0241 Là Où Tout A (Re)Commencé.
Oui, le père Noël existe. A Toulouse, loin de Paris, un soir de Noël, jai retrouvé le vrai Jérém. Et ce Jérém, je laime comme un fou.
Ce sont les dernières pensées qui ont traversé mon esprit avant de mendormir quelques heures plus tôt dans cette chambre dhôtel, à côté du gars que jaime. Et ce sont les premières qui remontent à ma conscience lorsque je me réveille en ce matin de Noël, dans les bras chauds de mon bobrun.
Dans la pénombre, la pendule de la chambre affiche 9h50. Je nai dormi que 5 heures, mais je suis bien, tellement bien. Alors, je profite de cet instant, je me blottis contre son épaule solide, et je me sens protégé, aimé.
Mais soudain, une pensée dissonante dans cette symphonie de bonheur vient gâcher mon enchantement. Mon traitement ! Jaurais dû le prendre il y a deux heures ! Evidemment, hier soir, bouleversé par le bonheur de retrouver Jérém, je nai pas pensé à en prendre avec moi.
Eh merde ! Il va falloir que je rentre chez moi en vitesse. Je ne vais pas pouvoir profiter davantage de Jérém. Adieu les câlins, la gâterie du matin, le petit déj ensemble. Je vais devoir partir en vitesse, sans savoir quand je vais le retrouver.
Je dois me faire violence pour quitter le lit. Jai limpression que sa peau retient la mienne, comme un aimant.
Lorsque je reviens de la salle de bain, mon bobrun dort toujours. Je commence à mhabiller, mais je ne veux pas partir. Je ne veux pas le quitter. Je ne sais pas comment le quitter.
Je finis de mhabiller, je me chausse, lorsque Jérém commence à remuer sous les draps. Il ouvre les yeux et il me fixe, comme hébété.
« Tu pars ? » il me questionne, la voix pâteuse.
« Je dois prendre mon médoc ».
« Ah daccord. Et tu allais partir sans me dire au revoir ? ».
« Jallais te réveiller ».
Je mapproche de lui, je lembrasse. Ce matin, mon bobrun est gourmand de bisous.
« Je dois y aller » je lance, la mort dans le cur.
« Attends ».
Une seconde après, Jérém est debout. Sa tenue t-shirt blanc et boxer noir est excessivement bandante. Le bogoss sétire, en levant juste un bras. Le coton blanc ajusté à sa plastique se tend autour de laisselle et du flanc, sétire sur ses pecs, moule ses tétons. Limage est sexy à un point que les mots me font défaut pour la décrire.
« Dommage que tu doives y aller » fait le bobrun en sapprochant tout près de moi, si près que je sens sa présence virile envahir sensuellement mon espace vital et intime.
Si près, ses pecs collés aux miens, son bassin plaqué contre le mien, sa queue raide pressée contre la mienne. Si près, le blanc de son t-shirt aveuglant mes rétines, la tiédeur de sa peau mate irradiant dans mon corps, la fragrance de son déo de la veille enivrant mes sens, la vision de ses tatouages et de sa chaînette posée sur le coton fin faisant appel à mes fantasmes les plus torrides.
Si près, sa trique du matin si tentante que lidée de ne pas en profiter est un véritable supplice.
Si tentant, écarter un peu le V de son t-shirt blanc et plonger mon nez dedans pour capter le délicieux bouquet de petite odeur tièdes et envoutantes, petites odeurs viriles de jeune mâle qui me mettent presquen état dhypnose.
« Jai envie de toi » lâche le bogoss, en chuchotant les mots à mon oreille, ses lèvres et sa barbe virile effleurant mon pavillon et provoquant en moi des frissons inouïs. Définitivement, Jérém sait comment faire vibrer mes cordes les plus sensibles.
« Moi aussi jai envie de toi. Très envie. Mais je dois y aller, jai deja plus de deux heures de retard ».
« Je comprends » fait le bogoss, dont la sensualité mentoure comme un brouillard épais.
Je dois y aller, oui, mais je nen ai vraiment pas envie. Surtout sans savoir quand nous allons nous revoir. Surtout sans avoir eu le temps de parler avec lui, de cette « pause » soudainement devenue « connerie ». Sans avoir eu loccasion de discuter de lavenir de notre relation, de comment nous allons affronter les semaines, les mois qui vont venir.
« Tu vas faire quoi ces jours-ci ? Tu restes à Toulouse ? » je finis par le questionner.
« Non, je vais partir ».
« Ah
daccord
» je lâche, déçu, avant dajouter, sur un ton dépité « peut-être que nous nous reverrons en 2002
».
Sur ce, je me dirige vers la porte de la chambre, alors quune immense solitude et une infinie tristesse envahissent déjà mon esprit. Je le savais. Retrouver Jérém, cest à chaque fois le perdre à nouveau.
« Attends, Nico » je lentends me lancer, alors que sa main puissante saisit mon avant-bras, mobligeant à marrêter net. Un geste qui me rappelle celui par lequel il mavait retenu sous la halle de Campan le jour où jétais allé le rejoindre, et que javais failli repartir aussitôt.
Je me retourne vers lui, je croise son regard brun, à la fois doux et sensuel.
« Et toi, tu as prévu quoi pour les jours à venir ? » il me questionne à son tour.
« Rien de spécial, je vais rester chez mes parents, réviser pour les partiels ».
« Et tu vas pas te faire chier ? ».
« Si, je crois ».
« Pourquoi tu ne viendrais pas avec moi ? ».
« Et tu vas où ? ».
« A Campan ».
CAMPAN. Six petites lettres qui dégagent pour moi la musique la plus douce, la mélodie la plus émouvante. Je « mabsente » pendant quelques secondes en rêvant au bonheur de Campan, à limmense joie qui vient de menvahir en entendant Jérém me faire une telle proposition, tout en me demandant comment je vais encore annoncer ça à mes parents.
« Alors, tu en dis quoi ? » fait mon bobrun, qui semble simpatienter.
« Mais bien sûr que je vais venir ! » je lui lance, en me précipitant pour le serrer dans mes bras et le couvrir de bisous.
« Tu mas fait peur » je lentends lâcher, après avoir poussé un soupir de soulagement.
« Peur ? » je fais, étonné.
« Pendant un instant, jai cru que tu allais dire non ».
« Comment veux-tu que je dise non à Campan, avec toi ! » je mexclame, tout en continuant à le couvrir de bisous.
« Ourson à moi ! » il me glisse à loreille, un petit mot qui me fait vibrer comme peu dautres.
« Ptit loup » je lui lance, la voix cassée par les larmes.
« Allez, il faut y aller, tu dois prendre ton médoc ».
