0239 Comme Des Lendemains De Cuite.
Après mon voyage surprise à Paris, la découverte des coucheries de Jérém avec des nanas « pour faire comme ses potes » et une mise au point au cours de laquelle il ma proposé une relation de couple libre, je suis rentré à Bordeaux comme un zombie. La deuxième partie du voyage a été quelque peu égayée par les retrouvailles avec Benjamin.
Jérém ma appelé quelques jours plus tard pour prendre des nouvelles ou pour apaiser sa conscience. Je me suis montré distant, agacé. Malgré les efforts, je narrivais pas à accepter lidée que Jérém puisse coucher ailleurs. Je ne voulais pas non plus coucher ailleurs. Javais trop peur de le perdre, de me perdre, de nous perdre.
Mais jai fini par accepter cette histoire de couple libre. Parce que jai enfin compris que pour linstant Jérém ne peut pas me proposer mieux. Parce que jai compris quil fait ça à contrecur et que ça lui coûte autant quà moi. Parce que je nai pas le choix. Parce quil na pas le choix.
Oui, jai réalisé que je pouvais faire leffort daccepter tout ça. Mais à la seule condition de voir Jérém plus souvent quil ne me le propose. Jai essayé de lui expliquer cela lors dun coup de fil. Mais Jérém ma répété que ce nétait pas possible pour le moment. Jai insisté, et Jérém a fini par me dire que notre relation était trop difficile à gérer. Et que le mieux ce serait de faire une pause. Une pause que, sur le coup, je vis comme une rupture.
Mardi 4 décembre 2001
Le lendemain de ce coup de fil désastreux, je me réveille vers 10 heures. Et encore, je ne me réveille que parce que Denis vient taper à ma porte. En fait, je nai pratiquement pas dormi de la nuit. Jai fini par tomber dépuisement au petit matin.
« Nico, tout va bien ? ».
« Oui, oui, ça va, jai juste de la température » je prétexte pour avoir la paix.
« Ah ok, Albert et moi on sinquiétait de ne pas te voir partir en cours ».
« Cest gentil, mais ça va aller ».
« Si tu as besoin de quelque chose, nhésite pas ».
« Merci ».
Maintenant que je suis réveillé, je passe à la douche, je prends mon café, je mhabille. Jaccomplis tous ces gestes machinalement, sans aucune motivation. Ce matin, jai limpression dêtre comme mort à lintérieur.
Je prends ma sacoche de cours mais je nai aucune envie daller à la fac. Je tombe de fatigue et je nai envie de rien. Je sens que ce coup de fil, cette « pause », toute cette histoire vont affecter ma vie, mon sommeil, mes partiels, mais tant pis. Aujourdhui, je nai vraiment pas le cur à ça. Pas après avoir dormi une poignée dheures dun sommeil entrecoupé de réveils inquiets. Non, ce nest pas la peine daller en cours si cest pour être complètement ailleurs ou mendormir sur un banc. Je nai pas envie non plus de répondre aux questions que mes camarades ne manqueront pas de me poser en voyant ma tête.
Je passe la journée à me balader au bord de la Garonne, les écouteurs de mon baladeur vissés dans mes oreilles. Quelques jours plus tôt Raphaël ma parlé de son admiration pour la carrière solo de Paul McCartney. Je suis passé à la Fnac dans la foulée, jai acheté quelques cd que jai compressés et chargés sur mon baladeur.
Album après album, je découvre une uvre dense, riche. Lambiance intime, la lenteur et la tristesse qui se dégagent de certains morceaux comme « Waterfall », « Summer days song », « One of these days », « Every Night » ou encore « Singalong Junk », épousent parfaitement la lenteur et la tristesse dans lesquelles ma vie sembourbe chaque minute un peu plus.
https://www.youtube.com/watch?v=Hg0XUqG0XgQ
« Peut-être quon devrait faire une pause ».
« Peut-être quon devrait faire une pause ».
« Peut-être quon devrait faire une pause ».
« Peut-être quon devrait faire une pause ».
« Peut-être quon devrait faire une pause ».
« Peut-être quon devrait faire une pause ».
« Peut-être quon devrait faire une pause ».
« Peut-être quon devrait faire une pause ».
« Peut-être quon devrait faire une pause ».
« Peut-être quon devrait faire une pause ».
« Peut-être quon devrait faire une pause ».
« Peut-être quon devrait faire une pause ».
Ses mots tournent en boucle dans ma tête, comme un écho inépuisable. Ils me hantent. A chaque fois quils repassent dans ma tête, je ressens une douleur atroce, comme si on me poignardait encore et encore. Une douleur mêlée à un sentiment de profonde injustice, la violente injustice quest la distance imposée par lêtre aimé, le déchirement de chaque instant entre le désir dêtre avec lui et limpossibilité à lassouvir. Jai limpression dêtre comme enfermé dans une cage, et quon me prive cruellement de la liberté daller à la rencontre de mon bonheur. Jai beau gigoter, rien ne changera désormais mon avenir de tristesse et de solitude.
Pourquoi me fais-tu ça, Jérém ? Pourquoi as-tu oublié les promesses de Campan ? Elles étaient si belles, si fortes, si intenses. Où sont-elles passées désormais ?
Jai trop attendu. Peut-être que si je lavais appelé plus tôt, tout ça se serait passé autrement. Pourquoi jai attendu si longtemps ? Certainement parce que je craignais que ça se termine de cette façon. Ou alors, à cause de mon amour propre. Peut-être quinconsciemment je me suis souvenu des paroles de Stéphane, qui mavait dit un jour : « veille à tout donner mais à ne pas tout accepter par amour », et « ne laisse pas les autres choisir pour toi ». Parfois, lamour propre est mal placé et nous mène à faire des choix à la con.
Je me disais que pour accepter le deal proposé par Jérém javais besoin dune contrepartie. Javais besoin de sentir que javais mon mot à dire dans notre relation et que je ne fais pas que la subir comme je la subissais au début lorsque Jérém menvoyait des SMS lorsquil voulait baiser.
Et pourtant, jaurais dû être plus lucide. Ma relation daujourdhui avec Jérém na rien à voir avec celle que nous avions quand il habitait rue de la Colombette.
Jérém sait quil men demande beaucoup, mais il a probablement été déçu que je ne comprenne pas assez sa situation. Je pense quil attendait quelque chose de ma part, que je montre plus fort, plus compréhensif, plus à lécoute de ses problèmes.
Mon coup de fil est venu trop tard, et il est devenu quelque part un geste maladroit. Jérém a dû interpréter mon long silence comme la preuve dune souffrance insurmontable chez moi. Ma condition de se voir plus souvent a dû sonner à ses oreilles davantage comme laveu dune détresse, plutôt que comme une demande légitime. Et ça a dû lui faire peur.
Je naurais pas dû insister pour le revoir à Paris. A Paris il ne pourra jamais être lui-même, c'est pour ça qu'il ne tient pas à ce que jaille le voir. Noël nest plus bien loin, jaurais pu attendre. Jaurais dû savoir attendre.
Entre midi et deux, je reçois un coup de fil de Monica. Elle mappelle pour avoir de mes nouvelles. Elle sinquiète de ne pas me voir en cours. Ça me touche que ma copine se fasse du souci. Mais je nai pas du tout envie de parler de ce qui marrive, même pas avec elle, et surtout pas par téléphone. Hier soir jen avais envie, jétais dans lurgence dapaiser ma souffrance. Mais aujourdhui, je suis terrassé par cette souffrance. Et en parler est au-dessus de mes forces. Je ressors le prétexte de la température et de la fatigue pour avoir la paix.
