, avec Jérémie ça se passe toujours aussi bien ? ».
« Jai peur que la distance nous fasse du tort ».
« Tu as peur de quoi ? Quil toublie ? ».
« Oui, quil aille voir ailleurs ».
« Tu crois quil irait voir dautres garçons ? ».
« Non, plutôt des filles, pour faire comme ses potes ».
« Ah
et tu penses que cest le cas ? ».
« Je ne sais pas. Mais en attendant, plus ça va, plus je le sens distant ».
« Je pense que tu as peur parce que tu nas pas assez confiance en toi, mon chou. Cest normal dêtre jaloux et davoir peur. Mais si tu lui montres ta jalousie et ta peur, tu vas léloigner encore plus ».
« Et quest-ce que je dois faire, alors ? ».
« Pour avoir une relation équilibrée et durable, il faut dabord être bien avec soi-même. Si on est bien avec soi, serein et confiant, on dégage de lassurance. Et on est perçus comme quelquun de rassurant. Et ça, cest très important. Tout le monde, les hommes tout autant que les femmes, cherche quelquun de rassurant. Pas pépère, non, mais quelquun avec qui on se sent bien, avec qui on se sent en sécurité ».
« Si seulement il me disait comment il imagine notre relation à lavenir
».
« Il est fort possible que lui-même nait pas la réponse à cette question. Ne lui en demande pas trop. Aimer cest l'accepter lautre tel qu'il est et ne jamais avoir la prétention de vouloir en faire quelqu'un d'autre qui nous correspondrait mieux.
Ça ne veut pas dire quil faut tout accepter ou quil ne faut pas des mises au point de temps à autre.
Mais la vraie question est de reconnaître les différences de lautre, provoquées par son vécu, son éducation, son tempérament, ses conditionnements, ses contraintes et dy voir ce quil y a de positif dans tout ça.
Regarde, moi, en ce moment jai envie de gifler ton père. Si je ne craque pas, cest parce que je sais que cest quelquun de bon et que tôt ou tard il se rendra compte quil est dans lerreur ».
« Il fait toujours la tête ? ».
« Un peu ».
« Je suis désolé que tu aies à endurer ça à cause de moi ».
« Tu nas pas à être désolé, cest lui qui complique des choses qui sont tout à fait limpides ».
« Il naccepte pas que je sois comme ça
».
« Il a surtout peur des « quen dira-t-on »
».
« Et toi ? ».
« Tu sais que je men fiche des « quen dira-t-on » depuis toujours. Je te lai dit, je suis fière de toi mon grand, fière que tu aies osé tassumer et être honnête avec nous. Cest ta vie, Nico et je nai rien à dire là-dessus. Tu as le droit dessayer dêtre heureux comme tu le sens. Et tant pis si je naurai pas de petits s
je préfère que tu sois heureux sans que malheureux avec.
Ne te prends pas la tête, Nico, et ne brusque pas Jérémie. Montre toi présent, offre-lui ton soutien. Mais laisse-lui le temps de prendre ses marques ».
Les mots de maman me font un bien fou. Nous passons laprès-midi à nous balader en ville. Le soir nous allons au cinéma, puis nous regardons la télé tout en parlant de tout et de rien. Maman me raconte quelque chose dont je navais encore jamais entendu parler.
Elle me dit avoir toujours été convaincue que lun des vieux oncles de papa, décédé il y a plusieurs années quand jétais encore , était gay lui aussi. Elle lavait toujours connu célibataire et elle avait de la sympathie pour ce gars qui était un peu tenu en marge de la famille, qui menait une vie solitaire et mystérieuse. Puis, elle ma redit à quel point elle était heureuse de me voir massumer. Parce quassumer qui on est, constitue la première marche vers le bonheur. Et elle ma dit et répété quelle était fière de moi et quelle me soutiendrait toujours.
La présence de maman me réconforte. Elle maide même à supporter labsence de contacts avec Jérém pendant tout le week-end.
 
Le lundi, il pleut des cordes. Pour arranger le tout, pas de Raph en cours avec sa bonne humeur contagieuse dès la première heure du lundi matin. De plus, Monica semble de mauvaise humeur elle aussi, Fabien est très taciturne et Cécile mévite toujours. En ce lundi matin, tout me paraît gris et triste. Même les cours me gonflent. La semaine commence mal.
Lundi, mardi, mercredi, les jours se suivent et se ressemblent, ils passent comme noyés dans la grisaille qui persiste sur la ville et dans mon cur.
Lundi, mardi, mercredi soir, jattends un coup de fil de Jérém avec une impatience et une inquiétude grandissantes. Comme il ne mappelle pas, je me force à ne pas lappeler non plus. Cest con, mais je minterdis de lappeler dans lespoir quil remarque mon absence, que je lui manque, quil sinquiète pour notre relation, et que cela le pousse à mappeler, et à le mettre dans de meilleures dispositions pour le week-end à venir.
Hélas, les jours passent et mon téléphone demeure silencieux. Chaque jour est une souffrance, une déception un peu plus brûlante que celle de la veille.
« Laisse-lui le temps » a dit maman.
Jessaie de lui laisser du temps, mais je trouve quil prend sacrement sont temps. Quand on est amoureux et quon a limpression que notre amour nous échappe, on ne sait pas donner du temps. Quand on a 19 ans, on voudrait tout et tout de suite. Et mes peurs grandissent au fur et à mesure que nos contacts sespacent.
Jeudi soir arrive et je nai toujours pas de ses nouvelles. Ça fait déjà presquune semaine.
