Un Jeu De Billes 1/2

Première partie

Au beau milieu de Toulouse, la grande allée arborée Paul Sabatier n’est pas seule à relier le Jardin Royal au canal du Midi ; il faut compter également sur une multitude de rues et ruelles parallèles bordées d’immeubles vétustes. Au numéro 17 de l’une de celles-ci, une porte-cochère, ornée de chasse-roues tronconiques en pierre, conduit à une cour sombre dont les pavés irréguliers maintiennent en vie quelques brins d’herbe grasse dans leurs interstices. Un puits ancien trône en son centre ; comblé de gravats et de terre, il permet à une glycine vivace de décorer habilement un arceau de fer forgé fixé dans la margelle et ne supportant plus ni chaîne ni seau depuis des lustres. Sur le mur qui fait face à l’entrée, une niche exiguë abrite une statue de femme nue, la main pudiquement posée sur son mont de Vénus. De chaque côté de la cour s’ouvre un hall doté de nombreuses boîtes à lettres vernies surannées. Celui de gauche se prolonge par un large escalier de pierre et de bois s’enroulant en une spirale anguleuse autour d’un ascenseur étroit rapporté là il y a plusieurs années. Au cinquième et dernier étage, il n’y a que deux appartements. L’un d’eux est occupé par une veuve de soixante-dix-huit ans et l’autre par un couple de quadragénaires sans s. Chez ces derniers, un samedi matin devant le petit-déjeuner, la discussion était singulière.
— Tu sais chéri, commença Marie-Christine, ça fait vingt ans que nous nous connaissons et ça fait vingt ans que tu me fais l’amour de la même manière…
De petite taille, la femme qui venait de parler n’en était pas moins jolie. Avec ses yeux verts perçants et sa chevelure brune, sa peau blanche ressortait étrangement pour une habitante de cette région couramment ensoleillée. Elle avait passé la première jeunesse de ses vingt ans avec brio et demeurait svelte et désirable ; tout juste une poitrine un peu plus lourde qu’avant, mais tellement excitante dans sa fine chemise de nuit décolletée.


Surpris, la tasse de café à la main Bernard regarda sa femme les yeux arrondis, mais resta muet. Il attendait manifestement un développement à la remarque qu’elle venait de formuler.
— Oui, je sais, continua-t-elle. Je ne t’en ai jamais parlé parce que je n’ai pas trouvé le courage de le faire, reprit-elle, mais après ce qui s’est passé cette nuit il fallait que ça sorte.
Bernard, quant à lui, avait fêté récemment ses quarante ans. Il s’adonnait périodiquement au footing et au vélo, ne fumait pas, buvait peu et faisait très attention à ce qu’il y avait dans son assiette. Les cheveux châtains à peine éclaircis, une barbe dure, mal rasée et toujours fournie, le visage aux traits réguliers, il était bel homme. Il aimait beaucoup l’aspect viril qu’il avait obtenu, lui qui à vingt ans avait plutôt l’air poupin.
— Tu veux me tromper avec un autre homme, c’est ça ? répondit-il sèchement.
— Non mon amour, tromper n’est pas le terme. Je t’ai toujours été fidèle et j’espère qu’il en est de même pour toi.
— Oui, tu peux en être sûre, interrompit Bernard sincèrement.
— Je t’aime et je n’ai pas envie de te tromper. Pas de mensonges, de suspicions, de rendez-vous furtifs à l’hôtel, de scènes de ménage et j’en passe… Je ne veux pas de ça.
— Alors quoi ?
— Je ne sais pas, j’ai trente-huit ans et j’ai vraiment besoin d’autre chose. De nouveauté, d’expériences diverses… Ne me dis pas que toi-même tu n’y as jamais pensé ?
— Ça m’arrive en effet, j’ai bien des fantasmes, admit Bernard, mais je ne veux pas mettre la vie de notre couple en danger pour des chimères.
— En tout cas, moi j’ai dit ce que j’avais à te dire, ça fait un poids de moins sur le cœur. Mais il faut que nous y songions sérieusement, promis ?
— Pas facile… fit Bernard pensif.
— J’ai confiance en nous, chéri. Pour changer de sujet, tu te rappelles que je mange avec Fred à midi ?
