Le Corbeau Ou Le Renard ? 4
Nous en sommes au dessert quand le portable de Pierre émet un bip. Cest le signal. Jai du mal à contrôler mon émotion.
Presque simultanément, cest mon portable qui sonne larrivée dun SMS. « Je suis contente que tu viennes nous rejoindre. René a été charmant. A tout de suite. Ta femme ».
Pierre, qui a saisi, me regarde un sourire au coin des lèvres. Je lui demande :
- Tu lavais prévenue ?
- Évidemment. Je ne voulais pas risquer une maladresse qui aurait pu faire tout capoter. René la mise au courant en menvoyant le bip.
- Dommage, vous menlevez la possibilité de découvrir sa tête en me voyant.
- Allons, ne soit pas toujours à nous suspecter de te vouloir du mal. Tu souffres de la manie de la persécution, mon vieux.
- Sil te plait, arrête de toujours mappeler ton vieux (« Le cave se rebiffe ») ! Maintenant, met toi simplement deux minutes à ma place et comprend mon état desprit. Je livre mon épouse à deux libertins. Dont un affiche plus du double de son âge !
- Écoute. Tu as peut-être tout à gagner dans cette histoire. Joue-là cool.
- Merci du conseil.
Je comprenais que Pierre voulait assurer sa journée avec lidée de compromettre ma femme et de profiter delle.
La propriété est immense. Après une porte imposante en fer forgé aux multiples volutes comme il se doit, un chemin de pavés nous mène face à un superbe pavillon de chasse, fin de siècle dernier. Des encadrements de fenêtre de style à petits carreaux, un escalier monte jusquà un perron abrité par une marquise. Dispersés sur un gazon parfaitement entretenu, des massifs de fleurs de toutes les couleurs, esthétiquement réparties, donnent une impression dêtre dans un autre siècle. Jimagine Chantal éblouie. Il y a des fleurs et des plantes partout chez nous.
Chantal et René sont déjà là, autour dune rotonde fleurie. Elle est belle. Elle a passé cette robe bustier noire que jaime tant qui lui laisse ses épaules nues.
Force est de constater quelle a passé une tenue sexy au delà de ses habitudes, nappréciant pas particulièrement lexhibition.
Quand elle me voit, son visage séclaire et vient à notre rencontre. Cest alors que je constate quelle tient dans sa main, cachée en partie par son imperméable, une pochette orange que tout de suite je reconnais comme celle dune célèbre boutique de luxe parisienne ! Jimagine facilement la raison de la présence de petit sac. Comme elle croise mon regard, surprise, elle se détourne vers Pierre quelle salue dabord par politesse, en lui faisant une chaste bise sur les deux joues. Je remarque que lui ne sencombre pas de bienséance car il la prend par les épaules pour lattirer contre lui. Elle ne réagit pas. Quand ils se séparent, ils restent quelques secondes face à face, leurs regards figés comme sils se toisaient, ne sachant pas trop quoi dire. Enfin, elle se tourne quand même vers moi pour me sourire et me dire :
- Je suis vraiment contente que tu sois venu.
Cest tout ! Cest un classique chez elle quand il y a des témoins.
- Allons dabord voir la volière, propose René. Elle est derrière la maison.
En effet, au détour dun coin du pavillon de chasse, apparaît une immense volière ajourée, remplie doiseaux de toutes formes, tailles et couleurs.
Une fois à lintérieur, René joue les guides. Il est, je dois ladmettre, un puits de savoir. Chantal le suit, accrochée à ses paroles tout en contemplant les différents oiseaux. Je nexiste pas. Ni Pierre dailleurs.
La visite dure environ deux heures. Deux heures où tous les deux expriment leur passion, échangent, partagent, commentent.
Pendant ces deux heures je ne cesse de minterroger. Comment en suis-arrivé là ? Sur le point dr la femme que jaime, en montant un plan pour confondre sa fidélité. Je sais pourtant quelle est intègre. Une seule fois elle ma trompée et encore dans des conditions particulières car je désertais notre foyer. Elle navait pas pu garder le mensonge et pour finir, me lavouer.
