Clorinde (8)
Elle était levée la première.
- Ben oui, je bosse, moi, figurez-vous !
Elle a poussé un long soupir ravi.
- En attendant, quelle nuit !
Et sest versé un grand bol de café noir.
- Ça a donné au-dessus, hein ! Faudra tâcher de savoir qui cest
- Par contre, la fille, à côté
Ou bien alors elle est vraiment très très discrète.
- Oh, mais on finira bien par la faire sortir du bois. Dailleurs, tiens, on va en remettre une couche !
Et elle a lancé son petit enregistreur. Ses gémissements, puis ses rugissements de plaisir ont à nouveau envahi la pièce.
Et si ! Oui. Cette fois, oui. Dès le silence revenu. Ténu dabord à côté. Un souffle qui sest fait court. Des halètements. Ça sest emballé. Des plaintes. Des sanglots dextase.
- Ah, ben voilà ! Voilà ! Je savais bien
Suffisait dêtre patients. Bon, mais en attendant, vous avez une mission, vous, aujourdhui. On passe à lattaque. Opération patron. Le mieux, cest que vous vous pointiez vers dix heures. Il y a pas trop de monde à dix heures. Vous pourrez discuter tranquillement avec lui comme ça. Non, mais comment jai trop hâte de voir ce que ça va donner. Vous allez assurer, jespère
Elle a jeté un coup dil à la pendule au-dessus de la porte.
- À tout à lheure
Et elle ma envoyé un baiser, du bout des doigts.
Jai tendu loreille. À côté il y a eu le ruissellement de la douche. Longtemps. Et puis des bruits de tiroir quon ouvre. Des cliquetis métalliques. Peut-être de couverts. Quelque chose est tombé. Il y a eu un « Merde ! » retentissant. De longues minutes de silence. Entrecoupées, à deux ou trois reprises, de quintes de toux. Son portable a sonné. Sa voix. En long coulis murmuré. Et puis, elle sest brusquement énervée. « Mais je bosse, moi, enfin ! Comment faut te le dire ? Va même falloir que jy aille, là, tu vois. Ah, non ! Non ! Cest hors de question. Mais oui, cest ça ! Bon, ben je te laisse.
- Bonjour
Elle ma jeté un rapide regard. A légèrement rougi.
- Bonjour
Sa petite conversation au téléphone avait dû tout particulièrement la perturber parce quelle tremblait de tous ses membres et narrivait pas à introduire sa clef dans la serrure. Plus elle sy efforçait et moins elle y parvenait. Et plus elle sénervait. Tant et si bien que son sac a fini par se renverser et que tout le contenu sen est éparpillé à même le sol. Cigarettes. Kleenex. Petit nécessaire à maquillage. Portable. Tout un bric-à-brac. Jai volé à son secours.
- Oh, laissez ! Laissez ! Je vais me débrouiller.
Mais je ne lai pas écoutée. Je me suis accroupi à ses côtés et on sest employés tous les deux à tout renfouir dans le sac.
Elle sest brusquement figée, un trousseau de clefs, quelle venait de ramasser, à la main.
- Ah, ben daccord ! Je pouvais toujours chercher à la fermer, ma porte. Cétait pas la bonne clef. Quelle idiote ! Non, mais quelle idiote !
On a cheminé ensemble, dans le couloir, jusquà lascenseur.
- Encore merci pour le gel douche hier.
- Oh, de rien !
- Je sais pas comment on se débrouille, mais on oublie toujours un truc.
Elle a voulu dire quelque chose, mais sest ravisée, sest mordu la lèvre.
On na plus parlé jusquà ce que lascenseur simmobilise, au rez-de-chaussée.
Je lui ai tenu la porte qui donnait sur la rue.
- Bonne journée
- Merci. À vous aussi !
Sur le trottoir, elle a pris à droite. Je lai suivie des yeux. Jusquà ce quelle se soit fondue dans la foule.
