Apparences Trompeuses

Vous y croyez au coup de foudre, moi non jusqu’à ce que je rencontre Christophe, l’amour de ma vie. Laissez-moi vous raconter.

Moi c’est Manon, ma mère voulait m’appeler Déborah, mon père préférait Manon, c’est lui qui a gagné. Manon Déborah Vidal, enfin pas à cette époque, Vidal c’est le nom que m’a donné Christophe quand nous nous sommes mariés, le plus beau des cadeaux. Mais je vais encore trop vite.

Quand j’ai choisi mon nom de chanteuse, voulant faire plaisir à ma mère, et me souvenant de la grande chanteuse Debbie Harry du groupe Blondie, j’ai choisi Debby, avec un y pour faire plus américain. J’ai aussi mis une perruque blonde, moi qui suis plutôt brune, enfin châtain foncé.
A cette époque, j’avais juste 20 ans, je sortais avec Jacques un guitariste qui avait créé un petit groupe de rock avec ses amis « les redoutables ». Un soir le batteur m’a proposé de chanter avec eux lors d’une répétition, ça a plu, je suis devenue la chanteuse du groupe. Nous animions bien modestement des petites soirées dans la région. Mais on y croyait.

Il fallait se trouver un nom de scènes, le groupe « les redoutables » faisait ringard. Ils ont tous été d’accord pour changer, « Debby et ses prétendants » ça sonnait mieux, Eh ! Je vous arrête, ils en avaient peut-être tous envie, mais je ne couchais qu’avec Jacques le guitariste, enfin Jacky quand il était sur scène. Après on ne l’a plus qu’appelé Jacky. Avec lui, ça n’a pas duré très longtemps. Au bout de quelques mois nous nous sommes séparés, il aimait trop passer ses soirées avec les filles du premier rang qui bavaient quand je ne chantais pas. Je ne l’ai pas supporté.
Comme Jacky, quelques soirs, je choisissais un de mes admirateurs pour passer la nuit. Enfin c’est arrivé quelques fois, pas si souvent, 3 ou 4 fois.

Ce soir-là, en chantant je ne l’avais pas remarqué. C’est devant le buffet que nos yeux se sont croisés, vous y croyez au coup de foudre.

Maintenant j’y crois.
Il m’a tendu un verre, nos doigts se sont frôlés.

Je devais retourner chanter. Nous ne nous sommes pas quittés des yeux, je n’ai chanté que pour lui. En bonne logique, je pensais passer la nuit avec lui, j’en avais envie. Même pas, il m’a raccompagné à mon hôtel, m’a embrassé timidement posant ses lèvres sur les miennes et m’a quitté sur un « à demain » … je volais en allant dans ma chambre d’hôtel, c’était certain j’étais amoureuse.
Lui aussi, si j’en crois son attitude le lendemain.

Il est revenu, il m’a invité à dîner après le concert. Au dessert, il a posé sa main sur la mienne, et dit d’une façon un peu théâtrale :
- Cette fois, je ne te lâche plus.

Première nuit, première fois. Depuis nous ne nous sommes plus quittés.

Rapidement nous nous sommes mariés, installés dans un petit nid douillet. J’ai alors quitté le groupe, sans aucun remords. Une page se tournait.

Camille est née 2 ans après pour notre plus grand plaisir et celui de ses grands-parents. On a failli l’appeler Désiré tellement nous en avions envie tous les deux. Problème, quand on a voulu lui donner un frère, ça ne marchait plus, pourtant nos relations étaient toujours aussi intenses, toujours aussi fréquentes, toujours aussi harmonieuses.
Nous sommes allés voir des spécialistes. Chris a fait des tests, pas très heureux de se branler dans un tube à essai. Tout était en parfait état de marche. Je déprimais un peu et m’en voulais. J’avais peur que Chris ne me rende responsable, pourtant il n’a jamais rien dit, m’entourant de tout son amour. Il devait supporter mes sautes d’humeur, et moi les siennes. Sans se le dire, chacun reportait la responsabilité sur l’autre, ce que l’on peut être bête.

