Les Aventures De Mangouste - Rouge, Impair Et Mort À Hanoï.
« Lenfer est vide, tous les démons sont ici »
William Shakespeare La Tempête
Voilà comment tout a commencé :
Les doigts de Chloé Maurecourt se sont posés sur les touches blanches du piano à queue Steinway & Sons, qui trône au milieu de son salon.
Les trois monumentales baies vitrées donnant sur les jardins du Luxembourg sont ouvertes en cette matinée de début juin. Il fait déjà chaud. Un léger filet dair envahit toutefois la pièce, la rafraîchissant à peine.
Les mains agiles de Chloé se mettent à courir sur les touches, enfin à survoler et à effleurer les touches plutôt. Concentré, son esprit devance ses doigts, il navigue déjà vers les accords suivants. De temps à autre, elle jette un rapide regard sur la partition posée sur le lutrin. Cest juste pour la conforter, elle connaît la suite de notes parfaitement. Cest gravé dans son cerveau plutôt et ses doigts parcourent le clavier, trouvant systématiquement la bonne touche, blanche ou noire, ou le bon enchaînement.
Jouer du piano nest pas seulement appuyer avec ses doigts sur un clavier. Les pieds sont également importants. Avez-vous remarqué que les pianos possèdent des pédales ?
Le pied gauche de Chloé effleure la pédale de gauche, la pédale « Una corda », qui au bon moment, en harmonie avec les mains, va adoucir le son et lui donner un timbre plus feutré, afin de marquer « une nuance ».
Prélude de Jean Sébastien Bach en do majeur.
La musique parfaitement exécutée envahit la pièce et se répand au-dehors dans le matin estival. Les notes senvolent vers le Luxembourg.
Elle la beaucoup travaillé, ce Prélude de Bach.
Elle maîtrise quasiment entièrement ce morceau
Sauf
ce passage de merde ! Cet accord en mi mineur.
Toujours au même endroit, sa pensée court, ses doigts ne suivent plus. Encore une fois, un couac à cet endroit. Bon, daccord, cest à peine perceptible, sauf pour une oreille entraînée, comme la sienne.
Il lui faudra encore travailler sans relâche sa concentration. La technique, elle la, la connaissance du morceau, elle la. Cest par là quelle pêche, la concentration
Euh non, en fait cette histoire ne commence pas comme ça !
Plutôt de cette façon :
Chloé Maurecourt, vêtue de son kimono rouge et or sest agenouillée devant la table basse.
Elle vient de verser le thé matcha dans le bol et la tendu à son invité dhonneur, Kudo Hidekazu, son vieux Maître qui lui a enseigné la cérémonie du thé. Enfin, après de longs mois, elle nen maîtrise que les rudiments, elle en effleure à peine les tenants et les aboutissants, elle approche seulement les implications profondes de la cérémonie.
La cérémonie du thé, appelée chadō est un véritable art traditionnel très codifié au Japon. Elle recèle une dimension symbolique forte. Cest une voie spirituelle menant aux bases du bouddhisme zen.
Celui ou celle qui veut suivre le rituel, doit faire siennes les quatre valeurs cardinales : Wa (lharmonie), Kei (le respect), Sei (la pureté) et Jaku (la tranquillité). Toute la philosophie du Japon ancestral et immatériel, résumée en quatre mots. Quatre vertus plutôt.
Un seul bol doit être servi et les invités se le font passer. Le maître du thé (Chloé donc ce jour-là) présente le bol à linvité dhonneur (son vieux Maître) qui prend le temps de le regarder, de le respirer puis de le faire tourner entre ses mains, afin déviter de boire sur la face avant. Il en aspire deux gorgées et demie, pas plus, pas moins. Une demi gorgée dabord, afin de se concentrer sur le breuvage et douvrir son esprit, puis deux autres gorgées. Ensuite, il va essuyer le bord, puis va le tourner à nouveau et enfin tendre le bol à linvité suivant.
Alors que les autres convives, (ce jour-là Tajima Riho, Matsuda Akira et Takagi Sunsho, dautres disciples du Maître) répètent le rituel, Kudo Hidekazu hoche légèrement la tête à lintention de Chloé.
Apparemment, il est satisfait
Il reste à Chloé à nettoyer les instruments et à les présenter aux invités
Euh non, ce nest toujours pas comme ça que cette histoire commence
En fait, elle débute ainsi (cette fois, cest la vérité) :
Chloé Maurecourt était penchée en avant la tête presque dans le moteur de la Chevrolet Corvette cabriolet de 1957, rouge et blanche.
Elle se trouvait dans le garage dont elle venait de faire lacquisition, quelque part dans le sud de Paris. Il sagissait dun vieux garage traditionnel, que lancien propriétaire a vendu afin de profiter de sa retraite.
Chloé a tout conservé, loutillage et le matériel, bien sûr, mais aussi la décoration, composée de plaques émaillées et de vieilles affiches de marques dhuile de moteur ou daccessoires automobiles du siècle dernier. Elle a même gardé le calendrier érotique de 1977 qui orne encore le mur du petit bureau. Il est resté ouvert sur la page de Miss juillet, une rousse, dont Chloé aime particulièrement les formes et la poitrine, plutôt volumineuse, mais aussi et surtout lair mutin quelle arbore.
Cest dans ce garage quelle entrepose les véhicules anciens quelle achète avec lintention de les restaurer.
On y trouve, hormis la Corvette, une Jaguar hors dâge, mais conduite à droite, comme il se doit, une Renault Frégate, ainsi quune moto, une Triumph Bonneville de 1971, pour le moment entièrement démontée. Selle, réservoir et garde-boues, sont posés à côté du moteur en pièces détachées.
Chaque chose en son temps, pour le moment Chloé soccupe de la Corvette.
Le moteur refusait de démarrer. Il lui faudra démonter le carburateur, ensuite, elle devra réviser la boîte de vitesse automatique et enfin vérifier les freins et les amortisseurs. Il y a aussi cette fuite dhuile qui linquiétait un peu aussi. Sûrement quil lui faudra quelques heures de travail pour résoudre ce problème de fuite.
Après, une fois les problèmes mécaniques résolus, elle devra sattaquer aux imperfections de la carrosserie, avant dapporter le véhicule à un spécialiste des peintures. Coups, bosses, rayures et points de rouille devront préalablement disparaître.
Enfin, elle pourra se consacrer à ce quelle préfère, les finitions, afin que la Corvette soit parfaite. Changer le rétroviseur qui nest pas dorigine (sacrilège !), refaire le revêtement intérieur, le tableau de bord, changer la capote. Les sièges sont complètement élimés et déchirés à plusieurs endroits. Elle allait les confier à un sellier spécialisé. Elle choisira une teinte proche de celle dorigine dans un cuir pleine fleur. Onéreux, mais la Corvette mérite bien ça.
Elle prendra la décision finale. Garder la Corvette, où la revendre avec un bénéfice substantiel. Non pas quelle eût besoin dargent, mais cétait pour elle un jeu en quelque sorte, plus quune source de revenus.
Elle pourra ensuite satteler à remonter le moteur de la Bonneville, après lavoir entièrement révisé, alors quelle la abandonné quand elle a ramené la Corvette :
- Salut Mangouste, fit une voix derrière elle.
- Mangouste ? Cest quoi ? Cest qui ? Je mappelle Chloé !
- Jte connais Mangouste, tu ne me la feras pas à moi, dit le type du genre gorille mal dégrossi. Tes toute nue sous ta salopette Mangouste ?
- Quest-ce que ça peut te foutre ?