Il me manque tellement ! Plus ça va, plus je réalise que ce qui me manque le plus cruellement est sa présence à mes côtés, la tendresse de nos câlins, le bonheur de me réveiller à côté de lui, de partager une balade, un restaurant, une bonne tranche de rigolade, notre complicité, notre petit quotidien, les heures, les instants passés ensemble. Bien plus encore que le sexe.
Alors, ce soir, je nen peux plus dattendre ses coups de fil et de minterdire de lappeler de peur de le déranger et de le mettre mal à laise avec ses potes. Ce soir jai impérativement besoin dentendre sa voix. Pour être rassuré, mais aussi pour savoir si le week-end à venir je peux enfin aller le voir à Paris. Ça va faire trois semaines que je ne lai pas vu.
Alors, je lappelle. Mais le téléphone sonne dans le vide. Jai horreur quand son téléphone sonne dans le vide. Et je minquiète encore plus. Jattends la dernière sonnerie, bien décidé à lui laisser un message pour lui dire à quel point il me manque et à quel point jai envie de le voir.
Mais lorsque jentends sa voix enregistrée, je suis submergé par une telle tristesse que je nai plus envie de parler. Jespère quil verra mon appel en absence et quil me rappellera pour me dire que le week-end qui arrive il est ok pour me recevoir. Quil a envie de me voir. Que je lui manque.
Mais ce soir encore, je mendors sans avoir entendu sa voix.
Le lendemain, vendredi, la pause déjeuner arrive et je nai toujours pas de nouvelles de Jérém. Je ne sais toujours pas si je peux monter à Paris, même si je me doute que son silence nest pas de bon augure pour cela. Je commence même à minquiéter. Et sil lui était arrivé quelque chose ?
Je le rappelle entre midi et deux. Jai peur de tomber à nouveau sur son répondeur. Je sens que si cest le cas, je vais ménerver, ou pleurer ou bien les deux. Pas le répondeur, pitié.
Mais à ma grande surprise, le bobrun décroche de suite.
« Saaaalut ! » je lentends me lancer, en appuyant bien sur le « a », comme sil voulait rigoler, comme si de rien nétait, comme si ça ne faisait pas une semaine quil ne mavait pas rappelé, quil navait pas répondu à mes appels en absence, quil ne mavait pas envoyé le moindre message.
A cet instant précis, jai envie de lui demander pourquoi il fait ça, pourquoi il ne ressent plus le besoin de mappeler aussi souvent quavant. Et pourquoi il ne ma pas appelé « ourson » en décrochant, dailleurs. Pourquoi jai limpression que notre complicité se fane. Jai envie de lui demander ce quil a fait tous ces soirs où il ne ma pas appelé, sil a été sage.
Mais je me retiens, je ne veux pas compromettre mes chances de passer le week-end avec lui.
« Salut, ça fait plaisir de tentendre » je tente de rester zen et agréable.
« Moi aussi ça me fait plaisir ».
« Tu vas bien ? ».
« Oui, toujours à fond, entre les entraînements et les cours, mais je gère. Et toi, ça se passe bien la fac ? ».
Je le sens bizarre, poli mais distant, jai limpression de parler à un inconnu ou à un vieil ami que je nai pas vu depuis longtemps. Elle est passée où notre belle complicité ?
« Oui, pas trop mal, ça va ».
Nous parlons de tout et de rien, mais jai limpression que notre conversation est poussive, que les mots sonnent creux. Au bout de quelques minutes seulement, je sens quon ne sait plus quoi se dire.
Je meurs denvie de lui parler du week-end à venir. Mais comme il ne men parle pas, jai peur de manger un nouveau refus. Et pourtant, je ne peux pas ne pas aborder le sujet. Il faut bien quon se revoit un jour ou un autre. Alors je prends appui sur sa dernière phrase et je me lance :
« Demain soir je monte te voir et je moccupe de toi. Je te prépare à manger et on reste tranquille à lappart, jamènerai des films en dv
».
« Ce week-end ça ne va pas être possible » il me coupe net.
Ses mots me frappent comme un coup de poing en pleine figure. Ils me mettent KO par uppercut.
Un long moment de silence suit ses mots, des secondes interminables pendant lesquelles jattends quil mexplique pourquoi, quil me livre une nouvelle excuse, crédible si possible.
Mais rien ne vient de sa part.
« Pourquoi cest pas possible ? » je finis par lui demander, au bord des larmes.
« Parce que je suis fatigué ».
Oh, non ! Pas ça, non ! Pas « je suis fatigué » en réponse à la proposition de voir celui qui taime ! Pitié, la seule phrase plus connue que celle-ci est « Et la lumière fut ». « Je suis juste fatigué » est la phrase bateau quon dit quand on ne veut pas être emmerdés par des sujets qui fâchent.
Nouveau blanc, nouvelle poussée dangoisses dans ma tête.
« Quest-ce qui se passe ? ».
« Je viens de te le dire, je suis très fatigué, jai besoin de me reposer ».
« Je serai au petit soin, je te promets ».
« Tu vas pas faire le trajet pour me voir dormir tout le week-end ! ».
« Je men fous du trajet, jai envie de te voir, même juste pour te faire des câlins »
« On se verra plus tard, Nico ».
« Quand ça, plus tard ? Le week-end prochain ? ».
« Je ne sais pas, on verra ».
Jai envie de lui demander pourquoi il ne veut plus me voir. Mais une fois de plus je prends sur moi, et je décide de le croire, de croire à sa fatigue, à sa bonne foi, je décide de sauvegarder mes espoirs. Je prends sur moi pour lutter contre la terrible impression quil na pas vraiment envie que je remonte le voir à Paris.