En rentrant en fin daprès-midi, je passe par le centre-ville. Lespace urbain, rues, commerces, immeubles, commence à être bien grimé en Noël. Soudain, je réalise que le réveillon, cest dans trois semaines à peine. La pression psychologique des fêtes de fin dannée monte en puissance chaque jour un peu plus. Au fur et à mesure que le 24 approche, tout semble nous pousser, nous inviter, nous imposer dêtre heureux, de faire la fête, et de claquer un maximum de ronds.
Une seule chose me touche dans le packaging indigeste de Noël. Cest la musique. Il y a de très bonnes chansons de Noël. Je pense à « Last Christmas », terriblement prémonitoire du dernier jour de son auteur. Je pense à « Happy Xmas » de Lennon, à « Let it snow » de Dean Martin, « Oh holy night », « Silent night » et dautres.
Parmi ces indémodables, une chanson tient une place particulière dans mon cur. Elle est sortie le Noël de mes 12 ans. Cétait un Noël heureux, le dernier grand repas de famille, le dernier avec mes grands-parents. Et cette année-là, la radio ne cessait de diffuser, comme aujourdhui les enceintes à lextérieur dun magasin de fringues la diffusent, une chanson aux couplets simples, mais qui parlent à mon cur à la fois nostalgique et blessé.
Je ne veux pas beaucoup de choses pour Noël
Il y a seulement une chose dont j'ai besoin
Je me fiche des cadeaux
Sous le sapin de Noël
(
) Fais que mon vu se réalise
https://www.youtube.com/watch?v=Qlpnt-6HQZo
Oui, pour Noël je ne veux pas de cadeaux. Tout ce que je voudrais, cest mon Jérém, le Jérém de Campan.
Je rentre à mon appart sur le coup de 18 heures. Albert et Denis sont en train de manger, ce qui me donne un prétexte pour juste leur dire bonjour sans mattarder. Je nai pas envie de leur montrer ma détresse, ni de leur parler de la « pause ». Jai juste envie de rentrer chez moi et dessayer de dormir.
Mais cest sans compter avec leur perspicacité et leur bienveillance.
« Tu restes manger Nico » fait Albert
« Non, merci, je nai pas trop faim et
».
« Je ne crois pas que cétait une invitation » fait Denis.
« Non, cest une injonction » ajoute Albert, sur un ton railleur « allez, assieds-toi là. Tu vas prendre du poulet à la crème de Denis et tu vas nous raconter ce qui ta donné de la « température »
».
Entre le poulet et le dessert, je finis par leur parler de la « pause ».
« Moi, ce que je vois » fait Albert, après un moment de réflexion « cest que pour se dévoiler comme il le fait depuis quelques temps, pour te dire son attachement, pour avouer son impuissance à toffrir mieux que ce quil voudrait, cest que ce gars taime vraiment.
Pour aller plus loin, il faudrait quil fasse un coming out. Il ne peut pas faire ça. Parce que faire son coming out ce serait renoncer au rugby. Tu ne peux pas lui demander ça. Tu le rendrais malheureux et tu le perdrais pour de bon. ».
« Moi je vois autre chose » intervient Denis « cette histoire est très compliquée. Il y a la distance, et il y a un gars qui ne peut pas assumer votre relation. Ce nest vraiment pas simple comme situation. Soutenir un gars comme Jérém cest épuisant. La question que je me pose cest : est-ce que ça vaut la peine ? Jusquoù tu peux aller sans que la souffrance ne dépasse le bonheur ? ».
« Je pense que Jérémie a bien changé pour toi » enchaîne Albert « La question maintenant, est de savoir si tu peux changer, et jusquà quel point, pour lui ».
« Eh, ben, tu nes pas beaucoup plus avancé en partant quen arrivant » fait encore Albert alors que je me prépare à rentrer chez moi « dis-toi quune pause nest pas ment une rupture. Jérémie a peut-être juste besoin de temps, comme il te la dit. Après, il sest peut-être passé quelque chose de son côté qui la contraint à faire ce choix de la « pause ».
Mais ce nest peut-être pas plus mal que vous preniez du temps chacun de votre côté. Toi aussi tu as peut-être besoin de temps. Vous avez tous les deux besoin de prendre du recul et de faire le point sur vos besoins profonds. Laisse le temps faire son travail, ne sois pas pressé ».
Dès que je passe la porte de mon appart, le manque de Jérém me ratt avec une violence inouïe. Je mallonge sur le lit. Je sais que jai merdé avec Jérém, comme toujours. Jaurais dû apprendre la leçon du clash chez mes parents. Quand il se sent acculé, Jérém envoie tout balader. Jai limpression que je viens de faire exactement la même erreur et je men veux, je men veux terriblement.
Aussi, je repense aux mots dAlbert « il sest peut-être passé quelque chose de son côté qui la contraint à faire ce choix ».
Cest quelque chose auquel je pense depuis hier soir. Et la raison qui me pousse à penser cela est le fait davoir senti un changement assez radical entre lattitude de Jérém lors du premier coup de fil et son attitude lors le deuxième.
Dans le premier, il semblait vraiment motivé à sauver notre histoire, il avait gardé son calme et montré sa bienveillance malgré mes assauts répétés.
Alors que lors du deuxième je lai senti distant, détaché, son attitude transpirait une sorte de lâcher prise. Preuve en est que tout est allé très vite. Nous navons pas passé des heures à parler, à essayer de trouver des solutions. On ne sest pas vraiment pris la tête. Il ny a même pas eu de véritable « clash ». Le « pause » est arrivée très vite, trop vite. Son attitude était celle de quelquun qui na plus envie de lutter. Jai senti quil avait baissé les bras.
Cest ça qui me fait penser que son changement dattitude entre les deux coups de fil doit avoir une cause extérieure, quelque chose quil ne pouvait pas me dire.
Est-ce quil sest passé quelque chose dans sa vie, quelque chose que jignore et qui aurait pu expliquer ce changement de son attitude, quelque chose qui la poussé à capituler et abandonner ?
Dans la soirée, le téléphone sonne deux fois. Elodie et Julien. Lune et lautre me rappellent suite aux coups de fil ratés de la veille. Cest gentil de leur part. Mais je nai pas envie de leur parler. Je fais le mort. Jéteins la lumière, je me cache sous ma couette. Je serre la chemise de Jérém contre moi, je cherche son odeur, son souvenir. Et je pleure toutes les larmes de mon cur.
Mercredi 5 décembre 2001.
Le lendemain je reviens en cours. Je me force à y aller, car je sais que si je reste seul je vais devenir fou.
« Ça va pas fort, Nico ? » me demande discrètement Monica entre deux cours.
Cest autour dun café que je finis par parler à elle aussi de la « pause ».
« Cest pour ça que tu voulais aller prendre un verre lautre soir ! Tu aurais dû me le dire, je serai venue ! ».
« Cest pas grave, tinquiète ».
« Tu sais que si tu as besoin de parler, je suis disponible » elle me glisse.
« Je sais. Merci, tu es une vrais copine ».
Un peu plus tard dans la journée, Raph essaie lui aussi de me faire parler. Mais je ne me sens pas à laise pour mouvrir avec lui. Face à son insistance, je finis quand-même par lui dire que je viens davoir une déception sentimentale, sans préciser de quelle nature.
Raph nessaie pas de creuser davantage. Mais il me propose aussitôt de laccompagner à une soirée étudiante prévue pour le lendemain, le jeudi.
« Ca te changera les idées ».
Pourquoi changer une recette qui marche ?
Je nai franchement pas envie de voir du monde et de faire la fête. Mais face à son insistance et à sa bonne volonté, je finis par céder.