- Simple curiosité Mangouste.
- Tu vois Machin ? Ça, cest un démonte-pneu. Comme tu peux limaginer et comme son nom lindique, ça sert à démonter les pneus. Mais je peux te le mettre sur la tronche aussi, afin de la démonter elle aussi. Ça fait deux heures que jen bave sur ce carburateur et je pense que ça pourrait me détendre un peu.
- Tes pas très sympa Mangouste.
- Non, en effet, je nai pas cette réputation. Ah et sinon ducon, sous ma salopette je suis toujours en porte-jarretelles ! Assez rigolé, tu veux quoi au juste ? lui dit Mangouste en le coinçant contre le mur et en lui mettant le démonte-pneu sous le nez.
- Tout doux Mangouste, ma patronne veut te parler
- Oh mon dieu !!!
- Quoi ?
- Quest-ce que tu es laid ! Et de près cest encore pire ! Je noublie jamais un visage, mais pour toi, je crois que je vais faire une exception !! Et cette haleine
Beuuuhh
- Arrête de faire la maligne Mangouste
- Ah oui ? Et si je narrête pas de faire la maligne, il va se passer quoi ? Parce que vois-tu, en général, jai le cur sur la main. Mais elle peut aussi arriver dans ta gueule
ma main
Bon, quon en finisse
Ah la la ! Ce nest pas facile de faire le monde daprès, avec les cons davant ! Bon, assez perdu de temps, allons voir ta patronne. Je ne parle pas aux larbins et aux sous-fifres généralement.
Elle att le guignol par la manche et le traîne vers la sortie en chantonnant :
Now we freak oh, what a joy
Just come on down to the fifty four
Find your spot out on the floor
Aaaaah, freak out!
Le freak, c'est chic
Freak out!
Aaaaah, freak out!
Le freak, c'est chic
Freak out!
Avant denchaîner un petit pas de danse
Sur le bateau du garage était garé une Roll Royce Silver Shadow vintage.
Chloé caressait le Spirit of Ecstasy sur le capot pendant que le gugusse ouvrait la portière arrière.
En montant dans la voiture, elle lui lança un sourire narquois.
Sur la banquette arrière se tenait une femme dans la trentaine. Une fort jolie jeune femme même. Les traits fins, les cheveux noirs rassemblés en un chignon élaboré :
- Qui êtes-vous ? Pourquoi vous venez me déranger en plein travail, lui dit Mangouste en sinstallant à ses côtés.
- Je suis Alix de Saint Aymé de Préville.
- De Saint Aymé de Préville ? Alix ? Carrément ! dit Mangouste en lorgnant les cuisses gainée de voile noir de la fille, que la jupe du tailleur Chanel remontée, cachait à peine. Jespère ne pas mettre de cambouis sur vos jolis sièges
dit-elle en caressant dun geste exagérément langoureux le cuir de la banquette.
- Jai besoin de vos services.
- Mes services ? Jai pris ma retraite, désolée
- Vous êtes la meilleure à ce quon dit, cest vous que je veux
Jy mettrais le prix.
- Vous me voulez ? Waouh ! Quelle chance, jai presque envie de me laisser faire. Bon, après, je nai pas besoin dargent.
- Vous êtes mon dernier recours. La police ne peut rien pour moi, personne na pu maider jusquà présent, dit Alix la voix tremblante.
Elle termine sa phrase par un sanglot :
- Bon, une fois de plus, je vais me faire avoir et me mêler daffaires qui à la base ne mintéressent pas. Que voulez-vous, ajoute-t-elle en soupirant, je ne peux pas résister à une jolie femme éplorée. Vous allez me raconter toute votre histoire, mais pas ici
Chloé baisse la vitre de la voiture et hèle le gugusse qui attendait sur le trottoir :
- Machin, tu nous ramènes à mon appartement.
Puis à lintention dAlix de Saint Aymé de Préville :
- Chez moi, nous serons plus à laise pour causer, je vais faire un brin de toilette, me changer pour être plus présentable et vous mexpliquerez tout ça devant une coupe de champagne.
Puis tapotant sur la vitre de séparation entre les places arrière et lavant, elle dit dun air goguenard :
- Au manoir James !
Alix était assise face à Chloé sur le canapé qui trônait au milieu de son salon :
- Alors, quest-ce que vous me voulez ?
- Ma sur a disparu, aidez-moi.
- Je ne peux pas.
- Vous êtes mon seul espoir Mangouste
- Jai pris ma retraite, je ne travaille plus. Et de toute façon, je nai jamais fait dans le recherche des personnes disparues.
- Votre prix sera le mien !
- Je nai pas besoin dargent. Et comment avez-vous connu mon existence ?
- Je suis la nièce de Pierre Le Gall.
- Pierre Le Gall, daccord, un ami, mon ancien intermédiaire lorsque je travaillais encore (voir Mangouste contre lOrganisation). Mais ce nest plus le cas, je ne travaille plus.
- Je dois retrouver ma sur, dites-moi ce que vous voulez, je vous le donnerai.
- Hmmmm, ce que je veux ? Vraiment ?
- Je vous le promets
- Passez la nuit avec moi et jirais au bout du monde chercher votre sur Alix, dit Chloé en posant sa main sur sa cuisse.
- Je ne
- Tu ne ?
- Rien
cest
cest daccord
- Bien parfait, dit Chloé en remontant légèrement la main sur la cuisse dAlix, à qui le rouge montait aux joues.
Les lèvres de Chloé se sont approchées de celles dAlix. Cest pourtant cette dernière qui a agrippé Chloé par la nuque et a collé sa bouche à la sienne, pour un baiser langoureux.
Puis dans un souffle :
- Fais de moi ce que tu veux Mangouste, je suis à toi.
- Chloé, appelle moi Chloé, lui dit cette dernière en la prenant par la main et en lentrainant vers sa chambre.
Le lendemain matin, Chloé faisait glisser le bout de son index le long de la colonne vertébrale dAlix, allongée sur le ventre, jusquau coccyx, ce qui eut pour effet de faire frissonner la belle brune. Lindex fut remplacé par les lèvres de Chloé, qui déposé un baiser sur les cervicales, puis dautres le long du dos de la jeune femme.
Alix sest retournée et a approché son visage de celui de Chloé. Leurs bouches se sont rencontrées. Les corps nus des deux jeunes femmes se serrèrent et elles roulèrent lune sur lautre sur le lit méga king-size.
Enfin repues, elles restèrent allongées lune à côté de lautre :
- Alors, raconte-moi tout au sujet de ta sur.
- Ma sur, Sixtine
- Sixtine de Saint Aymé de Préville, cest tout mimi Je ne savais pas que Pierre avait des nièces au sang bleu ! Mais bon continue, je ne tinterromps plus.
- Sixtine est journaliste. Elle a rejoint Taiwan pour un reportage. Un reportage sur une minorité ethnique du nord du Vietnam, un peuple montagnard qui vit aux confins de la Chine, les Ngas
- Au Vietnam ? Pourquoi est-elle passée par Taiwan alors ?
- Elle devait voir quelquun qui pourrait la renseigner avant, ma-t-elle dit. Dailleurs, elle est revenue à Taiwan après son séjour au Vietnam. Elle ma envoyé une carte postale de là-bas me disant quelle faisait un peu de tourisme avant de rentrer.
- Mouais
- Sans nouvelles delle depuis plus dun mois, jai appelé lhôtel où elle a séjourné en arrivant à Taipei. On ma dit quelle ny était plus, et quelle ny était pas revenue. Par contre, ils ont retrouvé dans sa chambre une petite sacoche quelle a oubliée en partant. Ils me lont retournée.
