Louise Et Daniel
« - Allô, Lætitia ?
« - Elle-même, cest pour quoi ?
« - Cest Patrick. Tu sais
PP06, je publie des histoires sur HDS.
« - Oui, oui, jaime bien tes récits.
« - Moi aussi, jaime tout ce que tu écris. Cest justement pour ça que je tappelle.
« - Ah bon !
« - Jaimerais te faire une proposition.
« - Honnête ?
« - Non, tout ce quil y a de plus malhonnête.
« - Ouf ! Alors ça va.
« - Nous pourrions écrire une histoire ensemble, à deux mains.
« - Cest une idée, pas originale, mais cest une idée. Quel genre dhistoire ?
« - Une histoire damour.
« - Bien sûr,
« - Un peu comme dans les comédies sentimentales américaines, au début ils sengueulent, à la fin ils saiment.
« - Oh ! comme cest original !
Ça commençait bien
Après 352 messages, 78 éclats de rire, 24 phases de féroces négociations et 18 versions et demie, nous sommes en mesure de vous proposer lhistoire de Louise et de Daniel.
Jespère que vous prendrez autant de plaisir à la lire que nous à lécrire.
Merci Lætitia.
---o O o---
« - Ah non ! Mais non ! Ce nest pas possible !
Une voiture venait juste de percuter larrière de celle de Louise Garnier. Elle a coupé son moteur et est descendue pour constater les dégâts. Un homme plutôt grand sortait de la voiture sombre qui venait de lemboutir. Elle le regarda à peine.
A priori, pas trop méchant, un phare arrière cassé et la carrosserie un peu emboutie juste à côté :
« - Vous ne pouvez pas faire attention !
« - Non, mais dites donc ! Cest vous qui me rentrez dedans et cest moi qui dois faire attention ?
« - Quand le feu passe à lorange, on a encore largement le temps de passer ma petite dame !
« - Oui eh bien moi, je marrête. Cest dans le Code de la Route, il me semble
Et je ne suis pas votre petite dame.
« - Cest vrai, cest le Code de la Route, mais avant de piler, on sintéresse aux voitures qui arrivent derrière
La voiture de lhomme a manifestement pris un peu plus.
« - Alors, déjà, je nai pas pilé, je me suis arrêtée, nuance ! Et puis, regardez ma voiture, et regardez la vôtre
Il ny a rien qui vous choque ? Sest emportée Louise.
« - Quoi encore ?
« - Jai une Twingo hors dâge. Quand je freine pour marrêter, il y a un temps de réaction, et pourtant, moi je me suis arrêtée. Quand vous freinez, votre voiture avec ses freins modernes est censée sarrêter plus facilement et plus rapidement. Enfin, cest comme ça que ça se passe normalement, quand on est concentré sur la route. Cest à vous de maîtriser votre engin et de ne pas percuter les autres.
« - Pas facile avec
« - Avec quoi ? Allez-y ! Dites-le
Les femmes au volant hein ?
« - Oh, je nai pas dit ça
répondit l'homme en levant les mains.
« - Vous alliez le dire ! dit-elle en pointant son index vers lui.
« - Non.
« - Après, peut-être que vous passiez un SMS en conduisant, ou que vous étiez en train de régler votre autoradio.
« - Mais, non, sûrement pas ! Regardez mon pare-chocs qui pendouille, je ne sais même pas si je vais pouvoir repartir.
« - Cest sûr, elle va beaucoup moins bien marcher maintenant
Les voitures derrière se sont mises à klaxonner :
« - Oh ça va ! On va se garer sur le côté, cest bon !
« - Vous ne voyez pas quon a eu un accrochage ! Pas la peine de sénerver comme ça.
Les regards de lhomme et de la femme se sont croisés. Ils étaient prêts à saffronter à nouveau, à sinvectiver. Au lieu de ça, ils partirent tous les deux dun rire franc.
« - Garons-nous sur le côté et laissons passer ces braves gens qui ont lair si pressés, dit-il.
« - Vous avez raison, répondit-elle, ayant retrouvé son calme.
Une fois leurs véhicules sur la voie des bus, les warnings en marche, ils descendirent à nouveau.
« - On fait un constat ?
« - Daccord, mais je vous propose daller dans ce café là-bas.
« - Cest le moins quon puisse dire ! dit-elle, un sourire aux lèvres. Moi non plus je nai pas été tellement sympa.