Pas mécontent de l’orientation nouvelle de la conversation, Bernard répondit d’une manière joviale.

— Oui, je sais. Quant à moi, je prends un sandwich vite fait ici et je vais voir mon père à la maison de retraite. Je l’emmènerai au cinéma cet après-midi.
— Je ferai des courses avec elle, ne m’attends pas avant cinq heures.
— Je ne serai peut-être pas rentré, tout dépend des horaires du film.
Marie-Christine se leva de table, déposa un baiser sur les lèvres de son mari et déclara :
— D’accord, je vais me doucher.

À midi, Marie-Christine sortit de l’appartement et appela l’ascenseur. Traversant la cour de l’immeuble, elle emprunta un trajet connu d’elle seule, du moins aimait-elle à le penser, fait de rues étroites et sombres et de ruelles borgnes pour se diriger vers le Jardin des Plantes. Le ciel était bleu, la température clémente, Marie-Christine profitait agréablement de sa promenade. Non loin du jardin, « La Cassolette » était le restaurant habituel où son amie et elle-même avaient l’habitude de se rencontrer. Frédérique, déjà attablée devant un verre, l’attendait. Marie-Christine, à peine essoufflée, l’embrassa sur les deux joues.
— Ne me dis pas que je suis en retard, nous avions dit midi et demi et il est midi vingt-cinq.
— Non, rassure-toi ma belle, mais j’étais prête de bonne heure et je ne t’ai pas attendue seule, fit-elle en désignant son verre vide.
Marie-Christine sourit puis, hélant le garçon, commanda deux autres apéritifs. Quand les deux femmes furent servies, elles choisirent le menu du jour et une demi-bouteille de picpoul de Pinet. Une conversation à bâtons rompus démarra, mais Marie-Christine n’était pas tout à fait à l’écoute. Frédérique le remarqua.
— Tu n’as pas l’air dans ton assiette, ça va ?
— Oui et non. Bernard et moi avons discuté ce matin et je suis soucieuse. J’ai dit des choses que je n’aurais peut-être pas dû dire.
— Vous vous êtes engueulés ?
— Non, ce n’est pas ça…
— Ah bon ? Ben, qu’est-ce qui ne va pas alors ?
— C’est personnel, tu sais.

— Je suis ton amie, oui ou non ?
— Oui, tu as raison. Promets-moi de garder ça pour toi.
— Tu vas me fâcher…
Sans relever, Marie-Christine se lança en regardant en direction de son assiette.
— Je lui ai déclaré, en plus édulcoré, que j’en avais marre qu’il me baise toujours de la même manière. J’avais envie de changement, pas ment d’un autre homme, mais de changement. Tu sais, tu vas rire, parfois je lorgne les godemichés sur internet, ça me fait mouiller. Je me dis que ça devrait être amusant à utiliser seule ou à deux, mais je n’ose pas en acheter, j’ai peur de froisser Bernard.
— Froisser Bernard pourquoi ? questionna Frédérique.
L’écoute attentive de son amie Fred encouragea Marie-Christine à continuer sur sa lancée.
— Il serait capable de complexer avec la taille de son sexe et celle du godemiché… Il dirait que je préfère me faire ça toute seule plutôt qu’avec lui… Qu’il éjacule trop tôt et que c’est pour ça que je veux un gode, etc. Tu sais comment il est.
— Oui, c’est un timide un peu coincé. Tu crois qu’il a connu d’autres femmes avant toi ?
— Une seule, il me semble ; et encore, ce n’est pas bien net. À chaque fois qu’il en parle, il a une version différente. Pour sa fierté, je n’y fais jamais allusion, mais je me demande si je ne l’ai pas épousé puceau. Remarque moi, avec le Jean-Pierre du lycée derrière la porte des toilettes, on ne peut pas dire que j’avais une grande expérience non plus.
— Ah, oui. Jean-Pierre, il nous a bien baisées toutes les deux ! Au propre comme au figuré, le salaud ; et sûrement pas que nous. Je reviens à Bernard, tu crois qu’il aimerait goûter à une autre femme ?