- Et elle contenait quoi ?
- Juste quelques affaires de toilette, du maquillage et une pochette dallumette dun bar à Taipei, le Drunken Goat.
- Ce nest pas grand-chose, mais au moins ça me fera un point de départ
Trois jours plus tard :
Le Drunken Goat se situait dans un quartier plutôt mal famé de Taipei, sur les docks.
Quelques dockers et marins de différentes nationalités trainaient sur le quai devant létablissement. Chloé entendit quelques bribes de mandarin, de cantonais, mais aussi de russe ou danglais dans les propos quéchangeaient les types plutôt patibulaires et tatoués qui vaquaient là.
- Quel bouge, si jétais émotive, ça me ferait presque peur dy entrer !
Elle poussa la porte. A lintérieur, la lumière tamisée laissait à peine deviner les silhouettes des consommateurs :
- Sixtine de Saint Aymé de Préville dans cet endroit, ça a dû détonner !
Mangouste sassit sur un des tabourets devant le bar.
- Bourbon glace, dans un verre propre.
Le barman, sans un mot, posa le verre devant elle.
Elle tendit une photo de Sixtine au barman qui haussa les épaules.
Un type, baraqué, un occidental, le crâne lisse comme le cul dun nourrisson vient sassoir au tabouret près delle :
- Alors beauté ? Envie dun vrai mec ? Comme moi ?
- Ahahahahah
- Femme qui rit, à moitié dans ...
- Chut, je tarrête avant que tu ne dises une grosse connerie. Quoi femme qui rit? Femme qui rit, elle rit, cest tout. Elle sen bat les boobs de ton lit. Qui a inventé ce proverbe débile, franchement.
- Sale morue, je vais tapprendre le respect moi !
- Les mecs, cest comme le café, au début ça excite. Après, ça énerve. En plus je ne suis pas là pour rigoler, mais alors pas du tout. En fait, toi, pour tout tavouer, tu ne mexcites pas vraiment. On peut même dire que tu mas direct énervée.
Mangouste posa le plat de sa main à larrière du crâne du type. Elle poussa fortement vers lavant. Cela a eu pour effet de propulser le front du type contre le bar. Elle le saisit par le col de sa chemise et le tira en arrière, Le type dégringola de son tabouret et sétala sur le sol inconscient.
Deux autres gugusses sapprochèrent menaçants, un occidental et un asiatique. Cest avec le tabouret où était assis le type trente secondes avant, quelle assomma le premier, avant de faucher le second dun revers du pied. Elle souleva le tabouret prêt à frapper le type au sol avec :
- Stop ! Police ! Mangouste, vous êtes à Taiwan depuis deux heures, et vous provoquez déjà une bagarre générale dans un bar. Je vous reconnais bien là !
- Inspecteur Li
ça faisait un bail !
- Et ça ne ma pas manqué Mangouste. Alors, on la joue comment ? Vous posez ce tabouret, où bien mes policemen entrent dans la danse ?
- Ok inspecteur, je pose ce tabouret
De toute façon, ces trois types qui mont agressée ont leur compte.
- Merci Mangouste, trop aimable, vous nous suivez au commissariat, bien sûr
- Attendez inspecteur, je vide mon verre et je vous suis.
- Je vous remercie Mangouste.
Puis à lintention de ses policiers :
- Et vous embarquez aussi ces trois hommes.
Une demi-heure plus tard, Chloé était assise en face de linspecteur Li dans son bureau :
- Alors Mangouste, quest-ce qui vous amène à Taiwan ?
- Je recherche une amie qui a disparu. Elle a séjourné ici, avant quon nait plus de ses nouvelles.
- Hmmm, et ça vous autorise à mettre le bazar à Taipei ?
- Peut-être pouvez-vous maider ?
- Racontez-moi votre histoire.
Après avoir raconté son histoire à Li:
- Je fais quelques recherches et je vous recontacte, vous êtes descendue à quel hôtel.
- A lOkura Prestige.
- On ne se refuse rien
- Ben non, pourquoi je me refuserais des trucs ?
Deux heures plus tard, Li la rappela dans sa suite :
- Jai retrouvé la trace du passage de votre amie. Elle est arrivée il y a un mois, venant de Paris. Elle est restée deux jours à Taipei et a séjourné à lhôtel Hyatt, avant de prendre un vol pour Hanoï.
- Hanoï ?
- Oui via Saigon, on me la confirmé à laéroport. Elle a bien enregistré et est bien montée dans lavion.
- Elle est censée être repassée à Taipei il y a moins dun mois, daprès sa sur. Elle a reçu une carte postale delle. Elle lui disait y rester quelques jours pour faire du tourisme.
- Aucune trace delle. Surement que cette carte a été postée par quelquun dautre, qui voulait faire croire quelle était revenue.
- Vous avez peut-être raison. Elle na pas pu séjourner dans un autre hôtel ?
- Non, les services de limmigration de laéroport enregistrent toutes les entrées des étrangers sur le territoire. Elle nest pas revenue, cest sûr.
- Il ne me reste plus quà aller à Hanoï.
- Je vais vous rendre un dernier service Mangouste, jai un ami là-bas. Il travaille au ministère de l'Intérieur. Il sappelle Nguyên Dinh Phuong. Je vais le prévenir, il vous aidera.
- Merci inspecteur Li.
- De rien, ça marrange que vous quittiez Taiwan au plus vite. Le plus tôt sera le mieux !
Hanoï !
Ça faisait plusieurs années que Mangouste nétait pas venue ici. Hanoï, navait pas trop changé.
Dun pas pressé, elle sest dirigée vers le point de rendez-vous, où elle devait rencontrer Nguyên Dinh Phuong, le contact que lui avait donné linspecteur Li. Le pousse-pousse venait de la déposer sur une place à proximité. Elle longeait la rue de la soie en direction du marché Dong Xuan. La rue lui renvoyait un tintamarre de klaxons des quelques voitures, des nombreux deux-roues motorisés mais aussi des sonnettes des innombrables vélos lancés en tous sens. Le tout dans une odeur de friture et de soupe issue des restaurants de rue qui colonisaient les trottoirs.
Hanoï est une ville grouillante, où se dressent encore les vieux bâtiments, pour la plupart en ruine, de lépoque coloniale française.
« Je vous attendrais devant le temple en face du marché de Dong Xuan », lui avait dit Nguyên Dinh Phuong, au téléphone deux heures plus tôt.
Elle avisa un homme, environ la cinquantaine, vêtue dune chemise col mao bleue et dun pantalon gris.
- Je suis Mangouste
- Je vous attendais, venez, allons manger une soupe pho bò, nous serons tranquilles pour discuter, lui dit Nguyên Dinh Phuong, dans un français parfait.
Ils sinstallèrent sur des bancs posés sur le trottoir. Une vieille vietnamienne leur apporta deux bols de soupe où flottaient légumes variés et morceaux de buf, ainsi que des pâtes de riz :
- Délicieux, dit Mangouste à son interlocuteur.
- Li ma raconté le pourquoi de votre visite au Vietnam. Jai mené mon enquête. Sixtine de Saint Aymé de Préville est arrivée à Hanoï il y a un mois et demi. On a perdu sa trace depuis. Jai retrouvé le guide qui la conduite au nord du pays. Vers les plateaux de Jiam, dit hauts plateaux.
- Les hauts plateaux ?