« Ouais, je vais y aller ».
« Je vais te ramener ».
« Tembêtes pas, je vais prendre le bus ».
« Discute pas » fait le bogoss, en passant sa belle chemise et en faisant disparaître son t-shirt immaculé au fur et à mesure quil referme les boutons.
Une petite minute plus tard, le bogoss est habillé. Il passe à la salle de bain, il enfile son beau blouson en cuir et il est prêt à partir.
Dans lascenseur, je ne peux mempêcher de lembrasser à nouveau comme pour le remercier pour tant dattention et de bonheur. Son sourire à la fois heureux et ému me fait vibrer.
Lorsque nous sortons de lhôtel, une surprise nous attend. Une couche de neige sest posée sur la ville pendant la nuit. Et dans la seconde qui suit, Jérém ne peut renoncer à la tentation dattr une poignée de poudreuse sur une voiture et de me la balancer à la tête. Une « déclaration de guerre » à laquelle je riposte avec la même arme.
Nous nous retrouvons ainsi à nous balancer des boules de neige, comme des gosses, en évitant parfois de justesse les passants que nous croisons. Le rire de Jérém est beau, franc, contagieux. Je crois que je ne lai jamais vu si fripouille, si épanoui, si heureux. Au fond de moi, je ressens un bonheur si intense que mes rires deviennent des larmes, des larmes de joie.
Ce gars je laime, je laime, je laime. Il ny a quavec lui que je suis si heureux. Il ny a que son bonheur qui me rend si heureux.
« Tu voudrais partir vers quelle heure ? » je le questionne alors que nous traversons la Garonne par le pont St Michel.
« Tout de suite ».
« Quoi ? »
« Je ne peux rester une minute de plus dans cette ville meurtrie. Ça me fait mal au cur ».
« Mais moi je dois en parler à mes parents ».
« Tu leur annonces, tu prends quelques affaires et tu te casses. Tu es majeur, Nico ».
« Cest vrai ».
Jérém a raison. Plus vite je pars, moins jaurai dexplications à donner. Ça me fait de la peine pour maman qui ne pourra pas profiter de ma présence autant quelle laurait voulu. Mais vis-à-vis de mon père, je nai vraiment pas envie de traîner.
Jérém trouve une place pour se garer à dix mètres à peine de chez mes parents.
« Allez, je file. A tout de suite ».
« Je vais appeler Charlène, et essayer de nous faire inviter à déjeuner » fait-il, avec un petit regard insolent laissant sous-entendre son assurance que sa « maman dadoption » ne saurait rien lui refuser.
Nous ne nous embrassons pas, mais le sourire complice que nous nous échangeons a presque le même effet dun baiser.
Une minute plus tard, je franchis le seuil de la maison non sans une certaine appréhension.
La première personne que je croise dans le séjour est papa.
« A la bonne heure. Tu étais passé où ? Tas dormi où ? » il me questionne sur un ton agressif.
« Jétais chez un copain ». Ça cest la première réponse, politiquement correcte, qui mest venue à lesprit. Mais ce nest pas elle que je choisis de livrer à mon paternel.
« Jétais avec mon copain. Mon petit copain » je lui balance à la figure, comme si javais cessé davoir peur le lui.
« Cest encore ce sale gars je parie ».
« Oui, il sagit bien de lui ».
« Tu me fais honte Nicolas ».
« Cest toi qui me fais honte » je me surprends à lui balancer.
« Ecoute moi, tu devrais vraiment te faire soigner. Je me suis renseigné, il y a des bons médecins qui peuvent taider ».
« Mais maider à quoi, bon sang ? ».
« A redevenir normal ».
« Mais je suis normal, et je nai jamais été différent de celui que je suis aujourdhui. A 10 ans, même à 8 ans, je savais déjà que jétais intéressé par les garçons ».
« Tais-toi, tais-toi ! ».
« Tu as une mentalité tellement étriquée. Quand je pense quado, je voulais te ressembler. Mais ça cest fini, fini ».
« Tu vas trop loin, Nicolas. Fais attention ! ».
« Je men fiche ! De toute façon, tu ne mas jamais soutenu. Tu as toujours pensé que je suis nul. Le champion de la famille, cest Cédric. Moi cest le looser. Tu me las bien fait sentir, depuis toujours, et encore hier soir. Alors, que tu penses que je suis nul, ou que je suis une merde parce que je suis pd, tu vois, je nen ai plus rien à faire. Je men tape, complet. De toute façon, quoique je fasse, tu trouverais toujours le moyen de me rabaisser. Alors, je vis ma vie. Et je renonce à chercher ton approbation ».
Cest là que je capte du coin de lil la présence de maman sur le seuil de la cuisine. Je ne sais pas depuis combien de temps elle là et si elle a tout entendu.
« Je vais partir quelques jours à Campan, maman » je lui lance, en essayant de me calmer, les larmes aux yeux.
« Oui, mon chéri, tu seras mieux à Campan ».
« Je repasserai avant de repartir à Bordeaux ».
« Ne te sens pas obligé de repasser » fait papa en séloignant, en direction de son garage adoré.
« Je viens voir maman, jai le droit ? ».
« Mais oui tu as le droit. Tout comme moi jai le droit de ne plus payer tes études foireuses ».
« Un seul mot de plus et je pars dormir chez ma sur, même si cest Noël, compris ? ».
« De toute façon, dans cette maison je nai que le droit de bosser et de fermer ma gueule ».
« Tant que tauras que des mots débiles à proférer, ce sera le cas ».
« Ça sest bien passé cette nuit ? » me demande maman lorsque nous sommes seuls.
« Très bien »
« Alors ça sest arrangé avec Jérémie ? ».
« Et comment ! ».
« Je suis heureuse pour toi ».
« Merci maman ».
« Mais dis-moi, les routes sont praticables pour aller Campan ? Tu devrais appeler la sécurité routière pour savoir si le plateau de Lannemezan est dégagé ».
« Tu as raison, je vais le faire ».
« Donne-moi des nouvelles, mon lapin ».
Une minute plus tard, je retrouve Jérém dans sa voiture. Le bobrun est tout guilleret et ça fait plaisir à voir.
« Charlène nous attend pour midi, avec Martine, JP et Carine » il me lance, en quittant la place de stationnement.
« Cool ! » je mexclame. Lidée de retrouver une partie des cavaliers, et a fortiori ceux avec qui jai le plus sympathisé, me réjouit.
« Alors, ils ont dit quoi tes parents ? ».
« Maman est heureuse pour moi ».
« Et ton père me déteste, cest ça ? ».
« Je crois que mon père naime personne. Je ne sais même pas sil saime lui-même ».