Chantal est une amoureuse, une sentimentale. Amour et sexe sont complémentaires, pas indépendants. Mon envie de la voir me tromper est stupide : je ne peux me convaincre quelle puisse le faire. Je la vois mal sabandonner à leurs jeux lubriques. Mais cependant je repense à ses fausses réponses, ses troubles
Je la regarde déambuler au milieu des oiseaux. Son extase est un plaisir à voir. Jen arrive à oublier ce pourquoi elle est là ! Chantal est lélève, affichant une timidité légitime, en admiration devant le maître. Tous les deux semblent bien loin de la trame perfide qui se noue malgré eux. Enfin, surtout ma femme !
- Alors, Chantal ? lui demande René, avec un sourire satisfait et sommes toutes sincère.
- Cest fantastique, lui répond-elle les yeux brillants denthousiasme. Je nen ai jamais autant vus daussi près. Je vous remercie sincèrement.
- Votre regard passionné est un ravissement à voir.
Je me rends compte que René est beaucoup plus attentionné que Pierre et quil a pris la mesure des paroles à dispenser pour séduire la jeune femme. Peut-être est-il déjà un peu amoureux ?
- Cinq heures bientôt. Il se fait tard pour visiter la serre, dit-il. Le personnel la ferme tôt pour le nettoyage et les soins des plantes. Je vous propose de revenir et nous pourrons consacrer toute une journée aux plantes. Quen pensez- vous Chantal ?
Et moi ? Je suis transparent ? Même pour Chantal.
- Mais bien sûr René, cela me va très bien. Et peut-être pourrai-je refaire un petit tour dans votre volière ? Mais je ne voudrais pas r.
Lidée ne me séduit pas car on va se retrouver dans la même situation que je ne pourrais encore pas maîtriser. Je suis sur le point de réagir négativement quand René me devance.
- Cest daccord. En attendant je vous invite tous les deux à prendre un verre de lamitié chez moi. Je suis sûr Chantal que vous y trouverez aussi de quoi vous faire plaisir. Jai une belle collection de plantes très rare à vous montrer. On y va ?
Cest à mon tour de jouer mon rôle de cocu. Je peux encore éviter lirréparable. Tant pis pour le miroir sans tain !
- Excusez-moi René mais on doit rentrer. Jai donné un RDV professionnel important chez nous, ose-je avancer.
- Que cest dommage ! Je comprends répond-il. Mais peut-être que Chantal peut rester, non ?
On se tourne tous vers elle.
- Je crois que je vais rentrer aussi, dit-elle avec un sourire navré, comme pour sexcuser.
Je suis sur le point de lui sauter au cou et lembrasser.
- Comme vous voulez. Cest dommage, mon salon de botanique est un modèle du genre.
- Je le crois volontiers répond-elle, les yeux droits dans ceux de René.
Comment interprète-t-il ce regard de feu ? Moi je sais que cest son regard naturel, mais lui ?
- Certainement ma chère. Et jespère que vous pourrez revenir une autre fois.
Cest le moment que choisit Pierre pour intervenir. Je nai pas vu le coup arriver. Sadressant à moi, il pontifie :
- Dis-moi, tu ne penses pas que tu devrais insister pour que Chantal reste pour voir la collection de plantes de René ? Ce serait très sympa pour elle, non ?
Le salaud, il est adroit. Je suis piégé. Jétais content de la décision de Chantal même si en même temps elle me privait de savoir enfin si elle pouvait résister à la traque de prédateurs sexuels talentueux.
Tant pis, je bascule à nouveau. La tentation de savoir reprend le dessus. Et le miroir sans tain
il faudra accepter de payer laddition.
- Tu peux rester Chantal si cela te fait plaisir. Ne tinquiète pas pour moi, Pierre va me raccompagner. Et toc !
Mais là encore, il me double.
- Mais non mon vieux, je te laisse ma voiture. René nous raccompagnera tous les deux. Tu es daccord René ?
- Bien sûr, si Chantal est ok.
On se tourne tous vers elle. Je la sens hésitante. Partagée entre son devoir dépouse et son envie de contempler ces plantes
et de faire plaisir à nos hôtes. Au plus vieux certainement dont elle est déjà bien sous le charme. Cest moi alors qui donne le dernier coup de pouce.
- Reste ma belle. Jai trop peur que tu le regrettes après.
A son sourire quelle madresse puis à Pierre et à René, on comprend que sa décision est prise. Les oiseaux, les plantes, largent, le savoir vivre et bien faire ont finis de la séduire !
- Je veux bien rester alors, merci.
- Cest parfait disent-ils de concert.