— C’est possible, je ne sais pas, mais nous avons convenu l’un comme l’autre de ne pas nous tromper. Alors moi, pas d’amant et lui, pas de maîtresse ; nous nous aimons et ne voulons pas que ça s’arrête.
— Je n’ai pas parlé d’amant et de maîtresse, mais d’un homme et d’une femme.
— Que veux-tu dire ?
— À moi de te faire des confidences.
Lorsque j’ai connu Georges, mon mari, j’étais un peu plus délurée que toi. Oh ! Pas de beaucoup, mais j’avais couché avec trois garçons avant lui. J’avais tout juste vingt-cinq ans quand nous nous sommes mariés et maintenant, à quarante pour moi et quarante-deux ans pour lui, nous avons décidé de mettre un peu de piment dans notre vie sexuelle, pour les mêmes raisons que celles que tu viens de m’exposer.
— Ah ? Et vous avez fait quoi ?
— J’ai trouvé un site sur internet qui organise des rencontres entre couples libertins et consentants. Cinq couples, ne se connaissant pas la plupart du temps, se retrouvent dans un lieu donné. On y boit et mange, on parle, on rigole et à minuit, les femmes tirent un homme au sort. Chaque « paire » ainsi formée, remarque que je n’ai pas utilisé le terme « couple » volontairement, va batifoler dans le lit du monsieur, le dit monsieur ramenant sa conquête éphémère à son domicile le lendemain matin. Ça ne dure qu’une nuit, pas d’amant, pas de maîtresse, pas de problèmes, juste une bite et une foufoune. Deux, devrais-je dire puisque ça fait deux paires…
— Oh ! Fred ! s’exclama Marie-Christine, la main sur la bouche.
— Ne fais pas ta mijaurée. Réfléchis. Parles-en à Bernard et vois sa réaction.
— Il ne voudra jamais…
— Que tu dis ! Tu sais les hommes sont surprenants par moments.
— Je n’oserai jamais.
— Alors, ça a servi à quoi ta discussion de ce matin ? Exposer un problème, c’est bien, mais apporter la solution en plus, c’est mieux. Un homme comme le tien qui n’a connu que deux femmes, je suis sûre qu’il fantasme sur d’autres, même s’il résiste à ses pulsions parce qu’il t’aime. Écoute, samedi prochain il y a une réunion de prévue chez des gens que je n’ai encore jamais vus. Georges et moi avons décidé d’y aller, mais pour l’instant, nous ne sommes que quatre couples. Or la règle c’est cinq couples ; ni plus ni moins. Tu as jusqu’à vendredi prochain pour convaincre ton mari, si toi-même es partante bien sûr. Voici l’adresse du site pour vous inscrire.
Frédérique arracha le coin de la nappe et griffonna quelques mots. Marie-Christine, pensive, observait le document qu’elle n’osait pas prendre comme si elle avait peur de se brûler. Elle sentit, braqué sur elle, le regard fixe de Frédérique. Puis lentement, relevant la tête, l’air décidé, elle plongea ses yeux dans ceux de son amie et rafla le papier pour le glisser dans son sac. Frédérique sourit.
— À la bonne heure, fit-elle.

Revenue chez elle après la tournée des boutiques, Marie-Christine avait le cœur qui battait la chamade. Bernard n’était pas encore rentré et sa détermination de midi s’était un peu émoussée. Soudain, elle sursauta.
— Bonsoir chérie ! fit son mari joyeusement de loin en accrochant son blouson dans la penderie.
Pénétrant dans le salon, il embrassa sa femme.
— Bonsoir, alors c’était bien ? questionna-t-elle.
— Oh ! Nous sommes allés voir un vieux tromblon qui date de la guerre de quarante au cinéma Rex, tu sais celui qui est spécialisé dans les films anciens.
— Oui, je connais. Sois indulgent, c’est pour ton père que tu fais ça, pas pour toi.
— Oui, je sais. Je préférais toutefois quand maman était là.
— Oh ! toi, tu as besoin de te changer les idées. J’avais envie de prendre l’apéritif ce soir, ça te dit ?
— Tu as raison. Sers-moi donc un whisky bien tassé et deux glaçons.
Marie-Christine s’exécuta, se prépara un Porto qu’elle garda à la main et posa le verre de son mari sur la table basse. Sa main tremblait.
