Force 3

Du coin de l’œil, je regarde Martha, ma délicieuse épouse, traverser le salon et prendre la direction du couloir puis de la salle de bain.

Telle une déesse de la Rome antique, une fière vestale, sans un regard pour moi, elle avance droit, le menton relevé. Sa démarche est naturellement féline. Manifestement, ma tigresse, ma chatte ce soir a une petite idée derrière la tête. Je ne connais que trop ses tics, manies et mimiques.

Son pas décidé et le bas de sa robe qui virevolte derrière elle, en ajoute encore au tableau.

J’ai rencontré Martha il y a dix ans maintenant. Dix ans de pur bonheur. A moitié américaine, par son père à moitié française, par sa mère. Elle a choisi l’hexagone pour ses études et comme pays d’adoption. Martha est née aux Etats Unis, y a passé son enfance et son adolescence et a débarqué à Paris à 18 ans.

Elle a conservé un léger et délicieux accent américain. Il s’est atténué avec le temps et j’en suis désolé. J’espère de tout cœur, qu’elle conservera à jamais cette légère empreinte restante dans son élocution, ces petites inflexions, ses erreurs de grammaire qui en ajoute à son charme. Comme si c’était nécessaire ! Du charme, elle en a à revendre. Blonde, de taille moyenne, de jolies formes, je suis bien entendu amoureux de ce corps, mais surtout amoureux de son esprit. Drôle, cultivée, elle charme sans le vouloir tous ceux qu’elle croise. J’aime aussi la naïveté qui émane d’elle. Quelle est attendrissante dans certaines situations.

Féline donc ce soir ! Après un bon repas, une bonne bouteille de Chassagne-Montrachet, un faux prétexte pour organiser cette soirée en tête à tête, elle veut m’attirer dans ses filets. C’est manifeste. Elle veut m’amener vers son antre, me faire profiter de ses charmes. Je la connais, quand elle est joue à ce jeu-là, la fin de soirée risque d’être épique.

Jouons donc à son jeu. Dans un premier temps, faire l’innocent, le naïf.

Peut-être plus tard, je cèderai à ses avances.

La voilà qui traverse le salon dans l’autre sens.

Toujours ce port altier, cheveux dénoués cette fois, et ce … cette … Ma mâchoire inférieure en tombe. Nous ne jouons pas à armes égales ! La tricheuse ! Mon amazone de salon s’est changée. Elle porte cette petite nuisette noire, celle transparente juste ce qu’il faut, échancrée, juste ce qu’il faut, courte, juste ce qu’il faut. Vous voyez où je veux en venir ? Ce genre de vêtements, non de tenue, ce n’est pas un vêtement, qui ne peut qu’exacerber la libido et l’envie de tout félin mâle normalement constitué.

Cette nuisette ce n’est pas une arme de destruction massive. Non c’est plutôt une arme d’émotions massives, disproportionnées, puissantes. Explosives.

Je me dois de rester dans mon rôle. Vaguement intéressé, il ne faut pas exagérer tout de même (je la suis du regard), mais toutefois flegmatique :

- Tu vas déjà au lit chérie ? Déjà ? Il est encore tôt
- Humm ? Oui, tu me rejoins ? me dit-elle en se tournant vers moi.

Elle le fait exprès ! C’est obligé ! Elle accentue son petit accent. Elle sait parfaitement l’effet qu’il procure sur moi. Je lui ai dit mainte fois. Elle en joue. Elle se joue de moi. Je sais que je suis sa chose. Elle le sait aussi. Elle a à peine à forcer le trait.

Je n’ai plus affaire à Martha la petite naïve, mais à Martha l’ensorceleuse. Celle qui secrète des philtres d’amour naturellement.

Et ce fin liseré de tissu rouge sous la dentelle noire au niveau du décolleté. Ce n’est pas humain ça ! J’oubliais, forcement que ce n’est pas humain, c’est félin ! On est quasiment au niveau de la tricherie, du trucage.

L’a-t-elle fait exprès de s’arrêter et de se tourner vers moi juste devant la lampe posée sur la cheminée ? La lumière en contre-jour découvre et découpe les formes de son corps sous le mince tissu, rendant l’ensemble encore plus érotique.
Comme si j’avais besoin de ça …

C’est sûr, elle l’a fait exprès. Et ce geste pour remettre une de ses mèches blondes derrière son épaule, au moment où elle m’a demandé « Tu me rejoins ? » Inhumain ! Ce n’était pas nécessaire. C’est de l’antijeu. Et ce « humm » juste avant ? Ce n’est pas respecter l’esprit sportif ça. Et cette façon de mettre ses mains sur ses hanches et de pencher sa tête sur le côté !

Déjà à la base, les dés sont pipés, j’ai peu de chance de gagner, si en plus elle utilise ce genre de subterfuge. Où va-t-on ?

D’accord, elle utilise les armes de destruction massive.

Mon arme de destruction massive à moi est en train de s’agiter. Eh oui, mon début d’érection s’aggrave, s’amplifie, s’exacerbe, redouble … Ce n’est plus du tout un début d’érection d’ailleurs. C’est une belle vraie érection. En clair, je bande comme un taureau.

Mon arme de destruction massive ? C’est bien peu de chose face à elle ! Que suis-je devant tant de grâce, tant de charme ? Juste un homme faible qui bande. Qui bande dur, certes, mais s’en est presque vulgaire. La grâce, la féminité, face à la beauté. L’origine du monde, comme disait l’ami Courbet …

Mon arme n’est qu’un pistolet à eau devant un canon d’artillerie. Je ne fais pas le poids. Je ne suis qu’un chaton devant une tigresse.