Jimagine les images lubriques qui doivent défiler dans la tête de ces deux cochons. Je me sens comme détruit et en même temps excité alors que Pierre me tend les clés de sa voiture.
Ils partent tous les trois vers la demeure de René, le superbe pavillon de chasse, à lentrée du jardin tout fleuri. Comme entendu, je les suis un bout de chemin avant de faire semblant de rejoindre la voiture pour rentrer. Puis je me dirige à mon tour vers le pavillon où jattends que Pierre vienne me chercher.
Dix minutes plus tard, il me rejoint et comme convenu il memmène dans la pièce noire derrière le miroir sans tain. Celle où lon voit sans être vu. La salle est aménagée dans le luxe. Comme un petit cinéma. Deux rangés de trois fauteuils font face au miroir. Un mini bar propose différents alcools et amuse-gueules. Ils sont organisés !
- Tu as failli faire tout capoter me reproche-t-il. Tu peux profiter des alcools. Installe toi confortablement. Cela peut être long, quoique quand elle me regarde
Tu évites de faire du bruit même si la pièce est insonorisée. Par contre tu peux activer les micros avec ces interrupteurs. La caméra film et enregistre automatiquement ce qui se passe dans ce salon des mille merveilles. Seuls toi et moi sommes au courant. Tu vois et tu entends, pas Chantal. Noublie pas que tu as promis de rester passif.
- Ne tinquiète pas. Jai promis dêtre sage, je le serai si aucun mal nest fait à Chantal.
- Même si on arrive à la baiser tous les deux ?
- Oui mais pas dentourloupe hein ?
- Non. Promis. Elle le fera de son plein gré ! Dit-il en souriant. Tu pourras partir quand tu le veux, comme tu es venu, le plus discrètement possible. Prend ma voiture. Nous raccompagnerons ta femme. A plus et régale-toi !
Il ne me laisse pas le temps de répondre et je me retrouve seul dans la pièce baignée de noir. Me régaler ? Mais de quoi ? Son assurance me stupéfie. Quel salaud, il ma bien manipulé.
Devant moi un gigantesque salon qui regorge de plantes, apparaît éclairé de lumières indirectes mais vives. La vue est sans défaut. Jactive le son et les voix de Chantal et de René me parviennent parfaites. Je sursaute tellement jai limpression dêtre parmi eux. Pierre ne tarde pas à les rejoindre. Sous limperméable posé sur une table, la pochette orange est à peine cachée.
Comme pour la volière, René joue le rôle de guide dirigeant Chantal au travers du salon, pour découvrir des plantes somptueuses. Elle en prend plein les mirettes. Sans méfiance elle ne réagit pas quand Pierre la prend par la taille pour la conduire. Elle est toute à contempler les plantes.
Pendant trente minutes il ne passe rien. Par moment Pierre est très frotteur mais pas assez pour éveiller des soupçons chez elle. Par moment je le vois discrètement regarder le miroir, comme pour madresser un message. René sait il que je suis là en train de mater ? Non ! Il ma précisé que nous nétions que tous les deux à savoir. Lui na pas à sencombrer de scrupules.
Les dialogues sont essentiellement des commentaires sur les caractéristiques des plantes. Je commence à croire quil ne va rien se passer et à mennuyer. Je me sers un verre de whisky. Pourtant je sens que les deux hommes ne sont pas prêts à abandonner leur proie. Cette proie qui évolue innocemment au milieu du luxueux salon. Puis jentends René sadresser à Chantal.
- Voilà, vous avez tout vu Chantal. Cela vous a plu ?
- Énormément René. Je suis émerveillée.
- Pour fêter ça, comme promis, allons prendre le petit verre de lamitié, daccord ?
Elle le regarde droit les yeux avec un sourire qui se veut agréable, reconnaissant. Séducteur ? Je la connais, elle est très à cheval sur les formules de politesse, et le respect de chacun.
- Volontiers, répond-elle timidement de sa voix toute douce.
- Un verre de bon champagne vous ferait plaisir ?
Elle se contente dun sourire et dun léger hochement de tête en signe dassentiment. Aie, elle adore le champagne ! Et sil lui sert une grande marque, je sens mes chances samenuiser de la retrouver immaculée.
