Les Aventures De Mangouste - Rouge, Impair Et Mort À Hanoï.

« L’enfer est vide, tous les démons sont ici »
William Shakespeare – La Tempête


Voilà comment tout a commencé :

Les doigts de Chloé Maurecourt se sont posés sur les touches blanches du piano à queue Steinway & Sons, qui trône au milieu de son salon.

Les trois monumentales baies vitrées donnant sur les jardins du Luxembourg sont ouvertes en cette matinée de début juin. Il fait déjà chaud. Un léger filet d’air envahit toutefois la pièce, la rafraîchissant à peine.

Les mains agiles de Chloé se mettent à courir sur les touches, enfin à survoler et à effleurer les touches plutôt. Concentré, son esprit devance ses doigts, il navigue déjà vers les accords suivants. De temps à autre, elle jette un rapide regard sur la partition posée sur le lutrin. C’est juste pour la conforter, elle connaît la suite de notes parfaitement. C’est gravé dans son cerveau plutôt et ses doigts parcourent le clavier, trouvant systématiquement la bonne touche, blanche ou noire, ou le bon enchaînement.

Jouer du piano n’est pas seulement appuyer avec ses doigts sur un clavier. Les pieds sont également importants. Avez-vous remarqué que les pianos possèdent des pédales ?

Le pied gauche de Chloé effleure la pédale de gauche, la pédale « Una corda », qui au bon moment, en harmonie avec les mains, va adoucir le son et lui donner un timbre plus feutré, afin de marquer « une nuance ».

Prélude de Jean Sébastien Bach en do majeur.

La musique parfaitement exécutée envahit la pièce et se répand au-dehors dans le matin estival. Les notes s’envolent vers le Luxembourg.

Elle l’a beaucoup travaillé, ce Prélude de Bach.

Elle maîtrise quasiment entièrement ce morceau … Sauf … ce passage de merde ! Cet accord en mi mineur.

Toujours au même endroit, sa pensée court, ses doigts ne suivent plus. Encore une fois, un couac à cet endroit. Bon, d’accord, c’est à peine perceptible, sauf pour une oreille entraînée, comme la sienne.

Perfectionniste, Chloé ne peut admettre cette incartade.

Il lui faudra encore travailler sans relâche sa concentration. La technique, elle l’a, la connaissance du morceau, elle l’a. C’est par là qu’elle pêche, la concentration …


Euh non, en fait cette histoire ne commence pas comme ça !

Plutôt de cette façon :


Chloé Maurecourt, vêtue de son kimono rouge et or s’est agenouillée devant la table basse.

Elle vient de verser le thé matcha dans le bol et l’a tendu à son invité d’honneur, Kudo Hidekazu, son vieux Maître qui lui a enseigné la cérémonie du thé. Enfin, après de longs mois, elle n’en maîtrise que les rudiments, elle en effleure à peine les tenants et les aboutissants, elle approche seulement les implications profondes de la cérémonie.

La cérémonie du thé, appelée chadō est un véritable art traditionnel très codifié au Japon. Elle recèle une dimension symbolique forte. C’est une voie spirituelle menant aux bases du bouddhisme zen.

Celui ou celle qui veut suivre le rituel, doit faire siennes les quatre valeurs cardinales : Wa (l’harmonie), Kei (le respect), Sei (la pureté) et Jaku (la tranquillité). Toute la philosophie du Japon ancestral et immatériel, résumée en quatre mots. Quatre vertus plutôt.

Un seul bol doit être servi et les invités se le font passer. Le maître du thé (Chloé donc ce jour-là) présente le bol à l’invité d’honneur (son vieux Maître) qui prend le temps de le regarder, de le respirer puis de le faire tourner entre ses mains, afin d’éviter de boire sur la face avant. Il en aspire deux gorgées et demie, pas plus, pas moins. Une demi gorgée d’abord, afin de se concentrer sur le breuvage et d’ouvrir son esprit, puis deux autres gorgées. Ensuite, il va essuyer le bord, puis va le tourner à nouveau et enfin tendre le bol à l’invité suivant.

Alors que les autres convives, (ce jour-là Tajima Riho, Matsuda Akira et Takagi Sunsho, d’autres disciples du Maître) répètent le rituel, Kudo Hidekazu hoche légèrement la tête à l’intention de Chloé.


Apparemment, il est satisfait …

Il reste à Chloé à nettoyer les instruments et à les présenter aux invités …


Euh non, ce n’est toujours pas comme ça que cette histoire commence …

En fait, elle débute ainsi (cette fois, c’est la vérité) :


Chloé Maurecourt était penchée en avant la tête presque dans le moteur de la Chevrolet Corvette cabriolet de 1957, rouge et blanche.

Elle se trouvait dans le garage dont elle venait de faire l’acquisition, quelque part dans le sud de Paris. Il s’agissait d’un vieux garage traditionnel, que l’ancien propriétaire a vendu afin de profiter de sa retraite.

Chloé a tout conservé, l’outillage et le matériel, bien sûr, mais aussi la décoration, composée de plaques émaillées et de vieilles affiches de marques d’huile de moteur ou d’accessoires automobiles du siècle dernier. Elle a même gardé le calendrier érotique de 1977 qui orne encore le mur du petit bureau. Il est resté ouvert sur la page de Miss juillet, une rousse, dont Chloé aime particulièrement les formes et la poitrine, plutôt volumineuse, mais aussi et surtout l’air mutin qu’elle arbore.

C’est dans ce garage qu’elle entrepose les véhicules anciens qu’elle achète avec l’intention de les restaurer.

On y trouve, hormis la Corvette, une Jaguar hors d’âge, mais conduite à droite, comme il se doit, une Renault Frégate, ainsi qu’une moto, une Triumph Bonneville de 1971, pour le moment entièrement démontée. Selle, réservoir et garde-boues, sont posés à côté du moteur en pièces détachées.

Chaque chose en son temps, pour le moment Chloé s’occupe de la Corvette.

Le moteur refusait de démarrer. Il lui faudra démonter le carburateur, ensuite, elle devra réviser la boîte de vitesse automatique et enfin vérifier les freins et les amortisseurs. Il y a aussi cette fuite d’huile qui l’inquiétait un peu aussi. Sûrement qu’il lui faudra quelques heures de travail pour résoudre ce problème de fuite.


Après, une fois les problèmes mécaniques résolus, elle devra s’attaquer aux imperfections de la carrosserie, avant d’apporter le véhicule à un spécialiste des peintures. Coups, bosses, rayures et points de rouille devront préalablement disparaître.

Enfin, elle pourra se consacrer à ce qu’elle préfère, les finitions, afin que la Corvette soit parfaite. Changer le rétroviseur qui n’est pas d’origine (sacrilège !), refaire le revêtement intérieur, le tableau de bord, changer la capote. Les sièges sont complètement élimés et déchirés à plusieurs endroits. Elle allait les confier à un sellier spécialisé. Elle choisira une teinte proche de celle d’origine dans un cuir pleine fleur. Onéreux, mais la Corvette mérite bien ça.

Elle prendra la décision finale. Garder la Corvette, où la revendre avec un bénéfice substantiel. Non pas qu’elle eût besoin d’argent, mais c’était pour elle un jeu en quelque sorte, plus qu’une source de revenus.