Le lendemain matin, Louise Garnier est passée chez son assureur pour déposer le constat de laccrochage.
« - Cest parfait Madame Garnier. Il y a juste un petit problème, la personne qui vous a accrochée na pas signé le constat. Rien dirrémédiable, ça risque juste de retarder la procédure.
« - Ah non ! Pas possible ! Je vais reprendre contact avec lui, pour le lui faire signer.
Un quart dheure plus tard, Louise a composé sur son portable le numéro de téléphone porté sur le constat :
« - Allô ! Monsieur Le Guennec ? Bonjour, cest Louise Garnier, la personne avec qui vous avez eu laccrochage hier.
« - Madame Garnier ! Bonjour ! Quest-ce qui se passe ?
« - Il se passe que vous navez pas signé le constat, Vous men voulez ou quoi !
« - Oh je suis vraiment désolé, ce nest pas volontaire. Je vais le faire bien sûr.
« - Jy compte bien ! Je vous lenvoie, vous le signez et vous me le renvoyez. Ne traînez pas sil vous plaît, jai besoin de faire changer le phare.
« - Hier, jai eu la nette impression de vous connaître. Votre visage, votre nom ne me sont pas inconnus, mais je narrivais pas à me souvenir.
« - Je ne crois pas quon se connaisse, non.
« - Si si, enfin on ne sest jamais croisés, mais jai lu un article que vous avez écrit dans une revue scientifique. Il y avait votre photo en tête darticle. Ça mest revenu ce matin. Jai retrouvé cette revue chez moi.
« - Ah ?
« - Oui, un article sur linfiniment petit et les nanoparticules. Excellent, cest un sujet que je ne connaissais pas du tout, Grâce à vous, jai pu comprendre de quoi il en retourne. Un excellent article de vulgarisation.
« - En effet, des revues scientifiques me sollicitent de temps en temps.
« - Écoutez ! Plutôt que ces échanges par courrier qui risquent dêtre longs et vont vous faire perdre du temps, accepteriez-vous de dîner avec moi ce soir. Je signerai ce constat par la même occasion, et vous mexpliquerez en détail tout ce qui concerne les nanoparticules, les atomes, les électrons. Je ne suis pas un spécialiste, mais le sujet mintéresse.
« - Je ne crois pas que
« - Dites oui ! Je vous dois bien ça. Jai été de mauvaise foi. Laccrochage est de ma faute.
« - Cest bien de le reconnaître.
« - Cest oui alors ?
« - Je nai pas dit
« - Vingt heures ce soir. Je réserve chez Auguste, rue de Bourgogne. Vous connaissez ?
« - Vous avez gagné, cest daccord.
Louise a cédé. Sortir un peu lui fera du bien, elle ne sort quasiment jamais.
Il sest platement excusé, il devait être énervé hier, ça arrive. Et puis Louise na pas non plus été tendre avec lui.
Elle se souvient de léclat de rire commun quils ont eu lorsque les autres automobilistes se sont mis à klaxonner. Un léger sourire illumine son visage en y repensant.
Louise veut faire bonne impression ce soir. Elle ouvre son dressing et choisit avec soin un petit ensemble jupe chemisier légèrement échancré, classique mais toujours de bon goût, avec son petit gilet en cachemire vieux rose, ce sera parfait.
« Pas mal du tout » se dit-elle en se regardant dans le miroir de sa chambre.
A vingt heures, Louise arrive rue de Bourgogne. Daniel est déjà là. Il sourit en lapercevant de loin et lui fait signe de la main.
« Au moins, il est ponctuel. Ponctuel et élégant. Jaime bien. » se dit-elle.
Sa voiture étant chez le garagiste pour faire réparer le phare cassé, Louise est venue à pied, un quart dheure de marche ne lui fait pas peur.
Devant le restaurant, Daniel sécarte en tenant la porte grande ouverte afin de laisser passer Louise.
« - Merci, dit-elle avec un léger sourire.
« Ponctuel, élégant et galant. De mieux en mieux, à une époque où lhomme dit moderne nous lâche la porte dans la figure. ».
Le maître dhôtel les installe et leur apporte la carte, Louise remarque que sur la sienne il ny a aucun prix.
Dautorité, Daniel commande deux coupes de Champagne pour commencer, et lui fait quelques suggestions connaissant bien cet établissement.
