La Main Passe
Bonjour,
Je mappelle Charlotte, Charlotte Clark, mais tout le monde mappelle Charlie. Je vis à San Francisco, jai 34 ans. Je suis joueuse de poker professionnelle et jarrive à en vivre.
Oh, je ne suis pas ce quon appelle riche, mais ça me paye mon loyer, mes factures, mes quelques loisirs et une petite folie de temps en temps. Ça me permet aussi de financer les inscriptions et les frais annexes (voyage, hôtels) pour les tournois auxquels je participe.
Je suis célibataire, jai peu de frais. Quelques amants, souvent de passage. Je nai pour le moment trouvé personne à qui mattacher.
Je joue également dans les casinos et dans certaines soirées avec des adversaires triés sur le volet. Jévite les cercles et clubs. On ne sait pas toujours contre qui on joue. Il ny a pas que gens fréquentables dans le milieu.
Pourtant ce soir-là, jétais entrée dans un cercle de jeu. Je devais participer le lendemain à un tournoi bien doté en ville. Nous étions à Orlando.
Je tournais et jobservais les tables. Rien dintéressant. Des petites mises, des petits coups, des petits joueurs. Mon intention dans un premier temps, était de rejoindre une table, plus pour me préparer pour le tournoi que pour les gains. Là, les joueurs en lice navaient rien à mapporter. Je nen aurais fait quune bouchée. Aucun intérêt.
Je me suis rabattue sur le bar où je me suis juchée sur un tabouret :
- Mademoiselle ?
- Vodka Martini sil vous plait
- Au shaker, pas à la cuillère ? me dit le barman un sourire aux lèvres.
- Exactement, et frappé rapidement, versé dans un verre glacé, une seule olive. Vous connaissez vos classiques !
- Je mappelle Sean. Cest pour ça !
- Tout sexplique ! Merci Sean.
- Vous ne jouez pas ?
- Non, aucune table ne mintéresse.
- Vous être une pro, cest ça ? Vous êtes là pour le tournoi de demain ?
- Exactement !
- Je vois
- Je vais juste prendre un verre ou deux et retourner à mon hôtel.
- Il y a peut-être moyen pour vous de faire une petite partie
- Ah oui ?
- Laissez-moi deux minutes sil vous plaît.
Sean le barman a disparu par une petite porte au fond de la salle. Il est revenu rapidement et a rejoint son bar.
- Il y a une partie qui se joue là derrière, avec des joueurs dun autre calibre que ceux-ci, dit-il en désignant les tables de jeu dans la salle.
- Voyez-vous ça
- En tout cas, plus intéressante pour une pro. Je leur ai demandé, ils sont daccord pour que vous rejoigniez la partie.Ca vous tente ?
- Humm, pourquoi pas, il faut voir.
- Je dois leur amener des consommations justement. Je prépare ça et vous me suivez ?
- Cest daccord.
Jai regardé Sean préparer les verres. Ce que boit un adversaire peut aussi donner quelques indications. Un gin tonic, un bourbon avec glace, un bourbon sans glace, un verre deau gazeuse avec une rondelle de citron. « Hmmmm, le plus dangereux est surement celui qui boit leau gazeuse » me suis-je dit.
- Sean, remettez moi la même chose et emmenez mon verre en même temps à la table.
Je naime pas me vanter, mais jai une plastique plutôt agréable. Jen joue avec mes adversaires. Pendant quils regardent mes seins, ils ne cherchent pas à analyser mes réactions. Pour les tournois, je mets en général un léger décolleté, juste histoire doccuper les regards. Bon, ça, ça ne marche pas avec les meilleurs joueurs, et pas vraiment non plus avec les joueuses.
Jai un joli visage également. Je suis rousse, mes cheveux tombent dans mon cou, et jaime remettre, innocemment, une mèche derrière mon oreille pendant une partie. Et dun, cest le genre de gestes typiquement féminin, qui peut déconcentrer un adversaire masculin. De deux, ça peut donner une fausse piste à mes adversaires lorsquils cherchent à me décrypter. Mais je reviendrai tout à lheure sur le décryptage.
Jai les yeux noisette.