Elle pourra ensuite s’atteler à remonter le moteur de la Bonneville, après l’avoir entièrement révisé, alors qu’elle l’a abandonné quand elle a ramené la Corvette :

- Salut Mangouste, fit une voix derrière elle.
- Mangouste ? C’est quoi ? C’est qui ? Je m’appelle Chloé !
- J’te connais Mangouste, tu ne me la feras pas à moi, dit le type du genre gorille mal dégrossi. T’es toute nue sous ta salopette Mangouste ?
- Qu’est-ce que ça peut te foutre ?
- Simple curiosité Mangouste.
- Tu vois Machin ? Ça, c’est un démonte-pneu. Comme tu peux l’imaginer et comme son nom l’indique, ça sert à démonter les pneus. Mais je peux te le mettre sur la tronche aussi, afin de la démonter elle aussi. Ça fait deux heures que j’en bave sur ce carburateur et je pense que ça pourrait me détendre un peu.
- T’es pas très sympa Mangouste.
- Non, en effet, je n’ai pas cette réputation. Ah et sinon ducon, sous ma salopette je suis toujours en porte-jarretelles ! Assez rigolé, tu veux quoi au juste ? lui dit Mangouste en le coinçant contre le mur et en lui mettant le démonte-pneu sous le nez.

- Tout doux Mangouste, ma patronne veut te parler …
- Oh mon dieu !!!
- Quoi ?
- Qu’est-ce que tu es laid ! Et de près c’est encore pire ! Je n’oublie jamais un visage, mais pour toi, je crois que je vais faire une exception !! Et cette haleine … Beuuuhh …
- Arrête de faire la maligne Mangouste …
- Ah oui ? Et si je n’arrête pas de faire la maligne, il va se passer quoi ? Parce que vois-tu, en général, j’ai le cœur sur la main. Mais elle peut aussi arriver dans ta gueule … ma main … Bon, qu’on en finisse … Ah la la ! Ce n’est pas facile de faire le monde d’après, avec les cons d’avant ! Bon, assez perdu de temps, allons voir ta patronne. Je ne parle pas aux larbins et aux sous-fifres généralement.

Elle att le guignol par la manche et le traîne vers la sortie en chantonnant :

Now we freak oh, what a joy
Just come on down to the fifty four
Find your spot out on the floor
Aaaaah, freak out!
Le freak, c'est chic
Freak out!
Aaaaah, freak out!
Le freak, c'est chic
Freak out!

Avant d’enchaîner un petit pas de danse …

Sur le bateau du garage était garé une Roll Royce Silver Shadow vintage.

Chloé caressait le Spirit of Ecstasy sur le capot pendant que le gugusse ouvrait la portière arrière.

En montant dans la voiture, elle lui lança un sourire narquois.

Sur la banquette arrière se tenait une femme dans la trentaine. Une fort jolie jeune femme même. Les traits fins, les cheveux noirs rassemblés en un chignon élaboré :

- Qui êtes-vous ? Pourquoi vous venez me déranger en plein travail, lui dit Mangouste en s’installant à ses côtés.
- Je suis Alix de Saint Aymé de Préville.
- De Saint Aymé de Préville ? Alix ? Carrément ! dit Mangouste en lorgnant les cuisses gainée de voile noir de la fille, que la jupe du tailleur Chanel remontée, cachait à peine. J’espère ne pas mettre de cambouis sur vos jolis sièges …dit-elle en caressant d’un geste exagérément langoureux le cuir de la banquette.
- J’ai besoin de vos services.
- Mes services ? J’ai pris ma retraite, désolée …
- Vous êtes la meilleure à ce qu’on dit, c’est vous que je veux … J’y mettrais le prix.
- Vous me voulez ? Waouh ! Quelle chance, j’ai presque envie de me laisser faire. Bon, après, je n’ai pas besoin d’argent.
- Vous êtes mon dernier recours. La police ne peut rien pour moi, personne n’a pu m’aider jusqu’à présent, dit Alix la voix tremblante.

Elle termine sa phrase par un sanglot :

- Bon, une fois de plus, je vais me faire avoir et me mêler d’affaires qui à la base ne m’intéressent pas. Que voulez-vous, ajoute-t-elle en soupirant, je ne peux pas résister à une jolie femme éplorée. Vous allez me raconter toute votre histoire, mais pas ici …

Chloé baisse la vitre de la voiture et hèle le gugusse qui attendait sur le trottoir :

- Machin, tu nous ramènes à mon appartement.

Puis à l’intention d’Alix de Saint Aymé de Préville :

- Chez moi, nous serons plus à l’aise pour causer, je vais faire un brin de toilette, me changer pour être plus présentable et vous m’expliquerez tout ça devant une coupe de champagne.

Puis tapotant sur la vitre de séparation entre les places arrière et l’avant, elle dit d’un air goguenard :

- Au manoir James !

Alix était assise face à Chloé sur le canapé qui trônait au milieu de son salon :

- Alors, qu’est-ce que vous me voulez ?
- Ma sœur a disparu, aidez-moi.
- Je ne peux pas.
- Vous êtes mon seul espoir Mangouste …
- J’ai pris ma retraite, je ne travaille plus. Et de toute façon, je n’ai jamais fait dans le recherche des personnes disparues.
- Votre prix sera le mien !
- Je n’ai pas besoin d’argent. Et comment avez-vous connu mon existence ?
- Je suis la nièce de Pierre Le Gall.
- Pierre Le Gall, d’accord, un ami, mon ancien intermédiaire lorsque je travaillais encore (voir Mangouste contre l’Organisation). Mais ce n’est plus le cas, je ne travaille plus.
- Je dois retrouver ma sœur, dites-moi ce que vous voulez, je vous le donnerai.
- Hmmmm, ce que je veux ? Vraiment ?
- Je vous le promets …
- Passez la nuit avec moi et j’irais au bout du monde chercher votre sœur Alix, dit Chloé en posant sa main sur sa cuisse.
- Je ne …
- Tu ne ?
- Rien … c’est … c’est d’accord …
- Bien parfait, dit Chloé en remontant légèrement la main sur la cuisse d’Alix, à qui le rouge montait aux joues.

Les lèvres de Chloé se sont approchées de celles d’Alix. C’est pourtant cette dernière qui a agrippé Chloé par la nuque et a collé sa bouche à la sienne, pour un baiser langoureux.

Puis dans un souffle :

- Fais de moi ce que tu veux Mangouste, je suis à toi.
- Chloé, appelle moi Chloé, lui dit cette dernière en la prenant par la main et en l’entrainant vers sa chambre.

Le lendemain matin, Chloé faisait glisser le bout de son index le long de la colonne vertébrale d’Alix, allongée sur le ventre, jusqu’au coccyx, ce qui eut pour effet de faire frissonner la belle brune. L’index fut remplacé par les lèvres de Chloé, qui déposé un baiser sur les cervicales, puis d’autres le long du dos de la jeune femme.

Alix s’est retournée et a approché son visage de celui de Chloé. Leurs bouches se sont rencontrées. Les corps nus des deux jeunes femmes se serrèrent et elles roulèrent l’une sur l’autre sur le lit méga king-size.

Enfin repues, elles restèrent allongées l’une à côté de l’autre :

- Alors, raconte-moi tout au sujet de ta sœur.
- Ma sœur, Sixtine …
- Sixtine de Saint Aymé de Préville, c’est tout mimi Je ne savais pas que Pierre avait des nièces au sang bleu ! Mais bon continue, je ne t’interromps plus.
- Sixtine est journaliste. Elle a rejoint Taiwan pour un reportage. Un reportage sur une minorité ethnique du nord du Vietnam, un peuple montagnard qui vit aux confins de la Chine, les Ngas
- Au Vietnam ? Pourquoi est-elle passée par Taiwan alors ?
- Elle devait voir quelqu’un qui pourrait la renseigner avant, m’a-t-elle dit. D’ailleurs, elle est revenue à Taiwan après son séjour au Vietnam. Elle m’a envoyé une carte postale de là-bas me disant qu’elle faisait un peu de tourisme avant de rentrer.
- Mouais …
- Sans nouvelles d’elle depuis plus d’un mois, j’ai appelé l’hôtel où elle a séjourné en arrivant à Taipei. On m’a dit qu’elle n’y était plus, et qu’elle n’y était pas revenue. Par contre, ils ont retrouvé dans sa chambre une petite sacoche qu’elle a oubliée en partant. Ils me l’ont retournée.
- Et elle contenait quoi ?
- Juste quelques affaires de toilette, du maquillage et une pochette d’allumette d’un bar à Taipei, le Drunken Goat.
- Ce n’est pas grand-chose, mais au moins ça me fera un point de départ …


Trois jours plus tard :

Le Drunken Goat se situait dans un quartier plutôt mal famé de Taipei, sur les docks.