Voilà comment je me retrouve à une soirée dont, le matin suivant, vendredi, je ne me souviens pas de grand-chose. A part des flashs. Je me souviens des premières bières de la soirée. Je me souviens de ma tristesse, amplifiée par lambiance de fête. Je me souviens de ma solitude dans ce pub bondé de monde. Je me souviens avoir détecté la présence de quelques beaux mecs, mais de navoir même pas eu le cur de les mater comme se doit. Je me souviens de mon envie de pleurer, je me souviens davoir pleuré. Je me souviens dautres bières. Je me souviens mêtre demandé ce quétait en train de faire Jérém. Je me souviens mêtre fait draguer par une nana et je me souviens aussi de lavoir envoyée chier. Je me souviens davoir goûté au whisky avec les potes de Raph. Je me souviens mêtre dit quavec du coca, ça passe bien. Et je me souviens davoir dansé, longtemps.
Après ça, tout est plus flou. Je ne me souviens plus de rien. Et surtout pas comment je suis arrivé sur le canapé de Raph au petit matin.
« Bonjour et félicitations ! Tu tes pris la première cuite de ta vie » me lance mon camarade de fac, tout en me tendant un café vraiment bienvenu, accompagné dun cachet contre la migraine.
« Merci. Je ne me souviens même pas comment je suis arrivé ici ».
« Je tai amené avec un pote. Tu ne tenais plus sur tes pattes ».
« Ah
mais au fait, il est quelle heure ? ».
« Cest lheure daller en cours. Il est presque 11 heures ».
« Déjà ? ».
« Si tu ne te sens pas en état, tu peux rester dormir encore un peu. De toute façon tu nauras jamais le temps de rentrer chez toi et darriver à la fac à temps » me lance Raph en regardant par la baie vitrée de son séjour.
Je suis encore dans les vapes lorsque je lentends soudainement pester :
« Putain, ce gros pd du dessus a encore fait tomber des poubelles sur mon balcon. Sans déconner, ce type est vraiment un enculé ! ».
« Ça, ça sappelle un pléonasme » je lâche, alors que je plane toujours sur les vapeurs de lalcool qui me rendent étrangement lucide et audacieux.
« De quoi tu parles ? » fait-il, sur un ton agacé.
« Pd et enculé cest un pléonasme, enfin, très souvent ».
« Pourquoi tu dis ça ? ».
« Parce que ça ménerve ».
« Quest-ce qui ténerve au juste ? ».
« Dentendre utiliser les mots « pd » et « enculé » comme des insultes ».
« Cest juste une façon de dire, cest rien ».
« Non, ce nest pas juste une façon de dire et ce nest pas rien ! » je me chauffe.
« Où est-ce que tu veux en venir, Nico ? ».
« Quand jentends les gens traiter un type de « pd » pour linsulter ou quand jentends un gars lancer « enculé » quand il est énervé contre une situation ou quelque chose, jai le poil qui se hérisse. Explique-moi en quoi « pd », c'est à dire un gars qui aime un autre gars, et « enculé », c'est à dire un gars qui a envie de se laisser prendre par un autre gars, explique-moi donc en quoi ces deux mots sont des insultes ? ».
« Je ne sais pas
» il admet.
« Tu ne sais pas mais tu les utilises. Et en les utilisant tu montres de la haine envers les gays ».
« Mais je ne suis pas homophobe ! ».
« Je te crois, mais tes mots le sont. C'est en utilisant des mots comme ceux-ci, et de cette façon, qu'on fait et quon maintient, dans les esprits faibles, lamalgame entre gay et quelque chose de négatif. Abruti est un insulte. Mais « pd » ce nest pas une insulte, à aucun moment, même quand on est énervés. Lhomosexualité nest pas une tare. Alors, non, cette façon dutiliser « pd » et « enculé » ce nest pas rien. Parce quen utilisant ces mots de cette façon on entretient et on propage lhomophobie ».
« Beh, mon pote, je ne te savais pas si sensible à ce sujet ».
« Tu me trouves comment, Raph ? je veux dire, tu me trouves con, ou grossier, ou idiot ou malfaisant ? ».
« Mais quest-ce que tu racontes ? Je trouve que tu es un gars très sympa et très bien ».
« Et je suis pd ! ».
« De quoi ? ».
« Jaime les mecs et coucher avec, tu veux un dessin ? ».
« Je savais pas ».
« Maintenant tu sais. Alors, tu trouves toujours que cest correct dutiliser « pd » et « enculé » comme tu viens de le faire ? ».
« Je ne voulais pas te blesser ».
« Sil fait exprès de laisser tomber ses poubelles sur ton balcon, ou sil ne prend pas des précautions pour empêcher cela de se produire, ton voisin du dessus est un abruti. Et tu peux lui reprocher le fait dêtre un abruti. Mais est-ce quil est vraiment pd ? Déjà, ça ne te regarde pas. Et-même sil létait, pourquoi lui jeter ça en pleine figure, alors que cest tout à fait hors sujet par rapport à ce quil vient de faire ? Il ny a rien à reprocher au fait dêtre gay, dans la mesure où personne ne choisit son orientation sexuelle et que ça ne porte aucun préjudice à personne et surtout pas à ceux qui ne sont pas concernés ».
« Je suis désolé, Nico. Parfois on utilise des mots par habitude et on ne fait pas attention au fait quils puissent être blessants. Je te remercie de mavoir fait confiance en me disant que tu es gay et je te promets que je nutiliserai plus jamais ces deux mots, ou dautres dans ce genre pour apostropher quelquun ».
« Merci beaucoup ».
« Accident clos ? ».
« Oui ».
« Toujours potes ? ».
« Oui ».
« Cool. Je vais y aller maintenant. Juste, quelquun dautre est au courant à la fac ? ».
« Oui, Cécile et Monica ».
« Ah je comprends mieux pourquoi Cécile te faisait la tête et pourquoi tu semblais soudainement si complice avec Monica ».
« Tu sais tout maintenant ».
Une fois Raph parti, je me rendors presque aussitôt.
Je me réveille en début daprès-midi. Je suis en train de reprendre mes esprits lorsque mon portable émet un petit couinement. Un message vient darriver. Pendant un instant, je crois que limpossible vient de se produire.
« Salut. Alors, quest-ce que tu deviens ? ».
Mais ce nest pas un message de Jérém. Puisquil continue de la façon suivante :
« Ça te dit daller prendre un verre ce soir ? ».
Benjamin est de retour, il ne lâche pas laffaire. Ce qui me fait à la fois plaisir et un peu peur.
Mais après tout, pourquoi pas. Au point où jen suis, pourquoi pas. Je suis au mieux dans une relation « libre » et « en pause ». Au pire, je suis célibataire. Alors, vraiment, pourquoi pas. Dautant plus que le fait quil revienne vers moi alors que je nai franchement pas été cool, ni après notre première rencontre, ni même après la deuxième, ça me touche. Et puis, ça me changera les idées.
Oui, pourquoi pas. Mais pas ce soir. Je suis ko et miné par une migraine carabinée.
« Pas dispo ce soir. Mais demain soir, pas de problème ».
« Ok, va pour demain soir ! ».
Je passe la soirée de vendredi et la journée de samedi à essayer de me convaincre que je ne suis pas en train de faire une bêtise. A plusieurs reprises, je suis sur le point de tout annuler. Je ne me sens pas encore prêt à franchir ce pas. Cest trop tôt.
Samedi en milieu daprès-midi, je suis même sur le point dappeler Jérém. Si jarrivais à lui parler, si seulement nous pouvions revenir sur la « pause », je suis prêt à renoncer à voir Benjamin. Jai tellement plus besoin de Jérém que de tous les Benjamin du monde !