Notre médecin nous a dit en souriant : « Vous êtes en bonne santé, vos outils en parfait état de marche. Vous vous aimez, aimez-vous. N’y pensez plus. Bébé viendra quand il estimera qu’il doit venir, faites-lui confiance.
»

Il n’avait pas tort, 5 ans après, dépassant toutes nos espérances, je donnais naissance à des jumeaux. Chris était le plus heureux des hommes. Nous avons pris conscience qu’à deux on est plus fort, nous avions vécu cette épreuve ensemble, gagné ensemble, deux d’un coup.

Nous nagions dans le bonheur, et dans les couches. Nous décidâmes alors que la famille était assez grande.

---oOo---

Les gens heureux n’ont pas d’histoire, c’est connu. Christophe et Manon vivaient heureux, les s grandissaient dans l’amour de leurs parents.

Camille, l’aînée, la grande, venait d’avoir 16 ans, l’âge ingrat, mais elle aidait sa mère, elle était devenue une petite Maman pour ses frères plus jeunes. Les jumeaux venaient d’entrer en sixième.

Chris regarde sa famille en souriant, du bonheur qu’il vivait depuis bientôt 20 ans.

Bien sûr la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Ils ont eu comme tout le monde leur lot d’épreuves, mais leur amour leur a permis de tout surmonter ensemble. Le décès de leurs parents, les maladies des s, …

Malheureusement la crise est arrivée. Suite à une restructuration, Chris a perdu son travail. De longs mois à pointer au chômage, les difficultés en fin de mois, les petits boulots pour essayer de s’en sortir.

Il s’en veut de ne pouvoir assurer à sa famille une vie plus décente. Il est de la veille-école, c’est son rôle de chef de famille. Manon ne lui a jamais rien reproché, voyant tous ses efforts.
Cette nouvelle épreuve a cimenté leur couple. Ils ont dû faire des sacrifices, beaucoup de sacrifices pour que les s ne manquent de rien, n’en souffrent pas trop.

Ils n’ont jamais baissé les bras, toujours amoureux l’un de l’autre, comme au premier jour. Toujours avide du corps de l’autre. Depuis la naissance des jumeaux, leur sexualité a évolué, ils ont multiplié les pratiques, les positions, sans aucun tabou. Il aimait la prendre dans sa bouche, elle aimait le recevoir dans sa gorge, rien n’était interdit entre eux.


Chris et Manon ne faisaient plus qu’un. Il savait ce qu’elle aimait, ce qu’elle désirait, elle savait ce qu’il aimait. Toujours avec l’envie de donner du plaisir à l’autre, de satisfaire l’autre.

Un soir, la prenant en levrette, il l’avait caressé entre les fesses, elle n’avait rien dit, s’était cambrée l’invitant à la pénétrer par-derrière. Après, ils se sont longuement embrassés. Sous la douche, la caressant tendrement, timidement il lui avait demandé s’il ne lui avait pas fait mal. Elle lui sourit en l’assurant qu’il pouvait recommencer quand il voudrait. Leur harmonie était parfaite. La plénitude entre deux êtres, toujours à la recherche du plaisir de l’autre sans arrières pensés, sans fausses pudeurs.

Un jour, ils remarquent une affiche en ville, le groupe « Les Prétendants » passe le samedi suivant dans la salle des fêtes.
Bien entendu, Manon a envie de revoir ses amis. Christophe est content de sortir avec sa femme, ça leur arrive si peu souvent. Les s ont grandi, ils peuvent se garder tout seuls quelques heures.
La salle est accueillante, petite table, Champagne, et une piste de danse prévue pour après le concert. « Les Prétendants » animent toute la soirée.

Manon est heureuse, elle se souvient des soirées de sa jeunesse, même si dans le groupe, il ne reste que Jacky le guitariste et le batteur, les deux autres ont depuis été remplacés. Le groupe a toujours autant de succès, alternant anciens tubes et nouvelles mélodies, il y en a pour tous les goûts.

Attablés pas loin de la scène, Jacky la reconnaît. A la pause, il vient avec le batteur saluer leur amie. Manon leur présente Chris son mari, leur parle de ses s.

