Blanche (1)
Sylvain, son fidèle cocher-palefrenier, laide à descendre de cheval.
Merci.
Il lui prend les rênes des mains, entraîne Flamboyant vers lécurie.
Ah, oui, joubliais, Sylvain. Vous pourrez atteler cet après-midi ? Jai à sortir.
Mais certainement, Mademoiselle Blanche
Elle sourit intérieurement : il na jamais pu se résoudre à lappeler Madame.
Place Clichy
Il fouette.
Il faut absolument quelle y aille. Quelle règle le problème de vive voix. Quelle convainque Gontran de cesser de lui adresser ces lettres enflammées qui lui font courir des risques insensés. Ces lettres que Pierre finira nécessairement, un jour ou lautre, par intercepter. Avec toutes les conséquences que cela ne manquera pas davoir. Elle soupire. Cétait folie ce soir-là. Pure folie. Vingt ans ! Un gamin qui a la moitié de son âge ! Un moment dégarement quelle regrette amèrement. Il faut quil le comprenne et quil tire, lui aussi, définitivement un trait sur ce qui naurait jamais dû avoir lieu. Qui na jamais vraiment eu lieu.
Jen ai pour cinq minutes, Sylvain. Attendez-moi là
Elle gravit lescalier. Elle sonne. Son pas. La porte. Il nen croit pas ses yeux.
Vous, Blanche ! Toi !
Il veut la prendre dans ses bras. Elle le repousse doucement.
Non ! Attends ! Il faut quon parle.
Après ! Après ! Tu es là. Je lai tellement attendu ce moment.
Et il lui couvre les cheveux, le front, les paupières de baisers.
Gontran
Les lèvres, le cou.
Tu es fou
Mais elle sabandonne contre lui. Elle laisse aller sa tête contre son épaule. Il y a son désir dressé contre son ventre.
Gontran
Et cest elle qui cherche ses lèvres.
Gontran
Ils chavirent ensemble sur le lit.
Il se fait pressant. Passionné. Il senivre delle. De ses seins. De ses fesses. De ses liqueurs intimes.
Et elle sabandonne.
Elle reprend son souffle, blottie contre lui. Elle lui caresse lépaule, du bout du pouce.
Je ne reviendrai pas, Gontran. Il ne faut pas. Il ne faut plus
Hein ? Mais pourquoi ?
Je suis mariée.
Il te délaisse.
Cest trop dangereux.
Mais il ne saura pas. Il ne saura jamais.
Et il la couvre de baisers.
Elle le repousse.
Non, Gontran, non !
Mais il veut. Tellement. Mais elle veut aussi.
Et il est à nouveau en elle. Et elle suffoque de plaisir.
Cinq heures.
Elle est folle. Complètement folle.
Elle shabille en toute hâte.
Tu reviendras ?
Elle reviendra.
En bas, Sylvain est là. Qui lattend.
* * *
Sylvain chevauche à ses côtés. Comme tous les matins. Comme toujours.
Une légère brume déroule paresseusement ses volutes sur les prés quils longent. De temps à autre, un chevreuil caracole dans les lointains.
Pendant la Commune
Quil a vécue, tout jeune homme, à Paris. Jadis les récits de Sylvain la terrorisaient, mais elle ne pouvait sempêcher de les lui réclamer, malgré tout, encore et encore. Les rats dont les Parisiens étaient alors contraints de se nourrir. Les barricades. La fumée. Lodeur de la poudre. Le mur des Fédérés. Depuis bien longtemps maintenant elle ne lécoute plus. Elle le laisse égrener interminablement ses souvenirs quelle ponctue, de temps à autre, dun hochement de tête ou dun « oui » distrait.
On avait cru
Mais non, cétait les Versaillais.
Il parle. Il parle sans discontinuer. Et elle, elle est là-bas. Avec Gontran. Gontran ! La chaleur de son corps. Ses yeux tout embrumés delle. Sa vigueur. Son ardeur. Ses cuisses enserrent plus fort Flamboyant. Folie ! Si Pierre apprenait
Pierre ou dautres. Les femmes de la société de bienfaisance. Par exemple. Ou celles de la chorale de la paroisse.
Il a déjà disparu dans lécurie avec Flamboyant quand elle le rappelle.
Vous attellerez tout à lheure, Sylvain
Comme hier ?
Comme hier.
Bien, Mademoiselle
Il prend, de lui-même, la direction de la place Clichy.
De toute façon, elle navait pas le choix. Elle devait revoir Gontran. Une dernière fois. À cause des lettres. Il ne faut pas quil lui écrive. Il ne faut plus. Jamais. En aucun cas. À elle de se montrer suffisamment persuasive pour quil renonce tout à fait à lidée de lui en adresser. À tout jamais.
Ils sont arrivés. Elle descend.
Jen ai pour cinq minutes.
Sylvain ne dit rien, mais il esquisse un imperceptible semblant de petit sourire.
Et elle est dans ses bras.
Et plus rien dautre ne compte. Que ses baisers. Que ses caresses. Que ses mains qui semparent delle. Que sa queue. Quelle veut. Quelle sapproprie. Sur laquelle elle vient sempaler avec délectation. Toute honte bue. Toute pudeur dépouillée.
Elle repose contre lui, apaisée.
Il joue avec la pointe de ses seins.
Cette tornade aujourdhui !
Elle lui met un doigt sur les lèvres.
Chut !
Ils sont bien. Elle est bien. Il faut pourtant quelle lui dise.
Gontran
Oui ?
Il se penche sur elle.
Non. Rien.
Elle lentoure de ses bras, lattire contre elle. Son désir se dresse contre son ventre.
En bas, Sylvain lui ouvre la portière. Sans un mot.
Il est six heures.
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