[A plusieurs centaines de bornes de là, Jérém nen mène pas large. Il est triste et soucieux. Cest dur pour lui de dire « non » à Nico. Cest de plus en plus dur de lui dire non. Surtout que lui aussi crève denvie de le voir. Car Nico lui manque de plus en plus.
Son sourire lui manque, ses grands yeux pleins de douceur lui manquent, son regard plein damour lui manque plus que tout. Il a envie de lui faire des câlins, de le laisser lui faire des câlins. Il a envie de le prendre dans ses bras, dêtre dans ses bras. De lui faire lamour. De le laisser lui faire lamour.
Le laisser lui faire lamour. Il ny a quavec lui que Jérémie a eu envie de franchir ce pas. Dailleurs, il narrive toujours pas à croire de lavoir fait, davoir laissé un gars le prendre « comme une gonzesse ». Ce nest pas facile dassumer ça. Mais avec Nico, il y est arrivé. Parce que Nico ce nest pas juste « un gars ». Nico cest « MonNico ». Il en avait envie, et son Ourson a rendu ça beau, doux et sensuel.
Et pourtant, quand il est seul, Jérémie se dit parfois quil ne devrait pas avoir ces envies. Il se dit quil ne laissera plus Nico le prendre. Mais le fait est que lorsque Nico est là avec lui, quand il sent son corps contre le sien, cette envie le ratt. Quand Nico est là, tout ça lui paraît tellement naturel. Ce petit gars lui fait vraiment du bien. Et il lui fait aussi bien de leffet. Le sentir prendre son pied lexcite. Son Ourson est vraiment adorable. Et sexy.
Et puis, quand Nico est là, tout lui parait si simple ! Il nen revient toujours pas davoir pu faire son coming out avec ses potes cavaliers !
Jérémie est heureux davoir fait comprendre à Nico à quel point il tenait à lui. Il espère quil la compris, il espère le lui avoir assez montré. Et il espère quil ne loubliera pas.
Ce Nico la bien fait changer. Il la fait avancer. Il la aidé à se sentir bien avec qui il est.
Jérémie se dit parfois quil devrait lui parler de ce qui le tracasse en ce moment, de ses peurs, et lui dire pourquoi il ne peut pas le laisser venir le voir pour linstant. Il se dit que peut-être que Nico pourrait laider. Peut-être quil comprendrait sa peur quon découvre quil est gay. Mais il se dit aussi quil aurait du mal à accepter ce quil peut lui proposer aujourdhui, c'est-à-dire une vie cachée, bien cachée.
Oui, Jérémie pense que ça lui ferait du bien de parler ouvertement avec Nico. Mais il ny arrive pas. Il craint que sil commence à lui déballer des trucs, il va finir par devoir lui expliquer pourquoi il ne sassume toujours pas. Pourquoi il ne peut pas sassumer. Il ne veut pas que Nico pense quil a honte de lui. Car il na pas honte de lui, non. Et pourtant, il ne peut pas assumer leur relation.
Oui, quand Nico est là, tout lui paraît plus simple.
Mais dès quil séloigne, tout se complique. Seul, Jérémie a peur. Seul, il ny arrive pas. Et encore plus dans cette ville, avec ces nouveaux potes, avec cette carrière qui peine à démarrer. Jérémie a peur quon sache. Et que tout ça se retourne contre lui. Il a peur dêtre humilié. Et il ne veut surtout pas être humilié. Il ne veut pas être rejeté. Il ne veut pas que le fait dêtre pd gâche sa carrière au rugby. Il tient trop à ce rêve.
Mais il tient à Nico aussi, il y tient beaucoup, beaucoup, beaucoup.
Comment concilier ces deux mondes opposés ? Comment tenir sur le long terme sans pouvoir montrer qui lon est ? Comment concilier lamour et la passion alors que les deux le tiraillent dans des directions opposés ?
Il se rends compte quen faisant venir Nico à Campan, il lui a donné des nouveaux espoirs, il a créé en lui de nouvelles attentes. Il avait besoin de le retrouver, et pour le garder il lui a montré quil tenait à lui. Il ne pouvait pas le laisser partir, il en aurait été trop malheureux. Jérémie savait quil y aurait cette distance entre eux. Mais il navait pas anticipé quil aurait autant de pression sur lui et que ce serait à ce point dur de gérer cette distance.
« Mais quest-ce que jai concrètement à offrir à Nico aujourdhui ? » se demande souvent Jérémie.
Et il se dit quil ne sera jamais à la hauteur des attentes de Nico. Déjà, car il ne pourra pas lui offrir la vie de couple dont il rêve. Car dune part, il ne se sent pas vraiment prêt pour ça. Et puis, surtout, le monde qui est le sien aujourdhui nest clairement pas prêt pour ça.
Jérémie sait quil fera souffrir Nico à nouveau. Dailleurs cest deja le cas. Il le ressent dans ses mots, dans le ton de sa voix, dans ses silences, dans ses non-dits. Et ça lui fend le cur. Ça lui fait tellement de peine de le sentir triste quil na même plus envie de lappeler »].
Trois semaines déjà après le week-end à Paris.
Je passe la journée de samedi à cogiter sur les raisons qui poussent mon Jérém à ne pas vouloir que je monte à Paris. Est-ce quil ma déjà oublié ? Est-ce quil est déjà passé à autre chose ? Est-ce quil a déjà oublié les promesses de Campan ?