En blaguant, Jacky lui propose de venir chanter avec eux comme au bon vieux temps. Manon hésite, mais encouragée par son mari, elle accepte.
Petit tour en coulisses, Manon revient cheveux défaits, le décolleté plus échancré. Ses habitudes de scènes ont vite repris le dessus.
Sa voix chaude est toujours aussi mélodieuse, Chris est sous le charme. Le public est conquis. Elle a retrouvé les gestes de Debby qui ponctuent chaque morceau, ondulant lascivement en musique.
Une chanson, deux, les applaudissements crépitent. Elle rayonne de joie en rejoignant son mari.

Chris et Manon profitent de cette soirée pour danser, sur les rythmes disco à la mode, mais préférant les rocks et les slows dans les bras l’un de l’autre.
En fin de soirée, Jacky vient s’asseoir à leur table et lui propose de reformer le groupe « Debby et ses Prétendants ». Là encore elle hésite, ça fait si longtemps, elle ne sait si elle pourra. Et il y a les s. Mais Chris n’a plus de travail, c’est une opportunité à ne pas laisser échapper.

Après deux semaines de répétition intensive, très vite, Debby retrouve la scène. Rarement en semaine, surtout le samedi soir et parfois le dimanche.

Le concert terminé, il faut ranger le matériel, parfois prendre un verre avec le groupe pour décompresser. Manon rentre de plus en plus tard. Christophe s’occupe des s, de la maison. Il ne fait jamais aucune réflexion, mais aimerait voir sa femme plus souvent le week-end.

Une ville organise un festival, concert le samedi soir, et bal populaire le dimanche après-midi. Pour éviter les longs trajets, il est décidé de rester dormir sur place. Manon demande à son mari de l’accompagner, les s iront chez sa mère.

Chris est heureux de ce petit voyage qui va les rajeunir, la chambre est simple, le groupe n’est pas bien riche, ils sont tous logés dans un F1 à la sortie de la ville. La nuit est courte mais ils en profitent, une soirée, plutôt une nuit sans les s.

Ne voulant pas abandonner leur progéniture trop longtemps, Chris décide de rentrer après le déjeuner, Manon reviendra avec le groupe en fin d’après-midi.
Le soir, elle arrive chez eux à 21 heures. Chris est anxieux, pourquoi si tard ?
- Après le concert, la municipalité a fait un vin d’honneur qui a traîné. Après on a décidé de manger avant de rentrer.
- Tu aurais pu me prévenir.
- J’y ai pensé, mais entraînée par tout ce monde, j’ai oublié, et j’ai dormi en rentrant dans la voiture de Jacky, il m’a raccompagné jusqu’ici.
- C’est gentil de sa part. J’ai fait manger les s, ils sont couchés. J’avais préparé un petit dîner pour nous, mais si tu as déjà mangé, je ne vais pas manger tout seul et tout est froid maintenant.
- Excuse-moi mon chéri. J’aurais dû te prévenir… je suis un peu fatiguée. Je vais embrasser les s, et je me couche.

En entendant la douche couler, Chris mange rapidement un bout de fromage et un fruit, mais le cœur n’y est pas, il aurait bien aimé passer la soirée avec Manon. Quand il la rejoint dans la chambre, Manon dort déjà.

Les contrats se multiplient, de plus en plus loin. Quand le concert se termine tard, Manon préfère rester dormir sur place et ne rentre que le lendemain. L’habitude est vite prise.

Chris se sent abandonné, mais Manon a l’air si heureuse, il ne laisse rien paraître. Il lui arrive parfois de l’accompagner à sa grande joie, mais il ne veut pas non plus abandonner ses s tous les week-ends.

Pour son anniversaire, elle va avoir 17 ans, Chris emmène leur fille Camille écouter chanter sa mère. C’est presque si elle ne la reconnaît pas. Manon avec une perruque blonde, et une robe de scène tellement sexy. Elle est belle, ce n’est plus sa mère, ce n’est plus Manon mais Debby, la vedette. Camille est subjuguée, elle n’imaginait pas sa mère telle une star de la télé

Après la représentation, Manon les rejoint à leur table. Camille, très fière, l’embrasse :
- Tu es formidable Maman, que tu es belle ! Que tu chantes bien ! Tu devrais faire The Voice.

Ce qui provoque le sourire attendri de ses parents. Chris embrasse sa femme :
- Manon, c’est la meilleure.

Et se tournant vers sa fille :
- Ce n’est pas pour rien que j’ai voulu l’épouser dès que je l’ai vu.