Une petite table basse ronde est placée juste devant le miroir, parfaitement éclairée. A quelques centimètres. Jai peur quelle puisse me voir. Mais très vite Chantal se regarde dans le miroir sans manifester le moindre étonnement. Autour de la table, deux fauteuils en cuir noirs, épais, profonds. Et juste en face de la glace le divan trois places. Je devine facilement que la disposition des sièges na rien de fortuite.
On lui propose le divan (une évidence) alors que les deux hommes sinstallent dans les fauteuils dont les accoudoirs sont à touche-touche avec ceux du divan, cest à dire très rapprochés. René est à sa droite.
A peine installés, un homme en livrée rentre dans la pièce, un seau de champagne dans les mains quil vient déposer devant eux, avant de repartir aussi anonymement quil est entré. Je minquiète et sens mon assurance fondre comme neige au soleil. Doù je suis, rien ne méchappe.
Le sujet de conversation nintéresse plus les plantes. On parle de reproduction des oiseaux, puis des animaux. Chantal a enseigné la sexualité à des ados. Elle leur fait part de son expérience, toute éducative. Mais très vite Pierre dévie et parle de la sexualité de nos sociétés modernes. Je devine la suite et la technique dapproche. Elle participe, et ne se gêne pas, toujours avec réserve, à les contredire quand elle nest pas daccord. Bien vite on passe aux perversions. Là Chantal semble moins à laise pour adhérer, mais elle écoute poliment. On aborde la pornographie. Je rigole car Chantal a horreur de la pornographie. Ils vont se planter.
Ma femme attentive tient son verre à la main et le vide par petites gorgées. René sapplique à ne jamais le laisser vide ! Ils ne vont quand même pas la saouler pour la faire perdre tout discernement ! Ce serait une raison dintervenir.
Chantal est assise sur le bord du divan comme il se doit quand on est timide et bien élevée. Lambiance est décontractée, chaude. Rapidement les yeux de Chantal brillent intensément sous leffet de lalcool. Elle est détendue, confiante et convaincue dêtre parmi des amis, des personnes de qualité.
Je tombe sur le cul quand jentends Pierre dire tout haut concernant les films et revues de cul :
- Voir lacte ne mexcite plus. Ni penser à lacte. Pour moi il nexiste aucun substitut à la réalité. La où les partenaires doivent être présents.
Le message est clair.
- Tu en penses quoi Chantal ?
Apparemment elle est surprise par le tutoiement et ne sattendait pas à ce quon linterpelle sur le sujet. Une bouffée de chaleur me submerge : le dénouement approche. René sempresse de remplir le verre de champagne quelle tient toujours dans sa main. Elle ne fait rien pour larrêter et le remercie dun sourire.
Je sais quelle adore cette boisson, aussi sans hésiter, un peu pour le remercier de sa délicatesse, elle le porte à ses lèvres et en déguste quelques gorgées. Elle conserve le vouvoiement.
- Vous savez Pierre, je ne suis pas une adepte de ces formes de sexualité. Pour moi le sexe sert à la reproduction et la préservation des espèces animales.
- Mais Chantal cest vrai aussi pour lHomme, sauf que nous y mettons une composante cérébrale dimportance qui nous distingue de lanimal. Au delà de lacte pur il y a toutes les formes de sexualité que notre éducation nous fait voir, miroiter.
Cette fois Chantal est choquée. Je sais que ce sont des sujets que nous nabordons pas librement entre nous. Tout ce qui nest pas amour reste perversion. Je sens que laventure va vite se terminer en eau de boudin et jenvisage déjà de men aller.
A cet instant René sest levé pour aller à la bibliothèque qui couvre tout un pan de mur.
Il revient avec un livre quil présente à Chantal.
« La reproduction des oiseaux »
- Tenez, je vous loffre, jen suis lauteur.
Avant de poser les yeux sur le livre, toujours inquiète dr, elle le fixe de ses yeux verts pendant quelques secondes sans parler, puis pour le remercier, de sa voix douce qui est presque un murmure elle lui dit :
- Oh merci René. Mais je ne...
- Mais si, mais si, cela me fait tellement plaisir.
Chantal pose son verre et ouvre délicatement louvrage quelle a posé sur ses genoux. Elle est conquise par son petit vieux ! Je sens que cest de lui que peut venir le danger. Je me sens prêt à ne pas tenir ma promesse et intervenir.
A cet instant, je vois Pierre, dérobé à la vue de Chantal, faire un signe discret pour son complice, lair de dire « vas-y ».
(à suivre)
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