Le Corbeau Ou Le Renard ? 3
Le mardi matin je pars comme dhabitude alors que Chantal est encore endormie. Pour ne pas la réveiller je lui laisse un mot sur la table de la cuisine.
- Bonne journée, ma petite femme. Profite bien de ta visite chez René. Tu me raconteras ce soir. Bises. Ton mari.
Ps. Un petit SMS me ferait plaisir
Pierre arrive vers onze heures au bureau avec une heure de retard Après avoir salué tous ses collaborateurs, il me demande, plein de prévenance, de venir le rejoindre dans son bureau. Sans sexcuser de son retard, il mannonce sans ambages :
- Je pense que tu es déjà au courant ?
- Tout à fait.
Pierre utilise un ton péremptoire, sûr de lui mais son regard est empreint de sympathique. Il cherche à me plaire.
- Jai écouté la conversation téléphonique entre René et Chantal. Cela ne va pas en faveur de tes convictions, mon vieux. Chantal est subjuguée par la personnalité de René. Il sait y faire le salaud.
- Je sais, je lai compris. Mais le chemin pour la séduire est à mon sens encore loin. Tans que ma femme aura la perspective de renoncer, elle se laissera draguer. Plus ou moins innocemment. Elle ne calcule pas, mais elle se contrôle très bien.
- Si tu le dis.
Pierre semble sûr de lui et cette assurance infléchit la mienne. Mais ne pas lui montrer est indispensable à ma fierté.
Cest à cette occasion quil me précise les détails de ses échanges avec Chantal, ne cherchant ni à ménager ma fierté ni ma dignité.
- Au fait Pierre il a quel âge René ? Je demande avec un brin de perversité.
- Cest Chantal qui le demande ?
Là jhésite. Chantal ne sen est pas du tout inquiétée. Si je dis la vérité, que cest moi, cela ne va pas ébranler sa conviction sur lissue de la drague. Tant pis !
- Cest moi qui le veux savoir. Nous nen avons pas parlé.
- A la bonne heure ! René à 61 ans. Mais il est très vert pour son âge. Je dois te dire que cest un libertin.
Cette nouvelle me sidère. Ma femme se trouve entre les mains dun libertin. Je nen reviens pas !
- Et tu sais mon vieux, moi aussi je le suis. Mais que cela reste entre nous.
Nouveau coup de bâton sur le crâne. Mais alors ce sont tous les deux des prédateurs ! Je meffondre.
- Cest samedi que vous avez projeté de la séduire ?
- Ecoute, je te dois la vérité. Tu te souviens que Chantal est venue mapporter ton manuscrit ?
Bien sûr que je men souviens maintenant. Cela date de quelques semaines.
- Et Bien, ce jour là René était dans un bureau à côté du mien et il a vu Chantal, et bien sûr il a tout de suite flashé sur elle. Mais rassure toi, il nest en aucune manière question dr de ta femme sans son accord complet. Nous ne voulons pas prendre de risque devant vos positions sociales. Nous espérons quelle sera à notre disposition de son plein gré.
Je suis assommé. Je réalise combien jai été manipulé. La flatterie est dangereuse quand on ny prend pas garde.
- Mais au fait ? Notre projet de colloque international est bidon ?
- Pas du tout. Mais ton rôle nest pas du tout celui que je tai fait miroiter.
- Je fais au moins partie du comité dorganisation.
- Malheureusement non, car il a été constitué il y a plusieurs mois. Non, tu es et reste mon conseillé personnel même si ton nom napparaît pas. Cest important tu sais !
Là je commence à comprendre la fable de La Fontaine. Cocu le corbeau. Malins les renards !
- Et quelle est la suite des événements ?
Ma voix tremble, mélange de colère et dhumiliation. Je réalise quil nest plus question de regarder ma femme sabandonner aux plaisirs charnels avec ces hommes. Je laime plus que tout.
- Ce midi René lemmène déjeuner dans un grand restaurant. Il joue sur le tableau botanique et ornithologique. Puis Versailles où je les rejoins comme prévu samedi soir. Nous allons redoubler dattentions pour arriver à nos fins et montrer que ta femme nest pas différente des autres.
- Vous avez lintention de la baiser tous les deux ?
- Allons, tu sais bien que si Chantal accepte, nous ne nous priverons pas. Elle est très bandante non ? Maintenant elle peut nous envoyer paître. Cest une éventualité.
- Je ne peux laisser faire. Excuse-moi !
- Comment-ça ?
- Je veux venir à Versailles.
Un silence lourd sinstalle dans son bureau. Pierre réfléchis. Moi je me conforte dans mon idée. Il est bientôt midi et le déroulement de leur plan est engagé. René doit être près de chez nous et Chantal prête à le suivre.
Je lui téléphone ? Pour lui dire quoi ? Que jai organisé sa débauche avec Pierre et René. Quil sest bien foutu de moi avec son projet international qui nétait destiné quà me flatter pour la livrer à leurs perversions.
- Écoute, tu vas te montrer ridicule devant ta femme, si tu lui fais un scandale à Versailles. Pour elle, jusqualors, il ne sagit que dune visite quelle appelle de tout son cur. Elle ne comprendrait pas.
- Je men fous. Je sais quelle ne se laissera pas faire. Mais je suis moins sûr de vos méthodes pour la faire basculer. Je veux venir.
- Bon cest daccord, finit-il par dire voyant bien ma fermeté et ma détermination. Nous allons y aller tous les deux.