Quelques dockers et marins de différentes nationalités trainaient sur le quai devant l’établissement. Chloé entendit quelques bribes de mandarin, de cantonais, mais aussi de russe ou d’anglais dans les propos qu’échangeaient les types plutôt patibulaires et tatoués qui vaquaient là.

- Quel bouge, si j’étais émotive, ça me ferait presque peur d’y entrer !

Elle poussa la porte. A l’intérieur, la lumière tamisée laissait à peine deviner les silhouettes des consommateurs :

- Sixtine de Saint Aymé de Préville dans cet endroit, ça a dû détonner !

Mangouste s’assit sur un des tabourets devant le bar.

- Bourbon glace, dans un verre propre.

Le barman, sans un mot, posa le verre devant elle.
Elle tendit une photo de Sixtine au barman qui haussa les épaules.
Un type, baraqué, un occidental, le crâne lisse comme le cul d’un nourrisson vient s’assoir au tabouret près d’elle :
- Alors beauté ? Envie d’un vrai mec ? Comme moi ?
- Ahahahahah …
- Femme qui rit, à moitié dans ...
- Chut, je t’arrête avant que tu ne dises une grosse connerie. Quoi femme qui rit? Femme qui rit, elle rit, c’est tout. Elle s’en bat les boobs de ton lit. Qui a inventé ce proverbe débile, franchement.
- Sale morue, je vais t’apprendre le respect moi !
- Les mecs, c’est comme le café, au début ça excite. Après, ça énerve. En plus je ne suis pas là pour rigoler, mais alors pas du tout. En fait, toi, pour tout t’avouer, tu ne m’excites pas vraiment. On peut même dire que tu m’as direct énervée.

Mangouste posa le plat de sa main à l’arrière du crâne du type. Elle poussa fortement vers l’avant. Cela a eu pour effet de propulser le front du type contre le bar. Elle le saisit par le col de sa chemise et le tira en arrière, Le type dégringola de son tabouret et s’étala sur le sol inconscient.

Deux autres gugusses s’approchèrent menaçants, un occidental et un asiatique. C’est avec le tabouret où était assis le type trente secondes avant, qu’elle assomma le premier, avant de faucher le second d’un revers du pied. Elle souleva le tabouret prêt à frapper le type au sol avec :

- Stop ! Police ! Mangouste, vous êtes à Taiwan depuis deux heures, et vous provoquez déjà une bagarre générale dans un bar. Je vous reconnais bien là !
- Inspecteur Li … ça faisait un bail !
- Et ça ne m’a pas manqué Mangouste. Alors, on la joue comment ? Vous posez ce tabouret, où bien mes policemen entrent dans la danse ?
- Ok inspecteur, je pose ce tabouret … De toute façon, ces trois types qui m’ont agressée ont leur compte.
- Merci Mangouste, trop aimable, vous nous suivez au commissariat, bien sûr …
- Attendez inspecteur, je vide mon verre et je vous suis.
- Je vous remercie Mangouste.

Puis à l’intention de ses policiers :

- Et vous embarquez aussi ces trois hommes.

Une demi-heure plus tard, Chloé était assise en face de l’inspecteur Li dans son bureau :

- Alors Mangouste, qu’est-ce qui vous amène à Taiwan ?
- Je recherche une amie qui a disparu. Elle a séjourné ici, avant qu’on n’ait plus de ses nouvelles.
- Hmmm, et ça vous autorise à mettre le bazar à Taipei ?
- Peut-être pouvez-vous m’aider ?
- Racontez-moi votre histoire.

Après avoir raconté son histoire à Li:

- Je fais quelques recherches et je vous recontacte, vous êtes descendue à quel hôtel.
- A l’Okura Prestige.
- On ne se refuse rien
- Ben non, pourquoi je me refuserais des trucs ?

Deux heures plus tard, Li la rappela dans sa suite :

- J’ai retrouvé la trace du passage de votre amie. Elle est arrivée il y a un mois, venant de Paris. Elle est restée deux jours à Taipei et a séjourné à l’hôtel Hyatt, avant de prendre un vol pour Hanoï.
- Hanoï ?
- Oui via Saigon, on me l’a confirmé à l’aéroport. Elle a bien enregistré et est bien montée dans l’avion.
- Elle est censée être repassée à Taipei il y a moins d’un mois, d’après sa sœur. Elle a reçu une carte postale d’elle. Elle lui disait y rester quelques jours pour faire du tourisme.
- Aucune trace d’elle. Surement que cette carte a été postée par quelqu’un d’autre, qui voulait faire croire qu’elle était revenue.
- Vous avez peut-être raison. Elle n’a pas pu séjourner dans un autre hôtel ?
- Non, les services de l’immigration de l’aéroport enregistrent toutes les entrées des étrangers sur le territoire. Elle n’est pas revenue, c’est sûr.
- Il ne me reste plus qu’à aller à Hanoï.
- Je vais vous rendre un dernier service Mangouste, j’ai un ami là-bas. Il travaille au ministère de l'Intérieur. Il s’appelle Nguyên Dinh Phuong. Je vais le prévenir, il vous aidera.
- Merci inspecteur Li.
- De rien, ça m’arrange que vous quittiez Taiwan au plus vite. Le plus tôt sera le mieux !


Hanoï !

Ça faisait plusieurs années que Mangouste n’était pas venue ici. Hanoï, n’avait pas trop changé.

D’un pas pressé, elle s’est dirigée vers le point de rendez-vous, où elle devait rencontrer Nguyên Dinh Phuong, le contact que lui avait donné l’inspecteur Li. Le pousse-pousse venait de la déposer sur une place à proximité. Elle longeait la rue de la soie en direction du marché Dong Xuan. La rue lui renvoyait un tintamarre de klaxons des quelques voitures, des nombreux deux-roues motorisés mais aussi des sonnettes des innombrables vélos lancés en tous sens. Le tout dans une odeur de friture et de soupe issue des restaurants de rue qui colonisaient les trottoirs.

Hanoï est une ville grouillante, où se dressent encore les vieux bâtiments, pour la plupart en ruine, de l’époque coloniale française.

« Je vous attendrais devant le temple en face du marché de Dong Xuan », lui avait dit Nguyên Dinh Phuong, au téléphone deux heures plus tôt.

Elle avisa un homme, environ la cinquantaine, vêtue d’une chemise col mao bleue et d’un pantalon gris.

- Je suis Mangouste
- Je vous attendais, venez, allons manger une soupe pho bò, nous serons tranquilles pour discuter, lui dit Nguyên Dinh Phuong, dans un français parfait.