Le poker est un jeu où les meilleurs joueurs sont ceux qui prennent les bonnes décisions au bon moment.
Les gens ne connaissant pas, ou mal le poker assimilent ce jeu au seul bluff, comme sil se résumait à ça. Cest quelque chose dimportant pour gagner, mais il ny a pas que ça. Bluffer nécessite surtout davoir fait le tour des choses avant, davoir fait le tour de la table surtout. Bluffer en aveugle est suicidaire.
Le bon joueur de poker est celui qui va faire moins derreurs que ses adversaires. A ce jeu-là, je me défends. Je suis une bonne joueuse.
Le poker est un jeu mental qui nécessite froid et un grand niveau de concentration. Ça se travaille surtout. Le bon joueur de poker est un athlète qui sentraine. Qui entraine son cerveau surtout. Doù mon souhait de faire cette partie dans ce club le veille du tournoi.
Il faut du mental disais-je, de lanalyse mais aussi de linstinct, de laudace et de la discipline, de la patience.
Mais surtout, la possibilité de se projeter dans la tête des adversaires. Anticiper, repérer leurs tics nerveux, masquer les siens, les mettre sur des fausses pistes. Les décrypter quoi.
Vous le voyez, ce jeu ne tient pas tant que ça au hasard et à la chance. Bien sûr, une bonne main rend les choses plus faciles, une quinte flush est toujours mieux quune paire de deux. Par contre, on gagne aussi avec son mental, autant quavec ses cartes.
Sean mamena dans la salle du fond. La pièce était petite. Une seule table en occupait le centre.
Quatre personnes étaient assises autour en train de jouer. Trois hommes et une femme. Jallais donc faire la cinquième. Jaime les nombres impairs autour dune table. Superstition surement, mais tous les joueurs le sont. Javais pris soin denlever un bouton supplémentaire à mon chemisier avant dentrer.
- Voici la personne dont je vous ai parlé, dit Sean en posant les verres sur la table
- Merci Sean. Vous êtes ? me dit le type devant lequel le barman posa le verre deau gazeuse.
« Bel homme », me dis-je en le dévisageant, puis en regardant rapidement les trois autres « le Gin tonic pour la fille, le bourbon avec glace pour le jeune blanc-bec et le bourbon sans glace pour le gros ». Puis en voyant Sean poser les verres devant les joueurs « Tout juste ! » :
- Charlotte Clark, mais tout le monde mappelle Charlie.
- Bienvenue à notre table Charlie. On mise de 50 dollars en 50 dollars. Minimum 500 dollars sur la table.
- Ça me va !
- Sean, va vous apporter des jetons.
Celui-là, cest le chien alpha de la table, me suis-je dit. A surveiller ce type, il a lair retord.
- Le gros, cest Jack, le beau gosse là, cest Martin et la blonde cest Cassie. Moi, cest Tom, les présentations sont faites. Prenez place Charlie, je vous en prie.
Le Texas Holdem est la variante de poker la plus répandue. Celle utilisée dans les tournois notamment : deux cartes cachées que seul le joueur voit et cinq cartes communes retournées progressivement.
Eux jouaient à une version plus classique, celle des films noirs, celle des malfrats, le poker fermé. Les cinq cartes restent invisibles aux autres joueurs.
Jai laissé passer les premières mains, mettant au pot puis me couchant rapidement. Cétait les rounds dobservation. Lobjectif était dessayer danalyser mes adversaires. Et eux faisaient de même. Je neus aucun mal à décrypter Martin et Cassie. Lui était un grand nerveux.
Jack et Tom allaient me donner plus de fil à retordre. Jack multipliait les faux tics et donc les fausses pistes. Mais cest sous la table que je lai découvert. En posant ma cuisse contre le pied de la table, jai senti comme un très léger tremblement. Jack laissait son pied sagiter sous la table, ça provoquait de légères vibrations, presque indiscernables, si on ne se concentrait pas dessus.
Et voilà. Restait Tom. Lui ne me montrait rien. Javais beau le dévisager tenter de lanalyser, rien ny faisait. Jallais devoir jouer en aveugle contre lui et nutiliser que mon instinct. Et je naime pas ça.