Il semble sûr de lui. Certainement son métier lamène à prendre des décisions, que personne ne doit jamais oser contester :
« - Vous aimez ? Je viens ici de temps en temps. La cuisine est bonne, le personnel sympa.
« - Cest parfait. Jaime ce côté cocooning, on se sent au chaud, protégé du monde extérieur. Merci.
Louise apprécie le regard de Daniel, il a un côté rassurant quelle ne saurait définir.
« - Alors Louise, comment en êtes-vous arrivée aux nanoparticules ?
« - Jai un doctorat en physique moléculaire. Jaurais pu intégrer lindustrie chimique et gagner beaucoup dargent. Jai préféré me consacrer à la recherche. Au fur et à mesure, jai orienté mes travaux sur le lien entre mes spécialités, la physique moléculaire ou la physique quantique dun côté et la biotechnologie, ainsi que lenvironnement de lautre. Les débouchés sont variés, agriculture, médecine, biocarburants, dépollution.
« - Cest passionnant ! Mais je dois vous appeler Docteur alors !
« - Louise, ça sera très bien. dit-elle en éclatant de rire.
« - Daccord Louise, si vous mappelez Daniel, je naime pas quon me dise monsieur. Et avec votre diplôme, vous avez fait quoi ?
« - Jai choisi de travailler sur la dépollution. Très tôt aussi, on ma proposé de rejoindre la Silicone Valley. Jaurais pu y monnayer mes diplômes et mes recherches. Je ne lai pas fait.
« - Quavez-vous fait ?
« - Jai travaillé pour le CNRS et lInstitut Pasteur, notamment. Mais je ne suis pas quune ratte de laboratoire, je sors de mon antre régulièrement, pour des conférences, pour des articles dans des revues scientifiques.
« - Cest comme ça que je vous ai découverte finalement. Jai vraiment beaucoup apprécié votre article.
« - Je me souviens de cet article sur les nanoparticules. Jaime faire partager ma spécialité qui peut paraître ardue et rébarbative. En lexpliquant simplement, on met en lumière ce que concrètement et quotidiennement, on peut apporter à la planète et à lenvironnement, notamment.
« - Vous disiez que vous aviez refusé de partir aux États-Unis. Pourquoi ?
Par amour
« - Par amour ? Racontez-moi. Enfin, si ce nest pas trop indiscret bien sûr. Vous êtes mariée ?
« - Je lai été. Mon mari est décédé. En fait, j'ai été veuve à 28 ans. Je nai jamais refait ma vie. Mais je naime pas trop parler de ça.
« - Je comprends. Oubliez mon empressement. Passons à autre chose.
« - Et vous Daniel ? Racontez-moi
« - Encore un peu de vin ?
« - Il est excellent, jadore le Sancerre, mais doucement, il va me monter à la tête, lui dit-elle en tendant son verre.
En même temps, Daniel a approché la bouteille. Immanquablement, leurs mains se sont effleurées. Il sest aussitôt reculé pour verser du vin dans son verre.
Louise a un petit sourire gêné. Ce rapide contact, provoque en elle un léger émoi. Elle se reprend aussitôt :
« - Et vous alors ?
« - Oh moi, ma vie a peu dintérêt.
« - Vous nêtes pas rentier tout de même ?
« - Je suis ingénieur, pas très original.
« - Quand même !
« - Je nai aucun mérite, jétais bon en math, jai fait prépa et une grande école.
« - Une grosse tête alors !
« - Non, ce nest pas une vie quand on est jeune. Des maths, des maths pendant 2 ans, 4 heures de cours par jour, toutes les soirées à réviser et un contrôle le samedi. Pas de sorties, pas de loisirs. En mangeant, je mamusais à faire des exercices, quelle vie !
« - Avec tout ça, vous avez fait au moins Polytechnique.
« - Même pas, raté pour un quart de point. La différence entre les bons et les autres. Je ne me regrette rien, jai fait Sup Elec, ce qui me permet davoir une bonne situation, et de méclater dans tous les postes quon me confie. Maintenant, on me dit monsieur le Directeur.
« - Bien monsieur le Directeur
Vous êtes marié, des s ?
« - Jai des s.
Et montrant sa main où le bronzage révèle encore la présence dune alliance :
« - Mais plus de femme. Enfin je nai pas fait mes s tout seul. Nous étions heureux, et un jour elle est partie.