Ils s’installèrent sur des bancs posés sur le trottoir. Une vieille vietnamienne leur apporta deux bols de soupe où flottaient légumes variés et morceaux de bœuf, ainsi que des pâtes de riz :

- Délicieux, dit Mangouste à son interlocuteur.
- Li m’a raconté le pourquoi de votre visite au Vietnam. J’ai mené mon enquête. Sixtine de Saint Aymé de Préville est arrivée à Hanoï il y a un mois et demi. On a perdu sa trace depuis. J’ai retrouvé le guide qui l’a conduite au nord du pays. Vers les plateaux de Jiam, dit hauts plateaux.
- Les hauts plateaux ?
- C’est une région reculée qui longe la frontière laotienne au sud et chinoise au nord. Le guide dit l’avoir amenée jusqu’aux premiers cols. C’est là qu’elle a été prise en charge par un autre guide, un laotien. Il n’y a personne là-bas, hormis les Ngas, une tribu montagnarde.
- Les Ngas ? Tiens tiens …
- En traversant la Préfecture autonome Dai de Xishuangbanna, côté chinois, on arrive au Myanmar, l’ancienne Birmanie, et un peu plus au sud en Thaïlande. On est donc à quelques encablures du fameux Triangle d’Or. Enfin quelques encablures à l’échelle du continent asiatique, ça fait quelques centaines de kilomètres tout de même.

En clair, l’idéal pour se cacher et pour trafiquer à peu près tout, les armes bien sûr, mais aussi et surtout l’opium. C’est une région déserte, montagneuse, inhospitalière. Pas de routes, juste quelques pistes pour s’en approcher. Pour s’en approcher seulement, ensuite, il n’y a plus que quelques sentiers de montagne, puis la forêt à traverser. Hormis quelques villages et petites villes en bordure, pas âme qui vive côté Vietnamien. C’est pourtant là qu’on trouve et que sévissent Tigress et la petite armée qu’elle a monté avec les rebelles Ngas.

- Tigress, disiez-vous ? Qui est-ce ?
- Elle se fait appeler ainsi. Elle règne en toute impunité sur une petite troupe, avec la complicité des autorités. Les fonctionnaires vietnamiens, laotiens et même chinois, qu’elle arrose de dollars y trouvent leur intérêt.
- Vous pouvez m’en dire plus sur cette Tigress ?
- On dit que c’est une métisse née d’un père européen et d’une mère chinoise. On dit qu’elle est belle mais dure comme une lame de sabre japonais. Je crois surtout, que c’est elle qui a fait courir cette rumeur et cette image, pour assoir son autorité. Son père a travaillé pour la CIA , mais en même temps pour les Viêt-Congs pendant la guerre. Un parfait agent double. Tout de suite après la guerre, profitant de ses bonnes relations avec les régimes communistes du secteur, son père s’est enrichi en revendant au marché noir le matériel abandonné par l’armée américaine, tout en organisant le trafic d’opium. A la mort de son père, Princess a pris sa suite. Elle vit retranchée dans cette région, d’où elle dirige ses opérations sous la protection d’une petite armée recrutée parmi les Ngas, une tribu de montagnards irréductibles.

L’endroit rêvé pour elle, je vous disais. Cinq pays à proximité, en cas d’attaque d’une des armées ou de la police d’un de ces états, c’est tellement facile de passer une frontière et de se mettre à l’abri.

Mais, sauf pour la Thaïlande, les gouvernements de ces pays se contrefichent du trafic d’opium. Contrairement à la Birmanie et au Laos, la politique d’éradication de la culture d’opium, en Thaïlande, s’est montrée globalement efficace, notamment grâce aux nombreuses alternatives économiques qui ont été proposées aux populations dans le nord du pays sous l’impulsion de la famille royale. Une unité policière spéciale a été créée pour lutter contre les trafics qui transitent par le Mékong, mais aussi pour éradiquer les résidus de la production qui subsistent dans la région.

L’armée de Tigress évite donc le nord de la Thaïlande, sauf en cas d’urgence, lui préférant la Birmanie ou le Laos, ou carrément se perdre dans les montagnes du Yunnan.

- Si c’est si isolé que ça et difficile d’accès, ça va être compliqué. J’aimerais y faire une reconnaissance. Avant de m’y rendre par voie terrestre à l’aveugle, est-ce que je peux trouver un petit avion pour survoler cette région et étudier du ciel la route que je vais suivre pour atteindre le domaine de Princess ?
- Un avion, oui, un pilote c’est plus compliqué. Ici, le gouvernement contrôle tout. Survoler le pays pour des raisons personnelles n'est pas autorisé. Aucun pilote ne vous accompagnera.
- Je sais piloter !
- Allez au terrain d’aviation de Nà Sản, à une centaine de kilomètres à l’ouest d’ Hanoï. Vous pourrez y trouver un avion. En disant que vous venez de ma part, le vol ne sera pas déclaré aux autorités. Vous repérez facilement la région. Depuis l’aérodrome, suivez la rivière Noire. Il y a deux derniers villages. Lai Chaû au nord et au sud, un autre village que vous français connaissez bien de nom, Diện Biên Phủ. Quand la rivière Noire fera une grande boucle vers le nord, continuez au nord-ouest. Après les premiers cols, vous serez sur les hauts plateaux. Il n’y a plus de villages, plus de routes, à peine quelques pistes qui se perdent dans les montagnes. Au nord, vous apercevrez une chaîne montagneuse au-delà de la frontière avec la province du Yunnan. En fait, cette chaîne marque les tout derniers contreforts montagneux de l’Himalaya. Au sud c’est la frontière avec le Laos. Ne vous approchez pas de l’espace aérien chinois, ni laotien.

Chloé survolait la jungle dense à bord d’un Diamond Aircraft. Un avion relativement moderne et léger. Le ciel était bas. Les brumes des restes de la mousson estivale masquaient l’horizon. Elle avait suivi les indications de Nguyên Dinh Phuong et longé la rivière noire. Elle filait maintenant vers le nord-ouest, se repérant à la chaîne de montagnes Cao Xa en Chine, dont on apercevait au loin les sommets perdus dans les nuages. Au-delà, passés les plateaux de Jiam, sa destination, et le col des Nuages, c'était les solitudes du Yunnan.

L’avion longea la chaîne de montagnes Cao Xa à distance, effectuant un large virage vers le sud. Chloé s’engagea au-dessus d’une étroite plaine vallonnée étagée entre les crêtes à droite et la rivière Nam Mu, un sous-affluent de la rivière Noire à gauche. C’est cette rivière qu’elle devrait remonter en pirogue si elle voulait dans les jours qui suivent, atteindre les hauts plateaux de Jiam, dont la jungle servait de refuge aux montagnards Ngas et à leur cheffe Tigress.

Vu l’altitude où elle se trouvait, Chloé ne devait pas craindre d’heurter une montagne, mais engluée dans les nuages bas, elle avait peu de chances de distinguer ce qui se passait sous elle.

Elle descendit donc jusqu’à une altitude de mille mètres. C’était risqué bien sûr, les plus hautes montagnes pointaient à deux mille mètres et la visibilité était faible.

Elle naviguait à vue entre les sommets. Une fois passé outre, le voile épais des nuages se déchirait, permettant à des flots de soleil de se déverser.

Devant le nez du Diamond, une série de plateaux couverts de forêts s’étendaient. Ils étaient séparés par des sortes de canyons. Au loin, les montagnes formant la frontière du Yunnan se détachaient. Au-delà, c’était la Chine :

- Les hauts plateaux de Jiam, murmura Chloé.

Elle se mit à les survoler à basse altitude, cherchant à trouver une trace de la présence de l’armée de Tigress. Durant de longues minutes, elle survola les plateaux en tous sens. Ils se chevauchaient, imbriqués, séparés seulement par des canyons bordés de falaises rocheuses et quelques torrents descendus des montagnes.

Pour ce qui d’une présence humaine, rien … le néant !

Tout à coup, elle sursauta. Un vague fuseau de brume montait entre les arbres. Mais il ne s’agissait pas réellement de brume, la brume ne possédait pas cette couleur grisâtre.

- De la fumée, pensa-t-elle. Et là où il y a de la fumée, il y a des hommes.