« Il doit penser que cest moi qui tai abordé et qui tai rendu pd ».
« Il y a un peu de ça. Mais je men fiche. Je nai même pas envie de le lui expliquer. On ne peut pas parler avec lui ».
La voiture quitte la ville, puis la rocade. Sur lautoroute vers Campan, vers le bonheur avec mon Jérém, jai limpression de recommencer à respirer. Lidée de partager les jours à venir avec mon adorable bobrun, de nous retrouver, de faire lamour avec lui, de discuter menchante. Et la perspective de passer des moments en compagnie de gens tolérant et bienveillants, de fêter peut-être le passage à la nouvelle année avec eux, ce sont autant de sources de bonheur.
Un bonheur parfait ou presque, car entaché par laccrochage avec mon père. Je naurais jamais pensé quun jour mon père me lancerait des mots si durs. Tout comme je naurais jamais pensé que je me permettrais un jour de lui balancer des mots si blessants.
Au fond de moi, et même si sur le coup jai ressenti un sentiment de soulagement, je regrette déjà certains de mes mots. Parce quau fond de moi, je sais que cette dispute est un nouveau grand coup de pelle donné au fossé qui nous sépare depuis longtemps, un fossé désormais transformé en canal infranchissable.
Je me dis que jai été trop loin. Je me dis que maman doit souffrir de ce conflit entre papa et moi. Je voudrais avoir le pouvoir dapaiser tout ça. Mais je ne vois vraiment pas comment my prendre.
Je nai aucune crainte en ce qui concerne le financement de mes études, maman ne lui permettra jamais de me couper les vivres. Ma crainte, cest plutôt au niveau de leur couple. Jusquici, maman a lair de tenir tête à papa sans trop lui en vouloir. Jignore quelles sont leurs relations en mon absence. Jespère juste que maman ne va pas en avoir marre, un jour.
Cette menace : « Un seul mot de plus et je pars dormir chez ma sur, même si cest Noël » ma surpris, et ma fait peur. Et si mes parents se séparaient ? Un certain nombre de mes copains de lycée ont vécu cela. Souvent mal. Jérém aussi a vécu cela. Très mal. Il était plus jeune, certes, et ça sest passé de façon brutale. Mais est ce quon est préparé un jour au divorce de ses propres parents ?
Bien sûr, ça fait un certain temps que je me suis rendu compte que mes parents ne sont plus vraiment amoureux. Il y a de laffection entre eux et une volonté dassistance mutuelle, comme énoncé dans le mariage. Et il y avait également de lestime réciproque. Bref, une « charpente » qui fait tenir pas mal de mariages.
Mais cette charpente en équilibre précaire cest moi qui lai faite vaciller. Il a fallu que je fasse mon coming out. Oui, je suis amoureux, et cest souvent quand on est amoureux quon est enfin prêts à sassumer. Mais ai-je été trop imprudent, trop naïf, trop égoïste ?
En me dévoilant, jai fait exploser chez mon père toutes les frustrations accumulées depuis des années à mon égard, et elles se sont cristallisées autour de ma sexualité, un sujet facile à démoniser.
Au fond de moi, je savais quil ne laurait pas bien pris. Mais je ne mattendais pas non plus à quil le prenne si mal. Jespère seulement que maman va tenir bon. Jen serais malade si mes parents se séparaient à cause de mon coming out.
Après cette dispute, je me sens très mal à laise avec lidée de vivre grâce à largent de papa, alors quil napprouve ni ma vie ni mes études.
Soudain, je me souviens avoir vu à Bordeaux quune célèbre chaîne de restauration rapide recherche du personnel pour faire chauffer du surgelé et pour transformer des poudres en boissons. Je devrais peut être répondre à cette annonce. Une annonce qui ma fait rire, car elle parlait de cet endroit en utilisant le mot « restaurant ». Terme qui techniquement nest pas inexact, faute dêtre approprié à ce genre dendroit.
« A quoi tu penses ? » me questionne Jérém alors que nous passons le péage de Muret.
« A la dispute avec mon père ».
« Il a été mauvais ? ».
« En gros, il ma dit que je lui fais honte et quil ne veut plus me voir. Je naurais jamais dû lui dire ».
« Tu las fait parce que tu en avais besoin. Maintenant cest fait, tu ne peux plus revenir en arrière. Mais tu nas plus besoin de sa bénédiction ».
« Je sais, mais je dépends encore de son argent pour mes études. Je pense que je devrais prendre un job pour ne plus devoir complètement dépendre de lui ».
« Mais si tu prends un job à côté, tu vas arriver à réussir tes études ? ».
« Tu y arrives bien avec le rugby et tes études ».
« Jessaie. Mais nous les sportifs nous avons des cursus aménagés ».
« Tu ne laisses pas tomber, alors ? ».
« Non, pas pour linstant. Jai des partiels en janvier, je vais voir comment je men sors ».
« Et tu les sens comment ? ».
« Jai du retard à rattr. Je vais devoir travailler un peu cette semaine. Jai mes cours dans la malle ».
« Ça tombe bien parce que moi aussi jai mes cours avec moi et beaucoup de retard à rattr. Nous nous motiverons lun lautre ».
« Je veux bien », il fait en me souriant. Et son sourire est beau, lumineux et rassurant comme le soleil qui illumine la route vers le bonheur de Campan.
« Ah, tant que jy pense, je vais appeler la sécurité routière pour savoir si lautoroute est praticable à Lannemezan ».
« Tu as le numéro ? ».
« Je lai pris avant de partir ».
« Eh beh » fait le bobrun, lair impressionné que jy aie pensé. Merci maman.
« Alors ? » me questionne Jérém dès que je raccroche.
« Ils disent que pour linstant le plateau est dégagé mais quil y a un risque neige à tout moment ».
« Il faut quon se dépêche, alors » fait le bogoss en se penchant vers moi pour me faire un bisou.
« Cest marrant » je lentends lâcher, après un petit moment de silence.
« Quest ce qui est marrant ? ».
« En fait, hier soir, quand jai reçu ton sms, jétais moi aussi en train de ten écrire un, au même moment ».
« Cest vrai ? ».
« Enfin, jessayais depuis un petit moment. Mais je ne savais pas par où commencer. Je crois que je nosais pas ».
« Pourquoi tu nosais pas ? ».
« Parce que je tai fait trop de mal. Et que je ne veux plus ten faire. Et parce que jai limpression que je finis toujours par te faire du mal ».
« Mais aussi beaucoup de bien » je lui lance, en glissant mes doigts dans ses beaux cheveux bruns.
