0240 Symphonie Toulousaine
(En plusieurs mouvements et quelques dissonances).
Lundi 17 décembre 2001.
Dans la foulée du coup de fil à Benjamin et de son refus de se faire dépister, jappelle les urgences pour connaître les plages de garde du médecin qui sest occupé de moi la veille. On me dit de passer le soir même après 19 heures.
Le médecin a lair déçu que mon « partenaire » nait pas été plus coopératif. Elle me fait une ordonnance pour passer chercher le traitement pour le reste du mois à la pharmacie de lhôpital.
« Bon courage à vous » elle me lance à la fin de la consultation « Revenez à la fin du traitement pour un premier dépistage. Et surtout, si vous avez des rapports dici là, noubliez pas de vous protéger et de protéger votre partenaire, y compris en cas de rapport buccal. Le risque est moindre, certes, mais pas inexistant ».
Mardi 18 décembre 2001.
Depuis quelques heures, ma vie a changé. Elle est désormais marquée par l« accident », une pensée qui ne cesse de me hanter, ainsi que par le « traitement », une cadence quotidienne qui contribue à ne pas me faire oublier l« accident » lui-même.
Comme prévu, ce traitement est assez dur à supporter.
Mais le plus difficile à supporter est ailleurs. Le plus dur à gérer est cette peur, cette angoisse, lattente du test trois mois après l« accident ».
Cette attente est un lourd fardeau à porter. Un fardeau que je ne veux partager avec personne. Je ne veux pas inquiéter les gens qui maiment. Je ne peux pas livrer ce doute, cette peur qui va durer trois mois. Je dois savoir avant. Si je suis négatif, tout cela naura été quun cauchemar. Et si le destin en aura décidé autrement, jaurai le temps den parler plus tard.
Si je nai pas du tout envie den parler, cest aussi à cause dune sorte de « superstition ». En parler, cest rendre tout ça plus réel. Cest con, mais dans ma tête, en parler cest aussi augmenter la chance que ça se termine mal.
En attendant, je ne dors plus. Alors, entre la fatigue et les effets secondaires du traitement, je me dis que ce nest pas la peine daller en cours. Je nirai pas non plus demain, mercredi, ni jeudi.
Jenvoie un sms à Monica pour lui dire que je ne retournerai pas en cours avant la rentrée. Je prétexte la grippe. Elle me rappelle entre midi et deux. Elle me promet de me passer les cours à la rentrée. Cette nana est vraiment adorable.
En raccrochant, je ressens au fond de moi la désagréable certitude que je vais foirer mes partiels de la mi-janvier.
Je passe la journée de mardi à penser aux vacances imminentes. Je ne vais pas pouvoir échapper à un séjour et à au moins un réveillon chez mes parents. Lidée de me pointer à Toulouse dans cet état, de faire face à maman, à son regard qui captera immédiatement mon mal-être, ce qui ne manquera pas de linquiéter, me fait mal au cur. Quant à la perspective de faire face à papa, de retrouver son regard dégoûté, hostile, ça me donne envie de partir très loin de tout ça.
Et pourtant, je vais devoir y faire face. Et dans pas longtemps. Je men passerais bien, mais maman ne comprendrait pas que je ne revienne pas à la maison pour Noël.
Pour linstant, jessaie dapprendre à vivre avec la peur et lincertitude quant à lavenir. Jessaie de ne pas oublier de prendre les médocs. Et je memploie à éviter mes voisins. Jai trop peur de ne pas pouvoir leur cacher ma détresse.
Mais le mercredi soir, je me fais avoir par la ruse. En fin daprès-midi, Denis vient me chercher avec le prétexte de laider à déplacer un meuble. Le meuble en question est un meuble télé, que Denis aurait très bien pu déplacer tout seul. Et une fois dans lappart, je suis « coincé », et je suis une fois de plus sommé de rester manger.
« Je nai pas faim ».
« Si tu as faim ! » me lance Denis.
« Tu restes, un point cest tout » fait Albert.
Je finis par masseoir, à bout de forces.
« Mais quest ce qui tarrive Nico ? » me questionne Denis sans détours.
« Rien, pourquoi ? ».
« A dautres ! Nous voyons bien que tu vas mal. Tu ne vas plus en cours, tu ne sors plus de chez toi. Tu as maigri. On dirait que tu nas pas dormi depuis des semaines ».
« Cest à cause de la « pause » avec Jérém ».
« Non, je ne te crois pas. Il ny a pas que ça. Tu nes pas juste malheureux, tu as lair préoccupé. Quest-ce qui se passe au juste ? ».
« Rien dimportant ».
« Tu ne nous parles plus, tu nous évites. Ça ne te ressemble pas ».
« Tu sais que tu peux tout nous dire et que nous pouvons tout entendre » ajoute Albert avec la voix douce et rassurante dun grand-père « Parce que plus quun locataire, nous te considérons comme un ami, presque comme notre petit ».
Je suis touché par tant de gentillesse et de bienveillance. Mais les mots restent bloqués au fond de ma gorge.
« Allez, Nico, laisse-toi aller ».
« Il mest arrivé un truc dimanche dernier » jadmets.
« Quest ce qui test arrivé ? ».
« Jai rencontré un gars ».
« Il ta fait du mal ? ».
« Non
non. Ça se passait bien, on sentendait bien ».
« Et quest ce qui sest passé ? ».
« Nous avons couché ensemble et
la capote a cassé
et il ne sen est rendu compte quaprès avoir fini ».
« Ah mince ! Et tu le connais bien ce gars ? ».
« Pas plus que ça. Mais je sais quil fait pas mal de plans ».
« Et tu es allé voir un médecin ? ».
« Je suis allé aux urgences le soir même, et on ma donné le traitement post-exposition ».
« Et ce gars a fait le test ? ».
« Il na pas voulu ».
« Cest pour ça que tu es si mal depuis dimanche ».
« Je ne voulais pas vous en parler pour ne pas vous inquiéter ».
« Tu sais, on connaît dautres gars à qui sest arrivé ».
« Et comment ça sest passé pour eux ? ».
« Avant le traitement post-exposition, ça se passait parfois mal » lâche Albert, en posant sa main chaude sur mon avant-bras « mais maintenant ça existe et ça a lair de bien marcher.
« De plus, tu as été exposé une seule fois et cest pas sûr que le gars était positif. Avec le traitement en plus, je pense que tu nas pas trop à tinquiéter » continue Albert.
« Jespère. Mais les trois mois à attendre le test vont être longs ».
« Tu ne dois pas penser à dans trois mois. Concentre-toi sur le présent, et dis-toi que chaque jour est une cadeau et une victoire ».
« Tu fais quoi à Noël ? » me questionne Denis.
« Je vais chez mes parents. Mais jai peur de comment ça va se passer. Je ne veux pas leur parler de ça, mais je ne sais pas si je vais tenir ».
« Si cest trop dur, sors, balade-toi. Ne reste pas enfermé dans ta chambre. Va au cinéma, fais ce qui te fait plaisir. Prends un livre, et va le lire dans un bar. Va voir un pote qui te fait rire. Ou un pote que tu nas pas vu depuis longtemps. Le temps passera plus vite ».
Mes voisins et proprios sont vraiment adorables. En rentrant chez moi, je me sens un peu mieux. Cest encore tôt, et je trouve lénergie pour appeler maman et lui dire que je serai à Toulouse dès vendredi.
Elle me demande si je vais retrouver Jérém pendant les vacances.
« Non, cest compliqué en ce moment. Je texpliquerai ».
« Ce garçon ne mesure pas la chance quil a de tavoir ».
« Ou alors je ne suis pas le gars quil lui faut ».
« Ne dis pas de bêtises mon lapin. Rentre vite à la maison, tu vas tout me raconter ».
Je débarque à Toulouse le vendredi 21 décembre en milieu daprès-midi. Le premier constat en arrivant dans ma ville est de voir quelle porte à la fois les stigmates de lexplosion AZF et les décorations de Noël. Cest assez effrayant comme contraste. Je pense à ceux qui ont péri, aux blessés, à tous ceux qui ont été touchés de près ou de loin par cette catastrophe. Par ricochet, je pense aux new-yorkais touchés par les attentats. Pour eux non plus ce Noël 2001 ne restera pas dans les annales des Noëls heureux.
Les retrouvailles avec maman sont pleines démotions. Je lui ai manqué tout autant quelle ma manqué. Je tente de faire bonne figure, mais elle voit de suite que je ne suis pas bien et tente de me cuisiner. Je tente de mettre ça sur le compte de la « pause » avec Jérém mais je ne suis pas sûr quelle se contente de ça, surtout si je continue à me montrer abattu. Je ne veux pas quelle sinquiète. Je dois apprendre à mieux faire semblant, je ne veux pas gâcher son Noël.