— Ça va chérie ? demanda-t-il doucement.
— Oui, ça va, mais j’ai quelque chose à te dire.
Le cœur de Marie-Christine battait à tout rompre.
— Houla ! c’est sérieux, ironisa-t-il.
— Ne plaisante pas s’il te plait. C’est en rapport avec ce que nous nous sommes dit ce matin.
Bernard fit un bref effort de mémoire et son regard s’illumina. Il cessa tout de go de se moquer.
— Tu as un amant. C’est ça ? questionna-t-il en haussant le ton.
— Mais non ! Ce n’est pas ça, balayant les doutes de Bernard d’un geste de la main. J’ai parlé de nos problèmes à Fred à midi…
— Ça ne la regardait pas ! interrompit Bernard.
— Laisse-moi finir. Je disais que j’ai parlé de nos difficultés à Fred à midi et j’ai été surprise d’apprendre qu’elle et Georges avaient le même problème que nous, mais qu’eux l’avaient résolu.
— Ah ? Et comment ? fit Bernard soudain intéressé.
Marie-Christine résuma ce que son amie lui avait rapporté, sans toutefois évoquer la proposition qu’elle lui avait faite. Elle attendait que son mari « digère » la première partie.
— Fred et Georges… fit Bernard en souriant. Ben mon cochon, je n’aurais jamais cru ça d’eux ! C’est toutes les semaines, tu dis ?
— D’habitude oui, mais personne n’est obligé d’être présent à toutes les réunions. Par contre, il faut obligatoirement cinq couples, ni plus ni moins.
— Ah ? Et elle t’a dit quand ils pensaient y aller la prochaine fois ? demanda Bernard, puis pour lui-même :
— Ah ! ce satané Georges tout de même, qui aurait cru ça de lui ?
— D’eux deux, tu veux dire. Ils y vont samedi prochain normalement…
Marie-Christine laissa en suspens sa phrase volontairement afin qu’elle soit reprise au bond, ce qui ne manqua pas.
— Pourquoi normalement ?
— Parce qu’il n’y a que quatre couples d’inscrits pour l’instant. Il en manque donc un.
— Et si personne d’autre n’y va ?
— La petite fête est annulée. Dommage, non ?
Marie-Christine se tut subitement, prit son air le plus détaché possible et plongea son regard dans celui de son mari. Une dizaine de secondes s’écoulèrent, seulement troublées par le pouls de Marie-Christine qui lui battait aux tempes. Bernard se sentit fouillé jusqu’aux entrailles et finit par articuler avec peine :
— Tu ne veux pas dire que…
Silence forcené de Marie-Christine.
— Ah ! C’est bien ça ! Tu veux t’envoyer un autre mec ! J’avais pas raison ce matin ? Tu veux savoir ce que je pense de toi ? déclara Bernard d’un ton de colère.
Son épouse resta calme.
— Ce n’est pas d’un homme dont j’ai besoin, mais de son sexe ; et je te signale que je ne serais pas toute seule dans l’affaire. Toi aussi tu profiterais de l’aubaine. Quant à ce que tu penses de moi, réfléchis avant de dire des mots irréparables.
Son époux se radoucit.
— Je n’ai pas envie d’une autre femme, moi.
— En es-tu sûr ? À part moi, tu n’as connu personne, ou si peu. Tu n’as pas envie de déshabiller un autre corps, sentir des seins différents sous tes mains, d’avoir un parfum inconnu dans les narines, de pénétrer un vagin qui ne serait pas le mien…
Détournant la question, Bernard interrogea un sourire en coin :
— Franchement, tu te vois faire l’amour avec Georges ?
— Je ne ferais pas l’amour avec Georges. J’utiliserais son sexe pour assouvir mes fantasmes, ce n’est pas pareil.
— Et que je couche avec Fred, ça ne te ferait rien !
— Non, pas de cette manière. Tu la retrouverais en cachette à l’hôtel, ce ne serait pas la même chose. Tu vois, c’est aussi simple que ça.
— Écoute, non. Tes histoires ne me plaisent pas. Je refuse, n’y reviens plus.