Mais dimanche, après une longue nuit de sommeil, je me réveille avec une idée qui me paraît une évidence. Je me dis que lattitude fermée de Jérém ressemble à sy méprendre à celle quil avait mis en uvre après la semaine magique, avant notre clash, lorsquil se montrait froid et distant avec moi, tout simplement parce quil narrivait pas à gérer ses sentiments. Parce quil en avait peur.
Certes, aujourdhui, son attitude est encore plus blessante quavant, car ses silences, ajoutés à la distance, physique et sociale, me font imaginer le pire.
Maman a raison. Il faut être fort Nico. Il faut lui montrer que je ne lâche rien.
Une nouvelle semaine arrive, elle se traîne dun jour à lautre, dun soir à lautre sans que le moindre signe de la part de Jérém vienne casser cette monotonie désolante. Après un échange que jinitie le lundi matin :
« Salut, ça va ? Tu as pu te reposer ? ».
Et que Jérém enterre le lendemain par un laconique :
« Ça va », cest le silence radio total.
Le jeudi arrive, un nouveau week-end se profile. En me levant, je sens que ce nest pas encore le bon, que Jérém va encore trouver une excuse pour me tenir à distance.
Et pourtant, je sais que ce soir je vais revenir à la charge, que je vais à nouveau lui proposer de nous voir. Et sil refuse, ce coup-ci je vais lui demander pourquoi.
Mais ce coup de fil à venir me fait peur. Peur quon finisse par se prendre la tête, quil se braque, quil se fâche. Jai peur de perdre le Jérém de Campan. Jai peur que Paris fasse disparaître ce Jérém-là. Mais pourquoi nous avons quitté Campan ?
Le matin, en allant prendre le bus et en constatant une fois de plus labsence de Justin, je réalise que ça fait deux semaines que je ne lai pas vu, depuis notre sympathique échange le jour où il pleuvait et où nous avons attendu ensemble le bus suivant.
Je me dis quil a dû changer de chantier, et donc de lieu et dhoraires. Et ça signifie que probablement je ne croiserais plus jamais son chemin.
Ce jeudi, je passe la journée à penser et repenser aux mots à dire et à ne pas dire lors de mon coup du fil du soir à Jérém. Je ne veux pas le saouler, mais je veux être ferme. Je veux savoir ce qui se passe, jai le droit de savoir.
Il est 21 heures pétantes lorsque je compose son numéro. Je suis heureux quand Jérém décroche. Mais je le suis beaucoup moins de constater quil est déjà en soirée. La ligne est très mauvaise, mais jentends un boucan infernal autour de lui, un tintamarre fait de basses répétitives, de cris de nanas, de rires de mecs.
« Salut, ça vaaaaa ? » je lentends lâcher avec une voix dans laquelle je peux mesurer à loreille un taux dalcoolémie sensible.
« Oui, ça va, et toi ? ».
« Je suis avec mes pooootes, ça vaaaaa ».
« Jérém, je veux te demander quelque chose ».
« Cest quoooooiiiii ? ».
Mais la ligne se coupe avant que je puisse continuer. Jattends une bonne demi-heure quil me rappelle, mais il ne le fait pas.
Je rappelle alors, et je tombe direct sur son répondeur. Je lui laisse un message dans lequel je lui dis quil me manque trop et que le lendemain soir je vais prendre le train pour Paris pour aller le voir.
Je passe la soirée à me bercer dans lillusion que la fermeté de mon message puisse lui montrer que je ne renoncerai pas à le voir. Je me couche vers 23 heures et je mendors en essayant de me convaincre que 24 heures plus tard je serai avec Jérém.
Il est presque deux heures du mat lorsque le tel sonne. Je me réveille en sursaut.
« Ptit loup, ça va ? » je laccueille, inquiet quil lui soit arrivé quelque chose.
« Nico, ne viens pas demain » il coupe court.
Soudain, je sens la colère monter en moi.
« Si cétait pour mannoncer ça, tu aurais pu attendre demain ! » je lui lance.
« Mais pourquoi je ne peux pas venir ?! » jenchaîne.
« Je suis claqué ».
« Tu mas déjà servi cette excuse le week-end dernier. Si tu es si fatigué, pourquoi tu sors autant ? ».
« Tu vas pas compter mes sorties ! ».
« Non, bien sûr que non, mais je trouve bizarre que tu sortes autant et que tu sois fatigué pour me recevoir »
Jérém laisse le silence sinstaller, au point quà un moment je crois même quil a raccroché.
« Tu es toujours là ? ».
« Oui, oui
» il lâche, sur un ton monocorde.
« Jérém, tu veux plus me voir ? » je finis par le questionner cash.
« Je ne sais pas, Nico ».
« Quoi, tu ne sais pas ! ».
« Il y a plein de choses qui me prennent la tête en ce moment, jai besoin dêtre seul ».
« Jérém, jai envie de te voir. Jérém, sil te plaît, ne me pousse pas hors de ta vie à nouveau. Je sais que cest dur pour toi en ce moment, mais on est bien ensemble tous les deux.
Je te lai dit, je men fous que tu sois fatigué, je veux juste te voir, on na pas besoin de sortir, je serai à lappart quand tu rentres, je te ferai à manger, tu nauras quà mettre les pieds sous la table et te détendre ».
« Ninsiste pas, Nico ».
« Tu as peur quon nous voie ensemble ? ».
« Arrête, Nico ! ».
« Je te proposerais bien de venir à Bordeaux, mais le week-end tu as match ».
« Voilà ! ».
« Mais tu nas plus de jours de repos ? ».
« Si, mais pour un jour ça fait loin ».
« Mais tu las fait une fois ».
« Oui, et cétait une folie ».
« Tu le regrettes ? ».