Pour occuper ma soirée, je prévois de suivre lun des conseils de Albert, daller voir un film dont jattendais la sortie avec impatience. Le film en question est en salles depuis deux semaines déjà mais je nai pas encore trouvé le bon moment pour aller le voir. Le fait est que sa sortie est arrivée au même moment que la « pause », que Benjamin, que l« accident ». Autant dire que dernièrement mes priorités ont été un brin chamboulées.
Je propose à Elodie de maccompagner, car je me souviens de lui avoir parlé de ce film à Gruissan et de lavoir entendue me dire avec enthousiasme quon irait le voir ensemble. Dautant plus que cest elle qui ma fait découvrir cette saga. Mais je la prends trop de court, elle a déjà prévu quelque chose pour ce soir.
Et pourtant, jai limpression quil ne sagit pas que de ça. Jai limpression que depuis quelle est en couple, et a fortiori depuis quelle est fiancée, notre complicité se relâche peu à peu. Et je pense quà lavenir ça ne va pas sarranger. Car elle aura ment moins de temps à partager avec moi. Moins de temps et moins de complicité. Ainsi va la vie. Elle a désormais dautres priorités, chose que je comprends parfaitement. Ce qui ne mempêche pas pour autant de ressentir une certaine nostalgie teintée de tristesse. Car nos moments à discuter à bâtons rompus, à refaire le monde, à déconner, me manquent. Et je pense quils ne reviendront pas.
En fin daprès-midi, je prends un verre avec Julien dans un bar du centre-ville. Les retrouvailles avec le boblond sont toujours flamboyantes. Le gars est un tourbillon dénergie et son sourire solaire et malicieux est un rayon de soleil. Julien a toujours des trucs drôles à raconter, et sa capacité à samuser de tout et à transporter ailleurs son interlocuteur fait partie de son charme ravageur.
Il me demande de lui raconter ma vie à Bordeaux, ce que je fais sans trop dentrain. Il me demande si je vois toujours « mon » rugbyman. Je lui raconte la « pause ».
« Encore ? Mais ce gars est une véritable girouette ! Il est pire que moi avec les nanas ! ».
« Il a ses raisons. Mais cest trop dur pour moi de suivre » je coupe court.
« Jai du mal à imaginer que ce soit si difficile que ça de trouver le moyen de vous voir régulièrement.
Ton beau brun a peut-être tout simplement peur de lengagement que tu lui demandes. Vous êtes jeunes. Et puis, quels projets avez-vous en commun ? Aucun à ce jour. Toi tu vas poursuive tes études à Bordeaux, et lui essayer de se faire une place dans le rugby. Que pouvez-vous faire ensemble à ce stade ? ».
« Nous voir, tout simplement, être bien ensemble, non ? Être là lun pour lautre. Ce serait pas mal pour commencer
».
« Votre histoire est belle parce quelle est compliquée » il poursuit « Vous vous aimez, vous vous adorez quand vous êtes ensemble, puis vous vous jetez, vous vous manquez, et vous vous retrouvez. Cest pas mieux ça que de tomber trop tôt dans la routine des amoureux ? La routine est la fin de lamour ».
« Tu as peut-être raison, mais en attendant cest fatiguant ».
« Et sinon, maintenant que tu es célibataire, tu es un peu sorti, tu tes fait draguer ? Je parie que oui, tu es quand-même beau mec
».
Je nai pas le cur daffronter ce sujet. Parce que je sais quil va me mettre sur une pente glissante qui va mobliger à parler de l« accident ». Je ne veux pas lui parler de ça. Je lui en parlerai peut-être un jour, mais pas avant trois mois. Il men voudra peut-être de ne pas lui avoir « fait confiance ». Mais tant pis. Je ne veux pas quil se fasse du souci pour moi.
Au moment de nous quitter, je propose au beau moniteur de maccompagner au cinéma. Mais quand je lui annonce le film que je vais voir, il se moque de moi.
« Mais tas quel âge ? » il me charrie, tout en mexpliquant quil a un rancard avec une nouvelle nana plus tard dans la soirée.
Cest donc seul que ce soir-là je me rends à la salle de la place Wilson pour découvrir le premier volet cinématographique de la saga de J.K Rowling.
Cest toujours un drôle dexercice que de découvrir un film tiré dun livre quon a lu. Ça fait bizarre de voir les choix, essentiellement des coupes et des raccourcis, faits par le scénariste ou le réalisateur pour adapter lhistoire à lécran, pour contenir 300 pages en moins de 2 heures. Ça fait bizarre de voir le livre mis en images et de voir ces images remplacer celles que mon imagination avait générées à la lecture. Et ça fait très bizarre de mettre un vrai visage sur Harry Potter. Mais la sauce finit par prendre, et je me laisse embarquer dans lalchimie cinématographique dans laquelle la géniale musique de John Williams joue un rôle majeur.
https://www.youtube.com/watch?v=wtHra9tFISY
Lorsque je sors de la projection, il est presque minuit. Un vent glacial sillonne la place Wilson, fait valser les guirlandes suspendues entre les immeubles et le grand sapin au milieu de la place. Il fait froid, horriblement froid. Un froid qui traverse mon blouson, mon pull, mon t-shirt, mon jeans et qui arrive jusquà ma peau. Il fait froid dehors, comme il fait froid dans mon cur.
En revenant vers la maison, je ne peux mempêcher de faire un détour par la rue de la Colombette. La nostalgie me happe, elle guide mes pas presque malgré moi. Car même si cela me fait de la peine, je ressens un besoin irrépressible de retrouver ces lieux familiers, les rues que jai empruntées tant de fois pour aller retrouver Jérém, la façade de son ancien immeuble, son ancienne terrasse où il a fumé tant de cigarettes après chacune de nos « révisions ». Oui, jai besoin de retrouver ces lieux, nos lieux, à la fois si proches physiquement et si lointains dans le temps, dans mon cur.
Je repense à la résolution que javais prise quelques jours plus tôt, dappeler Jérém quand je serais à Toulouse, juste avant Noël. Mais ça cétait avant l« accident ». Aujourdhui, je ne me sens plus le courage de le faire.
Ce soir, je voudrais être Harry Potter. Accio Jerem ! Accio résultats négatifs ! Je voudrais tant pouvoir prendre le train au départ de la voie 9 et ¾ pour partir loin, très loin.
Noël approche à grand pas et le repas du réveillon se précise. Ce sera en famille, avec mes parents, mon oncle, le frère de mon père et sa femme, qui feront le voyage depuis Brive. Mais ils viendront sans leur fils Cédric, car mon cousin a prévu de passer le réveillon dans la famille de sa copine.
Je pressens que cette soirée va être chiante à mort. Je sens que Cédric, le bogoss, le futur grand médecin, le joueur de foot, même absent, sera quand même bien à ce réveillon. Ce sera encore une confrontation entre Cédric le winner et Nico le looser. Je sens que je vais encore men prendre plein la gueule. Je sens que je vais adorer ça, je sens que ça va être un Noël de rêve. Dailleurs, je rêve déjà
Jespère au moins que papa ne va pas trop me faire la gueule. Je vais essayer de me faire tout petit, de faire profil bas en attendant que ça passe. De toute façon, en ce moment jai des tracas plus importants que lhostilité de mon père.
Le lendemain, le dimanche 23 décembre, jai envie de revoir un pote. Je lui envoie un message le matin.
« Salut, ça va ? Tu as un moment pour prendre un verre ? ».
Bien sûr, jai toujours en tête les mots de sa copine Nathalie me demandant de couper le « laisser tranquille » pour ne pas raviver sa « bisexualité ». Mais Thibault est un pote, et jai envie davoir de ses nouvelles. Jai envie de savoir comment il va, comment il récupère après ses blessures suite à la catastrophe dAZF.
Ladorable pompier me rappelle aussitôt.
« Hey, Nico, tu es sur Toulouse ? ».
Le simple fait dentendre sa voix me fait du bien. Jai limpression que lancien mécano est en bonne forme et ça me fait vraiment plaisir.
« Oui, depuis vendredi ».
« Bien sûr que jai un moment pour prendre un verre, tu peux même venir manger à la maison ce soir. On se fait une soirée pizza si tu veux ».
« Je ne veux pas mincruster, je connais à peine ta copine ».
« Elle ne sera pas là, elle travaille à 20 heures ».
Voilà des mots capables de provoquer un grand soulagement en moi.
