Histoire Des Libertines (90) : Yu Xianji, Courtisane Et Poétesse
Yu Xianji ou Yu Xuanji (844-871) est une courtisane et poétesse chinoise qui vécut sous la dynastie chinoise des Tang. Elle fut une jeune poétesse brillante mais dont le destin fut tragique.
Ce texte permettra à mes lecteurs et lectrices de découvrir une femme libre, une intellectuelle brillante et qui paya de sa vie cet esprit de liberté.
LA CHINE DES TANG : UNE SOCIETE RAFFINEE ET CRUELLE
Sous la dynastie des Tang, une période dapogée de lempire chinois entre le VIIème et le Xème siècle, les courtisanes sont « les plus beaux ornements », selon les termes de Marc Lemonier, dune société raffinée, hiérarchisée et cruelle.
ELEVATION SOCIALE
Yu Xuanji est née à Chang'an, la capitale des Tang, dans une famille pauvre. Versée dans le chant et la danse, elle fréquente le milieu des étudiants, où elle acquiert des connaissances en poésie, mais aussi dans les arts et la musique.
Rien ne la prédestinait à devenir lune des plus célèbres poétesses de cette période, surtout après avoir été prostituée, puis courtisane.
Elle jouit dune réputation littéraire précoce. Ses talents, combinée à sa beauté, lui permirent de se faire admettre dans une des maisons closes du quartier réservé. Il ny avait, dans la Chine de cette époque, rien dinfamant à cela, notamment pour une jeune fille de basse extraction pour qui cest une indéniable promotion sociale.
DES LIEUX DE PLAISIR ET DE CULTURE : DES HETAIRES CHINOISES !
Dans la Chine impériale, les bordels sont des lieux de plaisir, y compris sur le plan intellectuel et artistique. Un proverbe chinois de lépoque disait : « femme vertueuse est ignorante ». Cest évidemment exagéré, mais on retrouve en quelque sorte en Chine ce qui existait dans la Grèce ancienne avec les hétaïres. Il est dailleurs significatif que le caractère chinois désignant la prostituée veut aussi dire « femme artiste ».
Cette prostitution élégante reposait sur le système des « jiaofang », littéralement une école, où les filles apprennent, entre autres, la danse, la musique, la littérature, la calligraphie et les échecs ! Ce système, qui forme des prostituées « officielles », chargées de divertir mandarins et lettrés, durera jusquà la chute de lempire, en 1911 !
Devenue la concubine de Li Yi, un lettré, lauréat du concours impérial en 858, elle mène une vie de couple harmonieuse mais éphémère, car lépouse légitime de Li Yi refuse dadmettre sa présence.
MONASTERE ET MAISON CLOSE !
Après leur rupture, elle se fait nonne taoïste dans un monastère de la capitale. Si les monastères de l'époque servaient souvent de refuge aux jeunes filles, aux veuves ou aux femmes divorcées, certains accueillaient aussi des courtisanes et servaient de lieu de rendez-vous. Au grand scandale des vrais croyants, ces femmes y menaient une vie libre et joyeuse, vouée aux rencontres avec les hommes. On nimagine pas, dans notre civilisation, les couvents abriter des bordels !
UNE FEMME LIBRE ET UNE MUSE
Censée être cloîtrée, Yu continuera pourtant à voyager librement et fréquemment. Elle acquiert au passage de nouvelles connaissances et fait de nouvelles expériences. Les historiens chinois affirment même que Yu fut lune des premières en Chine à afficher sa bisexualité !
Tout comme la poétesse Xue Tao (770-832), qui fut aussi courtisane, Yu Xuanji était en relation avec des lettrés de son temps.
Ont été ainsi conservés deux poèmes adressés au poète Wen Tingyun (812-870), le maître de la poésie Ci, la poésie chantée. La légende leur attribue une relation amoureuse. Wen est un de ces hauts-fonctionnaires débauchés qui délaissent leur carrière pour fréquenter les maisons closes. Cest au contact des prostituées de haut rang, comme Yu, que Wen découvrira les arts et les lettres. Fréquenter ces femmes, obtenir leurs faveurs, exigeait de la persévérance pour les courtiser et de se ruiner en cadeaux pour les séduire.
Quand elles avaient le choix, ces femmes préféraient devenir lune des concubines dun homme célèbre et riche, comme ce fut le cas pour Yu avec Li Yi.
UNE MARTYRE
Yu se retrouva au milieu des luttes de pouvoir de la dynastie Tang. C'est en effet la période où Wu Zetian s'est accaparée le trône et souhaite mettre en avant les hommes de son clan (dont son neveu Wu Chengsi) au détriment de ses fils, les Li, héritiers des Tang. Il est alors difficile pour les lettrés ayant pris position pour l'une ou l'autre des factions de vivre une vie sans tracas.
Sans quon sache véritablement si sa rupture avec Li Yi fut à lorigine de sa chute, Yu fut accusée d'avoir battu à mort ou étranglé une servante. Yu Xuanji fut exécutée. Elle navait pas 30 ans.
Nul ne sait aujourd'hui si la jeune femme était réellement coupable du crime dont elle fut accusée. Laccusation était sans doute mensongère. La « poétesse sacrée » paie sans doute sa liberté trop voyante. Cela ne lui serait sans doute pas arrivé si elle était restée sagement derrière les murs protecteurs dun bordel de luxe.
Je partage entièrement la conclusion de Marc Lemonier : Yu a payé de sa vie le fait davoir « franchi la frontière qui sépare la courtisane et la concubine dun monde alors interdit aux femmes, celui de la liberté ». Et pourtant la Chine des Tang était quelque part plus ouverte desprit que le monde chrétien de la même époque, particulièrement dur avec la femme, « incarnation de la tentation et du péché ». On nimagine pas, en Occident ou à Byzance, des bordels où les courtisanes sont éduquées pour devenir des artistes, des musiciennes, des intellectuelles. Et on imagine encore moins des couvents abriter des courtisanes, même si les ordres religieux durent souvent rappeler les règles face à des comportements jugés licencieux.
Il ne faut pas pour autant idéaliser la société chinoise. Dune part, seule une toute petite minorité de femmes pouvait bénéficier de cette sorte de « promotion » sociale dont Yu est le symbole. Et dautre part, même pour Yu et ses semblables, il y avait des limites, celui du pouvoir absolu des hommes et surtout des élites, les grands propriétaires, les mandarins, les fonctionnaires, tous ceux qui entouraient lempereur. Yu est sans doute morte parce quelle avait osé franchir ces limites
UN LONG COMBAT POUR LA LIBERTE DES FEMMES
Jai envie de faire un parallèle entre Yu et la vertueuse philosophe Hypatie, massacrée à Alexandrie par des Chrétiens fanatiques, dont jai parlé dans le précédent texte de cette série.
Outre le fait que Yu fait partie dune longue lignée de femmes qui, dans lhistoire, brillèrent par leur esprit que par la liberté de leurs murs, son exécution fait delle une martyre dans le long combat des femmes pour légalité et la liberté. Je me sens proche delle comme je me sens proche des hétaïres de la Grèce ancienne.
REFERENCES :
Marc Lemonier a consacré à Yu Xianji un chapitre (pages 26-30) dans son ouvrage « La petite histoire des courtisanes » (Editions Jourdan, 2018).
Comments:
No comments!
Please sign up or log in to post a comment!