« Mais non ! ».
Lidée de passer un nouveau week-end loin de Jérém et de laisser un peu plus la distance entre nous sinstaller mest insupportable. Je reviens à la charge, je tente le tout pour tout.
« Allez, laisse-moi venir te voir ce week-end ! ».
« Tu me saoules ! » il me balance, sur un ton agacé.
Je sens que je suis en train de perdre le contact avec mon bobrun. Je narrive pas à croire quon en revienne là, après la façon dont nous nous sommes quittés la première fois où je suis allé le voir à Paris. Après Campan. Jai envie de pleurer.
Je ne veux surtout pas le braquer plus, je ne veux surtout pas atteindre le point de non-retour. Je ne veux surtout pas quil me raccroche au nez. Et pourtant, son attitude et ses mots ont le pouvoir de faire monter en moi une colère et une exaspération qui me poussent à lui répondre coup sur coup :
« Toi aussi tu me saoules ! ».
« Comme ça on est deux. Bonne nuit ! » fait-il sèchement.
« Jérém ! ».
Mais ce que je redoutais le plus vient de se produire. Jérém a déjà raccroché.
[A plusieurs centaines de bornes de là, Jérémie balance violemment son téléphone sur son lit. Il est en colère. Mais il ne lest pas contre Nico, il lest contre lui-même.
Il se dit quau fond, Nico ne demande quà le voir, parce quil laime.
Ça lui fait très mal dêtre aussi dur avec lui.
Mais il a tourné la question dans tous les sens et des dizaines de fois et il na pas trouvé de bonne solution.
Si jamais lun des gars débarque à lappart et quil est avec Nico, ça ne va pas le faire. Cest déjà assez compliqué de donner le change et de tenir lexcuse « copine à Bordeaux » pour expliquer le fait quil ne baise pas les nanas qui se montrent intéressées en soirée. Car, même si de temps en temps il raconte quil va la voir, alors quil passe ses journées de repos enfermé chez lui à réviser, cette « copine » ne vient jamais le voir. Et personne ne sait à quoi elle ressemble.
Et puis, pour « arranger » encore les choses, quelques jours plus tôt sest produit un « accident » qui a rendu les choses encore plus difficiles pour lui.
Un soir, après les entraînements, Jérémie est allé prendre un verre avec les gars. Ils étaient cinq, Ulysse était de la partie, ainsi que ce casse-couilles de Léo.
Pendant quils buvaient verre, il avait remarqué un mec brun assis au comptoir qui narrêtait pas de le mater. Cétait vraiment un beau gars, sexy et viril. Des épaules larges, un regard magnétique, un sourire charmeur. Un très beau sourire. Le gars lui avait balancé un clin dil. Il le draguait.
La prise de conscience de cela avait provoqué chez Jérémie un étrange mélange de sentiments. Dabord une sensation de bien être, car ça fait toujours du bien de se sentir désiré. Mais aussi la peur, car il craignait par-dessus tout que les gars se rendent compte de quelque chose.
Alors, il avait détourné son regard, il lavait verrouillé à la tablé, il sétait fait violence pour prendre partie à la conversation en cours, alors quil nen avait rien à foutre. Car la seule chose qui occupait son esprit était le regard de ce mec, un regard qui lintriguait, lobsédait.
Car, même sil ne le regardait plus, il sentait son regard sur lui. Et ça le mettait vraiment mal à laise. Il avait trop peur que les autres gars captent ce petit manège. A un moment, il sétait même dit quil devrait peut-être se lever, aller voir le gars pour lui faire peur, se montrer agressif et menaçant. Il se dit quil devrait montrer une bonne réaction dhétéro bourrin. Car lattaque est la meilleur défense.
Non pas que le gars lui faisait peur, il était plus petit que lui et moins musclé. Mais il était plus âgé, il devait avoir 30 ans, et il avait surtout lair sacrement sûr de lui et bien dans ses baskets. Jérémie craignait que sil lui cherchait des noises, il ne se gênerait pas pour balancer des trucs qui pourraient le mettre encore plus mal à laise, style quil lavait maté lui aussi. Il ne voulait surtout pas se faire remarquer, et il navait pas envie de faire un scandale.
Puis, à un moment, il avait réalisé avec soulagement que le type était parti. Les gars est lui allaient partir aussi. Mais avant dy aller, Jérémie avait eu besoin dune pause pipi.
Pour aller au chiottes, il fallait sortir du bar et passer par une petite porte juste à côté de lentrée principale. Jérémie avait juste eu le temps douvrir sa braguette devant une pissotière, lorsque du coin de lil il avait capté que quelquun venait sinstaller juste à côté de lui. Et son cur avait fait un bond, et pas des moindres, lorsquil avait réalisé que ce « quelquun » nétait autre que le beau brun qui le matait un peu plus tôt.
« Salut » il lui avait lancé le gars avec une voix basse et calme.
Jérémie était trop mal à laise. Il narrivait plus à pisser. Instinctivement, il avait rangé sa queue.
« Quest-ce que tu veux ? » il lui avait lancé froidement.
« Cest toi que je veux ».
« Je ne suis pas pd ! ».
Le mec avait souri et son sourire était à la fois railleur et plein de malice. Jérémie savait que le gars voyait clair dans son jeu. Il se sentait comme pris au piège et il naimait vraiment pas ça.
« Tes vraiment bomec ! ».
« Fiche-moi la paix, je tai dit que je ne suis pas pd ! ».
« Ne raconte pas dhistoires, tu nes pas comme tes potes. Tu es comme moi ».