« - Désolée.
« - Vous ny êtes pour rien. Dit-il, avec un petit sourire .
« - Je ne voulais pas être indiscrète.
Sans lécouter, Daniel parle, pour Louise ou pour lui.
« - Nous nous sommes connus après nos études, je commençais à travailler, elle était en dernière année. On sest aimé tout de suite, comme des fous. Quand le Maire a demandé « Voulez-vous prendre pour époux monsieur Daniel Le Guennec ici présent » et que jai entendu « oui », jétais sur un petit nuage, je volais
Le bonheur parfois ça étouffe. Ça ne pouvait pas durer.
Un jour, elle ma dit « Daniel, je voudrais te parler ».
Inutile den dire plus, inutile de me dire quelle avait rencontré un autre homme, inutile de me dire quelle voulait vivre avec lui, inutile de me dire quelle sen voulait de me faire souffrir, quelle regrettait
javais compris.
Le soir, nous nous sommes couchés comme tous les soirs, mais cette fois je ne lai pas prise dans mes bras pour quelle sendorme contre moi. Jaurais pu tendre la main, je ne lai pas fait. Mon corps, mon cur refusait.
Louise nose le regarder, elle a la gorge sèche. Pour faire bonne figure, elle finit son verre sans sapercevoir quil est déjà vide. Daniel continue :
« - Cest de ma faute, je nai pas su la rendre heureuse. Je me suis bien sûr posé des questions, cet autre quavait-il de plus que moi ?
Je nai pas trouvé de réponse. Elle était tombée amoureuse, impossible de lutter. Cest la vie.
« -
« - On ne sest jamais déchiré. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé tout seul à 32 ans. Les s avaient besoin de leur mère.
« - Vous en avez combien ?
« - Un grand, on sest marié à cause, ou plutôt grâce à lui. Et des jumeaux 3 ans après, un garçon et une fille.
Je les vois le weekend, pendant les vacances, parfois quand elle ne peut pas les garder. Jai pensé que cétait mieux pour eux quil soit avec leur mère.
« - Et lautre, il les a acceptés ?
« - Lautre ? Ce con, pardonnez-moi, je deviens vulgaire. Il est parti ailleurs rapidement. Il na même pas compris sa chance, compris combien elle était merveilleuse. Il na su que briser notre ménage. Elle a élevé les s toute seule.
« - Vous navez pas voulu vous remettre ensemble ?
« - Jy ai pensé, mais mon petit honneur de mâle ma empêché de faire le premier pas. Elle maurait certainement repoussé.
« - Qui sait ?
« - Une fois me suffisait. Jai peut-être eu tort.
Daniel devient silencieux, Louise regrette davoir été si indiscrète.
Cest elle qui rompt le silence, sans sen rendre compte, elle est encore plus indiscrète :
« - Vous laimez toujours ?
« -
Je ne lai pas oublié.
Daniel prend conscience de la gêne qui sinstalle :
« - Excusez-moi Louise, je plombe lambiance. Cest le passé
Vous aimez le cinéma ? Moi cest ma passion, je tiens ça de mes parents, mon père était acteur de complément, cest-à-dire figurant, ma mère était script
Ils mont communiqué leur amour pour le septième art.
« - Jaime aussi, ça nous fait un point commun.
« - La prochaine fois, je vous emmène à la cinémathèque.
« - La prochaine fois ? Ah ! Parce quil y aura une prochaine fois.
« - Cette semaine, il y a un festival Godard à ne pas manquer. Et jaimerais vous faire un cadeau.
« - Jaime beaucoup Godard. Enfin pas tout, mais le Mépris est un de mes films préférés, À bout de souffle aussi
Un cadeau ? Vous mintriguez.
« - Un livre
Un recueil de poèmes que jai écrit.
« - Ouah ! Des poèmes.
« - Quand je me suis retrouvé tout seul le soir, je me réfugiais dans lécriture.
« - Vous en avez vendu beaucoup ?
« - Non, juste un tirage à compte dauteur. Jaimerais que vous le lisiez, jai limpression que vous seule saurez me comprendre.
« - Quelle confiance.
« - Je ne sais pas pourquoi, mais ça compte beaucoup pour moi. Vous savez lécriture cest la poubelle de lâme, on peut tout dire, tout faire, tout vivre. Et si vous naimez pas, si vous trouvez ça ridicule, sil vous plaît, ne me le dites pas.
