Histoire Des Libertines (64) : Arletty, Une Réputation Entachée

Arletty est le nom de scène de Léonie Bathiat (1898-1992), actrice et chanteuse française qui figure dans quelques chefs-d'œuvre du patrimoine cinématographique français des années 1930 et 1940.

Comme Coco Chanel (voir « Histoire des libertines (60) Coco Chanel la controversée », paru le 15 juin 2020), Arletty a vu sa réputation ternie au moment de la Libération. La « môme » de Courbevoie, adulée avant-guerre, brebis galeuse à la Libération, solitaire aveugle, ne s’est pourtant jamais départie de son extrême jovialité.

Femme libre, fille des « Années Folles », Arletty n’a laissé que de bons souvenirs à ses amants. Elle fait partie de leur famille. Quand ils se marient, épouses et s prennent le relais et la traitent comme leur cousine. Si elle est inconstante en amour, Arletty, qui veut rester libre, sera fidèle en amitié. Il faut ajouter à son portrait qu’Arletty n’a jamais su garder sa langue dans sa poche.

UN DRAME DE JEUNESSE LA DECIDE A NE JAMAIS SE MARIER

Fille d’un ajusteur et d’une lingère, Léonie nait à Courbevoie. Souffrant de problèmes respiratoires, elle est mise en pension à l'âge de quatre ans et demi dans la ville de sa famille paternelle, Clermont-Ferrand. Elle reçoit une éducation religieuse dans une institution privée, jusque 1910, puis suit une formation en sténographie. Son enfance est heureuse, avec une éducation religieuse mais une ferveur mitigée. Bien qu'elle soit pauvre, elle est gaie, et elle le restera toute sa vie.

Pendant la Grande Guerre, elle vit deux drames :

• La guerre fauche sur le champ de bataille, dès août 1914, son premier amour, surnommé « Ciel » à cause de la couleur de ses yeux, drame à l'origine de sa promesse de ne jamais se marier pour ne pas être veuve de guerre.

• Son père, promu chef de traction, meurt le 2 décembre 1916, écrasé par un tramway. Arletty, son frère et sa mère sont alors expulsés du pavillon affecté aux employés des tramways de Paris.



LIAISONS ET CARRIERE : ELLE DEVIENT ARLETTY

En 1917, elle rencontre sur la plate-forme d'un autobus son « Pygmalion ». Il s'appelle Jacques-Georges Lévy (1891-1953). Elle le nomme Edelweiss. Il est juif, il est banquier, il est Suisse. Il a quelques années de plus qu'elle. Il est intelligent, cultivé. Jacques-Georges lui fait connaître le théâtre, les grands couturiers, les bons restaurants et la haute société parisienne Il lui apprend à se tenir à table et à lire Proust. Il lui fait découvrir le mont Blanc et Venise. Dans sa villa de Garches, Ils ont notamment pour voisins Coco Chanel.

Elle le quittera pour le marchand de tableaux Paul Guillaume, qui la recommande à Armand Berthez, directeur du théâtre des Capucines. Un temps mannequin chez Poiret, sous le pseudonyme d'Arlette, Berthez anglicise son nom en Arletty, pour mener des revues où la fantaisie et le luxe sont de mise, et chanter, dès 1928, dans les opérettes. A partir de 1932, c’est le cinéma, où elle triomphera notamment dans les films de Marcel Carmé.

En 1928, elle rencontre l'homme d'affaires Jean-Pierre Dubost, qui restera son fidèle compagnon pendant près de 40 ans.

FILLE DES ANNEES FOLLES

La voilà lancée dans le tohu-bohu de l'après-guerre. Elle sera fille des Années folles. Sa voix acide séduit son monde et sa silhouette fait merveille. De revues en opérettes, elle apprend. Quand elle n'est pas sur la scène à Paris, elle est sur les planches à Deauville.

L’ de la banlieue parisienne aux origines modestes a réussi à se hisser à la première place des actrices populaires d’avant-guerre. Reconnaissable grâce à son accent nasillard des faubourgs, sa dégaine chaloupée, ses répliques cinglantes et son anticonformisme, elle avait défilé devant les plus grands metteurs en scène de cinéma et de music-hall de l’époque.

Autodidacte à l’esprit vif, mannequin puis meneuse de revue, la jeune femme séduit son monde. A commencer par les artistes pour qui elle pose (Marie Laurencin, Kees van Dongen, Moïse Kisling), les compositeurs qui la font chanter (opérettes de Maurice Yvain, Raoul Moretti), et les réalisateurs qui vont dévoiler son immense talent dans des films majeurs : « Hôtel du Nord » en 1938, « Le jour se lève » en 1939 et « Les visiteurs du soir » en 1942, de Marcel Carné, dont les deux derniers sont dialogués par Jacques Prévert.
Le trio Marcel Carné, Jacques Prévert et Henri Jeanson l’avait rendue célèbre et populaire

Arletty avec son accent « titi parisien » et son sens de la repartie unique, entre de son vivant dans légende du Paris populaire.