— Je voulais éviter de te tromper. Je vois que tu ne comprends pas. Tu ne comprends surtout pas que mon sexe peut avoir besoin de choses dont tu peux être exclu sans remettre en cause mon amour pour toi. Un exemple, sais-tu que je me masturbe régulièrement dans le lit pendant que tu dors ? Ou encore dans la baignoire… Des fois, tu me trouves longue à sortir de la salle de bains. Eh bien, c’est parce que je me suis offert un ou deux orgasmes avec des fantasmes plein la tête. Des fantasmes faits de dizaines d’hommes nus dont tu ne fais pas partie. Mais de ces hommes, je ne vois que leurs sexes dressés sur lesquels je m’assois par devant ou par-derrière ou encore que je suce à pleine bouche ! Je veux continuer à fantasmer. Je ne veux pas d’amant parce que je t’aime, mais je veux goûter autre chose. Je veux réaliser mes chimères et là, Fred et Georges nous en donnent l’occasion. Car non seulement je pourrais vivre mes rêves sans aucune culpabilité, mais tu pourrais aussi expérimenter les tiens. Je sais que tu en as. Ne prétends pas le contraire, je ne te croirais pas, tu l’as dit ce matin.
— Je… commença Bernard piteusement.
— Je… quoi ? questionna Marie-Christine au bord des larmes.
Bernard prit sa respiration et lâcha à contrecœur :
— Pour toi, je veux bien essayer une fois pour voir, mais si ça me déplait, jure-moi que ça sera la seule et que nous ne reparlerons plus de ça.
Marie-Christine éclata en sanglots, se jeta dans les bras de son mari et l’embrassa de toutes ses forces. Bernard se laissa faire, mais lui qui jusque là considérait son épouse comme étant aussi sa maîtresse, était certain d’avoir perdu l’une des deux à ce moment précis.
— D’accord, oui mon chéri d’accord, mais je suis sûre que tu aimeras, conclut Marie-Christine entre deux sanglots.

Le lendemain, Bernard et Marie-Christine étaient inscrits à la réunion. Frédérique, bien sûr, en a été informée aussitôt, à sa plus grande joie.
*
Le samedi suivant, dans l’après-midi, Bernard commençait à se poser des questions.
— À ton avis, quel âge peuvent avoir les participants ?
— D’après le site, le minimum est dix-huit ans et le maximum soixante. D’après Fred, la majorité des couples a entre trente-cinq et cinquante-cinq ans.
— Et bien sûr, on ne choisit pas…
— Naturellement. C’est la base de cette réunion. N’oublie pas que l’on ne repart pas avec un homme ou une femme, on repart avec un sexe. Donc peu importe celui qui le possède.
— Et si le sort me désigne pour toi ou toi pour moi ?
— Ça peut arriver, mais c’est prévu. Chacune des femmes rentre avec un homme qui n’est pas celui avec qui elle est venue.
— Donc, aucune chance que je dorme avec toi ce soir…
— Non, mon chéri. Mais tu verras, tu auras à t’occuper toi aussi. À propos, emmène -là dans la chambre d’amis. Notre lit, c’est sacré.
— Si tu le dis…

Samedi suivant, dix-neuf heures trente. Douchés et pomponnés de frais, Bernard et Marie-Christine montèrent dans leur voiture pour se rendre dans un village à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Toulouse. La maison où les cinq couples avaient rendez-vous était magnifique, au milieu d’une pelouse immense. Au premier coup de sonnette, un homme d’une cinquantaine d’années ouvrit, leur sourit et dit :
— Bonjour, vous pouvez m’appeler Henri.
— Marie-Christine et Bernard, fit Marie-Christine. Nous sommes enchantés de faire votre connaissance.
— Moi de même. Deux de vos amis sont déjà là, Frédérique et Georges, je crois.
Henri introduisit les nouveaux arrivants dans le salon. Désignant une femme d’environ quarante-cinq ans, il dit :
— Je vous présente mon épouse, Sonia.
Puis, passant à un autre couple d’une trentaine d’années :
— De nouveaux amis : Aurélie et Sébastien.
Les quatre invités se détaillèrent de la tête aux pieds avec curiosité puis se sourirent et se serrèrent la main.
— Je ne vous présente pas Frédérique et Georges.
Ces derniers s’inclinèrent ostensiblement, un sourire en coin.