On va voir ce quils ont dans le ventre ! Sur le coup suivant, Tom a monté de 100 dollars. Jai observé Cassie jeter ses cartes et se coucher. Martin sest agité sur sa chaise. Il est nerveux, donc il na rien en main. Soit, il se couche, soit il va bluffer.
Il a suivi Tom.
« Tu bluffes mon petit Martin, tu bluffes » me suis-je dit.
- Je suis, annonçais-je
Jack a jeté ses cartes à son tour en faisant mine dallumer un cigare :
- Je me couche aussi ! Euh Charlie, ça ne vous gêne pas si je fume ?
- Je naime pas lodeur du cigare, mais faites donc Jack, ne me jetez pas la fumée à la figure, cest tout.
- Si ça vous gêne, je ne lallume pas
- Si si allez-y Jack.
Je déteste lodeur du cigare. Par contre, si Jack avait quelque chose à la main, il allait surement me donner plus dindications pour la suite que sil ne tenait que ses cartes. Un léger tremblement par exemple sera un peu plus visible.
Tom a monté à nouveau. Martin a pris peur et sest couché.
« Règle de base mon petit Martin, quand on commence à bluffer, on va jusqu'au bout. Tu as encore beaucoup à apprendre » me dis-je.
Il ne restait plus que Tom et moi en lisse, les trois autres sétaient donc couchés.
Je laissais un léger sourire se dessiner sur mes lèvres, à dessein. Prends-le comme tu veux ce sourire.
Il a surenchéri de 100 dollars :
- Je jetais négligemment une poignée de jetons sur le tapis, en prenant lair de mennuyer :
- Pour voir
- Deux paires, 8 et valets
- Brelan, dis-je en alignant trois rois sur la table
- Bravo Miss Charlotte, me dit Tom
- Charlie, tout le monde mappelle Charlie
Les mains suivantes furent catastrophiques. Tom raflait régulièrement les mises.
Tour à tour Martin, puis Cassie furent lessivés. Jack tenta de daccrocher. Ça ne dura pas longtemps. Il rendit les armes à son tour. Ne restait plus que Tom et moi en lice.
Je navais pas de jeu. Surtout, je ne lisais pas en Tom. Je ne me projetais pas dans son cerveau. Dans ces conditions, je ne bluffe jamais. Dans cette configuration, cest du jeu ou rien et les bonnes cartes méchappaient ce soir.
Jai perdu mes jetons au fur et à mesure. Tom, quant à lui marchait sur leau et alignait les bonnes mains :
- Merci Tom, jai assez perdu pour ce soir, fis-je en vidant mon verre.
- 500 dollars seulement ?
- Eh oui, 500 dollars seulement, ça mira. Je ninsiste jamais quand les cartes sont mauvaises.
- Il y a peut-être moyen dune main supplémentaire
- Non, je ne mettrai plus un dollar en jeu ce soir. Je sens que ce nest pas ma soirée.
- Je pensais à autre chose qua un dollar Miss
- Ah oui ? Et à quoi ?
- A votre culotte Charlotte
- Pardon ?
- Vous pariez la petite culotte que vous portez en ce moment. Si je gagne, elle est à moi, si je perds vous ramassez largent que je vais parier. Jestime votre petite culotte à
1000 dollars.
- Strip poker
- Non, votre petite culotte seulement
- Cest daccord, lui dis-je en le regardant droit dans les yeux. Vous permettez tout de même que je menferme dans les toilettes pour la retirer ?
- Mais je vous en prie
Je suis revenue des toilettes, mon string roulé en boule dans la paume de ma main. Je me suis rassise à la table et jai jeté négligemment la petite boule de tissu et dentelles noires sur le tapis.
Les trois autres autour de la table me regardaient comme une extra-terrestre. Cassie avait les yeux ronds la bouche légèrement ouverte. Martin ne quittait pas mon string des yeux. Jack ne me quittait pas des yeux.
- Nous y allons Tom ?
Son regard allait de mon string étalé maintenant sur la table à mon visage. Pour la première fois de la soirée, je le voyais un peu décontenancé. Moins sûr de lui.