Je suis sur le point de composer son numéro, mais jy renonce. Je sais que ça ne servirait à rien. Il a voulu une « pause » et je ne veux pas lui donner limpression de revenir à la charge pour le supplier de changer davis. Et il est temps pour moi darrêter dessayer de régler ma vie sur celle de Jérém. De toute façon, ça ne marche pas.
Samedi 8 décembre 2001.
Samedi soir à 21 heures, je prends un verre avec Benjamin dans un bar du centre-ville. Au départ, je ne me sens pas à ma place, je ne me sens pas à laise. Mais Benjamin est un garçon qui a de la conversation, il est drôle, il sait me faire rire. Avec lui, tout semble facile, léger, amusant.
En discutant avec lui, je me fais la réflexion, la même que je métais faite avec Justin, quil y a quelque chose de magique dans le fait de découvrir un mec inconnu. Cest le charme unique des premiers instants où lattirance éclot peu à peu en prenant appui tout autant sur ce qui est dévoilé que sur ce qui ne lest pas encore.
En plus de son humour, de sa façon dêtre « cool », de ne pas avoir de sujet tabou, et surtout pas son homosexualité, cet aspect de sa vie quil a vraiment lair de bien assumer, voilà que le fait que Benjamin ait quelques années de plus que moi lui donne un côté rassurant par lequel jai envie de me laisser porter.
Nous enchaînons des discussions à bâtons rompus sur des sujets très variés, et il sattarde à me parler de son amour pour le cinéma et en particulier pour luvre de Téchiné.
Nos regards se croisent, se jaugent. Je sens quil se passe quelque chose, quune attirance réciproque est en train de se dévoiler.
Il est déjà presque minuit lorsque, au détour dune conversation, je lentends me lancer :
« Tu veux pas quon aille dans un endroit plus tranquille ? ».
Je mattendais à ce genre de proposition. Mais cela ne mempêche pas de me sentir comme « pris au dépourvu ». Jhésite à me lancer à leau. Mais je finis par « fermer les yeux » et « plonger ».
« Oui, je veux bien ».
« On peut aller chez toi ? ».
« Je ne sais pas trop
chez moi cest vraiment tout petit » je prétexte.
Dune chose je suis certain, cest que je ne suis prêt à ramener un gars chez moi. Jaurais limpression de tourner trop vite une page de ma vie que je ne suis pas prêt à tourner.
Car, au fond de moi, même si je vis la « pause » comme une rupture, je garde un secret espoir que ce ne soit pas le cas. Que, malgré tout, Jérém se souvienne de sa promesse de nous retrouver à Noël.
« Dans ce cas, je ne vois pas dautre solution que daller chez moi » il me lance, une étincelle coquine dans le regard.
Ce qui me fait réaliser quen amont de toutes les précédentes considérations, la question qui se pose dans mon esprit est la suivante : est-ce que je me sens prêt à coucher avec Benjamin ce soir ?
Au fond de moi, je sais bien que si jaccepte son invitation, je sais que je vais « devoir » coucher avec lui. Je ne vais pas faire la même sketch quavec Justin, je ne vais pas me barrer quand ça va commencer à devenir chaud.
Lappart de Benjamin est situé vers le Bouscat. Derrière la porte dentrée souvre un séjour immense, à la déco moderne et épurée. Cest froid mais élégant.
Très vite, le gars se fait entreprenant. Il me caresse, il essaie de me prendre dans ses bras. Mais quelque chose bloque en moi. Je pense à Jérém, je pense à quel point jai envie dêtre dans ses bras. Et la tristesse éclipse le désir. Je me raidis, je narrive pas à me laisser aller. Lorsque Benjamin essaie de membrasser, jai une réaction de recul presque paniquée. Cest con, parce que jen ai envie.
« Eh, quest-ce que tu me fais ? » il se marre.
« Je ne sais pas si je suis prêt pour ça » je voudrais lui dire.
Son regard est pénétrant, il semble me sonder et lire carrément dans mon cur. Mais cest aussi un regard coquin rempli de promesses sensuelles. De plus, Benjamin est vraiment un beau garçon, jai moi aussi envie de lembrasser, jai envie de sentir son corps contre le mien.
Alors je respire un bon coup, je mapproche de lui et je lembrasse. Une minute après, nous sommes nus sur le canapé, en train de nous caresser. Son corps élancé, son torse interminable et finement dessiné, sa peau naturellement imberbe, sa peau mate rendent sa nudité très sensuelle. Un beau petit corps raccord avec sa belle gueule. Benjamin me suce longtemps, puis je le suce à mon tour.
La première fois quon couche avec un gars, la découverte contribue grandement à lexcitation. On essaie de donner du plaisir avec les gestes qui nous sont habituels, mais parfois ça ne marche pas. On y va à tâtons, comme dans le noir, on trébuche, on se reprend, on finit par trouver. Chaque corps a son mode demploi pour le plaisir. Un mode demploi qui nest pas livré avec, et dont la découverte progressive constitue un plaisir en soi.
Benjamin est un gars qui ne se pose pas de questions, et surtout pas au sujet de la sexualité. Il vit dans linstant présent et essaie de prendre tout ce quil y a à prendre. Surtout le plaisir, sous toutes ses formes. Avec lui, il ny a pas dactif ou de passif, pas de tabous. Rien que du plaisir, à consommer sans modération.
Benjamin a voulu que je le prenne. Jen avais envie aussi. Jai mis une capote et du gel et je lai pris. Pendant que je menfonçais lentement en lui, jai pensé que jusque-là Jérém était le seul gars à qui javais fait lamour. Et jai pensé à la dernière fois où je lui avais fait lamour, peu avant que cette pouffe ne débarque à lappart. Cétait tellement bon de le voir frissonner de plaisir et de jouir en lui.
Pendant un court instant, jai cru que jallais refaire lamour à Jérém. Et quand jai réalisé que cétait Benjamin, jai eu envie de tout arrêter et de partir en pleurant.
Mais le plaisir a fini par balayer les états dâme.
« Tes beau mec, quand-même » il me lance quelques instants plus tard, lair ravi du plaisir que je viens de lui offrir.
On a tous parfois besoin dentendre ce genre de mots. Et de sentir ce genre de regard sur nous.
« Merci. Toi aussi tu es beau ».
Nous reprenons un café, nous regardons un peu la télé. Nous recommençons à nous peloter. Cette fois-ci, cest au tour de Benjamin de se glisser entre mes cuisses. Il passe une capote, il met du gel, et vient en moi. Il me prend par devant, ce qui me permet de le voir prendre son pied.
Chaque gars a sa façon de faire lamour, des attitudes qui lui sont propres. Benjamin nest pas dans la domination. Il est juste dans le plaisir. Le sien, en particulier.
Pendant quil me lime, Benjamin ne me regarde jamais. Il regarde dans le vide, loin, très loin dans le vide. Comme si je nétais pas là. Je me laisse happer par lobservation détaillée de sa plastique, pas excessivement musclée mais très sensuel. Je me laisse happer par ses gestes, ses attitudes, sa façon denvoyer ses coups de reins, de prendre son pied. Ce nest que de la baise, mais cest beau, et bien agréable.
Benjamin ne tarde pas à jouir et je jouis une deuxième fois en me branlant.
Il est presque deux heures du mat et il me propose de rester dormir chez lui. Je suis fatigué et surtout je ne suis pas contre le fait davoir un peu de compagnie. Je sais quen rentrant chez moi je vais retrouver ma solitude, ma tristesse, les souvenirs douloureux. Alors jaccepte.
Dimanche 9 décembre 2001.