- Cest une région reculée qui longe la frontière laotienne au sud et chinoise au nord. Le guide dit lavoir amenée jusquaux premiers cols. Cest là quelle a été prise en charge par un autre guide, un laotien. Il ny a personne là-bas, hormis les Ngas, une tribu montagnarde.
- Les Ngas ? Tiens tiens
- En traversant la Préfecture autonome Dai de Xishuangbanna, côté chinois, on arrive au Myanmar, lancienne Birmanie, et un peu plus au sud en Thaïlande. On est donc à quelques encablures du fameux Triangle dOr. Enfin quelques encablures à léchelle du continent asiatique, ça fait quelques centaines de kilomètres tout de même.
En clair, lidéal pour se cacher et pour trafiquer à peu près tout, les armes bien sûr, mais aussi et surtout lopium. Cest une région déserte, montagneuse, inhospitalière. Pas de routes, juste quelques pistes pour sen approcher. Pour sen approcher seulement, ensuite, il ny a plus que quelques sentiers de montagne, puis la forêt à traverser. Hormis quelques villages et petites villes en bordure, pas âme qui vive côté Vietnamien. Cest pourtant là quon trouve et que sévissent Tigress et la petite armée quelle a monté avec les rebelles Ngas.
- Tigress, disiez-vous ? Qui est-ce ?
- Elle se fait appeler ainsi. Elle règne en toute impunité sur une petite troupe, avec la complicité des autorités. Les fonctionnaires vietnamiens, laotiens et même chinois, quelle arrose de dollars y trouvent leur intérêt.
- Vous pouvez men dire plus sur cette Tigress ?
- On dit que cest une métisse née dun père européen et dune mère chinoise. On dit quelle est belle mais dure comme une lame de sabre japonais. Je crois surtout, que cest elle qui a fait courir cette rumeur et cette image, pour assoir son autorité. Son père a travaillé pour la CIA , mais en même temps pour les Viêt-Congs pendant la guerre. Un parfait agent double. Tout de suite après la guerre, profitant de ses bonnes relations avec les régimes communistes du secteur, son père sest enrichi en revendant au marché noir le matériel abandonné par larmée américaine, tout en organisant le trafic dopium. A la mort de son père, Princess a pris sa suite. Elle vit retranchée dans cette région, doù elle dirige ses opérations sous la protection dune petite armée recrutée parmi les Ngas, une tribu de montagnards irréductibles.
Lendroit rêvé pour elle, je vous disais. Cinq pays à proximité, en cas dattaque dune des armées ou de la police dun de ces états, cest tellement facile de passer une frontière et de se mettre à labri.
Mais, sauf pour la Thaïlande, les gouvernements de ces pays se contrefichent du trafic dopium. Contrairement à la Birmanie et au Laos, la politique déradication de la culture dopium, en Thaïlande, sest montrée globalement efficace, notamment grâce aux nombreuses alternatives économiques qui ont été proposées aux populations dans le nord du pays sous limpulsion de la famille royale. Une unité policière spéciale a été créée pour lutter contre les trafics qui transitent par le Mékong, mais aussi pour éradiquer les résidus de la production qui subsistent dans la région.
Larmée de Tigress évite donc le nord de la Thaïlande, sauf en cas durgence, lui préférant la Birmanie ou le Laos, ou carrément se perdre dans les montagnes du Yunnan.
- Si cest si isolé que ça et difficile daccès, ça va être compliqué. Jaimerais y faire une reconnaissance. Avant de my rendre par voie terrestre à laveugle, est-ce que je peux trouver un petit avion pour survoler cette région et étudier du ciel la route que je vais suivre pour atteindre le domaine de Princess ?
- Un avion, oui, un pilote cest plus compliqué. Ici, le gouvernement contrôle tout. Survoler le pays pour des raisons personnelles n'est pas autorisé. Aucun pilote ne vous accompagnera.
- Je sais piloter !
- Allez au terrain daviation de Nà Sản, à une centaine de kilomètres à louest d Hanoï. Vous pourrez y trouver un avion. En disant que vous venez de ma part, le vol ne sera pas déclaré aux autorités. Vous repérez facilement la région. Depuis laérodrome, suivez la rivière Noire. Il y a deux derniers villages. Lai Chaû au nord et au sud, un autre village que vous français connaissez bien de nom, Diện Biên Phủ. Quand la rivière Noire fera une grande boucle vers le nord, continuez au nord-ouest. Après les premiers cols, vous serez sur les hauts plateaux. Il ny a plus de villages, plus de routes, à peine quelques pistes qui se perdent dans les montagnes. Au nord, vous apercevrez une chaîne montagneuse au-delà de la frontière avec la province du Yunnan. En fait, cette chaîne marque les tout derniers contreforts montagneux de lHimalaya. Au sud cest la frontière avec le Laos. Ne vous approchez pas de lespace aérien chinois, ni laotien.
Chloé survolait la jungle dense à bord dun Diamond Aircraft. Un avion relativement moderne et léger. Le ciel était bas. Les brumes des restes de la mousson estivale masquaient lhorizon. Elle avait suivi les indications de Nguyên Dinh Phuong et longé la rivière noire. Elle filait maintenant vers le nord-ouest, se repérant à la chaîne de montagnes Cao Xa en Chine, dont on apercevait au loin les sommets perdus dans les nuages. Au-delà, passés les plateaux de Jiam, sa destination, et le col des Nuages, c'était les solitudes du Yunnan.
Lavion longea la chaîne de montagnes Cao Xa à distance, effectuant un large virage vers le sud. Chloé sengagea au-dessus dune étroite plaine vallonnée étagée entre les crêtes à droite et la rivière Nam Mu, un sous-affluent de la rivière Noire à gauche. Cest cette rivière quelle devrait remonter en pirogue si elle voulait dans les jours qui suivent, atteindre les hauts plateaux de Jiam, dont la jungle servait de refuge aux montagnards Ngas et à leur cheffe Tigress.
Vu laltitude où elle se trouvait, Chloé ne devait pas craindre dheurter une montagne, mais engluée dans les nuages bas, elle avait peu de chances de distinguer ce qui se passait sous elle.
Elle descendit donc jusquà une altitude de mille mètres. Cétait risqué bien sûr, les plus hautes montagnes pointaient à deux mille mètres et la visibilité était faible.
Elle naviguait à vue entre les sommets. Une fois passé outre, le voile épais des nuages se déchirait, permettant à des flots de soleil de se déverser.
Devant le nez du Diamond, une série de plateaux couverts de forêts sétendaient. Ils étaient séparés par des sortes de canyons. Au loin, les montagnes formant la frontière du Yunnan se détachaient. Au-delà, cétait la Chine :
- Les hauts plateaux de Jiam, murmura Chloé.
Elle se mit à les survoler à basse altitude, cherchant à trouver une trace de la présence de larmée de Tigress. Durant de longues minutes, elle survola les plateaux en tous sens. Ils se chevauchaient, imbriqués, séparés seulement par des canyons bordés de falaises rocheuses et quelques torrents descendus des montagnes.
Pour ce qui dune présence humaine, rien
le néant !
Tout à coup, elle sursauta. Un vague fuseau de brume montait entre les arbres. Mais il ne sagissait pas réellement de brume, la brume ne possédait pas cette couleur grisâtre.
- De la fumée, pensa-t-elle. Et là où il y a de la fumée, il y a des hommes.