« - Je ne sais quoi vous dire
Vous me laissez sans voix.
« -
Voulez-vous un dessert ?
« - Allez, ce soir on fait des folies, va pour un petit dessert.
« - Pourquoi petit ?
Daniel part dans un éclat de rire, content de sa réplique quil a piqué dans un film dont il a oublié nom.
En mangeant son gros dessert, Louise que la vie de Daniel a troublée, repense à son mari. Elle a envie de se confier. Inconsciemment, elle perçoit quil comprendra.
« - Jai rencontré Victor, celui qui allait devenir mon mari, à 18 ans, lors de notre première année de fac. Avant lui, à part quelques amourettes, je navais pas trop dexpérience. Lui le littéraire, moi la scientifique, nous nous sommes croisés par hasard au resto U. A priori, rien naurait dû nous rapprocher. Mon surnom était « Poupée Barbie » à lépoque, le sien « Gaston Lagaffe ».
Nous étions complètement différents. Et pourtant
ça a été le coup de foudre presque instantané. Je dis presque, parce que ça a commencé par un énorme fou rire de ma part. Il a voulu poser son plateau à côté du mien, à ma table, la place était libre. Il a fait tomber son yaourt, ouvert bien sûr, sur mes genoux. Jai failli lui crier dessus, mais à la vue du yaourt répandu sur ma jupe, je suis partie dun fou rire. Cest aussi son air tellement désolé qui ma fait changer davis.
Ensuite, on ne sest quasiment plus quittés. Il a été lamour de ma vie, il a fait de moi une femme, il a été mon mari, mon amant, mon complice. Il ma rendue heureuse pendant 10 ans. Jaurais tant aimé être la mère de ses s. Nos amis riaient gentiment de nous. Nous étions le couple parfait, toujours collés lun à lautre, main dans la main. Ma meilleure amie à la fac ma dit un jour que le mot fusionnel a dû être inventé pour nous. Nous nous sommes mariés quelques années plus tard, nous avions 25 ans. Il a racheté une librairie, son rêve, jétais doctorante. Cest uniquement pour ça que je suis restée en France.
Si javais été célibataire, sûrement je serais partie du côté de la Silicone Valley. Un jour, alors que jétais à Genève pour une conférence, jai reçu un appel de son père. Victor était mort, rupture danévrisme, à 28 ans. Rien ne le laissait présager, il nétait jamais malade.
Un long silence sinstalle. Louise a le regard dans le vide. Daniel nose pas lui parler, il lui semble quune larme perle au coin de son il.
Enfin, elle reprend :
« - Je ne men suis jamais remise.
Après un nouveau silence, Louise a un petit rire nerveux :
« - Excusez-moi, maintenant, cest moi qui plombe lambiance.
« - Mais non, cest émouvant. Et vous navez jamais refait votre vie donc ?
« - Je me suis retranchée dans le travail. Jai la chance davoir fait de ma passion mon métier. Jai rencontré bien sûr quelques hommes par la suite. Oh, pas cinquante hein ! Quelques-uns. Ça na jamais duré bien longtemps. Une fois, jai eu un début de relation avec un charmant garçon. Ça a duré six mois. Je crois que ça venait de moi, par forcement deux.
« - Comment ça ?
« - Inconsciemment, je marrangeais pour rompre. Non pas quils le méritaient, enfin, parfois si tout de même ! Non, cest surtout quà chaque fois, je comparais avec Victor. A mes yeux, aucun ne tenait la comparaison.
« - On noublie jamais lamour dune vie.
« - Cest vrai, mais on peut passer à autre chose. Je nai jamais pu. Vous allez me trouver idiote, du moins cest en total décalage avec ma formation scientifique, mais je reste persuadée que Victor est là, quil me guide, me conseille, veille sur moi.
« - Certainement il est là, toujours avec vous. Cest
touchant Louise.
« - Je nai
jamais parlé de tout ça avec personne. Excusez-moi encore.
« - Mais non, vous ouvrez votre cur, cest tout. Si cest la première fois, je suis ému que ce soit avec moi.
Daniel pose sa main sur celle de Louise. Elle ne la retire pas, le regard baissé. Daniel suppose que Louise doit être au plus profond de ses pensées, quelque part avec Victor. Il respecte son silence.