Le matin suivant, Benjamin se réveille et se lève avant moi. Je ne suis plus vraiment endormi, mais narrive pas à émerger. Ainsi, larôme du café vient mentraîner dans un rêve éveillé.
Pendant quelques instants, cet arôme me fait voyager, rêver, menferme dans une bulle dillusions à laquelle mon désir le plus profond a envie de croire. Pendant quelques instants, jai limpression dêtre à Campan, dans la petite maison, limpression que je viens de passer la nuit à faire lamour avec Jérém, un Jérém adorable, attentionné, amoureux, qui vient de préparer un café bien corsé dans une cafetière italienne chauffée dans une cheminée au feu de bois. Jai limpression que si jouvre les yeux, mon bobrun va être là, quil va venir membrasser et que nous allons partir faire une balade à cheval avec Charlène, Jean-Paul, Carine, Martine, Ginette, Satine. Avant de nous retrouver le soir pour une soirée bonne franquette qui se terminerait avec les joyeuses et entraînantes improvisations de Daniel à la guitare.
Mais lorsque je finis par ouvrir enfin les yeux pour de bon, et même si la vue de Benjamin dans un t-shirt blanc ajusté mettant bien en valeur ses pecs et ses biceps nest pas du tout désagréable, elle ne moffre pas du tout le même bonheur que de retrouver la présence de Jérém.
« Salut » il me lance, en mentendant remuer dans les draps.
« Salut ».
Nous prenons le petit déjeuner ensemble. Très vite, je réalise que Benjamin est beaucoup moins bavard que la veille. Jessaie de lui faire la conversation, mais je me heurte à une distance inattendue. Peut-être que le gars nest tout simplement pas du matin, quil a juste du mal à émerger. Mais mon manque dassurance me fait dire que peut-être le gars en a déjà assez de moi, que cette coucherie est un « one shot », et que ça lui tarde de se débarrasser de moi.
Une sensation rene par le fait que son téléphone narrête pas de vibrer, attestant larrivée de messages auxquels Benjamin sempresse de répondre. Une situation qui me met vite mal à laise. Car, à chaque fois que son portable vibre, je revis le mauvais souvenir de la dernière fois où je suis allé à Paris, avec le téléphone de Jérém qui ne cessait de sonner. Je revis mes questionnements, et la mauvaise surprise que cachaient ces coups de fil.
« Cest un pote » il mexplique en croisant mon regard interrogatif.
« Cest juste un pote ou plus ? ».
« Cest un pote avec qui je couche aussi, parfois » il fait sur un ton désinvolte, sans quitter le petit écran des yeux.
Cela provoque en moi un certain malaise, celui de penser quil est certainement en train dorganiser une rencontre proche, alors que je suis encore là, que nous venons de passer la nuit et de coucher ensemble.
Bien sûr, beau comme il est, Benjamin doit avoir plein doccasions. Et comme je viens de le comprendre, il en profite.
Malgré tout, jai bien envie de le revoir. Sa compagnie est plaisante, le sexe avec lui est fun et sans prise de tête. Benjamin est distrayant, et je me dis que cest exactement ce dont jai besoin en ce moment. De me distraire, de prendre du bon temps.
Je voudrais lui demander sil a envie quon se revoie, mais je nose pas. Je nai pas envie de mentendre dire que cétait bien mais quil nen veut pas plus.
Sur le seuil de la porte, alors que je mapprête à partir, Benjamin tient à faire une petite mise au point.
« Nico, jai bien aimé hier soir et cette nuit, et jaimerais bien te revoir. Mais je veux que les choses soient claires. Je ne cherche pas un petit ami, et encore moins une relation de couple. Pour linstant, jai envie de mamuser ».
« Ok, ok, cest ce que jai cru comprendre ».
« On se rappelle, à loccasion ».
Ah, il dit quil a envie de me revoir, mais ce sera seulement « à loccasion ». C'est-à-dire que ce nest même pas sûr.
Je passe le dimanche à cogiter sur le sens et mon envie de donner suite à une relation amicale et sexuelle avec Benjamin. Certes, japprécie sa présence, sa conversation, son humour. Jaime aussi coucher avec lui, et jaime cet état desprit de gay assumé où il ny a pas de tabous, juste un max de plaisir flamboyant entre garçons.
La compagnie de Benjamin me fait du bien, car elle me distrait agréablement de ma souffrance vis-à-vis de la « pause » davec Jérém. Il me tarde de repasser une nouvelle soirée avec lui. Il faut juste que jarrive à prendre ce quil y a de positif dans cette relation, que jaccepte ce mode de fonctionnement libre, sans engagement. Et je suis certain que je vais passer du bon temps avec Benjamin.
Mais est-ce que je vais le revoir ? Est-ce quil va vraiment avoir envie de me revoir ? Son « à loccasion » en nous quittant ne me rassure pas.
Oui, je passe le dimanche à cogiter, mais aussi à culpabiliser. Je culpabilise parce que cette coucherie est la première depuis Campan, depuis que lhistoire avec Jérém est devenue une Histoire. Et le fait davoir franchi ce pas me donne limpression de méloigner un peu plus de lui.
Laprès-midi sécoule lentement, tristement. Je pense à Jérém, à son match, à ses coucheries du week-end, et la jalousie et le désarroi me prennent aux tripes. Je pense à toutes ces soirées, ces week-ends qui mattendent sans lui. Et ça me donne le vertige.
Je réalise ainsi ce dont je me doutais déjà, que le fait de coucher avec Benjamin, bien que fort agréable, narrive pas à marracher à mon chagrin, et ça napaise pas ma souffrance en dehors des moments que nous passons ensemble.
Car dès que je suis seul, mon malheur me ratt et Jérém occupe toutes mes pensées. Jai trop envie davoir de ses nouvelles, mais je nose pas lappeler, je nose pas violer la « pause ».
Noël approche à grand pas et je me surprends de plus en plus souvent à penser quun petit miracle pourrait se produire. Le miracle que, malgré la « pause », Jérém tienne sa promesse de descendre pendant les vacances et de passer du temps avec moi.
Je sens que si cela devait se produire, je saurais en profiter pour lui parler et pour trouver un équilibre pour notre relation. Si seulement il men donnait la chance.
Mais est-ce que je vais devoir attendre un signe de sa part ou ce serait plutôt à moi daller vers lui ?
Je pense que je vais attendre un peu. Je ne veux pas lui forcer la main. Je ne veux pas le saouler. Peut-être quil va faire un geste. Dans le cas contraire, lorsque je serai à Toulouse, juste avant Noël, je vais lui envoyer un message pour savoir comment il va. Peut-être quil attend que je fasse un premier pas. Comment savoir, alors quen amour, on marche toujours à laveugle, à 19 comme à 79 ans ?
Ca me manque tellement de lentendre mappeler « Ourson » !
Mercredi 12 décembre 2001.
Finalement, « à loccasion » selon Benjamin ce ne sera pas si long.
Après lui avoir envoyé un message le lundi soir pour lui demander si son week-end sétait bien passé, le mercredi entre midi et deux je trouve un message venant de lui sur mon portable.
« Salut. Si ça te dit, on se fait une pizza ce soir chez moi ».
« Avec plaisir ».
La perspective de le revoir, de passer une bonne soirée en sa compagnie me fait vraiment du bien.