Ils rient tous les trois de bons cœurs et rentrent ensemble chez eux au milieu de la nuit, retrouver les jumeaux gardés par la fille des voisins.

La chance leur souris enfin, un chantier important s’ouvre dans la région. Christophe se présente, et décroche une place d’ouvrier spécialisé qui rapporte bien. Leurs ennuis financiers sont terminés.

Chris n’ose demander à Manon d’arrêter de chanter, comme il l’a fait il y a 18 ans. Les s sont grands maintenant, ils ont moins besoin d’elle. Il ne veut que son bonheur. La plus grande joie de Manon est de faire le show sur scène déclenchant des tonnerres d’applaudissements.

Les concerts se multiplient, tous les samedis, le dimanche après-midi, certains évènements ou fêtes locales. Le succès aidant, le groupe fait un CD qu’il vend après le spectacle. La pochette est illustrée de la photo de Manon, sa robe vintage fait sourire, mais c’est celle qui a fait craquer Christophe. Ce qui fait la fierté de leurs s, et de Chris qui a toujours admiré son épouse.

Mais Manon se laisse griser par ce succès, elle ne se rend pas compte qu’elle s’éloigne chaque jour un peu plus de sa famille. Les sorties, l’école, Chris gère tout sans se plaindre.

Un soir, elle rentre tout excitée, elle annonce fièrement qu’on leur propose une tournée un peu partout en France, 3 semaines, 21 villes visitées, 21 concerts. C’est inespéré. Chris se débrouille très bien, et en cas de besoin, sa mère pourra venir donner un coup de main.

Chris reste silencieux, il ne veut pas la contrarier, ni partager son anxiété. Elle est tellement heureuse, mais dire que ça lui plaît serait beaucoup dire. Trois semaines c’est long. Elle n’a pas l’air de s’en rendre compte, ce sera leur première séparation depuis qu’ils se connaissent. Manon promet de téléphoner tous les soirs.

Le début de la tournée est dans un mois, Manon est enthousiaste, c’est la consécration. Petit à petit, elle prend conscience que la maison devra fonctionner sans elle, elle donne des consignes à toute la famille, pose des post-it sur le frigo. Chris la rassure, tout se passera bien.

Un soir, ils regardent ensemble une carte de France pour étudier le circuit. Camille, aussi enthousiaste que sa mère, affiche la carte sur le mur du salon, et plante une épingle sur chaque ville, ainsi ils pourront la suivre tous les jours. Les trajets se feront dans le mini-bus qui doit aussi transporter le matos.

La date fatidique arrive. Le groupe doit partir aujourd’hui pour le premier concert, à 300 km de là. Manon a décidé de les rejoindre le lendemain en train, pour passer une dernière soirée avec son mari et les s, mais surtout passer une nuit avec Chris.

Dans la matinée, le bus est chargé. Avant de prendre la route, Jacky apporte son billet de train à Manon, le groupe attend dans le bus devant chez eux.

Manon est sous la douche, c’est Chris qui ouvre la porte. Il connaît bien Jacky, il l’accueille avec le sourire quand celui-ci lui tend le billet de train :
- Dis-lui bien d’être à l’heure, on a déjà raté un train il y a 20 ans,
- Ah bon ! elle ne m’a jamais raconté.
- Rien de grave. Nous vivions ensemble à cette époque. Le matin, elle a traîné, nous avons raté notre train, après je lui donnais un autre horaire.

Christophe sursaute, « Comment ? Ils étaient ensemble ? ». Il prend un air détaché :
- Vous avez vécu ensemble ?
- Oui, juste quelques mois.
- …
- Nous étions jeunes, je papillonnais. Ça n’a pas duré longtemps entre nous.

Ils se serrent la main. Jacky rejoint le groupe, Chris songeur regarde le bus s’éloigner.