Enfin, elle relève la tête et dit en souriant, tout en retirant doucement sa main :
« - Parlons dautre chose
La discussion reprend de plus belle, les sujets sont plus variés, plus légers aussi. Quelques rires fusent au fur et à mesure de la soirée.
Louise a été sobre, après deux verres du vin, elle préfère se rabattre sur la bouteille de Badoit.
En revenant de régler discrètement laddition au comptoir, Daniel lui tend la main pour linviter à se lever :
« - Vous êtes à pied, je vous raccompagne.
« - Je ne voudrais pas r, mais jaccepte volontiers. Je naime pas les rues vides la nuit.
Avant de démarrer, Louise railleuse dit à Daniel en accrochant sa ceinture :
« - Vu votre façon de conduire, je préfère prendre mes précautions.
Un sourire illumine son visage. Daniel laisse aussi échapper un petit rire.
En roulant Daniel narrête pas de parler, Louise lécoute sans linterrompre. Il parle de cette voiture quil ne connaît pas, des rues de Paris, du danger des feux qui passent au rouge quand ils arrivent
à cette évocation, ils ne peuvent sempêcher de sourire.
Le trajet est court. Daniel se gare devant limmeuble où habite Louise :
« - Merci pour cette soirée monsieur Le Guennec, dit-elle insistant ironiquement sur le monsieur.
« - Tout le plaisir était pour moi Louise
. Mais je nai pas signé le constat, passez-le-moi, je le signe de suite.
« - Cest vrai où avais-je la tête. Oh ! Je lai oublié chez moi. Suivez-moi, vous le signerez là-haut.
Sans hésiter, elle lentraîne dans le hall et appelle lascenseur. Cinq étages, ce nest pas très long, Daniel continue son monologue en parlant sans arrêt, cette fois du système dappel si lappareil se bloque entre deux étages, passionnant !
Louise le fait entrer. Désignant le canapé :
« - Installez-vous, et dabord servez-nous un verre pendant que je vais chercher notre constat.
« -
« - Oui là-bas, les bouteilles sur la petite table et les verres sous le meuble télé. Prenez ce que vous voulez et servez-moi la même chose.
Louise revient, sassied à côté de Daniel et sempare de son verre. Cette fois cest elle qui parle, Daniel attentif lécoute, ravi par la simple mélodie de sa voix.
Lheure tourne, poliment Daniel veut prendre congé :
« - Il se fait tard, je ne voudrais pas r dit-il en se levant.
Voyant le constat sur la table :
« - Jallais oublier de le signer. Vous allez encore dire que je lai fait exprès.
« - Vous en seriez bien capable.
« - Pour vous revoir, certainement.
Elle sourit, flattée du compliment, tandis quil appose sa signature au bas du document. Et pour celer leur accord, dépose une bise sur la joue de Louise :
« - Chez nous cest trois dit-elle en riant.
Il sexécute. Au passage, ses lèvres effleurent les lèvres de Louise :
« - Chez moi cest quatre.
Cette fois, il reste un peu plus longtemps sur ses lèvres. Louise ne bouge pas, inconsciemment elle attendait ce moment. Moment magique où sans rien dire tout est dit.
Leurs yeux parlent pour eux, leurs bouches se rejoignent, petits baisers, qui se transforment en un baiser langoureux. Louise se laisse porter par le frisson qui lenvahit.
Ils semblent ne pas vouloir se détacher lun de lautre. Petit à petit, les mains de Daniel se font inquisitrices, parcourant le corps de Louise. Elle le regarde, partagée entre cette folie qui lui fait peur et lenvie quelle a de se sentir dans les bras de cet homme encore inconnu il y a 24 heures.
Lentement, Daniel commence à ouvrir un à un les boutons de son chemisier. Preste, elle pose sa main sur la sienne pour arrêter son geste.
« - Non !
« - Pardon, veuillez mexcuser.
« - Pas ici.
Elle le prend par la main et se dirige vers sa chambre.
Daniel la suit, il nose franchir cette porte qui devrait lemmener au paradis. Au pied du lit, il la prend dans ses bras, la serre contre lui :
« - Nous sommes fous.
« - Cest bon dêtre fou de temps en temps, lui souffle-t-elle.
Il lembrasse, elle lui rend son baiser. Sans savoir comment, ils se retrouvent sur le lit, allongés lun contre lautre. Daniel appuyé sur un coude, joue avec les boutons de son chemisier, en défait un, un second.