« Daccord, japporte les pizzas alors ».
A 20h30 je sonne à la porte de lappart aux Minimes. Le battant souvre aussitôt. Sourire solaire, regard bienveillant, charmant et touchant, Thibault apparaît dans lembrasure de la porte. Il est toujours aussi beau. Il est habillé dun pantalon en tissu molletonné, ainsi que dun t-shirt gris. Un t-shirt qui me permet de constater que son corps a encore pris du muscle.
« Hey, Nico, ça me fait plaisir de te voir » fait le beau stadiste, tout en me prenant dans ses bras, et en me claquant la bise, lair vraiment content de me voir. Le contact avec sa barbe de quelques jours est enivrant.
« Moi aussi je suis content de te voir ».
Ça me fait drôlement plaisir de le voir debout, bien portant, si loin du Thibault abattu sur son canapé, le genou bandé, lors de ma précédente visite, juste après la catastrophe dAZF. Jen suis presque ému.
« Tu vas bien, Nico ? ».
« Je vais bien, merci » je réponds machinalement « Et toi ? ».
« Ça va beaucoup mieux, merci ».
« Je suis content de te voir en forme ».
« Merci, tu es gentil. Alors, raconte, comment se passent tes études à Bordeaux ? Tu tes fait des potes là-bas ? ».
« Les études ça va, je vais bientôt avoir mes premiers partiels. Oui jai quelques amis, surtout des camarades de cours. Jai aussi sympathisé avec mes voisins et propriétaires, un couple dhommes âgés qui sont vraiment adorables avec moi ».
« Cest cool que tu trouves tes marques ».
« Cest vrai ».
« Alors, dis-moi » jenchaîne « Tu as recommencé à jouer ? ».
« Pour linstant, jai repris la musculation. Ça fait trois semaines. Et si tout va bien, je devrais reprendre les entraînements mi-janvier. Il me tarde ! ».
« Ça me soulage dentendre ça. Finalement tu restes au rugby, alors ».
« Pour linstant, oui. Je vais faire la saison, après javiserai ».
« Et les pompiers ? ».
« Je reste aussi, je ne peux pas renoncer à ça, bien que jaurai moins de disponibilités pour les astreintes ».
« Cest tout à ton honneur. Définitivement, tu es un bon gars ».
« Au fait, tu as des nouvelles de Jé ? » il change de sujet.
« Vous navez pas repris contact ? » je le questionne à mon tour.
« Non, pas vraiment. Jimagine quil doit être très occupé, je nose pas trop le déranger ».
« Je nai pas de ses nouvelles depuis quelques semaines » je réponds enfin à sa question.
« Ah bon ? Vous ne vous voyez pas, vous ne vous appelez pas régulièrement ? ».
« Pas vraiment. Enfin
plus vraiment ».
« Ah
et quest-ce qui sest passé ? ».
« Depuis quil est à Paris, Jérém a peur que son entourage découvre notre relation. Alors il ne veut pas que jaille le voir. Il a même recommencé à coucher avec des nanas pour faire semblant ».
« Tu crois ? ».
« Je le sais parce que lune dentre elles sest pointée à lappart à Paris lui faire un sketch pendant que jy étais en novembre ».
« Ah
».
Il ma dit quil tenait à moi, mais quil ne pouvait pas pour linstant me proposer mieux que de faire chacun notre vie de son côté et de se retrouver pendant les vacances ».
« Sur le coup, jai vu rouge. Mais jai fini par comprendre ses raisons, et que ça lui coûtait de me proposer ça. Jétais prêt à accepter ce mode de fonctionnement, mais à condition de le voir plus souvent. Je lui ai dit au téléphone. Et il ma répondu quil avait besoin de temps. Jai insisté et il a fini par me balancer quil voulait prendre une pause. Cétait il y a presque trois semaines. Depuis, je nai pas de nouvelles ».
« Ah, mince ! Toujours le même mon pote Jé. Quand il se sent dos au mur, il envoie tout balader ».
« Après, je comprends ce quil doit ressentir » il continue « si son homosexualité sébruite, il court le risque de se faire marginaliser. Dans le monde du rugby, nous les joueurs nous sommes très populaires auprès de nos supporters. Nous partageons avec eux la même ville, les mêmes bars, les mêmes boîtes. Les rumeurs peuvent aller vite et détruire une carrière.
Jérém doit vivre tous les jours dans la peur dêtre découvert et que tout seffondre autour de lui, que son travail et son investissement dans le rugby lui filent entre les mains.
Il sait que sil se fait rejeter personne ne viendra à son secours. Même pas son club. Si un gars se fait rejeter, si sa carrière est foutue à cause de ça, cest pas un problème, ils en recruteront un autre. Les bureaux des dirigeants des clubs sont remplis de CV de joueurs avec du potentiel ».
« Sinon, comment ça se passe son intégration dans léquipe ? » il me questionne.
« Il a eu quelques difficultés, mais depuis quelques semaines ça semble bien démarrer ».
« Je peux me tromper, mais je ne pense pas que le rugby soit la seule raison de son comportement à ton égard ».
« Tu penses à quoi ? ».
« Jé a du mal à gérer ses sentiments. La dernière fois tu mas parlé de vos retrouvailles à Campan, du fait quil était différent, que votre complicité avait pris une nouvelle dimension. Peut-être que sans le vouloir, tu lui as mis la pression, ou quil sest mis la pression tout seul, et que ça lui a fait peur.
Je pense quil doit aussi peur de te perdre que toi de le perdre. Jé a été marqué par la souffrance de labandon et il sest construit autour de ça ».
« Tu parles de sa mère ? ».
« Oui, il ne sest jamais remis du fait quelle ait refait sa vie loin de lui et de Maxime. Mais il y aussi souffert de la distance de son père qui a toujours été très dur avec lui, et qui a toujours pensé savoir de quel bonheur avait besoin son fils sans jamais lui avoir posé la question.
Mais il y a aussi autre chose. Jé ne sattendait pas quun gars comme toi viendrait lui révéler sa vraie nature et bouleverser sa vie. Il nétait pas préparé à ça. Et ça ne fait que quelques mois que tu es vraiment rentré dans sa vie. Mais lespoir dune évolution est permis, comme le prouvent les pas de géant quil a déjà faits vers toi ».
« Il y a des moments où je me dis que cette pause est définitive, et que cest fini entre nous ».
« Non, je ne le pense pas. Tôt ou tard tu vas lui manquer et il va revenir à la raison. Après, je comprends quune pause imposée avec de la détermination peut ressembler à une rupture. Mais tu commences à connaître loiseau, dabord il envoie tout valser, après il réfléchit. Il fonctionne comme ça depuis toujours ».
« Sinon, ça se passe toujours bien avec Nathalie ? » je le questionne pendant que nous mangeons les pizzas.
« Je crois, oui ».
« Et pour votre bébé, tout avance bien ? ».
« Très bien, Nath a passé une écho la semaine dernière, tout est normal ».
« Dans trois mois mon va arriver » il ajoute après quelques instants de silence « et plus ça approche, plus je me demande si je suis prêt à lassumer ».
« Pourquoi tu dis ça ? ».
Thibault se tait, comme gêné de sêtre trop avancé.
« Allez raconte, tu peux tout me dire, tu sais ? » je tente de le mettre à laise « De la même façon que moi je sais que je peux tout te dire ».
« Parfois
je pense à des trucs
».
« Des trucs ? ».
« A des gars
des gars qui me font de leffet. Et
je culpabilise
tu comprends, Nico ? Je vais avoir un gosse et je narrête pas de penser à ça
».
« Oui, je comprends. Mais tu as déjà
».
« Non, non ».
« Mais tu en as envie
».
« Je ne sais pas. De toute façon, je ne veux pas faire des bêtises, je ne veux pas que cet grandisse avec des parents séparés ».
« Tu laimes Nath ? ».
« Grande question ».
« Si tu ne réponds pas par un « oui » franc à cette question, cest peut-être que tu ne laimes peut-être pas ».
Il est facile dêtre clairvoyant lorsquil sagit des histoires des autres.
« Et tu préfères que cet grandisse avec des parents qui ne saiment pas plutôt quavec des parents séparés mais heureux parce quils ont refait leur vie ? ».
« Je ne vois pas comment je pourrais refaire ma vie et être heureux ».
« Tu es attiré par les mecs, Thibault, tu ne peux pas te voiler la face ».
« Je ne me voile pas la face. Enfin, plus maintenant. Le fait davoir frôlé la mort il y a trois mois ma obligé à me poser les bonnes questions. Je nai eu que ça à faire pendant des semaines.