Le soir venu, je me retrouve à partager un repas, un bon film, lun de ses films préférés, « Forrest Gump », dont le thème musical principal au piano me donne toujours autant de frissons que la première fois où je lai entendu. Quel grand musicien que ce Danny Elfman !
https://www.youtube.com/watch?v=FcOt6mfjxeA
Mais nous partageons également dautres bonnes conversations, et des rires, beaucoup de rires. Benjamin est vraiment drôle, je suis bien avec lui. Peu à peu sinstalle entre nous une plaisante complicité. Partager de bons moments avec un beau garçon ça flatte mon égo et ça me fait sentir vivant. Notre « relation » est vraiment un bol dair frais, nos rencontres sont des moments « hors du temps » qui me font un bien fou.
En sa compagnie, jarrive presque à arrêter de penser à Jérém. Pas tout à fait, mais ma souffrance et le manque sont comme anesthésiés. Par moments, je me demande si ce nest pas ça la meilleure des « relations ». Passer des bons moments, se donner du plaisir, mais sans attaches, sans interdits, sans se soucier du lendemain, et des agissements de lautre.
Parce que, force est dadmettre que le sexe, bien que plaisant, nest quune composante, et pas ment la plus importante, de la complicité naissante avec Benjamin.
Je passe une autre bonne soirée. Alors, jaccepte son invitation de se revoir une troisième fois deux jours plus tard, le vendredi.
Ce coup-ci, nous partageons des paupiettes au saumon, un nouveau film, « Les roseaux sauvages », et une nouvelle nuit de sexe.
« Tu te débrouilles pas mal au pieu » me lance Benjamin, alors que je viens de me déboîter de lui et denlever ma capote.
« Merci ».
Ça aussi cest le genre de mots quon a besoin dentendre parfois. En tout cas, cest le genre de mots que javais besoin dentendre à ce moment-là. Même si, au moment de jouir, lorsque jai fermé les yeux, cest le corps et le visage de Jérém qui se sont imprimés dans ma tête.
Le dimanche 17 décembre 2001 est lun de ces jours qui marquent une vie.
Avec Benjamin, nous partagions des bons repas, de bons films, et du bon sexe. Nos rencontres étaient vraiment rafraîchissantes, et elles me changeaient agréablement les idées. Et, dans la mesure où je sentais quavec ce garçon ça nirait pas plus loin que lestime et lattirance, je navais pas trop de mal à vivre avec lidée que je nétais pour lui que lun de ses plans réguliers. Peut-être un sex friend, là où sex et friend étaient les composantes dune belle alchimie.
Voilà ce que je me disais juste avant que l« accident » ne se produise.
Dimanche après-midi, il faisait mauvais. Un vrai temps à passer sous la couette. Alors, nous lavons passé sous la couette. Il a voulu que je le baise, je lai baisé. Il a pris son pied, jai pris le mien. Nous avons pris un café, commencé à regarder un film sans intérêt.
Puis, nos corps ont eu à nouveau envie de senlacer, de semboîter, de se donner du plaisir.
Benjamin sest allongé sur moi et il a commencé à membrasser fougueusement. Jai senti sa queue raide dans le jogging, et jai compris que cétait à mon tour de le laisser venir en moi.
Il a passé une capote, il a mis du gel, et il est venu en moi. Il a commencé à me limer, et cétait bon. Jétais bien excité et je caressais ses tétons et ses pecs bien dessinés pour lui donner encore plus de plaisir. Son corps élancé et imberbe, ses beaux cheveux bruns, son visage parcouru par les frissons du plaisir, et même son regard dans le vide, cétait terriblement beau.
Benjamin était en train de me baiser et cétait bon comme jamais ça lavait encore été avec lui. Parce que nos corps commençaient à bien se connaître, à savoir comment se donner du plaisir.
Peu à peu, ses coups de reins avaient pris de la puissance, de lampleur. Il y avait dans son attitude une fougue, une sorte de sauvagerie animale qui étaient plutôt excitantes à voir et à ressentir en moi.
Lorsque son orgasme était venu, par ailleurs plus vite que dhabitude, je lavais entendu sexclamer, dans un état second, la voix saccadée et déformée par lexcitation extrême :
« Ah putain, quest-ce quil est bon ton cul ! ».
Javais continué à me branler et javais joui à mon tour quelques secondes plus tard.
Je regarde Benjamin, le corps moite de transpiration, la respiration haletante, avec sur son visage ce regard repu de mec qui vient de vivre un bel orgasme, je le regarde se retirer lentement de moi.
Cest là que je vois son regard sassombrir soudainement.
« Quest-ce qui se passe ? » je minquiète, en pensant immédiatement à lun de ces accidents « de propreté » qui peuvent parfois arriver, qui font partie du jeu, mais qui peuvent parfois être mal vécus.
Mais ce nest pas du tout ça. Et cest toujours avec le regard dans le vide que Benjamin mannonce froidement :
« Je crois que la capote a cassé ».
« Tu déconnes ! ».
« Non, je déconne pas ».
« Merde ».
« Cest pour ça que je suis venu si vite » il considère.
Je suis déboussolé. Jessaie de réfléchir mais je ny arrive pas. Jessaie de comprendre ce qui sest passé, de maîtriser la peur qui menvahit. Mais jai limpression de glisser à toute vitesse dans un horrible cauchemar.
« Tinquiète, jai rien » il tente de me rassurer, certainement en voyant ma tête en train de se déconfire à vue dil.
« Comment tu peux en être sûr ? ».
« Jai fait un dépistage complet il y a un mois et demi et jétais clean ».
« Mais depuis tas couché avec dautres mecs, non ? ».
« Oui, jai une vie sexuelle ».
« Mais le test dit juste que tu étais clean il y a un mois et demi ».
« Oui, mais je nai pas pris de risque ».
« Tu mets toujours la capote ? ».
« Oui ».
« Mais pas pour la pipe ».
« Non, pas la pipe. La pipe avec capote, cest pas possible ».
« Alors tu prends quand même des risques ! ».
« Tu me fais pas confiance ? » je commence à le sentir agacé.
« Cest pas la question
il suffit dune fois pour attr un truc et ça ne se voit pas ment de suite ».
« Je tai dit que je me suis fait dépister il ny a pas longtemps, tu veux quoi de plus ? » il me lance, alors que je sens son agacement monter dun cran.
« Savoir ce que je dois faire maintenant ».
« Tu veux faire quoi ? Jai joui en toi, je ne peux pas revenir en arrière ».
« Je me demande si je ne devrais pas aller aux urgences et prendre le traitement post exposition ».
Benjamin vient de se lever et il commence à fouiller dans un placard, toujours à poil.
« Tiens, regarde » il me lance sur un ton très agacé en me tendant un pli de trois ou quatre feuilles.
« Cest quoi ? ».
« Mon premier roman » il fait sur un ton sarcastique.
« Ce sont mes analyses, banane ! Elles datent dil y a un mois et demi. Si tu regardes bien, il y a marqué « négatif » partout ».
Je parcours rapidement les feuilles et en effet il y a marqué « négatif » partout. Y compris dans les lignes HIV 1 et 2. Mais cela ne suffit pas à apaiser langoisse qui ma envahi.
« Oui, tout est bon » je considère « Mais ça reste des analyses dil y a un mois et demi ».
« Nico, arrête de te prendre la tête, quand on baise on doit être prêt à assumer un minimum de risques. Moi aussi jai été exposé quand la capote a cassé. Qui me garantit que tu étais clean ? Tu te protégeais avec ton rugbyman ? » fait il en semportant.
« Non
mais ».
« Mais quoi ? Il couchait bien avec des nanas, non ? ».
« Oui
».
« Tu vois, tout le monde prend des risques ».
« Mais tu as joui en moi, alors cest moi qui prends le plus gros risque ».
« Je commence à trouver insupportables tes questions sur ma vie intime, et ta façon de me juger ».
« Je ne te juge pas, jai juste peur ».