C’EST ELLE QUI CHOISIT

Belle et intelligente, elle séduit les hommes, qu’elle collectionnera en femme libre. Avec les hommes, elle accepte les cadeaux. C'est une âme fière, donc solitaire. On ne la choisit pas, c’est elle qui choisit. Sans trop se poser de questions, Arletty croque la vie à belles dents. Elle prend les hommes comme ils viennent, appelle un chat un chat et se moque du qu'en-dira-t-on. Elle va où ses plaisirs la portent, ses intérêts aussi.

Arletty aura, au début des années 40, à une époque où « cela ne se fait pas », une liaison saphique avec Antoinette Gérard (1909-1958), duchesse d’Harcourt, femme de lettres et amie de Coco Chanel.

UNE PASSION COUPABLE ?

En 1941, elle rencontre, par le biais de son amie Josée de Chambrun, fille de Pierre Laval, Hans Jürgen Soehring (1908-1960), un officier allemand.

Pour Arletty, le coup de foudre est immédiat. Elle, qui mettait son indépendance et sa liberté au-dessus de tout, capitule sans conditions face à la beauté de Soehring, parfait francophone, sportif accompli et doté d’une solide culture classique. Peut-être que, pour la première fois de sa vie, Arletty tombe réellement amoureuse.

Arletty le surnomme « Faune », à cause de ses oreilles. Toutes les lettres qu'elle lui écrira commenceront par ce mot magique, jeté dans la fièvre de son ample écriture bleu turquoise : « Faune ». Elle, elle signera « Biche ». Jusqu’en 1949, Arletty et Soehring se sont aimés d’un amour aussi dévorant qu’impossible, sans se soucier de l’opinion publique.

Leur passion est immédiate, totale, ravageuse. Dès qu'ils le peuvent, ils se retrouvent dans le luxueux appartement que loue la comédienne au 13, quai de Conti, à deux pas de l'Académie.
A l'heure où la France vit au rythme des tickets de rationnement et des exécutions d'otages, on dîne de homards et d'huîtres de Marennes, on boit du champagne, fenêtres ouvertes sur la Seine. Puis le Faune s'installe au piano à queue pour une improvisation. Colette, Guitry, Valéry passent de temps en temps. On voit le couple aux premières à l'Opéra, on les aperçoit lors d'une escapade amoureuse à Megève. Ils ne se cachent pas.

Hans Jürgen Soehring était membre du Parti national-socialiste, il fut un magistrat allemand loyal sans être fanatique, avant d'intégrer l'aviation. Certes, sous l'Occupation, il est un des hommes de confiance de Göring à Paris. Arletty sera d'ailleurs présentée au maréchal du Reich lors d'une réception. Mais il semble que sa liaison affichée avec la « Garance » des s du paradis ait quelque peu nui à la carrière de Soehring. En 1943, il est envoyé se battre dans le ciel d'Italie, du côté de Monte Cassino. Après la guerre, il ne sera pas inquiété et sera même nommé consul de RFA en Angola, en 1954.

Arletty aurait dit aux actrices Michèle Alfa (1911-1987), qui fut la maitresse de Bernhardt Rademecker, neveu de Goebbels, et Mireille Balin (1909-1968), amante de Birl Deissböck, un officier de la Wehrmacht : « On devrait former un syndicat ».

Sur le tournage des « s du paradis », Arletty, alors enceinte de son amant, avorte.

À la Libération, en juillet 1944, Soehring lui propose de fuir avec lui. Arletty refuse.

SYMBOLE DE LA « COLLABORATION HORIZONTALE »

A ce moment-là, Arletty symbolise à elle seule cette « collaboration horizontale », honnie des Français, même si elle n'a pas tourné de films compromettants avec la Continental, la société contrôlée par les Allemands.

L'inconscient collectif imaginait de troubles réceptions sur fond de croix gammées et une rumeur tenace prétendait même qu'Arletty avait été tondue à la Libération. Fausse image d’une passion amoureuse.
Arletty n’a donc jamais été tondue. Peut-être est-ce dû à sa notoriété, son apolitisme revendiqué, ses origines populaires, sa ténacité pour sauver des amis juifs, ou tout cela à la fois. On a reproché à Arletty son amitié pour la fille de Laval, oubliant que son amante, Antoinette d’Harcourt, fut résistante et emprisonnée pendant un an.

Le 20 octobre 1944, Arletty est arrêtée, non pour fait de collaboration, mais en raison de sa liaison affichée avec Hans Jürgen Soehring. Elle est internée quelques jours à Drancy, puis quelques semaines à Fresnes, avant d'être astreinte à la résidence surveillée pendant 18 mois. Prise à partie par l'un FFI lors de son arrestation, elle répond : « Si mon cœur est français, mon cul, lui, est international ! », phrase qui lui avait été suggérée par Henri Jeanson, mais qui est peut-être apocryphe. Elle répond à une détenue qui lui demandait des nouvelles de sa santé : « Pas très résistante ».