Chloé ne vit pas dautres traces de présence humaine, et ne sapprocha pas trop près de la fumée, pour éviter de se faire repérer. Néanmoins, elle aperçut une longue trainée débroussaillée dans la jungle, qui sétendait telle une cicatrice. Elle pouvait éventuellement servir de piste datterrissage à des petits avions. En sapprochant encore et en survolant lendroit à basse altitude, elle vit quelle était camouflée par quelques arbustes posés çà et là, qui une fois enlevés pouvaient permettre à un avion de sy poser. Nulle trace dappareil, en revanche, ni de bâtiments, ni daucune activité humaine. Mais en bordure de la piste, la végétation était dense.
Chloé nota les coordonnées de lendroit sur son GPS, et fit demi-tour. Elle avait trouvé ce quelle cherchait. Elle pouvait retourner à Hanoï.
Elle repartit donc vers le sud-est à petite allure, cherchant au sol des repères qui lui permettraient de tracer son itinéraire lorsqu'elle reviendrait par voie terrestre. Elle porta ces points sur la carte étalée sur le siège vide du copilote
Au loin, la chaîne de montagnes bordant les hauts plateaux apparut. Elle était voilée par la nébulosité venant du sol surchauffé. Soudain de ce brouillard surgit une forme ailée.
Un avion ! Et il se rapprochait rapidement. Un Beechcraft Bonanza :
- Quest-ce quil me veut ? se demanda Chloé. Il fonce droit sur moi !
Elle ne se posa pas la question très longtemps. Des petites étincelles apparurent autour de son appareil :
- Une mitrailleuse ! Et il me canarde ce con !
Beaucoup moins rapide que le Beechcraft, elle avait peu de chances de le distancer. Seules ses compétences de pilote allaient lui permettre de sen sortir.
Chloé tenta une manuvre. Elle descendit en piqué vers une vallée étroite entre deux rangées de petits plateaux en escalier. Le pilote du Beechcraft, moins agile la suivit. Pourtant, Chloé, grâce à la rapidité de sa manuvre avait pris de lavance. Quand elle déboucha en plein ciel, son ennemi nétait plus derrière elle. Elle se dirigea vers les brumes afin de sy cacher. Juste avant de les atteindre, le Beechcraft réapparut derrière elle, lâchant une giclée de munitions de sa mitrailleuse. Hors de portée, les balles se perdirent dans le ciel.
Une partie de cache-cache se joua entre les deux avions. Louvoyant entre nuages et vallées abruptes, Chloé cherchait à échapper à son agresseur. Après une série de rase-mottes au-dessus des arbres, elle crut bien lui avoir échappé. Pas pour longtemps, en plein ciel, lautre la retrouvée et lui a foncé dessus tel un oiseau de proie :
- Ça sent le pâté là !
Chloé savait que cette situation ne pourrait durer longtemps. Tôt ou tard, lautre appareil pourrait se rapprocher assez près et elle se trouverait dans sa ligne de mire. De plus le niveau de carburant baissait à vue dil.
Elle tenta une manuvre. Lors de sa reconnaissance, elle avait suivi un canyon bordé de hautes falaises. Elle connaissait donc le terrain. Brusquement, elle plongea entre les falaises en rase-motte. Elle savait que plus loin, après une longue courbe, le canyon se terminait en cul de sac en une véritable muraille rocheuse à pic.
Engagée dans la courbe, lautre avion à ses trousses, elle disparaît de sa vue. Elle estima la distance la séparant de la paroi :
- Un
deux
trois
A treize, elle allait relever son avion. Presque une manuvre suicidaire, mais pas le choix
- Douze
. Treize
dit-elle en tirant de toutes ses forces le manche vers le haut.
Brutalement sollicité, l'appareil se mit à vibrer et monta vers le ciel, presque à la verticale :
- Ça va passer
Ouh là là
. cest passé !!!!
Sous elle, le pilote du Beechcraft, surpris, neut pas le temps de se dégager. Lancé à 300 km/h, son avion heurta la falaise de plein fouet et éclata dans un déluge de feu.
Chloé, après avoir stabilisé son engin, fit demi-tour pour survoler la zone de crash. Les restes embrasés du Beechcraft gisaient au pied de la falaise :
- Et pan dans ta gueule ducon
Elle éloigna son appareil de la zone de crash en chantant à tue-tête dans lhabitacle :
Donnez-moi Madame s'il vous plait
Du ketchup pour mon hamburger
Donnez-moi Madame s'il vous plait
Du gazoline pour mon chopper
Je serai votre pop star je serai votre queen
C'est une question de dollars une affaire de feeling
Donnez-moi Madame s'il vous plait
Des décibels pour mon tuner
Donnez-moi Madame s'il vous plait
Des boots Made in Angleterre
Oh oh oh Madame encore un petit effort...
Puis :
On ira tous au paradis même moi
Qu'on soit béni ou qu'on soit maudit, on ira
Toutes les bonnes surs et tous les voleurs
Toutes les brebis et tous les bandits
On ira tous au paradis
On ira tous au paradis, même moi
Qu'on soit béni ou qu'on soit maudit, on ira
Avec les saints et les assassins
Les femmes du monde et puis les putains
On ira tous au paradis
Enfin :
Allô Papa Tango Charly
Allô Papa Tango Charly
Répondez, nous vous cherchons
Allô Papa Tango Charly
Allô Papa Tango Charly
Vous vous dirigez plein sud
Vers le triangle des Bermudes
Ici Papa Tango Charly
Je vous entends très bien
Ici Papa Tango Charly
Me laisserez-vous enfin
Je n'ai plus besoin de vous
Je vole par vent debout
Je vais noyer ma solitude
Dans le triangle des Bermudes
Trente minutes plus tard et après ces quelques vocalises, Chloé se posa sur le petit aérodrome près de Hanoï, doù elle avait décollé trois heures plus tôt.
Les deux jours suivant, elle prépara activement son expédition vers les hauts-plateaux. Elle fit lacquisition dun Land-Rover qui pourrait lamener jusquà rives de la rivière Noire, dabord par la route, puis par les pistes.
Ensuite elle devra utiliser le canoë quelle a acheté aussi, pour remonter un affluent de la Rivière Noire. Enfin elle estimait à deux, voire trois jours de marche le temps nécessaire pour rejoindre le point dont elle avait relevé les coordonnées GPS lors de son survol, où le filet de fumée avait été visible.
Dans les plaines après être sortie dHanoï, Chloé traversa des paysages de rizières où travaillaient des paysans de leau jusquaux genoux. Elle trouva sur son chemin également plusieurs villages. Elle croisait sur la route, quelques poids lourds, des véhicules militaires, des cyclo-pousses et charrettes tirés par des buffles. Puis, le paysage commença à changer, les zones agricoles se firent de plus en plus rares et la forêt de plus en plus dense.
A deux reprises, elle fut arrêtée par des patrouilles militaires. Le sauf-conduit fourni par Nguyên Dinh Phuong lui permit de passer sans encombre ces contrôles.
Puis le 4X4 se traina sur de mauvaises pistes à peine praticables. Parfois, un tronçon de route permettait de regagner un peu du temps perdu.
Elle campa sur une petite éminence le premier soir, après avoir dissimulé son véhicule dans la végétation. Chloé repartit le lendemain. Elle avait emporté avec elle, une bonne quantité de carburant qui lui permettrait dassurer aussi le trajet retour.
Elle abandonna son 4X4 pour remonter la rivière. La chaleur lourde et humide commençait à lui peser. Avec son canoë, elle remontera aussi haut quelle pourra vers les plateaux de Jiam.
Autour delle, la jungle sétendait, profonde, limite hostile. Parfois, par endroits, entre les cimes des géants végétaux, elle pouvait voir les crêtes des montagnes, but encore lointain de son expédition.