Chloé ne vit pas d’autres traces de présence humaine, et ne s’approcha pas trop près de la fumée, pour éviter de se faire repérer. Néanmoins, elle aperçut une longue trainée débroussaillée dans la jungle, qui s’étendait telle une cicatrice. Elle pouvait éventuellement servir de piste d’atterrissage à des petits avions. En s’approchant encore et en survolant l’endroit à basse altitude, elle vit qu’elle était camouflée par quelques arbustes posés çà et là, qui une fois enlevés pouvaient permettre à un avion de s’y poser. Nulle trace d’appareil, en revanche, ni de bâtiments, ni d’aucune activité humaine. Mais en bordure de la piste, la végétation était dense.

Chloé nota les coordonnées de l’endroit sur son GPS, et fit demi-tour. Elle avait trouvé ce qu’elle cherchait. Elle pouvait retourner à Hanoï.

Elle repartit donc vers le sud-est à petite allure, cherchant au sol des repères qui lui permettraient de tracer son itinéraire lorsqu'elle reviendrait par voie terrestre. Elle porta ces points sur la carte étalée sur le siège vide du copilote

Au loin, la chaîne de montagnes bordant les hauts plateaux apparut. Elle était voilée par la nébulosité venant du sol surchauffé. Soudain de ce brouillard surgit une forme ailée.

Un avion ! Et il se rapprochait rapidement. Un Beechcraft Bonanza :

- Qu’est-ce qu’il me veut ? se demanda Chloé. Il fonce droit sur moi !

Elle ne se posa pas la question très longtemps. Des petites étincelles apparurent autour de son appareil :

- Une mitrailleuse ! Et il me canarde ce con !

Beaucoup moins rapide que le Beechcraft, elle avait peu de chances de le distancer. Seules ses compétences de pilote allaient lui permettre de s’en sortir.

Chloé tenta une manœuvre. Elle descendit en piqué vers une vallée étroite entre deux rangées de petits plateaux en escalier. Le pilote du Beechcraft, moins agile la suivit. Pourtant, Chloé, grâce à la rapidité de sa manœuvre avait pris de l’avance. Quand elle déboucha en plein ciel, son ennemi n’était plus derrière elle. Elle se dirigea vers les brumes afin de s’y cacher. Juste avant de les atteindre, le Beechcraft réapparut derrière elle, lâchant une giclée de munitions de sa mitrailleuse. Hors de portée, les balles se perdirent dans le ciel.

Une partie de cache-cache se joua entre les deux avions. Louvoyant entre nuages et vallées abruptes, Chloé cherchait à échapper à son agresseur. Après une série de rase-mottes au-dessus des arbres, elle crut bien lui avoir échappé. Pas pour longtemps, en plein ciel, l’autre l’a retrouvée et lui a foncé dessus tel un oiseau de proie :

- Ça sent le pâté là !

Chloé savait que cette situation ne pourrait durer longtemps. Tôt ou tard, l’autre appareil pourrait se rapprocher assez près et elle se trouverait dans sa ligne de mire. De plus le niveau de carburant baissait à vue d’œil.

Elle tenta une manœuvre. Lors de sa reconnaissance, elle avait suivi un canyon bordé de hautes falaises. Elle connaissait donc le terrain. Brusquement, elle plongea entre les falaises en rase-motte. Elle savait que plus loin, après une longue courbe, le canyon se terminait en cul de sac en une véritable muraille rocheuse à pic.

Engagée dans la courbe, l’autre avion à ses trousses, elle disparaît de sa vue. Elle estima la distance la séparant de la paroi :

- Un … deux … trois …

A treize, elle allait relever son avion. Presque une manœuvre suicidaire, mais pas le choix …

- Douze …. Treize … dit-elle en tirant de toutes ses forces le manche vers le haut.

Brutalement sollicité, l'appareil se mit à vibrer et monta vers le ciel, presque à la verticale :

- Ça va passer … Ouh là là …. c’est passé !!!!

Sous elle, le pilote du Beechcraft, surpris, n’eut pas le temps de se dégager. Lancé à 300 km/h, son avion heurta la falaise de plein fouet et éclata dans un déluge de feu.

Chloé, après avoir stabilisé son engin, fit demi-tour pour survoler la zone de crash. Les restes embrasés du Beechcraft gisaient au pied de la falaise :

- Et pan dans ta gueule ducon …

Elle éloigna son appareil de la zone de crash en chantant à tue-tête dans l’habitacle :

Donnez-moi Madame s'il vous plait
Du ketchup pour mon hamburger
Donnez-moi Madame s'il vous plait
Du gazoline pour mon chopper
Je serai votre pop star je serai votre queen
C'est une question de dollars une affaire de feeling
Donnez-moi Madame s'il vous plait
Des décibels pour mon tuner
Donnez-moi Madame s'il vous plait
Des boots Made in Angleterre
Oh oh oh Madame encore un petit effort...

Puis :

On ira tous au paradis même moi
Qu'on soit béni ou qu'on soit maudit, on ira
Toutes les bonnes sœurs et tous les voleurs
Toutes les brebis et tous les bandits
On ira tous au paradis
On ira tous au paradis, même moi
Qu'on soit béni ou qu'on soit maudit, on ira
Avec les saints et les assassins
Les femmes du monde et puis les putains
On ira tous au paradis

Enfin :

Allô Papa Tango Charly
Allô Papa Tango Charly
Répondez, nous vous cherchons
Allô Papa Tango Charly
Allô Papa Tango Charly
Vous vous dirigez plein sud
Vers le triangle des Bermudes

Ici Papa Tango Charly
Je vous entends très bien
Ici Papa Tango Charly
Me laisserez-vous enfin
Je n'ai plus besoin de vous
Je vole par vent debout
Je vais noyer ma solitude
Dans le triangle des Bermudes

Trente minutes plus tard et après ces quelques vocalises, Chloé se posa sur le petit aérodrome près de Hanoï, d’où elle avait décollé trois heures plus tôt.


Les deux jours suivant, elle prépara activement son expédition vers les hauts-plateaux. Elle fit l’acquisition d’un Land-Rover qui pourrait l’amener jusqu’à rives de la rivière Noire, d’abord par la route, puis par les pistes.

Ensuite elle devra utiliser le canoë qu’elle a acheté aussi, pour remonter un affluent de la Rivière Noire. Enfin elle estimait à deux, voire trois jours de marche le temps nécessaire pour rejoindre le point dont elle avait relevé les coordonnées GPS lors de son survol, où le filet de fumée avait été visible.

Dans les plaines après être sortie d’Hanoï, Chloé traversa des paysages de rizières où travaillaient des paysans de l’eau jusqu’aux genoux. Elle trouva sur son chemin également plusieurs villages. Elle croisait sur la route, quelques poids lourds, des véhicules militaires, des cyclo-pousses et charrettes tirés par des buffles. Puis, le paysage commença à changer, les zones agricoles se firent de plus en plus rares et la forêt de plus en plus dense.

A deux reprises, elle fut arrêtée par des patrouilles militaires. Le sauf-conduit fourni par Nguyên Dinh Phuong lui permit de passer sans encombre ces contrôles.

Puis le 4X4 se traina sur de mauvaises pistes à peine praticables. Parfois, un tronçon de route permettait de regagner un peu du temps perdu.

Elle campa sur une petite éminence le premier soir, après avoir dissimulé son véhicule dans la végétation. Chloé repartit le lendemain. Elle avait emporté avec elle, une bonne quantité de carburant qui lui permettrait d’assurer aussi le trajet retour.

Elle abandonna son 4X4 pour remonter la rivière. La chaleur lourde et humide commençait à lui peser. Avec son canoë, elle remontera aussi haut qu’elle pourra vers les plateaux de Jiam.

Autour d’elle, la jungle s’étendait, profonde, limite hostile. Parfois, par endroits, entre les cimes des géants végétaux, elle pouvait voir les crêtes des montagnes, but encore lointain de son expédition.