Mais je suis dans la même situation que Jé. Si je veux mener une carrière dans le rugby, je ne peux pas me permettre dêtre moi-même ».
« Tu crois que tu vas tenir le coup ? ».
« Je nai pas le choix. Jai trop à perdre. De toute façon, tout ça est encore trop nouveau pour moi. Et puis, je vais être franc avec toi, je nai toujours pas arrêté de penser à Jé. Je sais quil ny aura plus jamais rien entre nous, parce quil est amoureux de toi et que tu es amoureux de lui, et je respecte ça. Mais cest dur à assumer. Cest pour ça que je narrive pas à lappeler. Jai besoin de prendre de la distance pour tourner la page. Jé doit le sentir, jimagine que cest pour ça quil respecte mon silence ».
« Mais assez parlé de moi » il coupe court pendant que nous nous déplaçons sur le clic clac devant la télé. « Comment tu comptes ty prendre pour mettre fin à cette pause avec Jé ? ».
« Je ne sais pas trop. Et je ne sais même pas si je devrais essayer quoi que ce soit ».
« Quest ce qui se passe, Nico ? Je tai connu plus combattif que ça ».
« Je suis fatigué », je me dérobe, alors que jai de plus en plus de mal pas à contrôler les larmes qui se pressent à mes yeux. Je suis à deux doigts de lui parler de l« accident ». Mais je prends sur moi. je me dis que Thibault a bien assez se soucis de son côté pour que je laccable avec les miens.
Le jeune rugbyman mattire contre lui. Je me retrouve demi allongé sur lassise du clic-clac, installé entre ses cuisses, le dos collé contre son torse chaud, enlacé par ses bras.
« Naie pas peur de revenir vers Jé, il comprendra, jen suis sûr, car il tient trop à toi ».
Thibault sait trouver les mots pour me réconforter. Mais plus encore que ses mots, cest sa présence, sa proximité, son amitié qui me font du bien.
Dans le silence, dans la pénombre, je nentends que sa respiration, calme, apaisante. Je sens son souffle dans mon cou, les battements lents de son cur. Nous restons ainsi, enlacés, pendant un long moment. Et ça me fait un bien fou.
Il est presque minuit lorsque je décide de rentrer. Devant la porte dentrée, nous nous regardons en silence pendant de longs instants, sans arriver à trouver la façon de nous quitter. Il y a tant de choses dans cet échange silencieux, peut-être plus que dans mille mots. Il y a de lamitié, il y a de la tendresse, il y a de la complicité. Il y a, de ma part, une immense considération, une profonde estime, une affection infinie pour ce garçon si adorable.
Mais il y a également autre chose. Je crois que nos corps se souviennent du plaisir quils se sont donnés pendant une nuit déjà lointaine.
Je sens que Thibault sait que, malgré mon amour pour Jérém, il me fait de leffet. Et à cet instant précis, jai désormais la certitude que, comme je lavais imaginé, ce gars dont Thibault mavait parlé la dernière fois, et qui lui aussi lui fait de leffet, cest bien moi.
Ça fait du bien de se sentir désiré par un beau gars comme Thibault. Mais en même temps, ça me rend triste. Car je sais que je ne pourrai pas lui apporter lamour quil mérite. Je suis toujours amoureux de Jérém, et je ne sais pas si je cesserai un jour de laimer.
« Appelle-moi si ça ne va pas » finit par lâcher ladorable stadiste.
« Toi aussi tu peux mappeler, si tu as besoin de quoi que ce soit ».
« Merci dêtre passé Nico. Tu es le seul à qui je peux parler ».
« Alors nhésite pas ».
« Je tiens beaucoup à notre amitié » il ajoute.
« Moi aussi je tiens beaucoup à notre amitié. Tu es un gars génial ».
« Bon courage, Nico ».
« Bon courage à toi, Thibault. Et Joyeux Noël ».
« Joyeux Noël à toi aussi » fait lancien mécano en me serrant une dernière fois dans ses bras pleins daffection. Une accolade et une affection que je lui rends avec émotion, car ce petit gars me touche vraiment beaucoup.
Je passe la porte et je repars seul avec mon fardeau, tout en laissant Thibault seul avec les siens. Dans cette vie, chacun a ses propres fardeaux à porter. Et en fin de compte, nous les portons toujours seuls.
Le lendemain matin, le 24, je me réveille de bonne heure. Je me réveille en plein cauchemar. Jai rêvé de Jérém, jai rêvé quon était dans ma chambre, alors que mes parents étaient en bas. Jai rêvé que Jérém était là juste pour me baiser, comme il le faisait dans son appart de la rue de la Colombette. Il était macho, dominateur, limite violent et humiliant.
Jétais triste de le retrouver ainsi, je ne le reconnaissais plus, javais envie de pleurer tant je ne retrouvais pas dans ce gars le Jérém que javais connu depuis Campan. Mais dans ma conscience du rêve, je savais que je ne pouvais pas changer son attitude. Je ne savais pas pourquoi il était redevenu ainsi, mais je savais que je navais pas dautre choix que de laccepter, pour ne pas le perdre. Je me souviens quil était venu en moi brutalement et que javais eu mal et que je métais dégagé de lui.
Il avait voulu revenir en moi, mais je lui avais demandé de mettre une capote. Il mavait demandé pourquoi et javais dû lui expliquer ce qui sétait passé avec Benjamin. Et là, il mavait regardé avec un grand mépris, il sétait rhabillé et il était parti en me balançant sur un ton énervé et méprisant : « Surtout oublie mon numéro de téléphone ».
Je me réveille en nage, le cur emballé, les larmes aux yeux. Je reste longtemps immobile, hébété, me demandant si jaurais un jour le courage dannoncer cela à Jérém.
Je tente de me rendormir mais je ny arrive pas. Je me lève vers 8 heures, et je constate quau bout dune semaine les effets secondaires du traitement semblent enfin sestomper. Je prends mes médocs en cachette et je descends prendre le petit déj avec maman. Ce matin je me sens un brin mieux, et je sens maman aussi un peu plus détendue. Ça me fait plaisir. Jespère garder le moral jusquà ce soir, je pense que je vais en avoir besoin pour le réveillon.
Le matin, jaide maman à faire le ménage. Laprès-midi, je laide à préparer le repas, nourriture et déco. Jaime bien partager ces moments avec elle, et rien quavec elle. Papa étant au travail, je profite de ces moments privilégiés pour parler avec maman de la « pause » avec Jérém.
A plusieurs reprises, je suis à deux doigts de craquer, et de lui parler également de l« accident ». Mais je ne peux pas, je ne peux pas lui faire ça. Pas à Noël. Les mots restent coincés dans ma gorge et cest très bien ainsi.
En soccupant et en discutant, la journée passe vite. Il est déjà 19 heures, la voiture de papa vient de rentrer dans le garage, tata et tonton vont bientôt être là. Je passe à la douche, je mhabille, je prends une profonde inspiration et je descends affronter le regard paternel.
« Tu as passé une bonne journée ? » je tente damorcer une conversation.
« Une journée comme les autres » il me refroidit.
Je reviens donc à la cuisine retrouver de la chaleur humaine auprès de maman. Je nen ressors que lorsque jentends la sonnette à lentrée et quelle me demande daller ouvrir.
Tata et tonton sont là, bruyants, bavards, étouffants, comme toujours. Dans leurs rondeurs et leurs manières guindées, ils me font penser à quelquun, mais qui ?
Nous voilà en piste pour le réveillon. Comme je lavais prévu, après quelques échanges de banalités, mon winner de cousin Cédric, même absent, ne tarde pas à sinviter dans la conversation à table. Car son père, mon oncle, ne jure que par les réussites en cascade de son rejeton, dont il est très fier. Tout le contraire de mon père, qui na aucune estime pour moi. Comme à chaque repas de famille depuis mon enfance, la comparaison entre Cédric et moi est à lordre du jour et je me retrouve systématiquement en mauvaise position par rapport à lui mon cousin étant plus fort que moi dans les études, promis à un avenir professionnel radieux et, ce, depuis le berceau, capitaine de son équipe au foot, doté de copine, sans oublier quil fait plutôt « mec ».
Je savais que jallais encore en prendre plein la gueule. Mais ce que je navais pas prévu, cest que le plus difficile à supporter serait lhumiliation ressentie par mon père en entendant mon oncle faire léloge incessant et inconditionnel de son fils. Une humiliation bien trop visible dans son regard et dans ses silences. Une humiliation et une exaspération que mon père narrive à contenir, me semble-t-il, quau prix dune énergie folle. Dautant plus quaprès mon coming out il a intégré un nouveau sujet de déception vis-à-vis de moi.