Elle campa à nouveau au bord de la rivière, passant la soirée à étudier la carte quelle avait soigneusement jalonnée de repères, lors de son périple aérien.
Le lendemain, après quelques kilomètres à pagayer, le courant devint trop fort pour continuer à remonter la rivière. Elle camoufla son canoë, puis continua à longer la rivière à pied sur la rive.
Après avoir passé les bretelles de son sac à dos et en séloignant de son embarcation, Chloé lança dans sa tête, cette petite chanson :
La p'tite Noé
Veut plus m'parler
Qu'a Noé ?
L'ami Cao
M'a mis K.O
Qu'a Cao ?
La p'tite Ramel
M'est infidèle
Qu'a Ramel ?
Un peu partout, la vie se manifestait. Oiseaux multicolores qui picoraient dans les branches et senvolaient en piaillant à son approche, singes fuyant en poussant des cris stridents. Elle vit aussi la queue dun serpent disparaitre dans la densité de la végétation juste devant elle :
- Je déteste les serpents, se dit-elle en serrant plus fort son coupe-coupe. Je ne suis pas une Mangouste pour rien !
Puis Chloé prit en direction des montagnes un sentier à peine marqué, qui grimpait vers les sommets. Elle continua de progresser, le dôme de verdure et la demi-pénombre commença à séclaircir. Elle était presque en haut. Au-delà, une fois le col passé, cétait les hauts-plateaux de Jiam.
Limmensité des hauts-plateaux lui apparut enfin, sétendant à perte de vue, jusquaux montagnes chinoises. Elle estimait à encore une bonne journée de marche le temps nécessaire pour atteindre le point quelle avait marqué sur la carte. Elle décida de camper sur le sommet, avant de reprendre sa marche le lendemain et la descente vers les plateaux. Maintenant elle devra se méfier, une rencontre avec les Ngas de larmée de Tigress était possible.
Le lendemain, Chloé repartit à laube. Elle progressait sans se presser, évitant tout effort inutile. Elle savait que sous ce climat, toute fatigue superflue pouvait, à la longue, se révéler néfaste.
Vers midi, droit devant elle, apparut une palissade en bambou, au centre dune vaste clairière. Elle saffaissait à plusieurs endroits. Derrière, elle pouvait voir des huttes en apparence abandonnées qui tombaient lentement en ruine.
- Un ancien village Ngas, se dit Chloé. Dans ce secteur, ça ne peut être que ça.
Elle savança doucement entre les cahutes, jusquau centre du village. Un groupe doiseaux senvolant attira son attention. Des ombres surgirent. Chloé se jeta à terre. Une rafale darme automatique, tirée très haut au-dessus de sa tête a succédé au piaillement des oiseaux apeurés.
Instinctivement, Chloé glissa sa main vers le pistolet dans létui à sa ceinture. Elle arrêta son geste, une quinzaine dhommes, vêtus de chemises et pantalons à la mode des montagnards vietnamiens sortirent de partout et lencerclèrent. Ils portaient des turbans ou des chapeaux de paille conique traditionnels du Vietnam. Certains étaient torses nus, mais tous portaient des cartouchières bien garnies et avaient entre leurs mains des fusils ressemblant à des kalachnikovs, ou tout au moins à leurs copies de fabrication chinoise.
« Je voulais trouver les Ngas, eh bien les voilà », se dit Chloé en lâchant la crosse de son arme. La sortir ne ferait quaggraver les choses et de toute façon, sils avaient voulu la , elle serait déjà morte.
Un des Ngas savança. Il avait un visage fermé, les pommettes saillantes :
- Levez-vous, ordonna-t-il dans un français guttural. Vous êtes mangouste je suppose
- Gagné !
La kalachnikov en bandoulière paraissait plus menaçante encore que son visage fermé et son regard froid:
- Vous nêtes pas la bienvenue ici.
- ça Je men serais doutée !
Le chef sapprocha de Chloé et la fouilla. Le coupe-coupe et le pistolet lui furent confisqués. On lui attacha les poignets derrière le dos et elle fut poussée en avant :
- Je veux rencontrer Tigress.
- Tu nes pas en position de demander quoi que ce soit, mais tu ne vas pas tarder à la voir, chienne détrangère.
- On ne peut pas dire que tu sois sympathique toi, non vraiment !
- Arrête de faire la maligne salope !
- Traverser la moitié de la planète, puis la moitié du pays pour entendre cette rengaine
Au moment voulu, je me souviendrais de tes paroles et de tes actes mon garçon.
Ce ne fut pas un trajet facile, bien que court. La zone débroussaillée fut rapidement remplacée par une montée rocheuse et raide.
Avec les mains attachées dans le dos, Chloé trébuchait régulièrement et tomba à plusieurs reprises. Au lieu de laider à se relever les Ngas lui donnaient des coups de pied dans les côtes.
La soif ne tarda pas à la gagner. Quand elle réclamait à boire, les Ngas faisaient mine de ne pas lentendre.
A un détour du sentier, le village apparut en contrebas, dans une petite vallée. Tout de suite, Chloé était sûre quelle était arrivée à destination, le repaire des Ngas et de Tigress.
Les cases, sous les arbres, mais aussi les palissades étaient camouflées par la végétation et par quelques branchages posés ça et là. Chloé crut reconnaitre lendroit entre aperçu quelques jours plus tôt depuis lavion.
Le groupe longea dailleurs la piste datterrissage, débarrassée de ses bosquets postiches qui la masquaient vue du ciel. A priori, un avion sétait posé il y a peu. Un Beechcraft, comme celui qui lavait prise en chasse lautre jour. Il était garé au bout de la piste.
Sur un ordre crié par le chef du groupe, une herse se souleva, et ils purent pénétrer dans lenceinte du village. Des hommes, des femmes et quelques s sortirent des cases sur pilotis pour venir dévisager le groupe qui entrait et principalement la prisonnière. Le chef les chassa et attira Chloé vers une construction plus grande que les autres, bâtie en partie en bambou et en partie en dur.
Arrivé devant lentrée, le chef prit un maillet et tapa deux coups sur un gong accroché.
Chloé comprit quelle se trouvait devant lantre de Tigress.
Une grande femme assise sur ce qui ressemblait à un trône, se leva et toisa la prisonnière.
Elle devait avoir une petite cinquantaine dannées daprès les calculs de Chloé et les renseignements que lui avait donné Nguyên Dinh Phuong, mais elle en paraissait trente. « Belle, mais dure comme la lame dun sabre japonais, impitoyable même » se remémora-t-elle.
Elle était dune beauté parfaite, grande pour une asiatique, surement du fait de sa moitié européenne. Un visage comme taillé dans un bloc dambre, aux traits réguliers, lisse sans la moindre ride. Et surtout, ce regard et ses yeux
sublimes, mais froids, dans lesquels aucun sentiment ni aucune émotion ne devaient pouvoir se lire.
Tigress portait une longue robe chinoise, ornée de
tigres. Cette femme ne devait pas connaitre de faiblesse, ni de pitié. Ça en faisait froid dans le dos. Même Chloé, qui en avait vu dautres fut impressionnée.
Les quelques guerriers Ngas présents dans la pièce montraient tous les signes de ladmiration extatique. Elle les envoutait et ils devaient lui vouer une totale fidélité, allant jusquau don de leur vie.
Leurasienne se rassit sur son trône. Elle dit à lintention du chef Ngas qui la amenée jusquà là :
- Fais approcher la prisonnière Trang.
Trang, puisquil semblait bien quil sappelait ainsi, attrapa Chloé par le bras et la poussa vers le trône. Chloé lui glissa à loreille :
- Elle a lair bien salope. Je suis sure quelle fait du bénévolat dans le milieu de la prostitution.