Lentement, il monte dans la chambre la mine renfrognée, contrarié par ce qu’il vient d’apprendre :
- C’était qui ? lui demande Manon en sortant de la salle de bain.
- Jacky. Il te portait le billet de train pour demain … Il m’a appris ce que tu aurais dû me dire il y a plusieurs mois.
- De quoi tu parles ?
- Tu as été amoureuse de lui. Pas une petite liaison, vous avez vécu ensemble.
- Aucune importance, ça n’a pas duré. C’est de l’histoire ancienne.
- Tu ne m’en as jamais parlé. Pourquoi me l’avoir caché ?
- Quoi, tu es jaloux ? C’est le passé. Nous ne nous connaissions pas, j’ai eu une vie avant toi, comme toi non ?
- Tu m’as raconté ta vie d’avant, parlé de tes ex, jamais de lui.
- Quelle importance ?
- Depuis plus d’un an, tu passes des soirées avec lui. Que faites-vous après le concert ?
- Oh ! Je suis déçue par ton manque de confiance, dit-elle énervée.
- C’est toi qui me parles de confiance ? Tu as vécu avec lui il y a 20 ans et tu ne me dis rien. Pourquoi ?
- Que vas-tu imaginer ?
- Que veux-tu que j’imagine ? Les week-ends ne vous suffisent plus. Maintenant tu vas être 3 semaines avec lui, 21 jours, 21 soirées… 21 nuits. Je comprends pourquoi tu as accepté cette tournée.
- Oh ! Tu crois ce que tu dis ?
- Je suis déçu, dit-il la voix pleine de tristesse.
- Excuse-moi mon chéri, j’aurais dû te le dire tout de suite. Après le temps a passé, c’était inutile. Je t’assure, il n’y a plus rien entre nous depuis longtemps.
- J’aimerais te croire… Tu peux encore annuler cette tournée, il comprendra que ce n’est pas possible.
- Non, c’est un caprice. Tu me fais une crise de jalousie ridicule.
- Je ne veux pas que tu fasses cette tournée. Je ne veux pas que tu vives trois semaines avec lui, dit-il d’un ton autoritaire.
- Tu n’as rien à m’interdire, je pars demain en tournée, pas pour vivre avec lui. Je n’ai rien à me reprocher. Réplique-t-elle en haussant le ton.
- Comme tu veux, tu es libre. Tant pis pour toi.
- …

La soirée est morose, Chris fait toujours la tête. Cette nuit, elle aurait aimé qu’il fasse l’amour ensemble comme au premier jour, mais à peine couché, il lui tourne le dos. Elle est vexée de son manque de confiance, pas question de céder à son ultimatum, elle n’a rien à se reprocher.
Pour leur dernière nuit, ni l’un ni l’autre ne veulent faire le premier pas.

Le matin, elle se lève tôt pour ne pas rater son train. Tandis qu’elle se prépare dans la salle de bain, il va dans la cuisine préparer le petit déjeuner, comme tous les jours.
Il s’en veut un peu d’avoir gâché leur dernière soirée. La séparation va être longue, c’est la première fois depuis qu’ils sont mariés. Mais il lui en veut de ce mensonge qui le ronge.

Chacun reste sur ses positions :
- Réfléchis bien. Tu pars, tu vas le rejoindre ?
- C’est tout réfléchi. Non je ne vais pas le rejoindre, je vais faire mon métier. Je suis déçue mon chéri que tu réagisses comme ça.
- Moi aussi je suis déçu, je n’aurais jamais cru ça de toi.
- Cru quoi ? … On en reparlera à mon retour dans 3 semaines.
- Si je suis encore là…

Elle hausse les épaules :
- Ne soit pas bête.

Ils se quittent fâchés, pas de grandes effusions, juste une bise du bout des lèvres, chacun attendant un geste de l’autre. Geste qui ne vient pas.

Elle part en claquant la porte, en colère du manque de confiance de son mari, elle ne le mérite pas. Mais sachant au fond d’elle même qu’il n’a pas tout à fait tort, comment lui en vouloir d’être jaloux, elle aurait dû tout lui dire dès le premier jour. Pourtant elle n’a envie ni de renouer avec Jacky, ni de tromper son mari. Elle aime Chris de tout son cœur, dans 20 jours, ils en riront certainement ensemble.

Depuis la fenêtre, Chris regarde le taxi partir pour la gare, les larmes lui montent aux yeux. Il regrette de ne pas l’avoir serrée dans ses bras, de ne pas lui avoir dit qu’il a confiance en elle. Manon se retourne, par la vitre arrière elle regarde sa maison, imaginant son mari en plein désarroi. Elle regrette déjà leur brouille, elle aurait dû être plus conciliante.