Louise a peur de son regard, elle tend la main pour éteindre la lumière. Lobscurité est leur complice, Daniel enlève le chemisier, la jupe, le soutien-gorge, Louise fait glisser sa culotte :
« - Vous nallez pas rester habillé.
Dans le noir, Daniel ôte ses vêtements et prend Louise dans ses bras. Le contact de leurs corps nus les fait frissonner.
Un peu maladroit comme une première fois, les gestes de Daniel doivent sadapter. Il ne veut rien brusquer.
Quelques caresses pendant quils sembrassent. Les mains de Daniel parcourent le corps de Louise, elle tremble, elle aussi se souvient, son corps se souvient.
Daniel lui caresse les seins, prends ses tétons entre ses lèvres. Elle les sent ferme, sensibles à ces caresses. Lui aussi est sensible à cette femme qui lui caresse le dos, lui mordille le lobe de loreille, lui dépose des baisers dans le cou. Des picotements dans le bas ventre sont le signe quil pourra lui donner la jouissance quelle attend.
Sa main descend sur son ventre, sa toison, sa fente humide, tout le corps de Louise vibre.
Daniel se souvient de la réflexion de son père quand il était adolescent. Un soir quil rentrait tard, il narrivait pas à mettre la clé dans la serrure de la porte dentrée, son père a eu cette pensée philosophique quil na jamais oubliée « ne regarde pas, mets la main pour trouver le trou ». Cette seule pensée le fait sourire, heureusement que Louise ne le voit pas, elle ne pourrait comprendre son hilarité en ce moment crucial.
Louise, de son côté, ne veut pas rester passive, avec son mari elle a souvent pris la direction des opérations. Sa bouche descend le long de son cou, sa poitrine, son ventre, son pubis. Dune main assurée, elle se saisit du sexe de Daniel qui commence à prendre du volume, « cest le moment de montrer ce que je sais faire » se dit-elle. Daniel sent alors la bouche de Louise se refermer sur lui et commencer une lente fellation. Malgré lobscurité de la chambre, sans le vouloir, il ferme les yeux pour goûter au mieux cette caresse intime.
Au bout de quelques minutes, satisfaite du résultat obtenu, en écartant les jambes, Louise remonte pour embrasser Daniel. Comprenant linvitation, il se place entre les cuisses offertes et senfonce lentement en elle.
En se tenant serrés lun contre lautre, lun dans lautre, ils apprécient tous les deux ce moment merveilleux qui précède lorgasme.
La respiration haletante, Louise pousse un petit cri, Daniel se crispe, il se répand en elle. La bouche ouverte, elle laisse alors échapper un cri plus fort, signe de sa jouissance.
Ils ne bougent plus, silence après la bataille. Ils ne peuvent pas se voir, mais se comprennent en rythmant leur respiration sur celle de lautre.
Louise dépose un rapide baiser sur les lèvres de son amant, et fonce vers la salle de bain quelle ferme à double tour. Daniel a entendu la clé, il ne bouge pas, respectant lintimité que Louise semble rechercher.
Quand elle se glisse dans le lit, elle a revêtu une petite nuisette bleu pâle, que Daniel ne peut que deviner :
« - Tu peux y aller si tu veux, mon chéri.
Elle a dit ça sans réfléchir, cest venu tout seul. Daniel sourit bêtement, il est heureux, tout simplement heureux.
Quand il regagne sa place dans le lit, il comprend quelle la attendu pour sendormir dans ses bras. Bien vite, il la rejoint au pays des songes.
Au matin, Louise est déjà sous la douche quand Daniel se réveille, sétirant dans ce lit quil ne reconnaît pas. Dans la lueur de la porte de la salle de bain, il voit apparaître Louise vêtue dun long peignoir. Elle le fixe avec un sourire radieux :
« - Bien dormi ? Je vais préparer le café.
Vieille habitude de célibataire, il traîne un peu au lit. Après un brin de toilette, il arrive dans la cuisine guidée par la bonne odeur du café chaud.
« - Jespère quil est bon, moi je ne bois que du thé.
Il dépose un rapide baiser sur ses lèvres et sassied face à elle.
Le nez dans leur tasse, leurs yeux se croisent. Les mêmes pensées passent à cet instant dans la tête de Daniel et dans celle de Louise. Cest elle qui rompt le silence :
« - Jaimerais bien te revoir.