« Je crois que si tu ne mavais pas envoyé ton message en premier, tu ne serais pas dans cette voiture. Et tu me manquerais à en crever ».
« Mais tu mavais dit quon se verrait à Noël ».
« Oui, mais cétait avant que je te demande de faire une pause, et avant tous mes derniers soucis. Je ne sais pas si jaurais osé revenir vers toi. Je ne veux pas que tu penses que je viens te chercher quand ça va mieux et que je te laisse tomber quand ça va mal. Tu ne peux pas savoir à quel point je suis heureux que tu maies envoyé ce message ».
« Et moi je suis heureux de te lavoir envoyé ».
« Je commençais à penser que tu étais passé à autre chose
».
« Comment as-tu pu penser une chose pareille ? ».
« Je ten ai fait pas mal baver ».
« Cest vrai, tes silences et la distance que tu as mis entre nous mont rendu dingue. Et quand jai su que tu couchais avec des nanas, ça ma rendu fou de jalousie ».
« Moi aussi été jaloux de toi, tu sais
».
« Tas été jaloux de qui ? ».
« Des mecs que tu aurais pu rencontrer à Bordeaux. Comme je lai été de ce fameux Stéphane, ou du mec avec qui tu as failli partir une fois de la boîte de nuit, et avec qui tu étais le soir de mon accident. Ou du mec du On Off avec qui on a fait un plan. Ou de Thib. Jai toujours pensé quils pourraient finir par te plaire plus que moi ».
« Pourquoi me plaire plus que toi ? ».
« Parce que nimporte quel gars aurait davantage à toffrir que moi ».
« Plus
de quoi ? ».
« Plus quune vie à se cacher. Plus que des silences, de la distance, des questions ».
« Personne ne moffre plus que ce que toi tu moffres. Le bonheur que je ressens avec toi, aucun autre gars ne me la jamais apporté ».
« Et il est sorti doù ce mec de la piscine ? ».
« Un jour dépreuve du bac, je faisais la sieste sur la pelouse autour de la cathédrale de St Etienne, et son chien ma réveillé. Le mec est venu sexcuser, on a sympathisé. Il ma invité prendre un verre chez lui, et on sest revus. Mais Stéphane a été surtout un vrai pote pour moi ».
« Tu as gardé contact avec lui ? ».
« Pas vraiment, il est parti vivre en Suisse ».
« Mais sil nétait pas parti, tu le verrais toujours ? Je veux dire, tu serais peut-être avec lui
».
« Je ne sais pas, Jérém. Quand jai rencontré Stéphane, je ne croyais pas quun jour notre relation serait autre chose quune succession de baises comme elle létait au départ. A lépoque, tu ne me laissais aucun espoir. Stéphane est un gars qui assume son homosexualité, il a déjà été en couple, et il correspondait mieux à ce dont javais besoin. Mais il était sur le point de partir. De toute façon, rien ne peut prouver que ça aurait marché entre nous.
Et puis, cest de toi dont je suis fou, Jérém. Tu sais, le soir où je suis venu te voir à la salle de sport du terrain de rugby, javais rendez-vous avec lui. Quand jai reçu ton sms, jai annulé à la dernière minute, et cest toi que je suis allé rejoindre ».
« Et il y a eu dautres gars ? ».
« Il y a eu un type que jai rencontré au On Off, un soir où on sétait pris la tête. Cétait le soir où ta voisine a failli nous gauler dans lentrée de ton immeuble ».
« Tas été au On Off ce soir-là ? ».
« Je ne suis pas rentré, je suis juste passé devant. Ce mec était dehors, il ma dragué, je lai suivi chez lui. Mais cétait une grosse erreur ».
« Pourquoi ça ? ».
« Parce que jétais mal et javais besoin de réconfort. Alors que le mec voulait juste tirer son coup. Il ma foutu à la porte dès quil a eu ce quil voulait. Jétais pas bien avant, et jétais encore plus mal après ».
« Je suis désolé pour ce soir-là, jai été vraiment con avec toi. Heureusement que tu as oublié ton portable. Ça ma donné loccasion de venir te voir. Je voulais savoir comment tu allais ».
« Cette semaine-là, quand tu es venu tous les jours me voir à la pause, cétait tellement génial. Pendant cette semaine, jai vraiment senti que tu tenais à moi ».
« Je tenais à toi bien avant, mais cétait dur à admettre. Pendant cette semaine, jai voulu rattr le coup avec toi. Parce que javais eu peur de te perdre ».
« Mais après tu as encore changé radicalement dattitude, et du jour au lendemain ».
« Tu sais, je ressentais des trucs pour toi que je navais jamais ressentis pour personne. Et ça remuait pas mal des choses en moi. Jai senti quon sattachait trop lun à lautre et jai eu peur de souffrir, et de te faire souffrir ».
« Cest pour ça que tu as arrêté de venir me voir ? ».
« Oui, à cause de tout ça. Et aussi à cause du coup de fil de Paris. Quand ma nouvelle vie sest dessinée, je me suis dit que de toute façon, une fois là-bas, tout se terminerait entre nous. Je nai jamais cru aux relations à distance ».
« Et tu maurais quitté comme ça, après cette semaine magique, sans un mot ? ».
« Te revoir aurait été un déchirement, je naurais pas supporté de te voir souffrir ou pleurer à cause de moi. Je me suis dit que si je me comportais comme un connard, tu te dégoûterais de moi et tu moublierais plus vite ».
Cette conversation à « cur ouvert » avec Jérém, sa façon de souvrir à moi « sans filtres » me touche beaucoup. Jai adoré recevoir enfin la réponse à des questions restées de longs mois en suspens. Ses mots me font du bien, me rassurent quant à ses sentiments pour moi et me montrent sa réelle difficulté à les assumer. Je me rends compte des pas de géant que Jérém a accomplis en si peu de temps. Aujourdhui, il assume le fait dêtre gay. Il assume le fait de maimer. Et il assume le fait de me le montrer.
Ce quil nassume pas, parce que son entourage ne ly encourage pas du tout, cest de vivre notre histoire au grand jour.
Et ce quil redoute par-dessus tout, cest de me faire souffrir.
Lautoroute défile sous mes yeux, avec ses paysages couverts par une couche de neige que le soleil fait étinceler comme une immense boule à facettes. Chaque pont dépassé, chaque sortie laissée derrière nous méloigne un peu plus de Toulouse et de mes soucis familiaux, tout en mapprochant un peu plus du bonheur de Campan, ce bonheur qui mattend en compagnie de mon Jérém.