— Nous attendons encore deux personnes, mais que cela ne vous empêche pas de commencer à boire et a manger. Si vous avez besoin de quelque chose, demandez à Fernand notre majordome de ce soir, dit-il en désignant un homme aux cheveux blancs, très distingué. Nous avons le temps d’ici minuit, mais vous savez que si nos deux derniers amis n’arrivent pas, vous devrez repartir comme vous êtes venus.
— Le règlement est respecté à la lettre, souffla Bernard à l’oreille de sa femme, une lueur d’espoir dans la voix.
— Il faut ça, sinon ces réunions ne seraient que de vulgaires partouzes.
Un quart d’heure plus tard, un coup de sonnette se fit entendre. Anita et Esteban pénétrèrent dans le salon. Comme leurs prénoms le laissaient supposer, l’homme et la femme, âgés d’environ trente-cinq ans, étaient d’origine ibérique tout en étant français depuis deux générations.
Le début de la soirée fut un peu guindé, mais l’alcool aidant, minuit arriva alors que tous les participants étaient en liesse. À tel point que Bernard avait complètement oublié le motif réel de sa présence ici. Henri frappa dans ses mains, puis posa deux sacs opaques sur une table basse.
— Mes amis, voici venu le moment que nous attendons tous. Je vais demander tout d’abord aux hommes de tirer une bille au hasard et de la garder cachée.
Le sac passa de main en main, chacun des hommes en ressortit une bille de couleur. Bernard mit la sienne dans sa poche, mais eut le temps de s’apercevoir qu’elle était verte.
— Maintenant, au tour de ces dames. Attention, si l’une d’entre vous tire une bille de la même couleur que celle de son mari, elle doit en choisir une autre. Messieurs, soyez attentifs s’il vous plait.
Le deuxième sac fit le tour des mains féminines. Sonia en sortit une bille jaune et Henri l’interrompit :
— Non ma chérie, pas la jaune. Une autre s’il te plait.
Sonia remit la bille dans le sac et en tira une deuxième.
— Tout le monde a choisi ? C’est le moment de faire les couples. Mesdames et Messieurs : présentez vos billes, celles de même couleur partent ensemble, sauf naturellement la dame qui a tiré la jaune, car elle reste ici.
— C’est moi qui reste ! fit Frédérique joyeusement en tenant sa bille entre le pouce et l’index au bout de son bras levé. Tant mieux, je n’aurai pas le trajet à faire ce soir.
— Viens donc vers moi ma chérie, fit Henri.
— Marie-Christine ! appela Frédérique. Ne la cache pas, quelle couleur tu as ?
Tous les yeux se tournèrent vers Marie-Christine qui ouvrit la main lentement.
— Orange.
— Comme moi ! fit Esteban.
Marie-Christine songea immédiatement « Quelle chance ! C’est un bel homme » tandis que Bernard assassinait le prétendant du regard.
— Qui est-ce qui a la verte ? lança Bernard rageusement, surprenant sa femme.
— C’est moi, fit Aurélie qui embrassa rapidement Sébastien sur les lèvres avant de rejoindre Bernard.
« Elle est plus jeune et plus jolie que moi » songea Marie-Christine en proie à un début de jalousie.
Il restait Anita qui eut Georges pour amant d’un soir et enfin Sonia et Sébastien.
— Mesdames et messieurs, je ne vous chasse pas, mais vous devriez rentrer chez vous. Sauf toi, naturellement, ma chère Frédérique. N’allez pas trop vite sur la route, vous avez encore toute la nuit devant vous. Ravi de vous avoir reçus ; à bientôt certainement.

Sur le parking, juste devant la maison, Marie-Christine monta dans la voiture de sport d’Esteban. Elle ne put s’empêcher d’observer son mari ouvrir la porte de leur propre véhicule à la belle Aurélie. Bernard ne lui jeta pas même un regard et son cœur se serra. Esteban contrairement aux recommandations d’Henri conduisait vite, mais Marie-Christine ne l’avait pas vu boire une goutte d’alcool, seulement des sodas et cela la rassura. Tout en pilotant son bolide, le conducteur posa la main sur le genou de Marie-Christine et la glissa sous sa robe, le plus haut qu’il pût aller. Marie-Christine se laissa faire, mais ne put se résoudre à écarter les cuisses ici, elle trouvait ça trop vulgaire. Une dizaine de kilomètres plus loin, Esteban s’arrêta dans un village.