Ma seule arme restante qui pourrait être encore un tant soit peu efficace ? Le flegme !

- J’arrive, j’arrive, fis-je en prenant le journal du jour à la page des mots croisés.
- Ne tarde pas trop, tout de même, me dit-elle avec ce petit sourire en coin qu’elle arbore quand elle sait que rien ne pourra lui arriver, qu’elle a gagné sans quasiment combattre.

Je fixe ma gille force 3. Je ne peux rien faire d’autre. Je vais fondre. Si je la regarde, je vais me liquéfier sur le parquet pointe de Hongrie. Surtout, ne pas la regarder, surtout pas … Penser à autre chose. Ne pas … Du coin de l’œil, je la regarde tourner les talons et se diriger vers la chambre.
Mon crayon est à deux doigts de se casser en deux, tant je le serre fort entre mes doigts. Casser un crayon en deux, ça me ferais surement du bien !

Ne pas regarder son dos et son …. Son …

Surtout ! Elle n’en rajoute pas !! Elle n’a même pas besoin de faire chalouper ses fesses plus que de besoins, d’accen son déhanchement naturel. Il est tout à fait suffisant.

Mes résolutions de fixer mon journal, ou la cheminée en marbre s’envole. Mon regard s’aimante sur ses …. Sur son …

Sur le bas de sa nuisette qui virevolte au rythme de ses pas. Cette foutue nuisette qui lui arrive juste sous les …

Ça devrait être interdit ce genre de nuisette !

Au moment de quitte le salon, elle se tourne légèrement et me sort :

- Ne traine pas trop quand même !

Ah ! La traitresse ! Je viens encore de la prendre en flag ! Elle en rajoute à nouveau avec son accent … Elle a prononcé twaine, au lieu de traine ! J’en étais sûr ! Depuis le temps, elle arrive presque normalement à prononcer les R à la française. Elle triche encore une fois, elle accentue son accent !

Sois fort ! Sois toi aussi un fauve et non plus un petit chaton qui va courir derrière elle. Montre lui qui est le tigre ici.

Reconcentre toi sur ta grille force 3. Tu as réussi à ne pas péter ton crayon en deux. Tu es fort, tu t’es maitrisé, tu peux y arriver…

4 vertical : délice, orgue

Ça je sais, fastoche. Il n’y a que trois exceptions dans la langue française, trois mots masculins au singulier et féminins au pluriel : Délice, orgue et … Amour. AMOUR, ça rentre.

- Bon tu viens mon chéri ? j’ai un peu froid là, lance-t-elle depuis la chambre …

Je déglutis … Un peu froid ? Il faut que j’y aille. Non, jouons le jeu un peu plus. Faisons attendre la tentatrice :

3 horizontal : comme les blés, avec le O de Amour

Trop facile ! BLONDE. Blonde comme les blés … Comme Martha …

Martha justement, que j’entends se tourner dans le lit :

- Amour ? Tu viens ?

8 horizontal : négligé sexy

Nuisette ! Comme la nuisette de ….
Ce n’est pas possible cette grille ! C’est un complot !

10 vertical : à bras ouverts avec E…..T.

Je sèche là ! Attends si je place CUISSES ici (celles du poulet sont prisées) ça me fait E…I.T.

ETREINTE … Mouais …

Eminence en géologie M….ON

Euh … MAMELON ?

Rondeur de lune ? Avec deux S au milieu … Eh oui ! FESSES

7 vertical : panser une blessure

SOIGNER ? Non … Attends ! Avec un B au début si je place EBATS en 8 horizontal

BANDER bien sûr ! Où avais-je la tête ! Bander, je bande comme un âne depuis dix minutes … Non comme un tigre, pas comme un âne !

Je suis dans tous mes états moi … Il va peut-être être temps de rejoindre ma douce tigresse. Je termine juste ma grille. Elle est quasiment finie.

A quai ? Avec deux L

….LL..

MOUILLER …

Bander, mouiller, où veulent-ils en venir avec leur grille ?

Je serais décidément mieux sous la couette avec Martha, afin de vérifier son état. Le mien, j’ai des certitudes sur l’érection qui m’anime depuis la vision de ma chérie traversant le salon en nuisette. Pas de doute. Mes délires cruciverbistes n’ont pas fait retomber le soufflet. J’y vais. Je repose ce journal.

Il ne me reste que deux mots, je termine et j’y vais ventre à terre …

« Faire une percée » et « grande sensation de bien-être »

« Faire une percée » ? PE….ER ! PENETRER

Et « grande sensation de bien-être », ORGASME, si on reste logique ! Non, c’est en neuf lettre avec CE à la fin ….

JOUISSANCE !

Voilà, grille terminée, Pour un force 3, fastoche. J’y vais moi, je ne peux plus attendre …

- Me voilà Chérie

Je la regarde dans la semi-pénombre de la chambre, éclairée juste par la lumière du couloir.

Je vois ses cheveux blonds (comme les blés) éparpillés en corolle sur ses oreillers. Je vois sa délicieuse petite poitrine se lever doucement au rythme de sa respiration. Elle est là, allongée, lascive, offerte … Et qui c’est le tigre ?

- Chérie je …

Oh merde, elle s’est endormie … Pffff

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