- Tais-toi ! aboya Trang en la poussant au sol.
Le regard froid de Tigress se posa sur Chloé :
- Tu es Mangouste, je suppose ?
- Mouii, cest moi
- La rumeur dit que nexistes pas Mangouste. Et pourtant tu es là devant moi, au sol, attachée, à ma merci.
- Les rumeurs cest comme les bites, ça sort toujours de la bouche des salopes.
« Et si tu n'existais pas, je crois que je t'aurais trouvée », se mit à chantonner Chloé en imitant (mal) la voix de Joe Dassin :
- Je suis meilleure sur Claude François.
- Trang, attache cette chienne au poteau. Et que lon commence notre cérémonie.
Trang la saisit sans ménagement et entraina Chloé vers un poteau au milieu de la pièce, où elle fut ligotée.
Quand ce fut fait, il se saisit du maillet près de la porte et donnant une suite de coups sur le gong.
Les portes souvrirent. Dehors, la nuit était tombée. Des Ngas, hommes et femmes entrèrent en procession. Ils avaient quitté leurs vêtements de travail pour des tenues en soie multicolores. De longues robes pour les femmes et des sortes de pyjamas pour les hommes.
Ils simmobilisèrent et sécartèrent, les hommes dun côté et les femmes de lautre. Seuls quelques gardes, dont Trang étaient restés auprès du trône de Tigress.
Une jeune fille entra à son tour dans la pièce et vint sagenouiller devant Tigress :
- Phan, cest aujourdhui le jour de ta majorité et de ton passage à lâge adulte. Approche de ta maitresse, tu sais ce que tu as à faire. Viens gouter la sève de ta maitresse et ten repaitre, dit de manière théâtrale Tigress.
La jeune fille, Phan, puisque tel était son prénom, sapprocha et sagenouilla devant Tigress. Elle souleva la robe de leurasienne se pencha en avant et mit son visage entre les cuisses de la femme.
Chloé ne perdait pas une miette de la prétendue cérémonie :
- Cette bonne femme est une grande malade, elle se prend pour une déité en plus, se dit-elle. Une déesse de lamour !
Le visage de Tigress, pour la première fois laissa paraitre une émotion. Sa bouche se tordit légèrement de plaisir, même si aucun son nen sortit. Ses traits se détendirent presque. Elle claqua dans ses mains deux fois. A ce signal, les hommes et les femmes sapprochèrent les uns des autres et se mirent en couple pour se diriger vers les coussins, matelas ou sofas disséminés autour de la pièce. Des râlements de plaisir retentient ici et là :
- Partouze entre les Ngas, se dit Mangouste goguenarde, avant de partir dun léger ricanement.
Au fur et à mesure, de lavancée de laction, les couples se séparaient pour se former à nouveau avec dautres partenaires. Ils constituaient souvent, non plus des duos dailleurs mais des trios ou plus. Chloé aperçut aussi quelques femmes ensemble et même un homme en train de sactiver derrière un autre. En clair, ça copulait de tous les côtés et dans tous les sens :
- Ça se corse là, se dit-elle. Ça dégénère même
Une odeur forte se mit à chatouiller les narines de Chloé. Certains avaient allumé de longues pipes et fumaient manifestement de lopium, avachis à même le sol sur des coussins.
Chloé reporta son attention sur Tigress :
- Mince, jai loupé son orgasme à cette cochonne, se dit-elle. Enfin, si elle est capable de jouissance
La jeune fille, son office apparemment terminé, avait la tête posée sur la cuisse de Tigress.
Une voix retentit alors derrière Chloé :
- Alors Mangouste ? On se divertit du spectacle offert par ces sauvages ?
Elle se retourna. Derrière elle, se tenait un asiatique plus que bedonnant, mais lair satisfait de lui. Plus que bedonnant est un euphémisme en fait. On aurait pu dire obèse. Un sosie de bouddha version moine ventripotent, le crâne chauve comme lui et la bouche charnue :
- Tu sais qui je suis ?
- Non, pas du tout
Je ne crois pas que nous ayons été présentés déjà.
- Mon visage test inconnu, mon nom te dira peut-être quelque chose.
- Ah ? Et tu tappelles comment mon gros ?
- Toujours à titiller tes adversaires, hein Mangouste, tu ne peux pas ten empêcher, hein salope ! Même quand tu es en sale posture !
- Oh tu sais, les sales postures, cest comme pendant une bonne partie de baise, ça évolue vite. On est en-dessous, on se retrouve au-dessus
après quand on parle de baise, souvent cest un peu sale. Cest ce qui fait que cest excitant.
- Aucune chance cette fois de ten sortir, Mangouste.
- Le suspense est insoutenable, tu es qui alors ? Lattente nest plus tenable, je me consume littéralement.
- Je suis Niran Rattanapong.
- Rattanapong ! Tiens donc, le nom de Madame Boon (voir Banco à Bangkok).
- Oui, cétait ma sur et tu las tuée.
- Elle la bien cherché ! On va dire quelle nattirait pas ment la sympathie ! Un peu comme toi. Cest de famille surement.
- Mais tu es à moi maintenant Mangouste et je vais la venger.
- Ça ce nest pas encore fait machin.
- Tu vas en baver avant de mourir Mangouste.
- Vas chier connard. Jadore cette tirade, « Vas chier connard ». Cest dans quel poème quon trouve ça déjà ?
- Jai tout manigancé, je tai attirée ici, en nappant cette pétasse de journaliste. Je savais que sa sur te contacterait. Elle connaissait ton ancien intermédiaire, Pierre Le Gall, celui que les amis de Boon ont massacré !
- Un truc que tu ne dois pas oublier gros tas, Boon et tous ses amis sont morts.
- Tais-toi, sale chienne, hurla Rattanapong en la giflant. Je me suis alliée à Tigress, car je savais que tu arriverais jusquici, mais maintenant tu es en mon pouvoir et tu es dans de sales draps. Pas daccord Mangouste ?
- Jaimerais bien être daccord avec toi. Sauf que si cétait le cas, nous serions deux à avoir tort. Après, il y a une chose qui métonnera toujours !
- Quoi ?
- C'est curieux chez les méchants ce besoin de faire des phrases. Sinon, la gifle que tu mas mise, tu as bien fait den profiter, sale con, je suis attachée, et je ne peux pas me défendre, mais tu vas le regretter et très vite. Crois-moi, foi de Mangouste.
- Continue à faire ton intéressante Mangouste ! Mais tout était calculé, les faux indices à Taipei, à Hanoï, tout était bidon, une vraie toile daraignée, que jai tissé. Et tu es venue te jeter dedans tête baissée.
- Les araignées, je les éclate dun coup de talon. Un peu comme les serpents ! Tête de nud.
- Tes insultes et tes rodomontades ne me touchent pas Mangouste. Car tu vas être ma chose maintenant ! Je ne sais pas comment tu vas mourir encore, mais je sais que tu vas souffrir et que ça va être long.
- Oh ! Rodomontades !! Joli ! Mot compte triple, au moins !
- Je vais réfléchir à la façon dont tu vas rendre lâme! Parce quelle devra être à la hauteur de la haine que je te porte. Je vais te r longtemps, jen frissonne déjà dimpatience.
Puis à lattention des Ngas restés auprès du trône de Tigress, il aboya :
- Emmenez là dans sa geôle !