Jack a distribué la main. Jai soulevé mes cinq cartes : deux 8, cur et trèfle, un as de pique et deux cartes dépareillées. Je fais quoi ? Jassure ou je tente ? Je jette deux cartes en gardant las au cas où et en cherchant le brelan ou bien les deux paires. Si ça fait paire de 8 au final, ça risque de faire juste.
Je peux tenter de changer trois cartes en ne gardant que les 8. Plus risqué. Mais jaime bien les combinaisons cur/trèfle. Elles me portent chance, toujours cette superstition des joueurs. Je vantais tout à lheure nos qualités mentales. La superstition est aussi notre talon dAchille parfois.
Après tout, quest-ce que je risque ? De perdre un de mes strings ? La belle affaire ! Je men tape, jen ai dautres ! Non ! On ne sen fout pas. Loin de là ! Entre lui et moi cest plus quune historie de petite culotte :
- Trois cartes, je dis
- Trois cartes aussi
Nos regards ne se sont lâchés que lorsque Jack nous a distribué nos trois cartes. Aussitôt après, ils se sont à nouveau rivés lun dans lautre.
Tom a pris les siennes et les a ajouté à son jeu.
Jai juste soulevé légèrement les miennes pour les regarder. Je les ai reposées et jai balancé mes deux autres cartes par-dessus.
La tension était palpable dans la pièce. Personne ne pipait mot. On entendait distinctement le bruit du ventilateur au plafond :
- Alors Tom ? Combien pour ma culotte ? Vous allez monter à 1000 dollars comme promis ? Mettre un peu plus ? Faire tapis ? Tapis ou pas tapis Tom ?
Il jouait avec ses jetons. En faisait des petits tas, quil superposait et déplaçait ensuite. Il a réfléchis longtemps avant dannoncer :
- 500 de plus, je mets 1500 pour votre culotte Charlotte.
- Charlie, appelez-moi Charlie. Tout le monde mappelle Charlie. Par contre, je préviens, je ne peux pas monter. Je nai pas dautre culotte sur moi !
Jai repris en main mes cinq cartes.
- Peu importe, celle-là suffira Charlie
Carré de 7
fit Tom, lair satisfait de lui en étalant ses cartes.
La déception a envahi mon visage, Jai levé les yeux au plafond avant de baisser la tête et poser mes cinq cartes, face contre la table dun geste de dépit.
Tom, arborant toujours son sourire satisfait, a tendu la main vers le centre de la table afin de semparer de ma culotte et les jetons pêle-mêle :
- Tss tss tss Tom, on na pas gagné tant que chaque joueur na pas montré ses cartes, cest la base !
Jai retourné mon jeu :
- Carré de 8. Je gagne. La culotte reste la mienne.
Le regard de Tom sest relevé, sa main a fait marche arrière. Jai bien vu son regard déçu.
- Finalement, Tom, je pensais que ce nétait pas ma soirée, et voilà ! 1500 dollars qui tombent ! Et je garde ma culotte !
- Bien joué Miss Charlie, dit-il en retrouvant son sourire amusé. Là, vous mavez eu. Je mincline.
Jai ramassé les jetons et mon string. Puis devant leur regard ébahis, je me suis levée de la table, jai remontré ma jupe et jai remis mon string, avant de me réajuster. Jai achevé Jack et Martin, Cassie était toute rouge.
Tom, quant à lui a laissé éclater un rire cristallin.
En me retournant et en partant, jai lancé :
- Je me suis bien amusée en votre compagnie, merci à tous, et bonne fin de soirée
En, quittant la pièce, jentendais encore le rire de Tom résonner.
En partant, je suis repassée au bar. Jai pris une pochette dallumette publicitaire du cercle, à disposition dans une corbeille. Je lai ouverte, et jai griffonné quelques mots à lintérieur.
- Sean ? Vous pourrez donner cette pochette à Tom de ma part, sil vous plaît.
- Pas de problème.
Jai inscrit dessus : Hôtel Regency, chambre 1522
PS : même si jy ai un peu joué, je ne suis pas une grande spécialiste du poker. Si des pros de ce jeu lisent ce récit, ne men veuillez pas de ne pas être au top sur les combinaisons et les tactiques. Pour moi, lessentiel nétait pas là en écrivant cette petite histoire sans prétention.
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