« Ecoute, Nico, arrête de me prendre la tête. Allez, rentre chez toi » il me lance sèchement.
« Je crois que je vais aller au centre de dépistage durgence et prendre le traitement de post-exposition ».
« Tu fais ce que tu veux, mec ».
« Je suis désolé de te poser toutes ces questions, mais jai besoin dêtre rassu
».
« Tu sais quoi, Nico ? » il me coupe sur un ton à présent bien énervé « avec toi, cétait marrant, mais là ça ne lest plus du tout. Je pense quon va en rester là tous les deux. Maintenant tu devrais partir, nous navons plus rien à nous dire ».
« Tu fais chier Benjamin ! »
« Bien, toi aussi. Surtout oublie mon numéro de téléphone ».
Me voilà dans la rue, avec la tête en vrac et la peur au ventre. Je viens de prendre un risque, un gros risque. Et même si la probabilité associée à ce risque nest pas très élevée, elle suffit à faire exister ce risque. Alors jai peur.
Jai limpression que mes jambes ne veulent pas me porter, jai limpression que mon corps fait 200 kg.
Je massois sur la banquette dun abribus désert et jappelle les renseignements téléphoniques. Je demande le numéro des urgences de lHôpital de Bordeaux. La nana qui me prend en charge est très avenante et me propose de me mettre directement en relation avec le service. Je la remercie et jattends pendant de longues et interminables sonneries que quelquun me réponde à lautre bout du fil.
Pendant cette attente, je vois ma vie défiler et mon avenir sassombrir. Quest-ce que je vais devenir si jamais
? Comment vais-je lannoncer à mes parents ? A Elodie ? A mes amis ? A Jérém ? Est-ce que je devrais lannoncer à Jérém ? Est-ce que je vais finir comme Freddie Mercury ? Est-ce quavec cette épée de Damoclès au-dessus de ma tête ça a encore un quelconque sens de penser à lavenir ?
Finalement, une voix masculine se présente à moi. Et je me retrouve à devoir expliquer que je suis un garçon qui vient davoir un rapport anal avec un autre garçon, en étant passif, et que je suis inquiet parce que la capote a cassé. Ça paraît simple à expliquer comme ça, mais ça ne lest pas, pas du tout. Raconter à un parfait inconnu les détails les plus intimes de sa vie intime, la peur au ventre, la honte dans sa tête, ça demande beaucoup dénergie et ça ajoute un choc à la peur.
Heureusement, le gars est très professionnel. Ses questions sont très ciblées. Le ton de sa voix est neutre, rassurant. Le gars doit avoir lhabitude de ce genre de situation. Je ne dois pas être le premier gars qui est exposé à un risque de ce genre.
Preuve en est que ses explications sont claires et précises.
« Le plus important cest que vous veniez au plus vite. Surtout si le médecin va estimer nécessaire de vous prescrire le traitement post exposition. Plus tôt vous commencerez le traitement, plus vos chances déchapper à la contamination sont grandes ».
Je prends le premier bus et je me rends aux urgences dans la foulée. Je me pointe à laccueil où je dois expliquer une nouvelle fois qui je suis, ce que je fais au lit et ce qui vient de marriver. Cest la première fois que je le fais « à visage découvert » et cest bien plus dur que de le faire au téléphone. De plus, la dame de laccueil, dun âge proche de la retraite, le regard dur et lattitude rigide, ne fait aucun effort pour me mettre à laise. Pire que ça, je trouve le ton de ses mots très sec, presque réprobateur. Peut être que cest juste dans ma tête, mais je jurerais que cette femme a un problème avec les gays et le sexe entre mecs. En répondant à ses questions, je me sens une merde.
Elle me tend un dossier avec plein détiquettes autocollantes avec mon nom, ma date de naissance et un code barre et me dit dattendre quun médecin vienne mappeler.
Je me retrouve dans une grande salle dattente, illuminée par la lumière blafarde dune armée de néons. Je me sens seul, humilié. Et jai peur, terriblement peur. Mais je nai pas le choix. Si je ne consulte pas, je vais devoir vivre avec le doute pendant trois mois. Et cest au-dessus de mes forces.
Dans la salle il y a un peu de monde, je sais que je ne vais pas repartir de sitôt. Jattends une heure, deux heures, trois heures. Il est presque 22 heures lorsquun médecin femme appelle mon nom de famille.
Je me lève dun bond, comme délivré. Je me retrouve enfin protégé dans un petit bureau, avec une femme qui a lair aimable et professionnelle. Une troisième fois je me retrouve à raconter ma vie sexuelle à une parfaite inconnue. Sa bienveillance me simplifie la tâche, qui demeure quand même difficile, car évoquer le risque auquel jai été exposé le fait exister à chaque fois un peu plus.
« La première chose à faire est de vous faire dépister pour connaître votre statut ».
« Mais je nai rien ».
« Vous navez jamais eu de rapports à risque avant cet après-midi ? ».
« Si, si, mais cétait avec mon copain, et je lui faisais confiance ».
« Vous lui faisiez ? ».
« On vient de rompre ».
« Est-ce que vous avez des raisons de penser quil a pu coucher avec dautres partenaires avant votre rupture ? ».
« Il a couché avec des filles, mais il ma dit quil sest protégé ».
« Le risque zéro nexiste pas, cest pourquoi je voudrais connaître votre statut sérologique ».
« Daccord. Et en attendant, on fait quoi ? Vous allez me donner le traitement post-exposition ? ».
« Le plus simple ce serait que votre dernier partenaire, celui qui est à lorigine du risque, vienne se faire dépister ».
« Je ne crois pas quil va vouloir, nous ne nous sommes pas quittés en très bons termes. Il a fait un test il y a un mois et demi et, même sil a pris quelques risques depuis, il estime être clean ».
« Un mois et demi, cest une éternité ! Déjà quun test nest quune image à linstant T, reflétant une réalité vieille de trois mois, sans tenir compte de ce qui sest passé depuis, alors si en plus il date, et si en plus il a pris des risques après, il ne veut plus rien dire !
Si ce garçon venait se faire dépister rapidement, et que vous étiez tous les deux négatifs, vous nauriez pas à supporter ce traitement qui est quand même un traitement lourd avec des effets secondaires non négligeables ».
« Comme quoi ? ».
« De la fatigue, des nausées, de la diarrhée, surtout les premiers jours ».
« Le traitement cest sur combien de temps ? ».
« Un mois, et la prise doit être très stricte. Si on veut avoir réduire au maximum le risque dinfection, il ne faut surtout pas oublier de prendre les comprimés, et à des horaires fixes ».
« Et ce traitement marche bien ? Je veux dire, il élimine le risque ? ».
« Il ne lélimine pas totalement, mais il le réduit de façon considérable. Si vous avez été exposé au HIV, les antirétroviraux vont tout faire pour que le Sida ne se déclenche pas. Mais je ne peux pas vous promettre que ce traitement a une efficacité de 100% ».
« Ça veut dire que même si je prends le traitement, je peux me retrouver séropositif ? ».
« On nen est pas là. Déjà nous ne savons pas si vous avez été exposé. Cest pour ça que ce serait bien de connaître le statut de votre ami. Essayez de lui parler calmement et de le convaincre. Le test ce nest rien, juste une prise de sang ».
« Je vais essayer ».
« En attendant, je vous donne le traitement pour trois jours. Linfirmier va venir vous lapporter et faire la prise de sang ».
« Merci ».
« Essayez de penser à autre chose ».
« Et dans combien de temps on peut écarter tout risque de contamination ? ».
« Sans le statut de votre ami, les seules analyses qui donnent des certitudes sont celles faites à partir des prélèvements sanguins effectués trois mois après lexposition ».