* * *
Au bar, il ny avait que deux jeunes femmes en grande conversation, tout au fond de la salle, une étudiante qui avait étalé ses cours sur la table et un ouvrier en bleu de travail qui a vidé dun trait son verre de blanc à mon entrée et qui sest aussitôt éclipsé.
- Ah, ceux-là ! Pour causer, ils sont forts. Mais dès quil sagit de prendre des décisions, il y a plus personne.
Il a abondé dans mon sens.
- Ça, vous pouvez le dire ! Ce qui les intéresse, cest davoir la place. Ils font des pieds et des mains pour la décrocher, mais une fois quils lont
Clorinde a fait son apparition, a lancé un rapide bonjour à la cantonade et lui a réclamé une bouteille de blanc.
- Du blanc ! À cette heure-ci !
- Cest pour les Allemands, à la 128. Ils veulent du blanc. Sec.
Il a sorti une bouteille et deux verres quil a déposés sur un plateau quelle a aussitôt emporté. Son regard lui a brièvement effleuré les fesses quand elle a poussé, du genou, la porte saloon qui sest rabattue derrière elle.
Jai hoché la tête.
- Les Allemands et le vin blanc, cest tout un poème. Jai passé, il y a quelques années, quinze jours de vacances au bord du lac de Côme. Il y avait là un couple dAllemands qui squattait la terrasse. Le matin, quand on partait, ils étaient au blanc. Le midi, quand on revenait déjeuner, ils étaient encore au blanc et, le soir, quand on rentrait, ils étaient toujours au blanc. Et ça, tous les jours que le bon Dieu faisait.
Jai réclamé un autre café.
- Cest fabuleux, lItalie. Vous connaissez ?
Il ny était jamais allé, non.
- Si vous avez loccasion, nhésitez pas ! Cest dune beauté ! Les monuments, oui, bien sûr ! Les paysages. À se mettre à genoux devant. Et puis les femmes ! De véritables uvres dart, elles aussi, là-bas, les femmes. Elles ont de ces yeux, mais de ces yeux ! Des heures et des heures je passais à les regarder. Sans jamais me lasser. Jy consacrais des après-midis entières. Je minstallais sur un banc, dans un square, un livre sur les genoux, et elles allaient, elles venaient devant moi.
Il a passé un grand coup de torchon sur le comptoir.
- Oh, mais les nôtres sont pas mal non plus.
- Ah, ça, cest sûr ! Ici aussi on a nos petites merveilles. Qui ensoleillent nos journées.
Létudiante, qui faisait mine dêtre totalement absorbée par ses cours, a ébauché un imperceptible petit sourire.
Clorinde a fait son apparition sur le pas de la porte.
- Vous pouvez venir deux minutes ?
- Quest-ce quil y a ? Un problème ?
- Pas vraiment, non. Mais il y a quand même besoin de vous.
Il a levé les yeux au ciel.
- Si on soccupe pas de tout soi-même ici
Clorinde ma lancé un petit clin dil derrière son dos.
Quand il est revenu, létudiante était en train de ranger tranquillement ses affaires. Elle sest levée
- Au revoir !
Sest dirigée vers la porte. On la suivie tous les deux des yeux.
- Ravissante ! Absolument ravissante.
Il en est bien tombé daccord.
- Elle vient souvent ?
- Tous les jours. Ou presque.
- Eh ben, dites donc ! Vous êtes un sacré veinard, vous ! Parce quune fille comme ça
Elle doit bien avoir un petit ami, sûrement. Non ?
- Alors ça, pas la moindre idée, mais, ce quil y a de sûr, cest que je lai jamais vue avec personne. Ni fille ni garçon.
Clorinde a refait une apparition.
- Le couple de la 104, apparemment, il sest tiré avec la clef de la chambre.
Il a soupiré.
- Décidément, les gens font attention à rien. Bon, je men occupe.
Elle est repartie. Il lui a amoureusement caressé les fesses des yeux jusquà ce quelle ait disparu de son champ de vision.
- Elle aussi, elle est canon. Vous êtes décidément verni, vous, hein !
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