Un bonheur qui sera, hélas, à durée déterminée. Pendant quelques jours, la magie de Noël va nous entourer et nous donner une parfaite illusion du bonheur. Mais quadviendra-t-il de nous à la rentrée ? Est-ce que tout va recommencer comme avant ? Le rugby, la distance, les silences, lattente, les doutes, les sorties de Jérém avec ses potes, ses coucheries avec les nanas, les miennes avec dautres mecs, les capotes, les MST ?
Est-ce que ces retrouvailles de Noël vont être une belle parenthèse enchantée comme les premières retrouvailles à Campan ou vont-elles devenir le point de départ dune nouvelle phase de notre relation ? Dans ce cas, sur quelles bases allons-nous faire repartir notre relation ? Comment allons-nous composer avec lattente de mon test jusquen mars ?
Nous devons impérativement parler de notre avenir. Tant de questions se bousculent dans ma tête, mais je sais que ce nest pas le moment de les affronter. Nous aurons le temps et loccasion pour cela.
Pour linstant, je profite du beau soleil de ce matin qui ressemble à une renaissance. Je me laisse transporter par le défilement incessant du paysage sous mes yeux, comme une invitation à aller de lavant. Et cette main ferme et tiède que mon Jérém pose sur ma cuisse me rassure, me donne tant despoir.
Plus nous avançons vers les Pyrénées, plus le ciel se couvre. Kilomètre après kilomètre, la couche de neige qui recouvre le paysage se fait de plus en plus conséquente. Nous traversons le plateau de Lannemezan de justesse, alors que la neige tombe et commence à prendre sur la chaussée fraîchement dégagée. Je suis touché par la féérie hivernale des bois, avec leurs arbres saupoudrés de neige fraîche qui longent lautoroute.
Nous nous apprêtons à quitter lautoroute, lorsque mon portable émet un son de notification. Cest un message de maman.
« Profite bien de tes vacances. Oublie ce qui se passe à la maison, ne ten fais pas, ça va sarranger ».
Elle est adorable.
« Merci maman, je tadore ».
« Cest qui ? » me questionne mon bobrun, un brin possessif.
« Cest maman ».
Me voilà suffisamment loin de Toulouse et rassuré pour vivre mon bonheur à fond. Nous voilà partis pour un nouveau beau voyage dont la destination est lendroit exact où jai été le plus heureux de ma vie, avec mon Jérém. Je regarde mon bobrun, il me regarde. Il me sourit. Quest-ce quil est beau et adorable. Je lui fais un bisou rapide.
Les jours à venir sannoncent heureux.
Après avoir quitté lautoroute à Tournay, lambiance de la montagne se fait plus marquée. Nous traversons des villages solitaires, comme endormis, enrobés par la neige. On a limpression dêtre au beau milieu de nulle part, et loin de tout. Cest à la fois beau et mélancolique. Et pourtant, dans ce « milieu de nulle part » je suis bien comme nulle part ailleurs. Parce que jy suis en compagnie du gars que jaime.
La neige ne cesse de tomber, et plus nous avançons vers notre destination, plus la route est encombrée. Les quelques bornes restantes sétirent, car Jérém est obligé de rouler au pas.
Malgré ses précautions, je sens la voiture patiner par moments, dér à larrière. Ça nous fait des petites frayeurs, mais aussi beaucoup de rires. Notre complicité retrouvée me met du baume au cur.
Malgré la neige insistante, Jérém insiste pour faire une halte à Bagnères et faire quelques courses. Pendant quil part au bureau de tabac pour sacheter des cigarettes, je vais à la pharmacie acheter des capotes et du gel.
Nous reprenons la route alors que la visibilité est de plus en plus mauvaise et la viabilité de plus en plus difficile à cause de la neige qui saccumule sur la chaussée. Jérém est obligé de sarrêter et de monter à la hâte des chaînes neige tirées de la malle de sa voiture. Le bogoss a tout prévu.
Les chaînes me rassurent, mais il me tarde darriver. Il me tarde dêtre en sécurité et au chaud dans une maison, et non pas dans une voiture qui pourrait être bloquée par la neige.
A la vision du premier panneau indiquant la direction de Campan, je suis envahi de souvenirs. Soudain, je sens un frisson géant monter de mon bas ventre et se propager dans tout mon corps, jusquà mon esprit.
Je repense au coup de fil de Jérém après son accident, inespéré. A son invitation à aller le rejoindre à Campan, « je tattendrai sur la halle ».
Je repense au jour de mon départ, à ma fébrilité, à ma voiture qui ne veut pas démarrer, à mon pote Julien qui vient à ma rescousse avec sa propre voiture et des câbles. A la route, sous la pluie battante. A mes espoirs, à mes angoisses, à mes questions.
Je me souviens de lintense mélancolie que javais ressentie en découvrant ce paysage de montagne, les villages aux bâtisses en pierre. De mon excitation à lapproche de Campan. Je me souviens que jen tremblais.
Je me souviens dà quel point jappréhendais les retrouvailles avec Jérém, autant que je les appelais de tous mes vux. Et je me souviens que jétais en retard, et que je me disais, de plus en plus inquiet : « pourvu quil soit encore là ».
« CAMPAN ».
Lorsque le panneau dentrée dagglomération rentre dans mon champ de vision, les six lettres me percutent comme une gifle puissante. Je me souviens que lorsque ce panneau sétait présenté à mes yeux pour la première fois, quatre mois plus tôt, mon cur avait eu des ratés.
Et voilà la fameuse halle, avec son toit recouvert dardoise et ses piliers en pierre. Je me souviens de mon émotion lorsque je lai vue pour la première fois, mon lieu de rendez-vous pour les retrouvailles avec Jérém.
Et voilà le petit boulevard où je me suis garé ce jour-là. Jérém sy engouffre pour se garer, « on va faire un coucou à Martine ».
Je me revois en train de le remonter, ce petit boulevard, de me hâter en direction de la halle en pierre. De me « hâter » comme je le pouvais, alors que javais les jambes en coton, le souffle coupé, le cur dans la gorge, les mains moites, la tête qui tournait.
La neige continue de tomber, mais à un rythme moins soutenu. Il y en a facilement quinze centimètres partout, et ça a un côté vraiment apaisant.
Le claquement des portes de la voiture, nos voix, nos rires, le crissement sourd de chacun de nos pas, chaque son est comme atténué par la présence de la poudreuse. Le temps lui-même semble comme ralenti et apaisé par la présence de la neige.
A linstant même où nous passons la porte de la superette, Martine nous accueille avec un sourire aussi solaire que bruyant.
« Ahhhhh, les voilààààààààààà les garçoooooooooooooooooons !!!!!!!!!!!!! ».
Elle est, à elle toute seule, un comité daccueil.
« Salut Martine. Tu vas bien ? » fait Jérém.