Jérémie se sentait mis complétement à nu, et ça lui faisait terriblement peur. Il ne savait plus quoi dire.
« Je pense que tu as autant envie de moi que jai envie de toi ».
Lassurance du type lénervait et lintriguait, tout à la fois.
« Tu racontes nimporte quoi ! » il lui avait crié dessus, en colère, en lattrapant par le t-shirt et en le collant contre le mur à côté des pissotières.
« Eh, quelle fougue ! Si tes aussi chaud dans un pieu, on doit bien samuser avec toi » il lavait provoqué le gars, tout en le repoussant.
« Ferme ta gueule
sinon
» lavait menacé Jérémie.
« Sinon tu vas me mettre ton poing dans la gueule ? Pour me montrer que tes un vrai mec ? Tu peux me frapper, mais ça ne changera rien. Si tu arrives à faire genre avec tes potes, moi tu ne me trompes pas.
Mais si tu ne veux pas, je ne vais pas te forcer, tinquiète. Mais si jamais tu changes davis, tu peux me trouver ici tous les jours en semaine à cette heure, je viens chaque soir en sortant du taf. Peut-être à bientôt, bogoss. Ah, au fait
je mappelle Thomas ».
« Fiche-moi la paix, conna
».
Mais les mots de Jérémie sétaient étouffés dans sa gorge lorsquil avait vu la porte des chiottes souvrir et Léo débarquer.
« On dirait que ça drague ici » il sétait moqué ce dernier, alors que Thomas venait de se tirer.
« Toi aussi ferme ta gueule ! » avait balancé Jérém, autant en colère quen panique, avant de quitter les chiottes à son tour et de rejoindre les autres dans la rue. Il avait allumé une cigarette, et il la fumait nerveusement, encore secoué par ce qui venait de se passer. Sur ce, quelques instants plus tard à peine, Léo les avait rejoints à son tour en claironnant :
« Eh, les gars, vous savez quoi ? Jérém sest fait draguer aux chiottes
par un mec ! ».
« Mais non, il ma juste demandé une cigarette ! ».
« Il ta demandé ton cigare, oui ! Ou alors il ta proposé le sien ! ».
« Vraiment, tu me casses les couilles » sétait emballé Jérémie, tout attrapant Léo par le t-shirt et en le secouant violemment.
Heureusement, les gars lavaient retenu. Il avait vraiment failli lui casser la gueule. Il était tellement en colère. Il avait tellement la honte.
Evidemment, ça ne sétait pas arrêté là. Léo avait parlé de ça dans les vestiaires, dans son dos. Il ne peut pas sen empêcher ce con. il doit faire chier tout le monde.
Depuis, Jérémie avait limpression que les gars le regardaient différemment. Réalité ? Impression dictée par la peur ? Le résultat était le même. Car on se sent toujours traqué lorsquon a quelque chose à cacher.
Cependant, la peur nétait pas suffisante à cacher un autre fait qui avait tout autant marqué Jérémie. Le fait quil avait trouvé ce gars terriblement attirant. Bien foutu, une belle gueule de mec, sûr de lui, lair de savoir comment faire plaisir à un mec.
Ce nétait pas la première fois que Jérémie se sentait désiré par un mec, même si jusque-là aucun autre navait été aussi entreprenant.
De plus en plus, il lui arrive de capter des regards qui traînent sur lui. Des regards de mecs, en plus de ceux des nanas. Mais de ces derniers, à vrai dire, il sen fiche. Ce sont les premiers qui lui donnent LE frisson.
Et il lui arrive de plus en plus souvent dapprécier la vue des gars quil croise. Il est tout particulièrement attiré par les mecs au physique pas trop massif, élancé, et pourtant sensuel. Des gars qui lui inspirent à la fois le désir et la tendresse. Des gars dans le genre
de Nico. Des gars, par ailleurs, sur lesquels il sait que sa virilité aurait un effet ravageur, un effet qui flatterait bien son égo de mec.
Mais il lui arrive également dapprécier la vue de gars plus solides, plus viril, des gars souvent plus âgés qui lui inspirent des envies plus nuancées, plus difficiles à assumer, mais qui ne cessent de le titiller.
Oui, il arrive de plus en plus souvent à Jérémie dapprécier la vue dun beau torse en V, dépaules massives, dun biceps moulé dans une manchette ajustée, de pecs, dabdos.
Et de queues. Comme dans les vestiaires, où certains gars lui font bien de leffet.
Et parmi ces gars, il y en a un en particulier qui lui fait plus deffet que tour les autres. Déjà, parce que cest vraiment, vraiment, vraiment un beau gars. Ensuite, parce que son attitude vis-à-vis de lui la très vite installé dans une proximité propice au désir.
Mais de toute façon, Jérémie sait que ce gars est inaccessible. Et il sait quil doit surtout le rester, quoi quil arrive. Car il ne veut surtout pas que le sexe vienne perturber la performance sportive de léquipe ou relancer encore les ragots. Il ne veut pas non plus que le sexe vienne gâcher lamitié. Il en a fait lexpérience et les frais avec Thibault, et il ne veut vraiment pas répéter les mêmes erreurs.
Et aussi, au fond de lui, Jérémie sait que si jamais il franchissait le pas avec ce gars, il y a des chances que ça aille trop loin, plus loin que le sexe. Car ce gars est tellement
rassurant. Tellement bien dans sa peau. Il est pour lui à la fois un ami, un frère, un grand frère, presque un père. Jérémie sent que dans les bras puissant de ce gars, quil considère comme un homme dont la maturité et la solidité le fascinent, il trouverait enfin cet « endroit » quil cherche depuis toujours. Cet endroit quil a du mal à trouver avec Nico, car il le sent parfois trop fragile pour pouvoir se laisser complétement aller. Un endroit où se poser en toute confiance, une épaule suffisamment solide pour pouvoir tout encaisser et contre laquelle sappuyer sans crainte quelle sécroule et quelle le laisse tomber.