— Il n’habite pas Toulouse non plus, songea-t-elle. Si je voulais, je ne pourrais pas partir au milieu de la nuit…
Esteban coupa le moteur dans une cour de graviers devant une jolie maisonnette ancienne. Il se pencha vers Marie-Christine et l’embrassa sur les lèvres. Marie-Christine décida enfin de s’abandonner à ses fantasmes et ouvrit la bouche en confiant sa langue à son amant d’un soir. Esteban glissa la main entre les cuisses de Marie-Christine qui cette fois-ci, les écarta suffisamment pour se laisser caresser le sexe à travers le tissu. Elle poussa un soupir et sentit un flot de cyprine mouiller le fond de sa culotte. Esteban s’en aperçut et sortit vivement de la voiture tout en intimant à sa conquête de faire de même. Main dans la main, l’homme et la femme entrèrent dans la maison et se retrouvèrent dans une chambre confortable au rez-de-chaussée. Debout, ils s’embrassèrent violemment, mais soudain, Esteban appuya sur les épaules de Marie-Christine qui tomba à genoux. Adroitement, il défit sa braguette et la ceinture de son pantalon et en sortit une verge de taille honorable raidie par le désir. Il prit Marie-Christine par les cheveux et lui fourra son pénis dans la bouche jusqu’à toucher la luette. Marie-Christine en eut la nausée, mais Esteban n’en avait cure. Il effectuait de grands va-et-vient sans tenir compte des difficultés qu’avait sa compagne à avaler sa propre salive. Il allait et venait, allait et venait et soudain, il poussa un râle en accélérant ses mouvements. Marie-Christine ne suivait plus, elle émit un cri étouffé par la verge qui lui obstruait la bouche quand celle-là éjacula un sperme épais qu’il lui fallut absorber. Esteban ramenant son gland au niveau des lèvres de sa maîtresse effectuait des mouvements rapides de peu d’ampleur et chacun d’entre eux libérait une giclée de liquide séminal. Marie-Christine ne put tout avaler, laissant fuir par la commissure des lèvres une liqueur blanche et visqueuse qui lui coulait le long du menton avant de retomber sur sa robe. Après une douzaine d’éjaculations, Esteban repoussa Marie-Christine qui enfin put reprendre son souffle. Il l’embrassa sur la bouche et de la langue, recueillit sur son menton les quelques gouttes de sperme qui s’étaient échappées. Le sexe toujours raide, il prit Marie-Christine dans les bras et la coucha sur le lit. Lui remontant la robe jusqu’au nombril, il arracha la culotte de coton, poussa violemment sur les genoux et plongea sa bouche sur la vulve brûlante et trempée de la jeune femme. Marie-Christine eut un sursaut de plaisir. Elle écarta les cuisses au maximum, s’arrangea pour présenter de temps en temps, son orifice secret se situant derrière le vagin. Elle aimait sentir la caresse de la langue mouillée sur son anus, cela la faisait lubrifier devant. Revenant sur la vulve, Esteban plongea sa langue raidie comme un pénis et lécha ardemment les zones les plus sensibles. Marie-Christine prit soudain la tête de son compagnon de lit entre les mains et la serra fort tout en poussant un hurlement de plaisir. Les vagues de son spasme voluptueux durèrent quatre ou cinq minutes. Quatre ou cinq minutes pendant lesquelles Esteban léchait avec vigueur le vagin, le clitoris, les petites lèvres, les grandes lèvres, le sphincter jusqu’à ce que Marie-Christine le repoussât, épuisée par l’orgasme qu’il lui offrait. Puis elle se pencha vers Esteban et prit son pénis dans la main. Il était brûlant et raide comme s’il n’avait jamais joui. Elle remarqua que le gland n’avait pas de prépuce et ne sut comment le masturber. Glissant ses doigts le long de la verge, elle sentit un anneau de caoutchouc enserrant la hampe à la base, au niveau du scrotum. Elle se mit à quatre pattes devant Esteban qui approcha son phallus. Elle le guida vers le volcan en éruption de son vagin et se laissa pénétrer de toute la longueur de son pénis. Esteban la besogna savamment, sortant sa verge et la replongeant avec force. Son orgasme précédent le fit tenir plus longtemps et Marie-Christine eut tout le loisir de jouir sous les coups de boutoir de son amant. Esteban se mêla au plaisir de Marie-Christine en poussant un râle sauvage venant couvrir les cris aigus et plaintifs de sa compagne.