« Ah, on se tutoie encore, monsieur le joueur pro de rugby ? ».
« Tais-toi et viens faire la bise ».
Et là, ladorable cavalière fait le tour de son comptoir et vient nous prendre dans ses bras et nous faire des bises on ne peut plus démonstratives.
« Ça fait plaisir de vous voir ».
« Moi aussi je suis content de te voir » je lui réponds.
« Alors comment tu vas Nico ? Les études, la vie à Bordeaux
».
« Eh doucement » fait Jérém, taquin « on vient darriver. Laisse-nous souffler un peu. De toute façon tu viens manger chez Charlène, non ? ».
« Oui, il semblerait que je sois invitée ».
« Alors on te dira tout à table ».
« Daccord, je range ma curiosité, mais je la ressortirai tout à lheure. Je veux tout savoir ».
« Tas un dessert et une bouteille de vin ? ».
« Oui, jai ça, pourquoi ? ».
« Pour ce midi ».
« Tinquiètes, champion, je men occupe ».
« Non, jinsiste » fait Jérém.
« Allez, du vent. Allez prendre lapéro chez Charlène. Moi jarrive, le temps de me débarrasser des derniers clients et de fermer la boutique ».
« Cette nana est vraiment super » fait Jérém alors que nous regagnons la voiture les mains vides. La neige fait une pause. Mais le village ressemble désormais à un immense gâteau recouvert de crème fouettée.
Avant de repartir, Jérém appelle Maxime pour annoncer que nous sommes bien arrivés à destination. Je fais la même chose avec maman.
Nous remontons la petite allée. Le temps que Jérém donne la priorité à une voiture qui roule à trois à lheure, la halle se dresse fière et massive devant nous.
Je me souviens de linstant où jai aperçu sa présence dans la pénombre, sa carrure, son attitude de mec. Il était de dos, lépaule appuyée contre le pilier dangle du bâtiment, habillé dun pull gris avec la capuche rabattue sur sa tête. Jai ressenti le vertige, ma vue sest brouillée. Je me souviens davoir eu envie de faire demi-tour. Et je me souviens avoir entendu de cette voix au fond de moi se lever pour crier :
« VAS-Y ! ».
Je me souviens du moment où il sétait brusquement retourné vers moi, alors que jétais encore à plus de cinq mètres et que le bruit de la pluie couvrait toujours le bruit de mes pas. Comme si je lavais appelé. Comme sil avait senti ma présence.
Je me souviens de sa barbe de quelques jours, de ses cheveux en bataille, des traces des coups de sa bagarre sur son visage, de son beau et doux sourire qui ma fait craquer.
Je me souviens du silence entre nous.
Je me souviens de ses mots : « Tu es très beau ».
Je me souviens quil portait sous son pull le maillot de rugby que je lui avais offert.
Je me souviens de ses excuses : « Je me suis vraiment comporté comme un con avec toi
». « Je suis vraiment, vraiment désolé
».
Je me souviens avoir pleuré et je me souviens que Jérém mavait pris dans ses bras.
Je me souviens de ses aveux : « Cest trop dur de vivre « ce truc » quil y a entre nous
toi tas envie de le vivre à fond, moi ça me fait peur ».
Je me souviens de ma déception. De mon envie de repartir sur le champ. Je me souviens de sa main qui avait saisi fermement mon avant-bras pour me retenir.
Et je me souviens davoir eu léclair mental de lui demander : « Ça veut dire quoi MonNico ? ». « MonNico », un mot que javais entendu prononcer pour la première fois par une nana qui avait décroché son portable. Cétait mon dernier appel, cétait quelques jours avant son accident.
Je me souviens que dans un coin de la halle de Campan, pendant que la pluie tombait à seau dehors, Jérém mavait donné un vrai baiser pour la toute première fois, un baiser à la fois fougueux et presque désespéré.
« Ça te convient comme réponse ? ». « Tu voulais savoir ce que ça veut dire MonNico
». « Tu mas manqué
».
Et je me souviens que ce baiser et ces mots mavaient décidé à rester.
Je me souviens aussi de la dame qui traversait la halle à ce moment-là et qui nous avait regardés de travers parce quelle venait de voir deux gars en train de sembrasser.
Et je me souviens que Jérém mavait donné son pull pour sortir de la halle sous la pluie battante.
En quittant Campan pour rejoindre le centre équestre de Charlène, nous passons devant lembranchement pour la petite maison.
Je me souviens de la route étroite et sinueuse. De limpression dêtre enveloppé par la montagne, une présence qui force le respect.
Je me souviens de la petite maison au toit en ardoise, posée dans un décor de nuages, de pluie et de brouillard. Du feu dans la cheminée, de lodeur du feu de bois, de la chaleur accueillante de cette petite maison.
Je me souviens que dès le seuil de la maison franchi, Jérém mavait plaqué contre le mur et mavait embrassé à nouveau, comme affamé, insatiable. Et je me souviens avoir vu dans ses yeux le regard dun petit gars plein de tendresse et de bonheur.
« Tu penses à quoi, Nico ? » jentends à nouveau mon Jérém me questionner, me tirant soudainement de mes souvenirs.
« A tout le bonheur que tu mapportes. Et au fait que cet endroit cest un Paradis sur terre ».
Le bobrun me sourit et cest beau à en pleurer.
A lapproche du centre équestre de Charlène, je ressens une nouvelle vague de souvenirs me submerger.
La rencontre avec cette grande dame qui a été et qui est toujours une sorte de maman de substitution pour mon Jérém. Charlène qui nous surprend en train de sembrasser dans un box de chevaux. Jérém qui essaie de nier ce qui vient de se passer. Charlène qui le met à laise, lui disant que cela ne changera rien pour elle.
Et puis ma première balade à cheval, Jérém préoccupé par ma sécurité, au petit soin lors de ma chute ; à la soirée fondue organisée par Martine, à la guitare de Denis, à cette ambiance bon et bonne humeur qui a ma tant touché. Et je me souviens du coming out de Jérém, un soir, devant ses potes. Certainement, lune des plus grosses surprises que mon Jérém ne maie jamais fait.
Après avoir garé la voiture devant la réserve de fourrage, et avant même daller voir la maîtresse des lieux, Jérém passe direct la porte e lécurie. Un instant plus tard, il est en train de faire des papouilles à son bobrun de cheval Unico.
Quest-ce que jaime ce Jérém attachant qui va direct au contact de ces équidés qui sont comme un lien direct avec son enfance, et avec ses grands-parents. Jaime ce côté « terrien » qui ressort lorsquil retrouve ses racines.