Mais avant toute chose, Jérémie se dit quil ne peut pas faire ça à Nico. Il tient trop à lui. Il ne veut pas le perdre. Il est vraiment bien avec lui. Même sil ne peut pas tout lui confier. Même si cest souvent à lui de le rassurer, y compris parfois quand il a lui-même besoin dêtre rassuré.
Non, il ne veut pas faire ça à Nico. Mais jusquà quand pourra-t-il tenir bon ? Le sexe lui manque de plus en plus. Lenvie de sentir le désir dun mec, le contact avec le corps dun mec, le plaisir avec un mec, ça lui manque de plus en plus. Que se serait-il passé si le gars du bar lavait abordé alors quil était seul ?
Jérémie se dit que pour Nico, ça doit être la même chose. Ce beau petit gars doit lui aussi se faire remarquer à Bordeaux. Jusqu'à quand va-t-il tenir bon ? Est-ce que son speech sur le fait de se protéger était une sorte d« autorisation » quil me donnait et qu,il se prenait en même temps, à aller voir ailleurs, « pour le fun » ?].
Après que Jérém mait raccroché au nez, je narrive pas à trouver le sommeil. Une heure plus tard, jai presque envie de le rappeler. Car je ressens au fond de moi limpression que je trouverais facilement les mots pour lui faire comprendre à quel point il me manque et à quel point ce serait génial de nous retrouver, de retrouver cette complicité qui a été la nôtre depuis Campan et qui nous fait tant de bien.
Mais je nose pas. Jose un message. « Jérém, tu me manques ». Je lenvoie avec lespoir quil le lise et quil me réponde rapidement.
A quatre heures, je suis toujours réveillé. Aucun message de Jérém. Je décide denlever mon réveil, jespère dormir un peu.
Jarrive à la fac pour le cours de 11 heures.
« Tu as eu une panne de réveil ? » se moque Raph.
« Tu nas pas lair en forme » me glisse Monica discrètement.
« Hier soir je me suis pris la tête avec mon mec » je lui glisse discrètement pendant une pause « Je nai presque pas dormi de la nuit. Jai limpression quil ne veut plus me voir, quil séloigne de moi ».
« Cest pas facile une relation à distance » elle commente « mais si vraiment tu narrives pas à tenir, tu prends un billet de train et tu débarques direct chez lui ».
« Ce serait la meilleure façon de me faire jeter ».
« Ou alors il serait touché que tu fasses la route, que tu prennes ce risque. Peut-être quen forçant un peu les choses tu lui montrerais à quel point rien nest impossible quand on aime vraiment, à quel point tu tiens à lui et à ce quil y a entre vous, à quel point tu tiens à votre bonheur ».
« Je ne pourrais jamais ».
« Cest toi qui vois. Tu as quoi à perdre ? Si tu te pointes chez lui, il ne va pas te laisser sur le palier ! ».
« Il en serait capable ».
« Je ne pense pas. Vous feriez lamour et ça vous ferait du bien ».
Quatre semaines déjà après le week-end à Paris.
Evidemment, je nose pas suivre le conseil de Monica et je passe lun des week-ends les plus tristes de ma vie. Evidemment, je nai aucun signe de sa part. Même pas de réponse à mon message nocturne lancé comme une bouteille à la mer.
En marchand dans Bordeaux, je réalise que lautomne avance à grand pas, que nous sommes déjà à la mi-novembre et quil commence à faire froid. Que la fin de lannée approche.
Je me retrouve à repenser au printemps, aux révisions de maths avant le bac dans lappart de la rue de la Colombette, aux espoirs de bonheur que cette période avait fait naître en moi. Je repense à lété, à la semaine magique avec Jérém, à notre clash, à son accident. Je repense aussi aux escapades à Gruissan avec Elodie, au concert de Madonna à Londres en juillet. Jai la nostalgie de lété, et de tous ces moments qui me paraissent déjà si lointains. Et je repense au coup de fil inattendu de Jérém pour minviter à le rejoindre à Campan, à ces jours merveilleux à la montagne où jai découvert un Jérém insoupçonné, gentil, attentionné, amoureux, adorable, un Jérém qui ma fait tomber amoureux de lui dune façon dont je ne lavais probablement jamais été.
Déjà presque un mois que je ne lai pas vu, et jai limpression de retomber dans les affres davant le bac. Lorsquà chaque fois que je me prenais la tête avec lui, jétais envahi par la peur de ne plus jamais le revoir.
Une nouvelle semaine démarre et je nai franchement pas envie daller à la fac. Mon cur est lourd et mes angoisses maccaparent entièrement.
Lundi et mardi sont de très longues journées. Des cours interminables et toujours aucun signe de la part de Jérém. Je ne sais pas comment reprendre contact avec lui. Je nose même plus le rappeler. Je ne sais pas comment me comporter. Jaimerais tellement aller le voir, mais je nose même plus le lui proposer.
Je me sens frustré de ne pas savoir quand je vais un jour le revoir. Il ma parlé des vacances de Noël, cest dans un mois, et ça me paraît si long ! Est-ce que cest seulement encore dactualité ? Jai peur quil moublie. Jai peur quil cherche à se faire oublier. Comme avant notre clash chez moi. Mais pourquoi ça doit toujours être si compliqué avec lui ?