« La môme de Courbevoie » ne cède rien. Elle se défend pied à pied, répondant à ses juges : «mon affaire était purement sentimentale et n'ayant rien de commun avec les événements politiques » Elle ajoute, provocatrice : « Si vous ne vouliez pas que l'on couche avec les Allemands, fallait pas les laisser entrer !»

Lorsqu'elle est libérée, on lui conseille de quitter la capitale. Elle trouve refuge pour dix-huit mois au château de La Houssaye-en-Brie chez des amis résistants. Son idylle avec l'officier allemand se poursuit secrètement, ils passent Noël 1946 ensemble. Soehring la demande en mariage, mais elle refuse, fidèle à sa promesse de jeunesse. En 1946, le comité d'épuration lui inflige un blâme, assorti d'une interdiction de travailler pendant trois ans.

En 1949, elle se sépare de Soehring, qui se marie en Allemagne. Jusqu'à sa mort il a conservé l'amitié d'Arletty qui a rendu visite à sa veuve et son fils à Bad Godesberg.

Après « le Faune », cette femme au tempérament de braise n'a plus eu le moindre amant !

FIN DE CARRIERE

Arletty reprend sa carrière au théâtre et au cinéma, tournant encore une vingtaine de films, mais dans des seconds rôles. Ses grandes heures sont derrière elle.

En 1966, elle perd son frère ainsi que Jean-Pierre Dubost, son ami intime et unique compagnon de route malgré des « hauts et des bas ». Elle perd aussi partiellement la vue. À partir de 1984, elle soutient activement l'Association des artistes aveugles.

POURQUOI ARLETTY ?

Féministe et indépendante, vivant au gré de ses envies dans une France coincée dans la morale pétainiste, Arletty revendiquait sa liberté de femme, en ne cachant pas, dans le même temps, son amour pour Antoinette, une jeune et riche aristocrate, membre de la Résistance. « Je suis dans le camp de l’amour », se justifiait Arletty lorsque ses ami(e) s lui reprochaient sa liaison dangereuse avec « un boche ».

J’ai choisi de parler d’Arletty dans cette rubrique, non pas parce qu’elle eut, dans sa vie intime de femme libre, de nombreux amants ou encore parce qu’elle assuma sa liaison saphique avec Antoinette d’Harcourt. C’est à cause de sa passion coupable, qui symbolise les excès d’une époque. Arletty ne peut aucunement être accusée de collaboration. D’autre part, elle n’a pas subi (du fait de sa célébrité ?) le sort des malheureuses qui furent tondues et exhibées pour cette « collaboration horizontale », qu’elle a pourtant symbolisée du fait de sa liaison avec son bel officier.

Cela relevait de sa vie privée et aucun fait de collaboration n’a pu lui être reproché, contrairement à d’autres artistes qui furent épurés à la Libération. Arletty n’avait jamais été discrète, elle ne l’avait pas été dans cette liaison affichée et qui lui fut donc reprochée.

C’est aussi l’occasion de dénoncer le mélange des genres, le traitement subi par ces malheureuses qui furent tondues et humiliées. On estime que 20 000 à 40 000 femmes, accusées à tort ou à raison de collaboration avec l’occupant allemand auraient été tondues en France entre le milieu de l’année 1944 et la fin de 1945. Qu’il s’agisse comme le plus souvent de collaboration « horizontale » (de celles qui, par amour, pour chercher à survivre ou du fait de leur métier, ont couché plus ou moins régulièrement avec les nazis) ou de collaboration plus classique (délation, espionnage, participation à diverses opérations), les coupables subissent le même châtiment infamant.

C’est donc l’occasion d’exprimer mon horreur pour cette prétendue « justice expéditive et populaire », d’ailleurs souvent réalisée par des résistants de la 25ème heure. Cela symbolise aussi une conception de la femme et une terrible mise en scène de leur corps.

Entendons-nous bien : la justice devait s’exercer et sanctionner sans faiblesse les faits de collaboration et les crimes commis sous couvert de l’occupation et du régime de Vichy.

Ce que je dénonce ici, c’est le caractère expéditif de ces pratiques et qu’une liaison avec un Allemand était en soit un crime, qui suffisait à justifier ces actes barbares, même si l’on ne peut oublier le contexte d’une France qui sortait d’un long cauchemar, 4 ans d’une terrible occupation nazie et connaissait une situation de guerre civile, propice à tous les excès.

La « liaison coupable » d’Arletty et ses conséquences m’ont donné l’occasion d’en parler.

PRINCIPALES SOURCES :

Je renvoie aux livres suivants :

• Denis Demompion. Arletty, (Ed. Flammarion, 1996)

• David Alliot : Arletty : « si mon cœur est français » (Tallandier, 2016)

Je renvoie également à l’article de Wikipédia, dont je me suis inspirée, ainsi qu’aux liens suivants sur la toile:

• https://www.vanityfair.fr/culture/voir-lire/story/arletty-et-son-soldat-nazi-lhistoire-damour-qui-enflamma-la-france-sous-loccupation/4508

• https://www.pointdevue.fr/culture/la-passion-coupable-darletty_8123.html

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