Le « vous » de la veille a fait place au « tu » du matin.
« - Moi aussi, jaimerais te revoir.
Troublé, cest tout ce quil trouve à dire.
Louise continue :
« - Cest dimanche, il fait beau. Nous pourrions aller nous promener, par exemple au Parc de St-Cloud. Il y a des petits restaurants sympathiques, cette fois cest moi qui tinvite.
« - Avec plaisir, mais aujourdhui ce nest pas possible. Il va dailleurs falloir que je rentre rapidement.
« -
« - Cest mon anniversaire, toute la famille débarque chez moi à midi. Comme tous les ans, ils seront une douzaine pour me faire la surprise. Rituel auquel je ne peux me soustraire.
« - Cest aujourdhui ton anniversaire ? Quelle coïncidence ! Moi cétait il y a 3 jours, la veille où
« - Ça se fête
Et si tu venais avec moi, deux anniversaires dun coup. Je te présenterais.
« - Non, que vont-ils dire ?
« - Rien, ils nont rien à dire.
« - Ce nest pas un peu rapide ?
« - Pas pour moi. Et je ne vais pas te laisser un jour pareil.
Louise est émue, elle se lève, et embrasse Daniel amoureusement.
Louise ne veut pas faire attendre la famille, elle est prête rapidement. Elle a revêtu un ensemble pantalon ravissant.
Avant de partir, elle saisit la main de Daniel :
« - Tu sais, ce matin, je me suis réveillée tôt. Jétais encore entre deux eaux, quelque part entre sommeil et réveil. Je tai dit que Victor me guidait, maccompagnait. Il est venu. Il ma dit de foncer avec toi. En partant, il sest retourné, il ma fait ce sourire qui me faisait fondre à chaque fois, il ma dit « adieu ma Louise, sois heureuse, tu le mérites tant ». Après un dernier signe, il est parti dans une espèce de brouillard. Je suis idiote, je sais que tout ça sort de mon imagination. Ou peut-être pas.
Sentant lémotion létreindre, Daniel lui dit en souriant :
« - Tu nas pas rêvé, jai bien senti ce matin que nous nétions pas seuls. Écoute Victor, fonce. Je te présenterai mes s.
---o O o---
A midi tapant, tout le monde est à lheure et envahit lappartement de Daniel. Les hommes portent plus de bouteilles quils ne pourront en boire, les femmes déposent à la cuisine les plats quelles ont préparés.
Présentation rapide, brouhaha des embrassades et des nouvelles de chacun, les s courent partout. Louise est un peu dépassée par ce tourbillon.
Le repas est animé, agréable, convivial. Malgré la gentillesse de chacun, Louise se sent un peu perdue au milieu de tous ces gens quelle ne connaît pas, qui est qui ? Elle mélange les prénoms.
Pour faire bonne figure, elle sourit faisant semblant de suivre les conversations. La sentant gênée, Daniel ne manque pas de sadresser à elle chaque fois quil le peut.
Un bouchon de champagne saute, les flûtes sont remplies, toute famille entonne « joyeux anniversaire » en entourant Daniel. Louise se sent de trop, elle se fait petite, se tient un peu à lécart.
La porte de la cuisine souvre sur deux femmes portant un gros gâteau quelle pose devant Daniel sous les cris joyeux des s.
Daniel sourit, content dêtre aussi bien fêté.
Il tourne la tête à droite, à gauche, il cherche Louise. Lapercevant au fond de la salle, il lui fait signe de sapprocher. Celle-ci, intimidée, rougissante sous les regards qui se sont tournés vers elle, lui fait non de la tête.
Écartant les personnes qui lentourent, Daniel va vers elle, la prend par la main et sous le regard attendri de toute sa famille, il invite Louise à souffler avec lui les 70 bougies qui illuminent la table.
Il lève son verre :
« - Aujourdhui, nous sommes deux à fêter nos 70 ans. Bon anniversaire Louise.
Sa fille a les larmes aux yeux, elle se penche pour lui déposer une bise sur la joue :
« - Bon anniversaire Papa
70, cest pas tous les jours
Bon anniversaire Louise et bienvenue dans notre famille.
Daniel est tiré par la manche, cest Jules le petit dernier, 5 ans :
« - Dis papy, cest qui la dame ?
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