Jai limpression que depuis des semaines les jours se suivent dans une attente et une monotonie de plus en plus insupportables. Jai limpression que rien ne se passe dans ma vie, à part le fait de me sentir spectateur du lent et inexorable éloignement davec mon Jérém, sans que je puisse faire quoi que ce soit pour lempêcher de se produire.
Jusquà quand vont durer cette monotonie, cette attente interminables ?
La réponse à cette question va arriver le mercredi de cette même semaine, mais pas du tout de la façon dont je laurais imaginé, ou espéré.
Le matin, il pleut à nouveau. En me levant, en partant vers la fac, je ne suis vraiment pas bien. Mais ce jour, voilà quun trait de couleur, un rayon de lumière jaillit enfin dans ma vie.
A labribus, Justin est là. Ah, la belle surprise ! Et quil est beau le sourire avec lequel il maccueille en me voyant approcher ! Définitivement, le beau sourire dun beau garçon suffit à redonner de la couleur à la journée la plus grise.
« Salut » je lui lance en premier.
« Ça fait longtemps » il me lance.
Ses mots ainsi que sa poignée de main bien ferme me transmettent une belle énergie.
Je manque de peu de lui répondre « oui, tu mas manqué ». Ce qui, dune certaine façon, nest pas faux.
Très vite, quelque chose me paraît « anormal ». Justin nest pas habillé avec ses vêtements habituels pour le taf. Il porte en effet un beau jeans, de jolies baskets bleu fluo, un t-shirt vert et un pull à capuche gris qui semble tout juste sorti du magasin.
« Cest vrai, ça fait longtemps. Jai cru que tu avais changé de chantier » je lui lance.
« Oui, jai changé de chantier. La fois quon a discuté cétait mon dernier jour sur le chantier davant ».
« Et là tu reviens travailler dans le quartier ? ».
« Euh, non, pas vraiment. Je ne travaille pas aujourdhui, je fais juste un tour ».
Sa voix douce et son débit de parole viril me font craquer.
« Ah daccord » je ne trouve pas mieux à lui répondre.
Le bus arrive nous montons tous les deux. Pour la première fois, nous nous installons côte à côte.
Pendant le trajet, nous discutons de tout et de rien. Le gars est vraiment sympa et je me sens bien avec lui.
« Tu vas en cours, alors ? » je lentends me demander après un instant de silence.
« Oui, même si jai pas vraiment envie ».
« Tas pas le temps pour un café ? » il me lance, en bafouillant à moitié.
« Quand ? Maintenant ? ».
« Maintenant ou
plus tard si tu veux ».
Mon cur tape à mille, je ne mattendais pas à ça. Le bus ralentit, cest déjà larrêt de la fac, je dois descendre. Je dois prendre une décision, vite.
Le gars me fixe avec un regard à la fois timide et doux.
En une fraction de seconde, je repense à la distance de Jérém, à ma frustration, à ma tristesse.
Je me dis que dune certaine façon ce gars me rappelle Stéphane, il a lair doux câlin et gentil comme lui. Cest ce dont jai besoin en ce moment. Dun gars comme Stéphane.
« Plutôt en début daprès-midi » je mentends lâcher comme si ce nétait pas moi qui parlais, tant ces mots résonnent étrangement dans ma tête.
« Daccord. On dit 15 heures à larrêt du matin ? ».
« 15 heures à larrêt du matin » je lui confirme machinalement, encore sonné par le fait davoir fait ce premier pas, et pas convaincu du tout que jaurai le cran daller à ce rendez-vous.
Je passe la matinée dans un état fébrile, incapable de me concentrer sur les cours. Mille questions foisonnent dans ma tête. Comment ça va se passer cette rencontre ? Quest-ce quil veut vraiment Justin ? Quest-ce quil attend de moi ? Est-ce quil va vouloir coucher avec moi ?
Lidée de coucher avec un autre gars que Jérém me fout en lair. Jai envie de pleurer.
Un kaléidoscope dimages défile dans ma tête.
La petite place de Campan, le baiser sous la halle pour me retenir, lamour dans la petite maison, son coming out devant ses potes, la balade à cheval, Jérém qui quitte le groupe de cavaliers expérimentés et qui mattend, alors que je le suivais à allure pépére avec JP et Carine.
Les moments de tendresse, dans la voiture, après la soirée fondue, puis en allant à Gavarnie, et sur la butte devant le cirque, devant la grande cascade.
Ses promesses silencieuses son attitude, son sourire doux, sa façon de me faire lamour, de me faire sentir bien, important, unique dans ses yeux et pourtant bien réelles.
Mon premier voyage à Paris, quelques jours avant son anniversaire. Cétait il y a presque 5 semaines. Le resto à Montmartre, la maison de Dalida, la tour Eiffel, la balade le long de la Seine, son petit studio, lamour, les câlins, la tendresse, et son regard amoureux, son attitude de ptit gars amoureux.
Et encore le bisou dans le train, ses mots « Avant de te rencontrer, je ne savais pas ce que cétait dêtre heureux. Et pour ça, tu es quelquun de très spécial pour moi. Tu vas me manquer, ourson
».
Je ne peux pas faire ça a mon Ptit loup
Ourson ne peut pas faire ça à Ptit loup, non.
Ourson. Ce petit mot était à mes oreilles et à mon cur le symbole de notre complicité, de la profonde tendresse, de lamour qui nous unissait. Depuis combien de temps il ne ma pas appelé ainsi ? Est-ce que je suis toujours son « ourson » ?
Midi arrive, et je nai même pas faim. A deux heures, à la fin du derni
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