Oui, le plus dur à supporter ce soir, cest son humiliation. Parce que son humiliation, cest la mienne aussi, décuplée par la sienne.
Une seule chose, une seule personne aurait pu sauver ce réveillon qui sannonce comme interminable et dune lourdeur insupportable : ma cousine Elodie. Hélas, elle aussi sest laissé entraîner dans un réveillon de belle famille avec son beau Philippe. Elle nest donc pas de la partie et je me retrouve seul à affronter le poids de la famille.
Il nest même pas 22 heures et jai déjà envie de partir loin. Jai envie de transplaner à Bordeaux et attendre minuit avec mes adorables papis. Peut-être quils sont invités, ou quils ont des invités. Jai limpression que tout le monde passera un meilleur Noël que moi.
Si je mécoutais, je monterais dans ma chambre et je nen ressortirais que demain. Si je reste, cest pour maman, et pour elle uniquement.
Tonton et tata continuent de faire la conversation en mode « nous, nous », version pour couples du fameux « moi, je », sans oublier de revenir régulièrement en mode « Cédric, lui ».
Ça y est, ça y est. Je viens de réaliser à qui mon oncle et ma tante me font penser, avec leurs rondeurs et habités comme le sont par ladmiration inconditionnelle et aveugle de leur fiston. Vernon et Pétunia, les parents de Dudley, loncle et la tante dHarry Potter. Si seulement je pouvais posséder une baguette magique et leur lancer un sortilège de Bouchecousue !
Le problème est que lorsque la conversation se détourne de leurs vies, ce nest pas mieux. Car ils se mettent à minterroger sur la mienne. Je suis questionné sur mes études, sur mes éventuelles copines, autant de sujets que je ne me sens pas à laise daffronter devant papa. Jai limpression de marcher sur des ufs, et que chacun de mes mots augmente un peu plus son dégoût à mon égard. Alors, à choisir, je préfère encore quand ils sont en mode « nous, nous ».
Je retrouve un peu de tranquillité lorsque la conversation se porte sur des sujets qui ne concernent pas la famille.
Seul avec mes pensées, Jérém me manque à en crever. Je men veux terriblement de navoir pas su attendre Noël pour le retrouver. A lheure quil est, nous serions peut-être ensemble ou bien nous nous apprêterions à passer des bons jours ensemble à faire lamour. Si javais su attendre, il ny aurait pas eu la « pause » et je ne serais pas tombé dans les bras de Benjamin. Il ny aurait pas eu l« accident ». Et je ne serais pas accablé par un compte à rebours qui mapporte inquiétude et tristesse. Je me dis quune fois de plus cest mon impatience qui a tout gâché.
Soudain, je réalise avec effroi que, tout pris dans les préparatifs du réveillon, jai oublié de prendre mon traitement à lheure habituelle du soir.
Ma peur doit se voir sur mon visage car tata sempresse de me demander si je vais bien.
« Cest rien, jai juste un peu mal à la gorge. Ça doit être un coup de froid. Je vais aller prendre un truc ».
Je sors de table et monte dans ma chambre prendre mes médocs. Je regarde lécran de mon portable. Il est 23h42, et je nai toujours aucun message. Ce soir jai tellement besoin dêtre dans ses bras. Même sans faire lamour, je donnerais cher rien que pour me retrouver dans ses bras.
Je cherche en moi le courage de lui envoyer un message. Jécris, jefface, je réécris, jefface à nouveau, encore et encore. Aucun mot ne me semble adapté. Jai tellement peur. Je nose pas. Je sais que je vais le perdre. Assis sur mon lit, je pleure.
Je dois revenir à table avant que mon absence ne soit remarquée. Mais je narrive pas à arrêter de pleurer, et je ne peux pas me montrer tant que je ne me serai pas calmé. Je ne veux surtout pas attirer lattention sur moi.
Ce nest quau bout de plusieurs minutes, et après que maman ma appelé mannonçant que la bûche allait être servie, que je trouve le courage de redescendre.
Jespère passer inaperçu, jespère pouvoir cacher ma tristesse et les larmes que jai eu du mal à sécher. Mais tante « Pétunia » ne me rate pas.
« Ça va Nicolas ? On dirait que tu as pleuré ! ».
« Mais ta gueule, conasse !!! ». Ça, ce sont les premiers mots qui me traversent lesprit.
« Jai avalé le cachet de travers ». Ça, cest la même chose, mais en version politiquement correcte. Celle que je choisis, bien évidemment.
« Il ne manque que quelques minutes avant minuit » fait remarquer maman, alors que papa vient de faire péter le bouchon du champagne.
Une seule pensée occupe mon esprit à cet instant. Jérém, où es-tu ?
Je suis complètement ailleurs, jétouffe dans cette pièce trop chaude, autour de cette table trop bruyante, devant ce gâteau que je nai pas envie de manger et de ces bulles que je nai pas envie davaler. Jai encore envie de pleurer, et je sens quau moment où nous trinquerons, jaurais le plus grand mal à retenir mes larmes.
Je regarde la pendule et je découvre quil ne manque plus que trois petites minutes avant minuit. Cest là que se produit comme un déclic dans ma tête.
« Rien ni personne ne peut nous enlever ce quil y entre nous ».
« Et quest-ce quil y a « entre nous », au juste ? ».
« On est bien ensemble ».
« Mais on nest jamais ensemble ! ».
« Je crois que ce quil y a entre nous est plus fort que tout ça ».
Ces quelques échanges de la dernière fois où jai vu Jérém remontent à ma mémoire. Je me souviens de chaque mot, du ton de sa voix, doux, calme, comme une caresse. Je me souviens de son regard, désolé de me faire du mal et de ne pas avoir mieux à moffrir.
Les gestes sont machinaux, et pourtant naturels, évidents. Sans plus réfléchir, je glisse la main dans ma poche, je sors mon téléphone. Je suis en mode automatique, jai débranché tous les capteurs dans ma tête, toutes les balances des pours et des contres. A cet instant précis, cest mon cur qui me guide et rien dautre.
« Joyeux Noël ».
Cest le message que jenvoie à Jérém. Simple et direct. Je tape et jenvoie, le tout en une seconde à peine.
Cest la petite notification sonore du message envoyé qui me fait réaliser ce que je viens de faire.
Je viens de lui envoyer un message. Et je viens de mexposer au risque de ne pas avoir de réponse. Car Jérém est capable de faire le mort, ce ne serait pas la première fois. Et si cest le cas ce soir, ce serait particulièrement dur à supporter.
Je menfonce dans ce genre de réflexion, lorsque la sonnerie de mon portable retentit de façon retentissante dans le séjour.
« MonJerem ».
Mon cur semballe, je ressens comme un tremblement de terre intérieur.
« Tu peux pas mettre ton téléphone en sourdine ? » fait sèchement mon père.
Et là, paniqué, je ne trouve pas mieux que dappuyer sur le bouton rouge.
Le coup de fil que jai tant attendu, que je désespérais de recevoir, ce coup de fil arrive enfin, il arrive contre toute attente, et moi je ne trouve pas mieux que de le rejeter. Bien joué, Nico !
« De nos jours, les jeunes sont tous accrocs à ces portables. Quand Cédric sest acheté son premier portable
».
« Mais bon sang, tu nen as pas marre de parler tout le temps de ce putain de Cédric ? Si tu savais, tata, combien de fois je me suis branlé pendant mon adolescence, en pensant à ton champion, et combien de fois je lai fait jouir, ton Cédric, même si ce nest que dans mes pensées lubriques ! » je manque de laisser échapper.
Mais pour lheure, je men tape de « Pétunia », de « Vernon », de Cédric. Tout ce qui compte cest que Jérém vient de me rappeler, presque dans la seconde après mon message. Tout ce qui compte, cest de monter dans ma chambre et de le rappeler. Je cherche fébrilement le moyen pour méclipser discrètement. Mais maman est en train de servir la bûche et je ne me sens pas à laise à lidée de sortir de table maintenant.
Je me dis que je vais vite manger ma part de gâteau et que je vais monter après. Mais je nen ai pas le temps, car mon portable se met à sonner à nouveau.
« MonJerem », à nouveau.
« Mais cest qui, à la fin ? » fait papa, lair passablement exaspéré.
« Cest un pote. Je vais le rappeler dans ma chambre ».
« Cest pas plutôt une nana ? » fait ma tante.
La sortie de « Pétunia » me permet de prendre congé avec un sourire et un haussement dépaules.