Elle campa à nouveau au bord de la rivière, passant la soirée à étudier la carte qu’elle avait soigneusement jalonnée de repères, lors de son périple aérien.

Le lendemain, après quelques kilomètres à pagayer, le courant devint trop fort pour continuer à remonter la rivière. Elle camoufla son canoë, puis continua à longer la rivière à pied sur la rive.

Après avoir passé les bretelles de son sac à dos et en s’éloignant de son embarcation, Chloé lança dans sa tête, cette petite chanson :

La p'tite Noé
Veut plus m'parler
Qu'a Noé ?
L'ami Cao
M'a mis K.O
Qu'a Cao ?
La p'tite Ramel
M'est infidèle
Qu'a Ramel ?

Un peu partout, la vie se manifestait. Oiseaux multicolores qui picoraient dans les branches et s’envolaient en piaillant à son approche, singes fuyant en poussant des cris stridents. Elle vit aussi la queue d’un serpent disparaitre dans la densité de la végétation juste devant elle :

- Je déteste les serpents, se dit-elle en serrant plus fort son coupe-coupe. Je ne suis pas une Mangouste pour rien !

Puis Chloé prit en direction des montagnes un sentier à peine marqué, qui grimpait vers les sommets. Elle continua de progresser, le dôme de verdure et la demi-pénombre commença à s’éclaircir. Elle était presque en haut. Au-delà, une fois le col passé, c’était les hauts-plateaux de Jiam.

L’immensité des hauts-plateaux lui apparut enfin, s’étendant à perte de vue, jusqu’aux montagnes chinoises. Elle estimait à encore une bonne journée de marche le temps nécessaire pour atteindre le point qu’elle avait marqué sur la carte. Elle décida de camper sur le sommet, avant de reprendre sa marche le lendemain et la descente vers les plateaux. Maintenant elle devra se méfier, une rencontre avec les Ngas de l’armée de Tigress était possible.

Le lendemain, Chloé repartit à l’aube. Elle progressait sans se presser, évitant tout effort inutile. Elle savait que sous ce climat, toute fatigue superflue pouvait, à la longue, se révéler néfaste.

Vers midi, droit devant elle, apparut une palissade en bambou, au centre d’une vaste clairière. Elle s’affaissait à plusieurs endroits. Derrière, elle pouvait voir des huttes en apparence abandonnées qui tombaient lentement en ruine.

- Un ancien village Ngas, se dit Chloé. Dans ce secteur, ça ne peut être que ça.

Elle s’avança doucement entre les cahutes, jusqu’au centre du village. Un groupe d’oiseaux s’envolant attira son attention. Des ombres surgirent. Chloé se jeta à terre. Une rafale d’arme automatique, tirée très haut au-dessus de sa tête a succédé au piaillement des oiseaux apeurés.

Instinctivement, Chloé glissa sa main vers le pistolet dans l’étui à sa ceinture. Elle arrêta son geste, une quinzaine d’hommes, vêtus de chemises et pantalons à la mode des montagnards vietnamiens sortirent de partout et l’encerclèrent. Ils portaient des turbans ou des chapeaux de paille conique traditionnels du Vietnam. Certains étaient torses nus, mais tous portaient des cartouchières bien garnies et avaient entre leurs mains des fusils ressemblant à des kalachnikovs, ou tout au moins à leurs copies de fabrication chinoise.

« Je voulais trouver les Ngas, eh bien les voilà », se dit Chloé en lâchant la crosse de son arme. La sortir ne ferait qu’aggraver les choses et de toute façon, s’ils avaient voulu la , elle serait déjà morte.

Un des Ngas s’avança. Il avait un visage fermé, les pommettes saillantes :

- Levez-vous, ordonna-t-il dans un français guttural. Vous êtes mangouste je suppose
- Gagné !

La kalachnikov en bandoulière paraissait plus menaçante encore que son visage fermé et son regard froid:

- Vous n’êtes pas la bienvenue ici.
- ça Je m’en serais doutée !

Le chef s’approcha de Chloé et la fouilla. Le coupe-coupe et le pistolet lui furent confisqués. On lui attacha les poignets derrière le dos et elle fut poussée en avant :

- Je veux rencontrer Tigress.
- Tu n’es pas en position de demander quoi que ce soit, mais tu ne vas pas tarder à la voir, chienne d’étrangère.
- On ne peut pas dire que tu sois sympathique toi, non vraiment !
- Arrête de faire la maligne salope !
- Traverser la moitié de la planète, puis la moitié du pays pour entendre cette rengaine … Au moment voulu, je me souviendrais de tes paroles et de tes actes mon garçon.

Ce ne fut pas un trajet facile, bien que court. La zone débroussaillée fut rapidement remplacée par une montée rocheuse et raide.

Avec les mains attachées dans le dos, Chloé trébuchait régulièrement et tomba à plusieurs reprises. Au lieu de l’aider à se relever les Ngas lui donnaient des coups de pied dans les côtes.

La soif ne tarda pas à la gagner. Quand elle réclamait à boire, les Ngas faisaient mine de ne pas l’entendre.

A un détour du sentier, le village apparut en contrebas, dans une petite vallée. Tout de suite, Chloé était sûre qu’elle était arrivée à destination, le repaire des Ngas et de Tigress.

Les cases, sous les arbres, mais aussi les palissades étaient camouflées par la végétation et par quelques branchages posés ça et là. Chloé crut reconnaitre l’endroit entre aperçu quelques jours plus tôt depuis l’avion.

Le groupe longea d’ailleurs la piste d’atterrissage, débarrassée de ses bosquets postiches qui la masquaient vue du ciel. A priori, un avion s’était posé il y a peu. Un Beechcraft, comme celui qui l’avait prise en chasse l’autre jour. Il était garé au bout de la piste.

Sur un ordre crié par le chef du groupe, une herse se souleva, et ils purent pénétrer dans l’enceinte du village. Des hommes, des femmes et quelques s sortirent des cases sur pilotis pour venir dévisager le groupe qui entrait et principalement la prisonnière. Le chef les chassa et attira Chloé vers une construction plus grande que les autres, bâtie en partie en bambou et en partie en dur.

Arrivé devant l’entrée, le chef prit un maillet et tapa deux coups sur un gong accroché.

Chloé comprit qu’elle se trouvait devant l’antre de Tigress.

Une grande femme assise sur ce qui ressemblait à un trône, se leva et toisa la prisonnière.

Elle devait avoir une petite cinquantaine d’années d’après les calculs de Chloé et les renseignements que lui avait donné Nguyên Dinh Phuong, mais elle en paraissait trente. « Belle, mais dure comme la lame d’un sabre japonais, impitoyable même » se remémora-t-elle.

Elle était d’une beauté parfaite, grande pour une asiatique, surement du fait de sa moitié européenne. Un visage comme taillé dans un bloc d’ambre, aux traits réguliers, lisse sans la moindre ride. Et surtout, ce regard et ses yeux … sublimes, mais froids, dans lesquels aucun sentiment ni aucune émotion ne devaient pouvoir se lire.

Tigress portait une longue robe chinoise, ornée de … tigres. Cette femme ne devait pas connaitre de faiblesse, ni de pitié. Ça en faisait froid dans le dos. Même Chloé, qui en avait vu d’autres fut impressionnée.

Les quelques guerriers Ngas présents dans la pièce montraient tous les signes de l’admiration extatique. Elle les envoutait et ils devaient lui vouer une totale fidélité, allant jusqu’au don de leur vie.

L’eurasienne se rassit sur son trône. Elle dit à l’intention du chef Ngas qui l’a amenée jusqu’à là :

- Fais approcher la prisonnière Trang.