Chacun de leur côté, ils sont tristes, surtout de se séparer sur une dispute, la première aussi grave depuis qu’ils se connaissent.

---oOo---

Le temps semble long pour Christophe, déjà cinq jours que Manon est partie et pas un seul coup de téléphone malgré sa promesse. Il aurait pu lui aussi l’appeler, plusieurs fois il a failli, mais son égo est trop fort, c’est à elle de le faire, c’est elle la fautive.

Il se traîne tous les soirs après une journée de travail monotone, où pas une seconde il n’a cessé d’y penser. Sans rien savoir de leur dispute du dernier soir, les s voient bien que leur père est triste, seul, sans leur mère,

Camille essaie bien de le distraire, elle prépare à manger pour la famille. Le soir elle regarde la télé avec lui quand les jumeaux sont couchés, elle lui raconte sa journée.

Un matin, regardant la carte toujours au mur de leur salon, elle se lance :
- Papa, regarde. Maman chante ce soir, pas très loin d’ici. Tu devrais aller l’écouter, ça lui fera plaisir.
- …
- C’est à peine à deux heures de route, vas la voir. Tu es triste depuis qu’elle est partie, je vois bien qu’elle te manque.
- Bien sûr qu’elle me manque, c’est la première fois que nous sommes séparés si longtemps.
- Tu dois aussi lui manquer, vas-y.
- Non, je ne peux pas te laisser seule… Et les garçons ?
- Je ne suis plus une gamine. Je les garderais rassure-toi.
- Merci ma chérie, tu es gentille. D’accord… Je rentrerais vite après le concert.
- Non Papa, reste avec Maman, passe la nuit avec elle. Elle sera heureuse d’être avec toi. Tu rentreras demain lui dit-elle en lui faisant une bise complice.
- Tu crois ? Je vais la déranger.
- Tu es bête. Je suis certaine qu’elle t’attend.

Chris aimerait la croire. Camille se fait pressante. 120 km, même sur des petites routes, ce n’est rien. S’il y a un problème à la maison, il pourra rentrer rapidement, et que peut-il arriver ?
Il hésite, mais, ils ne peuvent pas rester brouiller, il faut qu’ils se parlent. Et l’envie de passer une nuit avec Manon est trop forte.

En sortant du travail, Chris s’assure que tout va bien à la maison, que les s ne manqueront de rien. Camille doit le pousser dehors. Il lui fait la bise et serre les garçons dans ses bras.
- Fais-moi confiance Papa, va rejoindre Maman.

Et avec un ensemble touchant, les trois s lui crient :
- Fais une grosse bise à Maman.

Un peu anxieux, Chris prend la route, imaginant déjà Manon dans ses bras. En roulant, il repense à leur dernière discussion, il regrette de s’être mis en colère, de l’avoir accusée sans savoir. De la jalousie ? Non, il n’y a aucune raison, il a confiance en Manon, autant que Manon peut avoir confiance en lui.

Le temps passe vite quand l’esprit vagabonde. Chris chante en conduisant, il se revoit lors du premier concert, leur première rencontre. La chance de sa vie, un vrai coup de foudre réciproque qui a donné trois beaux s.

---oOo---

Tous les jours, Manon pense à Christophe. Prise dans le tourbillon de cette nouvelle vie, elle ne s’est pas rendu compte qu’elle l’avait un peu délaissé. Elle regrette leur dispute du dernier soir. Pourquoi s’être quittés en boudant ? Elle s’en veut. Chris devait attendre un geste de sa part. Elle le comprend, elle n’aurait rien dû lui cacher. Cet excès de jalousie était bien compréhensible, ce n’était pas un manque de confiance mais une preuve de son amour pour elle.

Heureuse de chanter et de leur succès, elle compte pourtant les jours qui la séparent de leurs retrouvailles. Chris lui manque.
Chaque soir, avant d’entrer en scène, elle repense à cette soirée, il y a 20 ans quand elle a vu Chris au premier rang. En fermant les yeux, elle le revoit. Chris son unique amour.

Dans le petit local qui lui sert de loge, Manon se transforme en Debby. La perruque blonde, le maquillage pour compenser la lumière des projecteurs, la petite robe qui met ses formes en valeur, robe qu’elle n’aurait jamais osé mettre ailleurs que sur la scène.