« Même avec le traitement ? ».
« Même avec le traitement ».
« Daccord ».
« Bon courage, monsieur, et revenez dans trois jour pour faire le point. Tenez ma carte. Appelez pour vous assurer que je suis bien de garde ».
Le médecin me fait installer dans une petite salle de soin et me dit dattendre. Je ne sais pas pendant combien de temps jai attendu. Tout ce que je sais cest que jai eu le temps de pleurer, de penser au pire, de me dire que si ça se trouve ma vie est foutue et que je ne réaliserai aucun de mes projets de voyage, détudes, de vie.
Et que je ne reverrai jamais Jérém. Si jamais cette histoire se termine mal, cela anéantira ma vie mais aussi les dernières chances de retrouver Jérém. Car je serai « dangereux » à vie et je ne pourrais jamais lexposer de près ou de loin au risque de le contaminer.
Lorsque la porte souvre enfin, cest comme dans un rêve, ou plutôt dans un brouillard, ou plutôt comme un phare dans un brouillard épais, que je vois se pointer un jeune infirmier brun, baraqué comme un Dieu, tout en muscles sous sa blouse manche courtes assez près du corps, avec des biceps saillants et une petite gueule à la fois virile et à bisous qui, en temps normal, me ferait craquer, ou me liquéfier. Mais là, sa sublime beauté me donne juste envie de pleurer.
« Bonjour, quest-ce qui vous est arrivé ? » il me demande sur un ton bienveillant.
Ses yeux gris très lumineux mhypnotisent, son regard pur et doux me donne le vertige. Je me dis quil faut être quelquun de profondément bon pour sentir la vocation de soccuper de la souffrance autrui et den faire son métier.
Non seulement le gars est beau dune façon outrageuse, presque indécente, mais sa voix à la vibration très mâle et à la gentillesse exquise, fait vibrer en moi un faisceau très large de cordes sensibles. Je trouve horrible de trouver ce gars si beau et attirant dans cette situation durgence et de peur.
Et je me retrouve pour la quatrième fois à raconter à cette bombasse de mec ma vie sexuelle et intime.
Le gars est lui aussi très professionnel, et me met vraiment à laise. Après quil ma piqué le bras, et pendant quil remplit un certain nombre de fioles de mon sang, son cou est presque à portée de mes lèvres. La tentation est si forte dy poser des doux baisers. Et pourtant, je me trouve con de penser à ce genre de choses alors que ma vie est peut être sur le point de basculer à tout jamais dans une pente tragique.
Mais je finis par me dire que si lesprit de survie, ou de vie tout court, sous la forme de lattirance pour un très beau garçon, trouve encore le moyen de sélever au-dessus de la détresse, de la souffrance et de la peur, cest quon est toujours vivants. Et quon doit sen réjouir.
Avant de séclipser, le bel infirmier me met un pansement là où laiguille a entaillé ma chair. Il me donne trois pilules énormes et six autres plus petites et men explique la posologie.
« Bon courage à vous » ce seront ses derniers mots avant de séclipser.
« Merci, merci pour tout ».
Oui, merci pour tout. Et aussi pour être aussi insupportablement beau et davoir su apporter la première note de couleur dans ma vie depuis de longues heures.
Je sors de lhôpital à 23h30. Je me dis que je vais appeler Benjamin le lendemain matin.
Je passe bien évidemment une nuit horrible, une nuit de veille où les raisons dinsomnie sont plus nombreuses et plus graves quà laccoutumée. Je dors une ou deux heures maximum. Je me réveille à 5h30 et je suis ko. Depuis la « pause » mon déficit de sommeil ne cesse pas de se creuser. Et quand on ajoute l« accident » à la « pause », mon sommeil nest tout simplement plus. Une fois de plus, je me sens comme dans un lendemain de cuite. Mais jamais je nai ressenti une cuite si carabinée.
Je sais que Benjamin ne travaille pas ce lundi, mais jattends quand même 10 heures pour ne pas le déranger. Cest une attente fébrile, ponctuée de cafés et de larmes.
Le simple fait de lappeler, alors quil ma dit doublier son numéro, alors que je sais que je vais faire face à son agressivité et à son opposition à ma requête, me coûte une énergie énorme. Une énergie dont la dépense, dans létat dépuisement où je me trouve, anéantit mes dernières forces.
Mais ça sonne dans le vide et je tombe sur son répondeur. Je respire un grand coup et, en essayant de retenir mes larmes, je lui laisse un message pour lui dire que jai besoin de lui parler une dernière fois.
Jattends tout le reste de la matinée quil mappelle, en vain.
Est-ce quil a eu mon message ? Est-ce que ça le saoule ? Est-ce quil fait tout simplement le mort pour me décourager ?
Je veux en avoir le cur net et je consomme une nouvelle quantité démesurée de mes énergies restantes pour le rappeler sur le coup de 14 heures.
Et alors que je commence à désespérer darriver à le joindre, au bout de trois sonneries, Benjamin décroche enfin.
« Je tai dit doublier mon numéro » il me lance sèchement, sans la moindre formule de politesse.
Je suis déçu, et en colère, mais jessaie de le ménager pour me donner toutes les chances de le convaincre à être coopératif.
« Salut ».
« Ouais, cest ça, salut ».
« Je ne vais pas te déranger longtemps mais cest important ».
« Allez, crache ! ».
« Hier soir je suis allé aux urgences et ils mont demandé si tu pouvais faire le test avec moi ».
« Non, je ne peux pas ».
« Et pourquoi ? ».
« Parce que je nen ai pas envie ».
« Ecoute Benjamin, on sest bien amusés tous les deux, tu peux bien faire ça pour moi ».
« Non, je ne le ferai pas ».
Cest dur de ne pas le traiter de connard égoïste, mais je continue à prendre sur moi pour garder une chance et un espoir darriver à le convaincre.
« Si tu ne le fais pas, je suis obligé de prendre un traitement lourd pendant un mois ».
« Ecoutes, tu fais ce que bon te semble. Je te lai dit, je nai rien ».
« Comprends-moi, Benjamin, je ne veux pas te faire chier. Cest juste une prise de sang, et on sera tous tranquilles ».
« Je tai dit que cest hors de question. Tes sourd ou quoi ? ».
« Mais pourquoi ? ».
« Fiche-moi la paix ! ».
« Cest nul que tu réagisses comme ça ».
« Pense ce que tu veux ».
« Je pensais que tu étais un gars bien ».
« Et moi je ne pensais pas que tu pouvais être autant casse couilles ».
« Va te faire foutre ! » je finis par lâcher, excédé par sa mauvaise volonté et son égoïsme.
« Toi aussi ! Mais je suis con, cest fait ! » il me lance en pleine figure.
« Tes vraiment quune merde » je lui balance, hors de moi, assommé de colère et dangoisse, alors quil a certainement déjà raccroché.
Fin de lespoir de men sortir par une simple prise de sang. La seule option qui se présente à moi désormais est le fameux traitement et la non totale certitude de son efficacité. Le traitement et ses effets secondaires. Le traitement et trois mois devant moi à attendre le résultat du test qui seul pourra ôter toutes mes peurs et mes angoisses.
Tic tac tic tac. Le compte à rebours interminable, qui me va me miner de lintérieur, détruire mon sommeil, compromettre mes études, vient de commencer.
En rentrant chez moi, je pense à Jérém. Et jai limpression que ce qui vient de marriver agrandit un peu plus encore la distance entre nous, la rendant définitivement insurmontable. Je me sens comme sali. Et si jamais le pire devait se produire, je noserais plus jamais lapprocher de peur de lexposer de près ou de loin au risque dêtre contaminé.
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