Il sinterrompt, portant ses mains devant son visage, pour réfléchir. Puis se découvrant, il me dit :
- Je ne sais pas dans quel restaurant il la invitée. Cest vrai, crois-moi. Et puis il ne peut rien se passer là bas ! Nous les retrouverons à la serre. Je justifierai ta présence dans lenvie, toi aussi, de voir ces merveilles. Je tenais à te faire plaisir. OK ?
Cela me convient à moitié car jai bien deviné quil reste maître de la situation.
- Allez mon vieux, je tinvite à déjeuner. René doit me biper quand ils partent du restaurant.
Pierre memmène dans un beau restaurant près de Versailles. On parle de tout et de rien comme sil redoutait de parler de Chantal. Pourtant il y vient quand même mais de façon indirecte.
- Tu sais, on nest jamais sûr de la fidélité de sa femme. Elle le sont toutes jusquà se présente la bonne occasion. Il faut une multitude de paramètres pour quelles flanchent.
Je lécoute bougon. Ce type que je trouvais adorable ma berné. Je le hais, mais je ne peux que continuer de ladmirer. Il est superbe avec une faconde de luxe. Je lécoute avec de temps en temps un regard vers mon portable dans lespoir dun SMS de ma chérie. Silence. Je limagine attablée devant cet homme trop âgé pour elle. Il affiche plus du double de son âge. Mais cela peut jouer en sa faveur sil sy prend bien. Je le sais. Le physique et lâge ne sont pas des critères auxquels elle est sensible. En ce moment, elle doit plutôt boire ses paroles sans se méfier de ses intentions perfides. Non ! Ce nest pas possible, elle doit déjà avoir deviné ses véritables mobiles. Ce nest pas la première fois quelle est sollicitée. Je me sens soudain plus léger. Je taime Chantal et je sais que tu ne me trahiras pas. Toujours pas de SMS.
- Je te demande de ne pas faire de scandale à la serre ni dans la volière. René emploi beaucoup de personnel compétent pour assurer le bon fonctionnement de ses deux jouets.
- Daccord, si rien de malsain ne se passe.
- Même si Chantal succombait ?
- Comment succombait ? Je connais Chantal et malgré les avancées que jai pu constater, elle est loin daccéder à vos rêves lubriques. Je suis sûr que je naurai pas à intervenir. Mais je mettrais un point dhonneur à mincliner si cest le cas.
- Normalement il nest rien prévu tout de suite. Après la visite, René est supposé lui proposer de venir chez lui où il cultive des plantes très rares dans un immense salon.
- Putain ! Vous y mettez les formes ! Vous vous donnez les moyens. Et cela marche à tous les coups ? Combien de sages femmes mariées sont tombées sur le champ de vos batailles perverses ?
- Beaucoup mon vieux. Beaucoup.
Il dit ces mots avec une certitude qui me glace.
- Et bien vous nafficherez pas ma femme à votre tableau de chasse. Ah Non !
Je vois que Pierre semble inquiet. Il se méfie de mes réactions. Il réfléchit avant de me dire :
- Bon ! Je voudrais que tu laisses à ta femme la liberté de faire ce quelle veut. Cest légitime non ?
- Tout à fait. Cest une femme libre.
Là je réalise un peu tard que je fais le fanfaron.
- Si tu es si sûr delle que crains-tu ?
- Vos manigances évidemment.
- Je vais te donner la possibilité dassister à la visite privée dans le salon de René.
- Mais je nai pas besoin de ton autorisation. Je suivrais ma femme tout laprès midi.
- Si tu fais cela, tu ne sauras jamais si elle est fidèle comme tu le prétends. Toujours tu auras le doute alimenté par des soupçons. Laisse la seule et je toffre loccasion de surveiller son comportement.
- Et Comment ?
- Tout simplement. Dans le salon de René il y a un énorme miroir qui couvre presque toute la surface dun mur. Cest un miroir sans tain. Derrière, une pièce dans le noir complet est aménagée pour voir sans être vu. Cest comme si tu étais toi-même dans le salon ! Tu connais ?
- Tu me prends pour un con ?
- Non, mon ami, pas du tout.
Pourtant jen ai bien limpression en cet instant.
« mon ami » !
- Tu es daccord ?
- Comment tu comptes ty prendre si je suis daccord ?
- Cest simple. A la fin de la visite à Versailles, René va nous inviter à venir chez lui prendre un petit goûter. Tu déclines linvitation prétextant un RDV important. Il insiste auprès de Chantal. Tu pourras déjà avoir un aperçu de létat dâme de ta femme. Soit elle rentre avec toi. Bravo tu as gagné. Soit elle demande à venir avec nous. Alors dommage, tu as peut-être perdu.
- Et après si jaccepte ?
- Tu téloignes, semblant de partir, mais tu mattends sur le perron de la propriété et je viens te chercher pour te mener et tinstaller dans le réduit noir des voyeurs. Et là tu auras limage et le son. Seulement si tu acceptes, tu nauras pas le droit de te manifester sous aucun prétexte, sachant que rien de mal ne lui sera fait. Il y a même une caméra qui filmera tout ce qui se passe dans le salon. Ce qui devrait aussi te rassurer. Alors, dit-il avant de laisser sinstaller un silence lourd de conséquences.
Je suis piégé, je men rends compte. Je me suis mis tout seul dans la gueule du loup.
- Ok ! Cela va me permettre de tester ma chérie.
- Tu vois, tu doutes !
- Ou bien de constater votre échec pour la séduire, dis-je avec raillerie.
Jai envie une nouvelle fois de le baffer, mais je me retiens certainement par lâcheté. Mais jai compris ce que signifiait le terme de libertin !
(à suivre)
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