Jacky est derrière elle, il se penche, la prend par les épaules, « Tu es belle ! » et l’embrasse dans le cou. Elle se retourne offusquée. Un réflexe, elle le gifle, ses yeux le fusillent. Confus, Jacky recule en se frottant la joue.

Manon est furieuse, elle menace de quitter la tournée, de quitter le groupe. Elle aime son mari, pour qui la prend-elle ? Jacky est désolé. Elle le met dehors, elle a besoin de calme pour reprendre ses esprits.

Quelques instants plus tard, Jacky revient s’excuser. Il a été maladroit, idiot, juré ça ne se reproduira plus. Ils font la paix. Jacky n’en finit pas de s’excuser. Manon lui fait la bise, pas besoin de rester fâchés pour si peu. Oublié le baiser dans le cou, oubliée la gifle, place au spectacle.

Elle comprend enfin les réflexions de son mari, il n’avait pas tort. Jacky doit avoir cette idée en tête depuis longtemps. Trop honnête, elle n’a rien vu.

Avant de monter sur scène, elle veut absolument appeler Chris. Elle a besoin de lui parler, juste pour entendre sa voix.

La route n’a pas été trop longue, à cette heure il y a moins de circulation. Christophe arrive à temps devant la salle qui semble bondée, Manon a du succès, il est fier de sa femme. Le concert va bientôt commencer, il veut la voir avant dans les coulisses, l’embrasser, lui dire combien il l’aime, lui dire combien il a été bête.

Il se faufile parmi le monde qui s’agite derrière la scène, personne ne fait attention à lui. Manon doit avoir une loge pour se changer. Il demande à un machiniste qui lui montre du doigt une série de portes,
- C’est la troisième.
Son cœur bat plus fort, comme à son premier rendez-vous.

Par la porte entrouverte, Chris voit Manon avec Jacky. Ils se parlent mais il n’entend pas ce qu’ils se disent. Ils discutent les yeux dans les yeux, Jacky se frotte la joue en riant. Manon remplace sa main par la sienne, lui caresse lentement la joue et y dépose une grosse bise. Ils se prennent alors dans les bras et s’étreignent quelques secondes.

Laissant Manon terminer de se préparer, Jacky part vers la scène pour les derniers réglages.
Il se trouve nez à nez avec Chris dans le couloir. Sans être étonné de sa présence, toujours perturbé par son altercation avec Manon, Jacky continue de s’excuser :
- Bonsoir Chris… Excuse-moi, je n’aurais pas dû.
- …
- Ne lui en veut pas, c’est moi le fautif. Tu sais, on se connaît depuis si longtemps. J’ai déconné.

Sans laisser Christophe lui répondre, Jacky fonce vers la scène, il est en retard. En passant, il lui tape sur l’épaule :
- On est adulte, on se comprend.

Christophe est anéanti, c’est plus qu’un aveu. Cette fois plus de doute, sa femme le trompe. Elle a retrouvé son amour de jeunesse. Effondré, il serre les poings, fait demi-tour sans aller voir cette traîtresse. Ne plus entendre ses mensonges.

Le cœur gros, déçu et en colère, il fonce dans la nuit retrouver ses s. Elle ne l’attendait pas, elle finira la nuit avec Jacky, comme certainement tous les soirs. C’est fini entre eux, quand elle rentrera ce sera pour assumer sa conduite, jamais il ne pourra lui pardonner.

Sans avoir conscience du drame qui vient de se jouer à quelques mètres d’elle, Manon a terminé son maquillage, elle se précipite sur son téléphone. Elle est anxieuse, stressée par ce qu’elle vient de vivre. Chris avait raison, Jacky voulait la mettre dans son lit. Elle ne lui en parlera pas, elle veut juste lui dire qu’elle l’aime. Elle voudrait tellement qu’il soit avec elle, qu’il l’embrasse, qu’il reste avec elle cette nuit.

Le téléphone de Christophe est sur répondeur, elle lui laisse un message, pour lui dire qu’elle regrette leur dispute, que cette tournée est la dernière, elle ne le laissera plus jamais seul. Elle termine sur « pardon mon chéri », sans penser à l’ambiguïté de son message.