Trang, puisqu’il semblait bien qu’il s’appelait ainsi, attrapa Chloé par le bras et la poussa vers le trône. Chloé lui glissa à l’oreille :

- Elle a l’air bien salope. Je suis sure qu’elle fait du bénévolat dans le milieu de la prostitution.
- Tais-toi ! aboya Trang en la poussant au sol.

Le regard froid de Tigress se posa sur Chloé :

- Tu es Mangouste, je suppose ?
- Mouii, c’est moi …
- La rumeur dit que n’existes pas Mangouste. Et pourtant tu es là devant moi, au sol, attachée, à ma merci.
- Les rumeurs c’est comme les bites, ça sort toujours de la bouche des salopes.

« Et si tu n'existais pas, je crois que je t'aurais trouvée », se mit à chantonner Chloé en imitant (mal) la voix de Joe Dassin :
- Je suis meilleure sur Claude François.
- Trang, attache cette chienne au poteau. Et que l’on commence notre cérémonie.

Trang la saisit sans ménagement et entraina Chloé vers un poteau au milieu de la pièce, où elle fut ligotée.

Quand ce fut fait, il se saisit du maillet près de la porte et donnant une suite de coups sur le gong.

Les portes s’ouvrirent. Dehors, la nuit était tombée. Des Ngas, hommes et femmes entrèrent en procession. Ils avaient quitté leurs vêtements de travail pour des tenues en soie multicolores. De longues robes pour les femmes et des sortes de pyjamas pour les hommes.

Ils s’immobilisèrent et s’écartèrent, les hommes d’un côté et les femmes de l’autre. Seuls quelques gardes, dont Trang étaient restés auprès du trône de Tigress.

Une jeune fille entra à son tour dans la pièce et vint s’agenouiller devant Tigress :

- Phan, c’est aujourd’hui le jour de ta majorité et de ton passage à l’âge adulte. Approche de ta maitresse, tu sais ce que tu as à faire. Viens gouter la sève de ta maitresse et t’en repaitre, dit de manière théâtrale Tigress.

La jeune fille, Phan, puisque tel était son prénom, s’approcha et s’agenouilla devant Tigress. Elle souleva la robe de l’eurasienne se pencha en avant et mit son visage entre les cuisses de la femme.

Chloé ne perdait pas une miette de la prétendue cérémonie :

- Cette bonne femme est une grande malade, elle se prend pour une déité en plus, se dit-elle. Une déesse de l’amour !

Le visage de Tigress, pour la première fois laissa paraitre une émotion. Sa bouche se tordit légèrement de plaisir, même si aucun son n’en sortit. Ses traits se détendirent presque. Elle claqua dans ses mains deux fois. A ce signal, les hommes et les femmes s’approchèrent les uns des autres et se mirent en couple pour se diriger vers les coussins, matelas ou sofas disséminés autour de la pièce. Des râlements de plaisir retentient ici et là :

- Partouze entre les Ngas, se dit Mangouste goguenarde, avant de partir d’un léger ricanement.

Au fur et à mesure, de l’avancée de l’action, les couples se séparaient pour se former à nouveau avec d’autres partenaires. Ils constituaient souvent, non plus des duos d’ailleurs mais des trios ou plus. Chloé aperçut aussi quelques femmes ensemble et même un homme en train de s’activer derrière un autre. En clair, ça copulait de tous les côtés et dans tous les sens :

- Ça se corse là, se dit-elle. Ça dégénère même …

Une odeur forte se mit à chatouiller les narines de Chloé. Certains avaient allumé de longues pipes et fumaient manifestement de l’opium, avachis à même le sol sur des coussins.

Chloé reporta son attention sur Tigress :

- Mince, j’ai loupé son orgasme à cette cochonne, se dit-elle. Enfin, si elle est capable de jouissance …

La jeune fille, son office apparemment terminé, avait la tête posée sur la cuisse de Tigress.

Une voix retentit alors derrière Chloé :

- Alors Mangouste ? On se divertit du spectacle offert par ces sauvages ?

Elle se retourna. Derrière elle, se tenait un asiatique plus que bedonnant, mais l’air satisfait de lui. Plus que bedonnant est un euphémisme en fait. On aurait pu dire obèse. Un sosie de bouddha version moine ventripotent, le crâne chauve comme lui et la bouche charnue :

- Tu sais qui je suis ?
- Non, pas du tout … Je ne crois pas que nous ayons été présentés déjà.
- Mon visage t’est inconnu, mon nom te dira peut-être quelque chose.
- Ah ? Et tu t’appelles comment mon gros ?
- Toujours à titiller tes adversaires, hein Mangouste, tu ne peux pas t’en empêcher, hein salope ! Même quand tu es en sale posture !
- Oh tu sais, les sales postures, c’est comme pendant une bonne partie de baise, ça évolue vite. On est en-dessous, on se retrouve au-dessus … après quand on parle de baise, souvent c’est un peu sale. C’est ce qui fait que c’est excitant.
- Aucune chance cette fois de t’en sortir, Mangouste.
- Le suspense est insoutenable, tu es qui alors ? L’attente n’est plus tenable, je me consume littéralement.
- Je suis Niran Rattanapong.
- Rattanapong ! Tiens donc, le nom de Madame Boon (voir Banco à Bangkok).
- Oui, c’était ma sœur et tu l’as tuée.
- Elle l’a bien cherché ! On va dire qu’elle n’attirait pas ment la sympathie ! Un peu comme toi. C’est de famille surement.
- Mais tu es à moi maintenant Mangouste et je vais la venger.
- Ça ce n’est pas encore fait machin.
- Tu vas en baver avant de mourir Mangouste.
- Vas chier connard. J’adore cette tirade, « Vas chier connard ». C’est dans quel poème qu’on trouve ça déjà ?
- J’ai tout manigancé, je t’ai attirée ici, en nappant cette pétasse de journaliste. Je savais que sa sœur te contacterait. Elle connaissait ton ancien intermédiaire, Pierre Le Gall, celui que les amis de Boon ont massacré !
- Un truc que tu ne dois pas oublier gros tas, Boon et tous ses amis sont morts.
- Tais-toi, sale chienne, hurla Rattanapong en la giflant. Je me suis alliée à Tigress, car je savais que tu arriverais jusqu’ici, mais maintenant tu es en mon pouvoir et tu es dans de sales draps. Pas d’accord Mangouste ?
- J’aimerais bien être d’accord avec toi. Sauf que si c’était le cas, nous serions deux à avoir tort. Après, il y a une chose qui m’étonnera toujours !
- Quoi ?
- C'est curieux chez les méchants ce besoin de faire des phrases. Sinon, la gifle que tu m’as mise, tu as bien fait d’en profiter, sale con, je suis attachée, et je ne peux pas me défendre, mais tu vas le regretter et très vite. Crois-moi, foi de Mangouste.
- Continue à faire ton intéressante Mangouste ! Mais tout était calculé, les faux indices à Taipei, à Hanoï, tout était bidon, une vraie toile d’araignée, que j’ai tissé. Et tu es venue te jeter dedans tête baissée.
- Les araignées, je les éclate d’un coup de talon. Un peu comme les serpents ! Tête de nœud.
- Tes insultes et tes rodomontades ne me touchent pas Mangouste. Car tu vas être ma chose maintenant ! Je ne sais pas comment tu vas mourir encore, mais je sais que tu vas souffrir et que ça va être long.
- Oh ! Rodomontades !! Joli ! Mot compte triple, au moins !
- Je vais réfléchir à la façon dont tu vas rendre l’âme! Parce qu’elle devra être à la hauteur de la haine que je te porte. Je vais te r longtemps, j’en frissonne déjà d’impatience.

Puis à l’attention des Ngas restés auprès du trône de Tigress, il aboya :

- Emmenez là dans sa geôle !