En ville, Jérém est un garçon qui aime soigner son apparence, se mettre en valeur. A Campan, il est tout autre. A Campan, il se fiche que son cheval mette du bazar dans son brushing ou que, dans lélan des câlins, il laisse de la mousse blanche sur son beau blouson en cuir. A Campan, Jérém devient « nature », et ça, je kiffe à mort. A Campan, Jérém sourit souvent, beaucoup plus souvent quailleurs. A Campan, il est heureux. Et ça, ça me rend heureux comme un fou.
Dans le box dà côté, « ma » Tequila simpatiente pour recevoir sa part de câlins. Une tâche à laquelle je mattèle avec plaisir. Un cheval cest tout aussi affectueux et démonstratif quun chien. Et le contact avec lanimal, dun naturel sans filtres, qui montre tout ce quil ressent, et notamment lamour, ça fait du bien, et ça apaise.
« Eh beh, ils ont lair contents de nous voir » je lance.
« Ça doit faire au moins deux mois quils nont pas été montés. Ils ont envie de sortir. Mais vu la couche quil y a dehors, cest pas dactu ».
« Viens » fait Jérém en mattrapant par la main, en mattirant contre lui et en membrassant doucement « on a encore une visite à faire ».
Le bobrun se dirige vers le secteur des poneys, il inspecte les box jusquà retrouver Bille, la ponette quil montait lorsquil était . Le petit équidé est contre le mur du fond et, contrairement à Unico et Tequila, ne fait pas le moindre pas vers nous en nous voyant arriver. Jérém lappelle plusieurs fois, mais Bille nest pas très coopérative. Un dirait même quelle fait la tête.
« Elle est caractérielle » fait Jérém « elle me fait le coup à chaque fois. Elle fait la gueule parce quelle ne me voit pas assez souvent. Elle a peur que je labandonne ».
Je me fais la réflexion que définitivement les animaux ne savent pas faire semblant. Mais aussi que nous avons tous les mêmes peurs, quon sappelle Nico, Jérém, ou Bille.
Jérém rentre alors dans le box et sapproche delle. La vieille ponette se laisse caresser, mais sans être démonstrative. Et le regard doux, in, ému de mon bobrun pendant ces papouilles me touche au plus haut point.
« Allez, on va voir Charlène » il me lance, en quittant le box.
Je suis tellement ému que je ne peux mempêcher de le serrer dans mes bras et de le couvrir de bisous et de tendresse.
« Allez, on est attendus ».
En nous dirigeant vers la sortie, nous passons devant le box dans lequel Charlène nous a surpris en train de nous embrasser.
« Tu te souviens de la tête de Charlène ? » me lance Jérém.
« Je me souviens surtout de TA tête ».
« Je nen menais pas large ».
« Mais ça sest bien passé ».
« Charlène est une nana formidable ».
Quelques pas plus tard, nous passons devant le box des équipements.
« Tu te souviens ? » je le questionne à mon tour.
« Putain, quest-ce que cétait bon de senvoyer là-dedans ! ».
« Truc de fou, oui
» je confirme.
« Heureusement quon avait fermé à clé ! ».
« Cest clair
JP et Carine ont débarqué pile au mauvais moment ».
Charlène nous accueille à son tour avec un élan daffection qui fait le plus grand bien. Et elle nest pas seule. JP et Carine sont là, ainsi que Ginette et son mari. Et eux aussi nous gratifient dun accueil digne du retour du fils prodig(u)e. Je ne me lasserai jamais du côté démonstratif et exubérant des gens dici.
« Il a suffi que je dise à Martine que vous alliez venir, pour que tout le village soit au courant » se marre Charlène « et pour que le gang des retraités débarque illico ».
« Le gang des retraités ta bien aidée à préparer la soupe » fait Carine.
« Et puis le gang des retraités
temmerde » fait JP, déconneur. Cest marrant dentendre ce genre de mot dans la bouche de quelquun aussi classe que JP, mais le deuxième degré quil met dans cette formule rend sa sortie hilarante.
« Il y en a dautres qui veulent vous voir » fait Charlène « jespère que vous navez rien prévu pour demain soir. Parce que cest soirée fondue au relais ».
« Le cavalier est un animal qui ne sort pas en balade lhiver » fait JP, taquin « mais il nhiberne pas pour autant. Et il nest jamais le dernier pour un bon gueuleton en compagnie de bons amis ».
La table est dressée avec le soin des grandes occasions. Le feu est dans la cheminée, accueillant, rassurant. Très vite, il me fait penser à un autre feu, à une autre cheminée que jai hâte de retrouver. Je ne suis pas pressé de partir de là, je me sens on ne peut mieux en compagnie de ces êtres adorables. Mais la petite maison est la destination ultime, être dans les bras de Jérém est le bonheur ultime.
Les apéros sont servis par la main généreuse de JP, et nous nous installons à table en attendant larrivée de Martine.
« Alors, racontez-nous tous les gars » fait Charlène, impatiente de savoir « Comment se passe la vie parisienne ? Et la vie bordelaise ? ».
Jérém raconte ses débuts parisiens, sans omettre ses difficultés des premières semaines à sintégrer dans une équipe existante. Il parle du soutien dUlysse, son nouveau grand pote, et de sa blessure pendant un match dentraînement.
« Rien de sérieux ? » le questionne JP.
« Non, ça va, mais le médecin ma mis un arrêt de trois semaines. Et en plus je me suis fait suspendre par le coach ».
« Mais quest-ce que tu as foutu ? ».
« Je me suis battu avec le con qui ma blessé pendant le jeu. Je suis sûr quil la fait exprès ».
« Et cest pour cette raison que tu tes battu ? » le questionne Charlène.
« Non, je lai cogné cest parce quen plus il se foutait de ma gueule. Je ne sais pas ce que je lui ai fait, mais ce type ne peut pas me blairer ».
« Tu dois être meilleur que lui, ça suffit largement à le rendre mauvais » fait JP, perspicace comme toujours.
Cest là que Martine débarque, dans un tourbillon de bonne humeur et de rires qui semble flotter en permanence autour delle.
« Tes à lavance » fait JP, railleur.
« Mais jai un métier, MOI ! » elle se marre « tiens, au lieu de dire des bêtises, sers-moi plutôt un Martini blanc. Jespère que vous mavez attendue pour commencer linterrogatoire des deux citadins ».
« Charlène na pas pu attendre ».
« Rhoooo. Alors, jai raté quoi ? Allez, faites-moi un résumé comme au début des épisodes des séries. Précédemment, dans Jérém et Nico
».
Jérém résume ce quil vient de raconter, puis je me lance dans le récit de ma vie bordelaise, de mes études, de mes partiels à venir. Bien évidemment, il y a des choses que je passe sous silence.