Dans la voiture, Christophe ne décroche pas en voyant que Manon l’appelle. Il écoute sa femme s’excuser, lui dire son amour. Entendre sa voix lui va droit au cœur. Mais il croit qu’elle se dédouane, que c’est le remords qui la guide.

Les larmes aux yeux, il accélère, vite rentrer chez lui retrouver sa famille.

Son téléphone sonne à nouveau, nouvel essai de Manon, elle veut l’entendre avant le concert de ce soir. Cette fois il décroche. Elle le croit chez eux, endormi devant la télévision. Elle demande des nouvelles des s, ils se parlent de choses et d’autres, mais rapidement elle renouvelle son amour, lui dit qu’il lui manque … lui écoute, l’esprit embrouillé, il ne sait plus quoi penser. Il répond par bribes.

Pour en avoir le cœur net, il décide de faire demi-tour. Il ne voit pas le véhicule qui arrive en face de lui, trop tard sa voiture fait une embardés. Manon entend un cri, et c’est le silence :
- …
- Allô… allô mon chéri, allô, réponds-moi… Chris, réponds-moi, que se passe-t-il ? Réponds-moi… Tu es encore là ?

---oOo---

Déjà six mois que Chris est dans le coma. Le constat de police mentionne qu’il téléphonait en conduisant, et avait amorcé un demi-tour sur cette route qui aurait dû être déserte à cette heure. Grâce à sa ceinture de sécurité et à son airbag, le conducteur de l’autre véhicule s’en sort indemne, avec quelques contusions.

Les médecins sont formels, aucune zone vitale n’a été atteinte. Chris devrait sortir de son coma si son corps le désire. Manon a peur, Chris veut-il encore vivre, vivre avec elle ?

Camille se sent responsable de l’accident de son père, c’est elle qui l’a incité à rejoindre sa mère ce soir-là. Il était si malheureux, elle a cru bien faire. Manon la console comme elle peut, mais sa fille lui en veut. Pourquoi avoir abandonné son père ?

Lorsque la communication téléphonique s’est éteinte, Manon affolée est allée voir le groupe pour annoncer qu’elle ne pourrait pas chanter ce soir-là. Elle voulait savoir ce qui s’était passé. Jacky lui a alors parlé de la présence de Chris dans les coulisses, et de sa conversation avec lui. Elle a compris. Certainement il les a vus, il a mal interprété les gestes et les paroles de Jacky, et il est parti en colère.

Le batteur lui propose de faire la même route en sens inverse, ils verront bien. A une dizaine de km, les gyrophares de la police et une ambulance leur confirment qu’il est arrivé malheur à Chris. Deux voitures sont encastrées au milieu de la chaussée.
En pleurs, Manon accompagne le corps inanimé de son mari dans l’ambulance, lui tenant la main durant tout le voyage. Elle s’en veut, si elle lui avait parlé, simplement comme ils l’ont toujours fait, rien ne serait arrivé. C’est lui qui avait raison, pourquoi lui avoir caché cette liaison ancienne ? Se sentait-elle coupable ? Mais de quoi mon dieu ! Il ne lui aurait jamais rien reproché.

Debby ne s’est plus jamais produite sur scène, ni ce soir-là, ni un autre soir. Manon a quitté le groupe, tenant aussi Jacky responsable de ce qui est arrivé.

Tous les jours, elle se rend à l’hôpital, parfois avec les s. Elle lui parle, longuement, tendrement, en espérant qu’il entende ce qu’elle lui dit.

Ayant amené les jumeaux, fatiguée, elle s’est assoupie dans un fauteuil. Les deux garçons, intimidés de voir leur père dans ce lit, n’osent pas bouger. Ils ne le quittent pas des yeux.

- Maman, Papa a ouvert les yeux.

Manon se lève d’un bond en entendant l’aîné des jumeaux (il a dix minutes de plus que son frère). Chris la voit-elle lorsqu’elle se penche sur lui, elle en doute.

Elle est pleine d’espoir, son cœur cogne dans sa poitrine. Elle serre ses deux s dans ses bras, tandis que les infirmières alertées se pressent autour du malade.

Christophe tourne doucement la tête vers Manon. Ses yeux s’illuminent, un large sourire s’affiche sur son visage.

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