Aucun des guerriers ne fit le moindre mouvement. C’est seulement lorsque l’eurasienne, hocha la tête que deux gardes détachèrent Chloé et l’emmenèrent. Avant de sortir, elle jeta un regard aux quelques Ngas forniquant encore. La plupart dormaient emportés par les vapeurs de l’opium. Elle fut enfermée dans une case de l’autre côté du village.

Il faisait sombre, Chloé s’assit à même le sol et laissa ses yeux s’habi à l’obscurité :

- Qui êtes-vous ? Ne me faites pas mal, fit une voix apeurée et féminine à l’accent français dans l’ombre.
- Vous êtes Sixtine ?
- Oui et vous ?
- Je m’appelle Chloé, c’est votre sœur qui m’envoie.
- Alix ?
- Oui. Bon notre situation n’est pas optimum, mais ça va s’arranger, ça s’arrange toujours.

Quelques sanglots et reniflements se firent entendre. Apparemment Sixtine n’était pas convaincue par les propos optimistes de Chloé :

- Ne vous inquiétez pas, on va trouver le moyen de sortir d’ici.

La porte s’ouvrit et dans la semi-pénombre de l’extérieur, une silhouette massive apparue :

- Alors Mangouste, on est en train de perdre ses derniers espoirs ?

Niran Rattanapong ! Il alluma une lanterne qui éclaira la pièce.

- Tu n’as pas pu t’empêcher de venir me narguer jusqu’ici machin?
- Je vais te frapper un peu avec ce bâton Mangouste, te bastonner quoi. Par pure méchanceté. Ensuite, par pure perversité, j’rai sexuellement de toi et peut-être que je profiterai du corps de Sixtine aussi.

Il avait à la main un long bâton en bambou. Il en donna un coup dans le ventre puis dans les côtes de Chloé, qui se plia en deux :

- Tu vois tête de con, tu viens de commettre une grossière erreur …
- Quelle erreur Mangouste, tu es attachée, tu ne peux rien contre moi.
- Sauf que non ducon, je ne suis plus attachée. Les abrutis de Ngas qui m’ont ramenée ici ne l’ont pas fait. Au combat d’égal à égal, un gros porc suant de tous ses pores comme toi, n’a aucune chance contre moi. Même si je suis à mains nues et que tu as un bâton ! Ah j’oubliais, ton revolver à la ceinture. Tu penses que ça te rend fort, mais il m’étonnerait que tu puisses avoir le temps de ne serait-ce que poser ta main sur la crosse :

Mangouste d’un revers de son avant-bras écarta le bâton, puis son pied atteignit le gros thaïlandais aux parties. Il se plia en deux :

- Ouch, ça fait mal ça hein ? Je me demandais, vu ta corpulence, si tu n’étais pas un eunuque, mais apparemment, non, tu as des roubignolles !

Elle lui donna un coup de tête. Rattanapong partit en arrière chancelant. Il s’écroula au sol, le nez éclaté.

- Et voilà, pauvre imbécile, c’est ta morgue et ta prétention qui nous auront sorties de ce guêpier. Pas bon d’être trop sûr de soi, surtout quand Mangouste est dans les parages.

Chloé se saisit du coupe-coupe accroché à la ceinture de Rattanapong et en posa la lame sur sa gorge :

- Tu te souviens mon gros quand on parlait des positions tout à l’heure ? Tu vois, ça va, ça vient les positions. Alors je t’écrase comme une araignée avec mon talon, où je t’égorge avec cette lame mal aiguisée ? Ouh là, ça devrait être douloureux ça …
- Non Mangouste ! Pitié !
- Pitié ? Mangouste et pitié dans la même phrase ? Ça ne le fait pas Rattanapong. Cherche l’intrus ! Bon, tu vas mourir vermine. Ne regarde pas Sixtine, ma chérie. Ça ne va pas être joli à voir. Mais il faut en passer par là ! Bon, voilà, c’est fait. Une sous-merde de moins sur la terre. Je ne souhaite pas paix à ton âme mon gros.

Chloé prit Sixtine par la main. Avant de l’attirer vers la porte, elle la regarda sous toutes les coutures :

- Tu es aussi jolie que ta sœur.

Puis, elle l’entraina vers l’extérieur. La nuit noire masquait leur fuite :

- Chut pas un bruit, les Ngas et Tigress sont en pleine orgie, mais il y a surement des gardes. En voilà un d’ailleurs, laisse-moi faire.

Mangouste s’est approchée à pas de loup du garde Ngas qui faisait les cent pas et lui a brisé le cou dans un geste net. Elle a récupéré la kalachnikov que le garde portait en bandoulière.

- On rejoint la piste là-bas, il y a un avion. C’est notre chance de nous échapper. Toujours discrètement, en silence, il y a surement d’autres gardes.

Un autre soldat Ngas devant le hangar près de la piste où l’avion stationnait, fit les frais de l’évasion des deux jeunes femmes. Ses cervicales craquèrent de manière inquiétante quand Mangouste le saisit par derrière. Il s’écroula vers le sol en silence.

Elles grimpèrent dans l’appareil. Après avoir vérifié la jauge de carburant, Chloé démarra le moteur et mit l’avion le nez face à la piste.

Elle mit les gaz et tira sur le manche pour faire décoller le Beechcraft. Alertés par le bruit du moteur, les Ngas sortirent du bâtiment où avaient lieu les petites festivités.

Des tirs de kalachnikov se perdirent dans le ciel. Certains touchèrent la carlingue, mais pas à un endroit stratégique, comme le réservoir, le moteur ou la cabine de pilotage.

L’avion prit de la hauteur :

- Ah les cons, on va leur dire au revoir, on ne va pas partir comme ça, dit Chloé.

Elle fit faire demi-tour à l’appareil et passa en rase-motte au-dessus du village, lâchant des tirs de mitrailleuse, dont était équipé cet avion aussi, sur les soldats qui couraient dans tous les sens et se jetaient au sol.

- Bon, c’est assez, il y a aussi des femmes et des s dans ce village, je ne veux pas faire de victimes innocentes.
- On ne peut rien contre cette femme ? Tigress ?
- J’ai un ami au ministère de l’intérieur vietnamien dorénavant, je vais lui donner les coordonnées exactes de ce village. Je suppose que quand l’armée vietnamienne arrivera ici, il n’y aura plus personne, mais ça donnera un coup d’arrêt, au moins temporaire, à tous les trafics dans le secteur et à l’influence de Tigress. Peut-être qu’un jour prochain, je reviendrai m’occuper d’elle … et de ce Trang, je n’ai pas du tout apprécié la manière dont il m’a traitée, celui-là.
- En tout cas, je ne vous remercierai jamais assez de m’avoir sortie des griffes de mes ravisseurs Mangouste.
- Appelle-moi Chloé, et remercie ta charmante sœur, Alix. Même si elle a été manipulée par Rattanapong et par Tigress, c’est grâce à elle que je suis venue ici.
- Oui, j’ai hâte de retrouver ma sœur !
- Et moi donc ! Ah, au fait, pour l’article que tu ne vas pas manquer d’écrire sur toute cette histoire, reste évasive à mon sujet. Il parait que je n’existe pas …

Elle déposa un baiser sur la joue de Sixtine, débordant un peu sur le coin de ses lèvres.

Pendant le reste du vol, l’esprit de Chloé se mit à voguer entre les souvenirs du corps d’Alix de Saint Aymé de Préville (principalement sa petite poitrine ferme et ses superbes jambes), le moteur de la Chevrolet Corvette laissé en plan et ce Prélude de Bach en do majeur à travailler encore et encore.

« La retraite, même à trente ans, ça a du bon, mais un peu d’action de temps à autre aussi », se dit-elle.



Ainsi s’achève, sur ces bonnes paroles, cette nouvelle aventure de Mangouste. Rendez-vous pour la prochaine. Enfin, si vous le voulez bien.

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