« Et dans tout ça, vous arrivez à vous voir un peu ? » demande Carine, en touchant un point sensible sans le savoir.
« Pas autant quon aimerait » fait Jérém.
« Entre les entraînements et les match, tu dois avoir un emploi du temps de fou » fait Ginette.
« Oui. Et je fais des études aussi ».
« Des études de quoi ? ».
« Dans le commerce et le marketing ».
« Ah, le marketing, ou lart de faire croire au consommateur quil a besoin du produit quon veut lui vendre, alors quil pourrait parfaitement sen passer » fait JP, philosophe comme toujours.
« Cest assez bien résumé » fait Jérém, mort de rire.
« Avec une gueule comme la tienne et un peu de technique, tu pourrais vendre du sable à des Touaregs » fait Martine.
« Blagues à part » elle continue « je trouve bien que tu prépares ton avenir pour plus tard. Le rugby cest bien, et je te souhaite de faire une immense carrière. Mais ça peut aussi sarrêter brutalement, et cest bien davoir un plan B pour se retourner, au cas où. Alors, même si mener études et carrière sportive en parallèle est difficile, il ne faut rien lâcher. Limportant cest de valider tes partiels, à ton rythme, et de ne pas se décourager, même en cas déchec ».
« Du coup vous ne vous voyez pas trop » revient à la charge Carine.
« Une fois par mois
à peu près » fait Jérém.
« Cest pas beaucoup » fait Carine.
« Le week-end, jai match, je ne peux pas bouger ».
« Mais Nico peut venir ».
« On doit rester prudents » je me lance.
Je surprends sur moi un regard attendri de Jérém qui semble dire « merci de comprendre », et cela me fait un bien fou.
« Tu crains que ça si se savait
» fait Ginette en sadressant à mon bobrun.
« Ce serait une cata » la coupe JP.
« Pourquoi ? ».
« Parce que sur ce sujet il y a encore trop de gens qui sont cons, notamment dans le sport, et surtout « entre mecs »
» fait JP.
« Mais si tu ne vois pas de nanas, ils vont quand même finir par se poser des questions » considère Carine.
« Je gère » fait le bogoss « officiellement, jai une copine à Bordeaux ».
« Jadore » fait Martine.
Je suis content que Jérém ne parle pas de ses coucheries, et je me garde bien de dire le moindre mot sur le fonctionnement compliqué de notre relation, un sujet qui ne concerne que nous deux et à propos duquel nous allons certainement être amenés à discuter dans les jours à venir.
« Ça doit être difficile davoir une vie sentimentale épanouie si on doit faire attention à chaque instant » commente Charlène.
« Cest un casse-tête, en effet » admet Jérém.
« Mais votre amour est plus fort que ça, la preuve est que vous êtes à nouveau là, tous les deux ensemble, même après quatre mois de vie parisienne » fait JP, visiblement heureux pour nous « je trinque à ces deux beaux garçons, je leur souhaite que la vie leur apporte le meilleur dans tous les domaines ».
Le repas de Noël se termine tard dans laprès-midi. Charlène, toujours égale à elle-même, nous propose de rester dîner le soir et de dormir au chaud.
« Vous irez à la maison demain matin, avec le jour, vous prendrez du bois sec ici pour vous chauffer et vous aurez le temps de faire des courses ».
Je narrive pas à mhabi à tant de bienveillance et de générosité. A chaque fois, je suis touché au plus haut point.
Bien évidemment, nous laidons à ranger la table et la cuisine, ainsi quà nourrir les chevaux. Je retrouve avec plaisir cette douce odeur, mélange de fourrage, de crottin et de cuir qui caractérise lambiance dune écurie. Je retrouve le bruit des sabots, les hennissements, les ébrouements, le glissement du grain dans un seau, le bruit de la fourche qui racle le sol bétonné, celui du foin qui glisse sur lui-même.
Sans compter le fait que mon Jérém en cotte, même mal coupée, même élimée, est sexy à un point inimaginable. Un côté de la double fermeture zip étant laissé ouvert sur une bonne vingtaine de centimètres, cela laisse mon regard buter sur une belle portion de coton blanc de son t-shirt, ainsi que sur sa chaînette de mec et sur la partie de son tatouage qui remonte le long de son cou. Quant à ce bonnet informe quil a sorti de son sac de sport, inutile de préciser quil le porte avec un panache remarquable.
Le voir travailler de bonne haleine, se donner à fond, sans rechigner devant aucune tâche, y compris les plus lourdes, comme dégager du fumier, pour aider Charlène, cela me touche beaucoup. Ça me donne envie de laider et de partager ce moment avec lui. Dans un box vide, alors que nous attendons pour remplir des seaux deau, nous nous embrassons. Une nouvelle fois, Charlène nous surprend.
« Oh quils sont beaux mes petits amoureux ! ».
Jérém séloigne immédiatement de mes lèvres.
« Mais ne faites pas attention à moi, vous pouvez continuer ».
Jérém sourit et vient poser un dernier bisou rapide sur mes lèvres, avant de récupérer deux seaux et daller les poser dans dautres box.
« Je suis vraiment heureuse de voir que vous êtes toujours ensemble. Vraiment, vous êtes si beaux, et si heureux, tous les deux. Ça fait plaisir à voir ».
« Ce nest pas facile tous les jours ».
« Jimagine, mais ici vous êtes bien, vous allez pouvoir vous ressourcer, et vous retrouver ».
« Ici, cest juste le Paradis ».
Nous terminons les soins aux animaux alors que la nuit sinstalle et que la neige recommence à tomber de plus belle. Nous dînons tous les trois, et je me laisse transporter par la conversation de Jérém et Charlène, un échange évoquant des moments du passé, des balades, les grands parents de Jérém, les derniers potins au sujet de la petite bande.
Il est tout juste 21h30 lorsque Charlène nous annonce quelle va se mettre au chaud dans son lit en compagnie dun bon livre. Mais avant cela, elle nous installe dans une chambre à létage qui avait été jadis la chambre de sa fille.
La chambre est petite, le lit nest pas grand, le plafond est bas et mansardé, le placo est très fatigué, la porte à moitié destroy, le papier peint gagnerait à être euthanasié, le ménage mériterait de passer dans une émission télé.
Mais les draps son propres, et la chambre est chaude. Voilà un nid douillet dans lequel je minstalle avec bonheur en compagnie de mon bobrun.
Cette nuit, nous faisons lamour, alors que la neige tombe toujours dehors. Et nous nous faisons une infinité de câlins, de promesses silencieuses.
Comments:
No comments!
Please sign up or log in to post a comment!