Les deux amants passèrent le reste de la nuit à jouir et à se faire jouir. Il lui apprit à masturber un pénis circoncis, elle lui apprit à pratiquer l’anulingus surtout celui qu’elle-même apprécie par-dessus tout et qui porte le joli nom de « colibri ». La seule chose qu’elle refusa à Esteban cette nuit-là, ce fut un rapport anal. Celui-ci le comprit et n’en prit pas ombrage. Épuisés, ils s’endormirent vers neuf heures du matin pour se réveiller deux heures plus tard.
— Réveille-toi ! Vite ! fit Esteban à Marie-Christine en la secouant. Anita doit revenir à midi, c’est l’heure fixée par le règlement.
— Oui, chéri. Je viens. Aussitôt prononcée, elle regretta l’expression de « chéri » qu’elle ne voulait réserver qu’à Bernard, mais Esteban ne releva pas.
Marie-Christine se leva, se doucha rapidement puis Esteban la reconduisit chez elle en un temps record pour repartir aussi vite. Ils ne s’étaient même pas dit au revoir.
Onze heures quarante-cinq. Marie-Christine pénétra timidement dans son appartement, Bernard tournait en rond dans le salon.
— Alors, ça t’a plu salope ?

Interloquée par l’accueil de son mari, Marie-Christine ne releva pas. Tout juste lui dit-elle :
— Je te répondrai quand tu seras calmé. En attendant, je vais dans notre chambre et te demanderai de rester dans le lieu de tes ébats pour l’instant.
Sur ces mots, Marie-Christine disparut de la vue de Bernard qui eut un geste de mauvaise humeur. Elle dormit tout l’après-midi.
Le soir même, penaud, Bernard frappa doucement à la porte de leur chambre :
— S’il te plait, Marie ! (il l’appelait par un diminutif dans quelques cas précis) Ouvre-moi ! Je regrette ce que je t’ai dit, je te demande de m’excuser.
La porte s’ouvrit, Marie-Christine embrassa son mari et se dirigea vers le salon avec lui.
— Il y a un abcès à crever chéri, commença-t-elle. Oui, j’ai couché avec Esteban, mais c’était prévu dès le départ avec lui ou un autre. Oui il m’a baisée comme tu ne le fais pas, mais en revanche, toi tu me fais l’amour comme il ne saura jamais le faire. J’ai apprécié cette nuit, car elle correspond exactement à mes fantasmes, mais encore une fois, cela ne remet pas en cause l’amour que j’ai pour toi. Est-ce que je te demande ce que tu as fait avec Aurélie ? Cette fille bien plus belle que moi, je suppose que ça t’a plu aussi ? Tu t’es bien vidé les couilles, alors ne cherche pas à savoir comment je me suis fait ramoner la fente.
— Tu deviens vulgaire, Marie.
— Oui, tu as raison, mais « salope » ce n’est pas vulgaire ça ?
— Je m’en suis excusé.
— Désolé, ça ne suffit pas. Tu vois, j’étais décidée à stopper cette expérience si tu me l’avais demandé, là maintenant. Eh bien la salope, contrairement à ce qu’elle t’a promis, va encore faire deux réunions et seulement après je me poserai la question de savoir si je continue ou non.
— Il faudra bien que je vienne aussi, fit Bernard un sourire en coin.
— Ça, ce n’est pas un problème. Je ramasse n’importe quel type dans un bar, il sera trop content de tirer un coup à l’œil. Il y a une réunion la semaine prochaine vers le parc Saint-Ex., je peux même y aller à pied.
— D’accord tu as gagné. Va pour la semaine prochaine. Tu t’arrêteras après ?
— J’ai dit trois ! répondit Marie-Christine inflexible.

-*-
Fin de la première partie.

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