Je monte les marches de lescalier quatre à quatre, alors que la sonnerie retentit toujours. Jarrive dans ma chambre avec le souffle coupé, lorsque le portable vient tout juste de se taire.
Je tiens le petit appareil dans mes mains tremblantes, comme un moineau fragile, hésitant à appuyer sur le bouton vert qui me projettera vers Jérém. Jhésite, je cherche mon courage. Jéteins la lumière dans ma chambre. Je mallonge sur le lit. Parfois le courage se laisse mieux trouver dans le noir. Je ferme les yeux et jappuie sur le bouton vert. Je porte lappareil à mon oreille. Et alors que la tonalité retentit dans mon crâne, jai le souffle coupé et le cur qui bat la chamade.
Lorsque ça décroche, jai limpression que mon cur a cessé de battre, que je suis dans un avion en panne de carburant. Jai peur de la chute, jai peur de mourir.
« Joyeux Noël à toi aussi, Nico » ce sont ses premiers mots.
« Merci ».
« Ton message ma fait vraiment plaisir » il me lance.
« Ton coup de fil aussi ma fait plaisir. Désolé de ne pas avoir répondu de suite, jétais à table ».
« Tu vas bien ? » il enchaîne sur un ton bienveillant.
« Ça va. Et toi ? ».
« Ouais, pas mal non plus ».
« Tu réveillonnes chez tes parents ? ».
« Oui, chez mes parents. Et toi ? ».
« Chez mon père ».
Lidée que nous fêtons Noël à deux endroits pas si éloignés, mais chacun de notre côté, me rend malade.
« Tu passes un bon Noël ? ».
« Oui » je mens « et toi ? ».
« Je me fais chier grave ».
« En vrai, moi aussi » jadmets.
Une nouvelle pause sinstalle dans notre conversation. Jai envie de lui dire tant de choses, mais je me dis que ce nest pas le moment. Mais cest peut-être le moment de lui dire à quel point je regrette de ne pas avoir su lécouter davantage.
« Jérém, je voulais que tu saches
».
« Eh, Nico
» il me coupe net.
« Oui
».
« On se casse ? ».
« Tu veux te casser où ? » je lui demande, désarçonné.
« Loin. Je ne sais pas où, jai juste envie de me casser. Pas toi ? ».
« Si, si ! ».
« On se tire alors ».
« Et tu veux quon se tire où ? ».
« Je nen sais rien. Dans un hôtel, une tente, un igloo. Je men fiche. Là où on sera que tous les deux ».
« Jaimerais bien
» je fais, rêveur.
« Je passe te chercher » il fait, très déterminé.
« Quoi ?! Maintenant ? ».
« Disons
dans une heure ».
Je suis aux anges. En une poignée de secondes, je suis passé de la détresse noire à une joie pleine de belles couleurs.
« Et la pause ? ».
« Oublie, cétait une connerie. Allez, je vais partir. Je tenverrai un message quand jarrive dans ta rue ».
« Tes fou !!!!! » je fais, fou de joie.
« Oui, fou de toi ».
En raccrochant, je suis le gars le plus heureux de lUnivers.
Mais déjà un instant plus tard les inquiétudes me rattnt. Revoir Jérém, ça veut dire recommencer à espérer, à me projeter, à me faire des beaux films. Rejoindre Jérém, ça veut dire être tenté de faire lamour avec lui. Faire lamour avec lui, cest lexposer à un risque. Pour réduire ce risque, nous allons devoir prendre des précautions. Et pour prendre ces précautions, je vais devoir lui expliquer ce qui mest arrivé. Je vais devoir affronter son regard. Ça va être humiliant et risqué. Le risque de me faire rejeter me fait peur. Lidée de lui faire de la peine me fait mal au cur.
Mais toutes ces inquiétudes ne font pas le poids face à mon besoin de le revoir. Je suis trop content que Noël mapporte ce cadeau que jai appelé de tous mes veux. Je ne peux pas le refuser. Alors, pour les explications, on verra plus tard.
Pour lheure, le premier problème qui se présente à moi, cest comment expliquer à mes parents cette sortie tardive et imprévue. Ainsi que léventualité enfin, une quasi-certitude que je vais présenter en éventualité pour tenter de mieux la faire accepter que je passe la nuit dehors.
Je reviens dans la salle à manger comme en lévitation, la force responsable de cela étant la joie soudainement retrouvée. Je mange enfin ma tranche de bûche et jarrive même à supporter les discussions entre papa et tonton. Je regarde régulièrement mon portable, trop régulièrement. 00h10, 00h15, 00h25, 00h30. Le temps passe lentement pour ceux qui attendent. Les minutes sécoulent, le frisson au ventre, pendant que je cherche les mots et lattitude pour annoncer mon départ imminent.
Enfin minuit quarante. Je ne peux plus procrastiner, il est temps dannoncer que je vais partir. Il me tarde de me soustraire à ce stress, à ces regards, de me retrouver dans la rue, seul, et de savourer à fond les quelques minutes dattente avant de retrouver Jérém.
Je me fais violence pour quitter ma chaise et me lever, pour ne pas me faire écraser par les regards qui se posent sur moi.
« Tu montes te coucher ? » me questionne maman.
« Non, je vais sortir
avec des potes ».
« Maintenant ? » fait papa, surpris et amer.
« Oui ».
« A mon avis, il va retrouver une poulette » fait « Pétunia », toujours aussi perspicace.
« Et tu rentres tard ? » me questionne maman.
« Il se peut. Je pense quon va sortir en boîte ».
« Tu me tiens au courant ? ».
« Promis » je lui lance, en tentant dignorer le fait que papa fait la tête.
« Bonne soirée chéri ».
Je prends congé de mes oncles, en leur disant de passer le bonjour au fameux Cédric.
Je traverse le couloir, je passe mon blouson, jouvre la porte dentrée, je la referme derrière moi sans me retourner. Me voilà dans le froid de la nuit de Noël, dans le vent dAutan, dans la pluie fine mais insistante. Des aléas que je savoure, que jaime, car ils ont le goût de la liberté, et du bonheur.
Je regarde le portable pour voir si un message est arrivé. Rien du tout. Soudain, je me demande si tout ça est bien vrai. Si je nai pas tout imaginé. Le coup de fil de Jérém, son invitation. Heureusement, dans mes appels récents, il y a bien du « MonJerem ». Mais sil ne venait pas ? Sil avait changé davis ? Sil avait eu un empêchement ? Combien de temps pourrais-je lattendre, avant de trouver le courage de rentrer chez moi bredouille ?
Le vent dAutan souffle fort, très fort ce soir. Je mavance jusquà labribus le plus proche et je my installe pour me protéger du froid. Je massois, je sors à nouveau mon portable, je mapprête à appeler Jérém pour lui dire que je suis déjà dans la rue. Devant moi, la circulation ralentit. Le feu un peu plus loin vient sans doute de passer au rouge. Une voiture noire et compacte, léclat de la peinture sublimé par les gouttes de pluie posées sur la carrosserie, glisse lentement devant moi, presque à larrêt. Mon regard est happé par son conducteur, un beau gars brun, visiblement sur son 31, sexy en diable. Mon cur fait un bond dans ma poitrine, puis semble sarrêter.
Je le fixe, comme hébété, comme paralysé. La circulation repart peu à peu, le beau brun est sur le point de redémarrer, lorsque je me lève dun bond. Ce qui a pour effet dattirer enfin son attention vers moi. Et là, le gars pile net, sattirant immédiatement un concert de klaxons.
Mais Jérém a lair de sen foutre royalement. Il me sourit et se penche pour débloquer la porte côté passager. Jouvre la porte et je bondis dans sa nouvelle voiture.
« Salut » il me lance, tout en redémarrant aussitôt.
« Salut ».
Blouson en cuir, chemise bleu nuit, t-shirt blanc qui dépasse du dernier bouton ouvert, nouveau parfum de mec, brushing de bogoss, sourire ravageur. Et dans ses gestes, dans sa voix, dans son regard, une douceur qui me fait fondre. Je sens que je pourrais partir à lautre bout du monde avec ce gars.
« Tétais pressé, dis-donc » il me taquine.
« Je nen pouvais plus de ce réveillon, jétouffais ».
« Fais un bisou » il me lance, en se penchant vers moi et en me tendant ses lèvres.
« Allez, vite » il insiste face à mon hésitation.
Je pose un bisou sur ses lèvres tièdes, mais très furtif.
« On va où ? » je le questionne.
« Il y a un hôtel sur le boulevard Carnot. Jy ai dormi quelques nuits avant mon accident, et il nest pas mal. Enfin, à moins que tu veuilles faire autre chose. Mais si on sort, je risque de tomber sur des potes, et on nest pas rentrés ».