Aucun des guerriers ne fit le moindre mouvement. Cest seulement lorsque leurasienne, hocha la tête que deux gardes détachèrent Chloé et lemmenèrent. Avant de sortir, elle jeta un regard aux quelques Ngas forniquant encore. La plupart dormaient emportés par les vapeurs de lopium. Elle fut enfermée dans une case de lautre côté du village.
Il faisait sombre, Chloé sassit à même le sol et laissa ses yeux shabi à lobscurité :
- Qui êtes-vous ? Ne me faites pas mal, fit une voix apeurée et féminine à laccent français dans lombre.
- Vous êtes Sixtine ?
- Oui et vous ?
- Je mappelle Chloé, cest votre sur qui menvoie.
- Alix ?
- Oui. Bon notre situation nest pas optimum, mais ça va sarranger, ça sarrange toujours.
Quelques sanglots et reniflements se firent entendre. Apparemment Sixtine nétait pas convaincue par les propos optimistes de Chloé :
- Ne vous inquiétez pas, on va trouver le moyen de sortir dici.
La porte souvrit et dans la semi-pénombre de lextérieur, une silhouette massive apparue :
- Alors Mangouste, on est en train de perdre ses derniers espoirs ?
Niran Rattanapong ! Il alluma une lanterne qui éclaira la pièce.
- Tu nas pas pu tempêcher de venir me narguer jusquici machin?
- Je vais te frapper un peu avec ce bâton Mangouste, te bastonner quoi. Par pure méchanceté. Ensuite, par pure perversité, jrai sexuellement de toi et peut-être que je profiterai du corps de Sixtine aussi.
Il avait à la main un long bâton en bambou. Il en donna un coup dans le ventre puis dans les côtes de Chloé, qui se plia en deux :
- Tu vois tête de con, tu viens de commettre une grossière erreur
- Quelle erreur Mangouste, tu es attachée, tu ne peux rien contre moi.
- Sauf que non ducon, je ne suis plus attachée. Les abrutis de Ngas qui mont ramenée ici ne lont pas fait. Au combat dégal à égal, un gros porc suant de tous ses pores comme toi, na aucune chance contre moi. Même si je suis à mains nues et que tu as un bâton ! Ah joubliais, ton revolver à la ceinture. Tu penses que ça te rend fort, mais il métonnerait que tu puisses avoir le temps de ne serait-ce que poser ta main sur la crosse :
Mangouste dun revers de son avant-bras écarta le bâton, puis son pied atteignit le gros thaïlandais aux parties. Il se plia en deux :
- Ouch, ça fait mal ça hein ? Je me demandais, vu ta corpulence, si tu nétais pas un eunuque, mais apparemment, non, tu as des roubignolles !
Elle lui donna un coup de tête. Rattanapong partit en arrière chancelant. Il sécroula au sol, le nez éclaté.
- Et voilà, pauvre imbécile, cest ta morgue et ta prétention qui nous auront sorties de ce guêpier. Pas bon dêtre trop sûr de soi, surtout quand Mangouste est dans les parages.
Chloé se saisit du coupe-coupe accroché à la ceinture de Rattanapong et en posa la lame sur sa gorge :
- Tu te souviens mon gros quand on parlait des positions tout à lheure ? Tu vois, ça va, ça vient les positions. Alors je técrase comme une araignée avec mon talon, où je tégorge avec cette lame mal aiguisée ? Ouh là, ça devrait être douloureux ça
- Non Mangouste ! Pitié !
- Pitié ? Mangouste et pitié dans la même phrase ? Ça ne le fait pas Rattanapong. Cherche lintrus ! Bon, tu vas mourir vermine. Ne regarde pas Sixtine, ma chérie. Ça ne va pas être joli à voir. Mais il faut en passer par là ! Bon, voilà, cest fait. Une sous-merde de moins sur la terre. Je ne souhaite pas paix à ton âme mon gros.
Chloé prit Sixtine par la main. Avant de lattirer vers la porte, elle la regarda sous toutes les coutures :
- Tu es aussi jolie que ta sur.
Puis, elle lentraina vers lextérieur. La nuit noire masquait leur fuite :
- Chut pas un bruit, les Ngas et Tigress sont en pleine orgie, mais il y a surement des gardes. En voilà un dailleurs, laisse-moi faire.
Mangouste sest approchée à pas de loup du garde Ngas qui faisait les cent pas et lui a brisé le cou dans un geste net. Elle a récupéré la kalachnikov que le garde portait en bandoulière.
- On rejoint la piste là-bas, il y a un avion. Cest notre chance de nous échapper. Toujours discrètement, en silence, il y a surement dautres gardes.
Un autre soldat Ngas devant le hangar près de la piste où lavion stationnait, fit les frais de lévasion des deux jeunes femmes. Ses cervicales craquèrent de manière inquiétante quand Mangouste le saisit par derrière. Il sécroula vers le sol en silence.
Elles grimpèrent dans lappareil. Après avoir vérifié la jauge de carburant, Chloé démarra le moteur et mit lavion le nez face à la piste.
Elle mit les gaz et tira sur le manche pour faire décoller le Beechcraft. Alertés par le bruit du moteur, les Ngas sortirent du bâtiment où avaient lieu les petites festivités.
Des tirs de kalachnikov se perdirent dans le ciel. Certains touchèrent la carlingue, mais pas à un endroit stratégique, comme le réservoir, le moteur ou la cabine de pilotage.
Lavion prit de la hauteur :
- Ah les cons, on va leur dire au revoir, on ne va pas partir comme ça, dit Chloé.
Elle fit faire demi-tour à lappareil et passa en rase-motte au-dessus du village, lâchant des tirs de mitrailleuse, dont était équipé cet avion aussi, sur les soldats qui couraient dans tous les sens et se jetaient au sol.
- Bon, cest assez, il y a aussi des femmes et des s dans ce village, je ne veux pas faire de victimes innocentes.
- On ne peut rien contre cette femme ? Tigress ?
- Jai un ami au ministère de lintérieur vietnamien dorénavant, je vais lui donner les coordonnées exactes de ce village. Je suppose que quand larmée vietnamienne arrivera ici, il ny aura plus personne, mais ça donnera un coup darrêt, au moins temporaire, à tous les trafics dans le secteur et à linfluence de Tigress. Peut-être quun jour prochain, je reviendrai moccuper delle
et de ce Trang, je nai pas du tout apprécié la manière dont il ma traitée, celui-là.
- En tout cas, je ne vous remercierai jamais assez de mavoir sortie des griffes de mes ravisseurs Mangouste.
- Appelle-moi Chloé, et remercie ta charmante sur, Alix. Même si elle a été manipulée par Rattanapong et par Tigress, cest grâce à elle que je suis venue ici.
- Oui, jai hâte de retrouver ma sur !
- Et moi donc ! Ah, au fait, pour larticle que tu ne vas pas manquer décrire sur toute cette histoire, reste évasive à mon sujet. Il parait que je nexiste pas
Elle déposa un baiser sur la joue de Sixtine, débordant un peu sur le coin de ses lèvres.
Pendant le reste du vol, lesprit de Chloé se mit à voguer entre les souvenirs du corps dAlix de Saint Aymé de Préville (principalement sa petite poitrine ferme et ses superbes jambes), le moteur de la Chevrolet Corvette laissé en plan et ce Prélude de Bach en do majeur à travailler encore et encore.
« La retraite, même à trente ans, ça a du bon, mais un peu daction de temps à autre aussi », se dit-elle.
Ainsi sachève, sur ces bonnes paroles, cette nouvelle aventure de Mangouste. Rendez-vous pour la prochaine. Enfin, si vous le voulez bien.
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