« Lhôtel me va très bien ».
« Je suis content de te revoir » il me lance, pendant que ses doigts jouent avec mes cheveux à la base de ma nuque et me rendent fou.
« Moi aussi, moi aussi » je lui réponds, ému.
« Cest ta nouvelle voiture ? » jenchaîne.
« Oui, je viens de lacheter doccase. Elle te plaît ? ».
« Elle est mieux que la 205 ! ».
« Il ny a pas de mal ».
Pourtant, en mon for intérieur je me dis que la 205 rouge de Jérém mérite plus de considération que ça. Car cest dans cette voiture que Jérém ma parfois ramené de boîte avant des nuits bien chaudes. Dans la 205 rouge, je lui ai même fait des gâteries. La 205 rouge était une partie de Jérém, comme ses cheveux bruns, ses tatouages, le petit grain de beauté dans son cou.
A lhôtel, alors que je me sens un peu gêné par la situation, Jérém semble a contrario plutôt à laise pour demander une chambre pour « mon copain et moi ». Et lorsque le veilleur de nuit lui annonce quil ne lui reste que des chambres à grand lit, il ne se démonte pas et lui lance avec un aplomb certain :
« Ça, cest pas un problème ».
Dans lascenseur, Jérém me sourit et membrasse. Jai limpression que, loin de Paris et de la pression du monde du rugby, je retrouve enfin le Jérém que jaime, le Jérém amoureux, attentionné, tendre, câlin, adorable. Jai très envie de lembrasser aussi, mais quelque chose me retient. Je sais que je ne lexpose à aucun risque en lembrassant, et pourtant, je ne me sens pas à laise.
La porte de la chambre refermée derrière nous, Jérém me serre très fort contre lui, il plonge son visage dans mon cou et me glisse à loreille :
« Tu mas tellement manqué ».
« Toi aussi tu mas manqué » je lui réponds, au bord des larmes.
A nouveau, ses lèvres cherchent mes lèvres, sa langue cherche ma langue. Nous nous embrassons longuement. La tendresse mapaise, me donne du bonheur. Mais jai toujours du mal à me laisser aller.
Nous enlevons nos blousons, nous nous déchaussons, nous nous allongeons sur le lit et nous nous faisons des câlins dans les bras lun de lautre.
« Je sais que je tai encore fait du mal. Et je déteste ça. Je me déteste pour ça » je lentends me glisser à loreille.
« Ne parlons pas de ça ce soir ».
« Tous les jours javais envie de tavoir dans mes bras » il continue pourtant « Et de faire lamour avec toi. Si je métais écouté, je taurais dit de venir tous les week-ends ».
« Mais tu avais tes matches, et les sorties avec tes potes ».
« Javais tellement plus envie dêtre avec toi que de sortir avec les collègues du rugby. Mais je ne savais pas comment gérer ça. Javais peur. Je me suis laissé guider par la peur ».
« Tu avais tes problèmes ».
« Cest vrai quentre les matches, les entraînements et la fac, jétais en stress permanent. Je ne voulais pas te montrer que je trimais. Mais cétait très dur de te dire « non » à chaque fois que tu me proposais de monter à Paris, parce que jen avais autant envie que toi. Cétait dur de ne pas te voir. Mais le plus dur cétait de penser au mal que jétais en train de te faire, à nouveau, après ten en avoir bien assez fait baver par le passé.
Jen était même arrivé à me dire que ça avait été une connerie de te rappeler après notre bagarre, et de tavoir fait venir à Campan ».
« Pourquoi tu te disais ça ? Je nai jamais été si heureux avec toi quà Campan ! ».
« Parce quen te faisant venir à Campan, je tavais donné des nouveaux espoirs. Si je ne tavais pas rappelé, tu aurais fini par moublier et tu naurais plus souffert à cause de moi. Mais je nai pas pu mempêcher. Je ne pouvais pas accepter de te perdre.
Je savais quune fois à Paris ça aurait été dur de continuer à se voir. Mais je navais pas anticipé quil aurait autant de pression et que ce serait à ce point compliqué de gérer cette distance ».
« Tu ne pouvais pas savoir ».
« Je pensais quà force de te demander des efforts, un jour tu allais en avoir marre et tu allais me quitter ».
« Et tu ne tes jamais dit que tu aurais pu me parler de tout ça et que jaurais pu comprendre et te soutenir ? ».
« Si, jy ai pensé souvent. Si je ne lai pas fait, cest parce que je ne voulais pas tu penses que javais honte de toi. Car je nai pas honte de toi, non. Et pourtant, je ne peux pas assumer notre relation.
Tu sais, quand tu es là, tout me paraît plus simple. Mais dès que je suis seul, tout se complique. Seul, je ny arrive pas. Mais je tiens à toi aussi, beaucoup, beaucoup, beaucoup ».
« Ca me touche beaucoup ».
« Je savais que je te ferais souffrir à nouveau. Je le ressentais au téléphone, dans tes mots, dans le ton de ta voix, dans tes silences, dans tes non-dits. Et ça me fendait le cur ».
« Cest pour ça que tu mappelais moins souvent et que tu mettais du temps à répondre à mes messages ? ».
« Oui. Parce que je sentais que tu nétais pas bien, et que je savais que cétait à cause de moi. Jaurais voulu te rassurer, mais je ne savais pas comment faire. Je ne pouvais plus te faire des promesses sans savoir si je pourrais les tenir. Je me sentais lâche ».
« Je nai jamais pensé que tu es un lâche, jamais ! Jaurais juste voulu que tu mexpliques tout ça plus tôt. Mais je me rends compte que je ne ten ai pas vraiment laissé la possibilité ou même donné lenvie. Je naurais pas dû être aussi dur avec toi, jaurais dû être davantage à lécoute ».
« Tu souffrais, et je comprends tes réactions ».
« Cest parce que tu as eu peur que tu as voulu cette « pause ? » je le questionne.
« Javais limpression quon était dans une impasse. Je savais que je ne pouvais pas te donner plus et je sentais que ce que je te proposais nétait pas assez pour toi. Javais limpression que ton bonheur ou ton malheur dépendaient de moi. Et ça cest une lourde responsabilité, trop lourde pour moi, en plus de mes autres problèmes. Sentir que tu souffrais à cause de moi cétait au-dessus de mes forces ».
« Jai eu limpression quentre ton premier coup de fil et le mien, tu avais complément changé dattitude. Jai eu limpression que dans le premier tu avais encore eu à cur de sauver notre histoire, alors que dans le deuxième, cétait comme si tu avais baissé les bras. Alors je me suis dit quil sétait peut-être passé quelque chose de ton côté qui tavait poussé à prendre cette décision ».
« Cest vrai quil sest passé des choses qui mont pas mal chahuté ».
« Tu veux men parler ? ».
« Un jour, début décembre, pendant un match entraînement » il enchaîne « Léo est venu sur moi comme un ours et ma blessé au genou. Je suis sûr quil la fait exprès. Mais le coach na rien vu et il na pas été puni. Résultat, trois semaines darrêt de jeu. Jétais tellement déçu ! Enfin ça commençait à marcher pour moi, et cette blessure allait me ralentir de plusieurs semaines.
Je lui en voulais énormément, javais envie de lui casser la tête. Heureusement, Ulysse ma convaincu à laisser couler. Mais après un match, ce connard de Léo a commencé à se foutre de ma gueule parce que jétais sur le banc de touche. Jai vu rouge. Je lai frappé, et jai eu trois semaines de mise à pied. Jétais vraiment mal ».
« Jai limpression que ce Léo ne taime pas beaucoup ».
« Ulysse dit quil était lailier espoir de léquipe avant que je débarque. Et depuis mon arrivée, il aurait peur de se faire voler la vedette. Ulysse dit quil me fait chier pour me déstabiliser, parce quil est jaloux de moi ».
« Quel sale type ! ».
« Mais il y a encore autre chose. Quelques jours avant ton coup de fil, jai eu très mal en faisant pipi. Jai fait des analyses et javais une bléno. Quand tu mas appelé, je touchais le fond. Je navais pas envie de me prendre la tête avec toi. Ma vie était déjà bien assez compliquée ».
« Je comprends. Je comprends mieux. Et ta blessure au genou, ça va mieux ? ».
« Oui, ça se remet, cest rien de grave. Jaurais pu jouer le dernier match avant les vacances si je navais pas été mis à pied ».
« Et ta bléno ? ».
« Soignée elle aussi. Et je suis hors période contagieuse ».
En entendant Jérém parler de sa MST, je ne peux mempêcher de penser à l« accident ». Et de me demander comment je vais faire pour lui en parler.
« Tu sais, à Paris, quand ça nallait pas, jai souvent pensé à Campan, à comment on était bien là-haut » il enchaîne après quelques instants de silence « Jai souvent regardé les photos que tu mas données. On était si bien ensemble, loin de tout »
« Moi aussi jai souvent pensé à Campan, et à combien on était heureux là-haut ».
« Jai tellement aimé te tenir dans mes bras devant la grande cascade à Gavarnie ».
Sa douceur et sa tendresse me rendent fou damour, elles effacent toute la souffrance de ces semaines loin de lui, des refus de me laisser aller le voir, de ses silences radio.
Jérém vient de tomber sa belle chemise bleue. Dans son t-shirt blanc ajusté il est sexy à mort. Jai très envie de lui. Peu à peu ses caresses deviennent sensuelles, puis carrément érotiques. Je sens quil a lui aussi envie de passer à létape supérieure. Soudain, je pars ailleurs, et je me raidis.
« Tas pas envie ? » je lentends me questionner.
Le moment est venu, je vais devoir lui parler de laccident, maintenant.
« Si jen ai très envie
mais
jai un truc à te dire
avant ».
« Quel genre de truc ? ».
« Le genre pas facile à dire ».
« Allez crache le morceau ».
« Jai couché avec un mec ».
« Est-ce que tu crois que cest le moment de parler de ça ? ».
« Si, justement, cest pile le moment ».
« Tu avais le droit
».
« Mais cest pas ça le problème ».
« C'est quoi le problème, alors ? ».
« Le problème est que
la dernière fois la capote a cassé. Alors, depuis une semaine, je suis un traitement pour prévenir la séropositivité ».
« Quo
quoi ? ».
« Ça sappelle « traitement de post-exposition », et cest pour écarter le risque ».
« Cest toi qui avais la capote ou lui ? ».
« Lui
».
« Mais tu as couché avec un gars qui a le Sida ? ».
« Non, non ! Enfin, je ne pense pas ».
« Mais si le gars navait rien, pourquoi ils tont donné ce traitement ? ».
« Parce quil na pas voulu se faire dépister. Alors, dans le doute
».
« Et pourquoi il na pas voulu ? ».
« Je ne sais pas. Je lui ai demandé de faire le test, mais je nai pas réussi à le convaincre ».
« Mais quel connard ! ».
« Je vais devoir prendre le traitement pendant un mois. Et je referai un test en mars pour savoir si je suis clean. En attendant, je dois me protéger. Et je me dois de te protéger ».
Son regard brun sassombrit à vue dil, comme les nuages dété apportées par un vent violent et annonçant lorage. Je vois passer dans son regard le flux désordonné des mille pensées qui assaillent son esprit à cet instant. Je capte leur passage en tempête sans savoir de quelle nature elles sont.
Mon regard est suspendu au sien. Jai limpression que ma respiration ainsi que les battements de mon cur sont suspendus, et que le temps lui-même est suspendu à cet instant interminable où tout peut basculer. Que ressent Jérém à cet instant précis, surprise, inquiétude, dégoût ? Est-ce quil va avoir peur pour moi ou peur de moi ? Je sais que je risque de me faire rejeter et je sais que je ne supporterais pas ça.
Et là, Jérém me serre fort dans ses bras et me lance, avec une voix désespérée :
« Ça ne peut pas se passer comme ça. Tu nas rien, Nico, tu entends ? ».
Cest là que je recommence enfin à respirer.
« Jespère, jespère ».
« Cest pour ça que tu ne voulais pas trop membrasser ? ».
« Je sais quil ny a pas de risque de ce côté-là, mais jétais mal à laise ».
« Je croyais que tu faisais la tête ».
« Non, pas du tout ».
Jérém me serre un peu plus fort dans ses bras. Sa proximité me fait un bien fou. Dans ses bras je me sens en sécurité. Je lai rêvé et le rêve est devenu réalité. Je suis heureux.
« Ça veut dire quon ne peut rien faire ? » je lentends me questionner après quelques instants de tendresse pure. Le Jérém doux et sensible est bien là. Mais le Jérém coquin nest jamais loin. Jadore.
« Si, à condition de se protéger ».
« Ça va faire bizarre ».
« Oui, cest sûr. Mais je ne peux pas prendre de risque ».
« On fera ce que tas envie ».
« Tu as des capotes ? » je me surprends à lui demander, sans vraiment arriver à savoir si je préfère quil me réponde oui ou non.
« Je crois que je dois en avoir ».
Le bogoss fouille dans son blouson et il en sort deux capotes de marque.
Evidemment, ces deux petits emballages carrés et bombés me heurtent. Déjà, parce quils sont la preuve que mon bobrun a couché avec des nanas. Ils me heurtent aussi parce que moi aussi jen ai utilisés avec Benjamin, ce qui me met face à laberration davoir couché avec ce mec alors que le seul gars que jaime est Jérém. Ces deux capotes me rappellent aussi que lune de leurs « consurs » na pas assuré et que cela ma conduit à cette situation. Mais en même temps, leur présence me réjouit, car cela va me permettre de faire lamour avec Jérém.
Nous recommençons à nous embrasser avec entrain, pleins de fougue, ivres dexcitation. Je soulève son t-shirt blanc, je lance ma langue et mes lèvres à lassaut de ses pecs, de ses tétons saillants. Je menivre de la tiédeur de sa peau mate, de ses poils bruns qui, ô grand bonheur, nont visiblement pas croisé de rasoir depuis un certain temps, et qui sont en train de bien repousser.
Parcourir sa peau douce, être enivré par la fragrance capiteuse, prégnante, sensuelle, très masculine quelle dégage, ce sont des bonheur dont je ne me lasse pas et qui me mettent dans un état second.
Mais, au fond de moi, je sens que quelque chose perturbe ce bonheur sensuel. Je sens que je ne vais pas pouvoir me laisser aller comme dhabitude. Je sais que je ne vais même pas pouvoir le sucer sans mettre entre lui et moi cette protection qui va tout changer. Je me demande ce quil va ressentir.
Je ne suis pas contre la capote, elle a même un côté excitant, quand on y pense. Mais mettre une capote avec un gars avec qui on a couché depuis presque un an, qui a joui en moi un nombre de fois assez conséquent, est dur à admettre. Jai limpression que cette capote va mettre une distance entre nous, comme si on redevenait deux inconnus qui se méfient lun de lautre.
Ma langue descend vers ses abdos, se laisse guider par le creux de ses tablettes de chocolat, avant de se laisser happer par cette délicieuse ligne de petits poils qui mène à sa virilité. Dans mon fabuleux voyage, je finis par me heurter à la barrière dressée par lélastique épais de son boxer dépassant du jeans. Une barrière stimulante, excitante, mais facile à faire sauter.
Mes doigts impatients sattaquent à sa ceinture, défont sa braguette. Ils écartent légèrement lélastique du boxer, tout juste ce quil faut pour quen approchant mon nez, je puisse me laisser percuter, renverser, envahir par un intense bouquet de petites odeurs tièdes de jeune mâle.
Je glisse mes doigts dans le boxer, je saisis la belle bête raide, je la dégage de sa prison de coton. Je fais glisser le jeans et le boxer sur ses cuisses et je le branle lentement, tout en léchant langoureusement ses boules. Pendant ce temps, ses doigts à lui se glissent sous mon t-shirt, caressent mes tétons, moffrent une tempête de décharges électriques qui se propagent partout dans mon corps. Ses caresses et sa fougue menivrent de bonheur.
Je sais quil va bien falloir que je marrête à un moment pour lui passer la capote, mais je nai pas le courage dinterrompre ce moment de complicité sensuelle. Alors, je repousse cette petite coupure le plus longtemps possible. Sans pourtant arrêter dy penser, ce qui gâche un peu mon plaisir.
Mais je sens que Jérém simpatiente, je sens quil a envie que je le suce.
Je me décide enfin à prendre mes responsabilités. Je quitte sa queue et ses boules, jatt une capote, je la déchire et je tente de la dérouler autour de sa queue. Je me trompe de sens, je dois recommencer, deux fois. Jévite de croiser son regard, je me sens mal à laise. Jérém se laisse faire, sans rien dire. Je sens quil est perplexe. Ça doit lui faire bizarre, tout comme à moi.
Jarrive enfin à dérouler la capote jusquà la naissance de ses bourses. Je saisis son gland entre mes lèvres, je tente dexciter le frein avec ma langue, mais l
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