Rencontre
Rencontre
Ce matin encore, elle mattend.
Ce matin encore, elle est belle.
Tailleur strict, noir, jupe à mi-cuisses et bas gris, escarpins noirs à boucle dargent. Sa veste est ouverte sur un chemisier blanc, col relevé, petit foulard négligemment noué qui flotte. Ces boucles blondes volent dans le petit vent frais du matin. Avril est agréable cette année ; finies les pluies glaçantes de la semaine dernière.
Je lai rencontrée pour la première fois sous la pluie. Je sortais du bureau, elle aussi, javais un parapluie et pas elle. Un regard, un sourire, et elle a pris mon bras pour sabriter, jusquà larrêt du bus, bondé comme tous les jours à 17h00.
Elle est montée derrière moi ; nos doigts se frôlaient sur la même poignée ; un cahot, un coup de frein, son corps sapprochant, sécartant, et son sourire dexcuse. Le bus se vidait, se remplissait, et nos mains gardaient la même poignée.
Je suis descendue la première.
Le lendemain matin elle était là, à mon arrêt de bus, debout au bord du trottoir, se protégeant de la petite bruine en tenant un dossier au-dessus de sa tête. Elle a quitté la file, longeant le trottoir en prenant garde à ne poser les pieds quà lextrême bord, comme le font les s, regard concentré sur ses pieds et se mordant la lèvre. Arrivée à ma hauteur, elle sest glissée sous mon parapluie, regard amusé et grand sourire aux lèvres.
Jai pris un siège libre en bord dallée et au gré des arrêts et démarrages, sa hanche appuyait sur mon épaule.
Elle a pris mon bras jusquà la grande porte à tambour au pied de la tour où je travaille et sest dirigée vers les ascenseurs des étages impairs sur une dernière pression sur mon bras.
Toute la journée, je sentais la pression de ses doigts sur mon bras et je guettais le ciel, espérant une averse à lheure de la sortie, attendant de retrouver les boucles blondes. Peut-être échangerons-nous quelques mots ? Lesquels ? Une banalité, sans doute ; ou non ; rien.
Le ciel est clair, ce soir. Elle fait les cents pas au milieu du parvis, sautant dune dalle à lautre, marelle improvisée où on évite les joints entre les dalles de pierre. Elle lève les yeux quand je passe la porte à tambour, croise mon regard et me rejoint, prend mon bras. Jattendais la pluie comme un prétexte. Je bénis le ciel quil nen soit pas besoin.
Dun pas lent, bien accordé, nous rejoignons larrêt de bus ; je regrette quil soit si proche ; sa main va quitter mon bras bientôt.
Tous les jours pendant cette semaine, matin et soir nous nous retrouvons, néchangeons aucun mot, nous nous frôlons, nous provoquons de furtifs contacts. Elle fait ça ; moi non ; je nose rien ; jattends ; jespère.
Samedi matin, pas de grasse matinée. Une idée stupide, folle, une déception sans doute, comment en serait-il autrement ? A la même heure quen semaine je referme ma porte, descend les deux étages ; le pas est hésitant ; la porte cochère a claqué dans mon dos ; peu de monde sur le trottoir ; jévite de lever les yeux ; je veux retarder le soupir déçu ; retarder linstant où je me trouverais stupide devant un arrêt de bus désert.
Et ce matin encore, elle mattend.
Ce matin encore, elle est belle.
Son sourire confiant exprime lévidence que je serais là, que ce rendez-vous était implicite.
Jai pris son bras. Elle a replié le sien sur ma main, la plaquant contre elle.
Nous avons traîné dans les rues, de devantures en boutiques, nous tenant par le bras, puis elle, moi, je ne sais plus qui, nous tenant par la main en croisant nos doigts ; dans les jardins du Luxembourg, nayant toujours pas échangé un seul mot, devant un banc au soleil, alors que nous hésitions entre poursuivre notre route ou nous asseoir, elle sest approchée, a posé une main sur ma joue, ses lèvres fraîches sur ma bouche, et a fait un pas en arrière, délicieusement rougissante. Elle souriait, timidement cette fois, inquiète de ma réaction peut-être.
Un cri d et lappel dune mère, le battement daile dun pigeon, le frémissement de leau du bassin, une sirène lointaine, et ses lèvres ouvertes sous les miennes, la douceur humide du baiser, ses mains sur mes hanches, glissées sous ma veste de toile : tout se mêle ; tout est là ; et rien nexiste que le frisson continu qui me tient.
On rayonne quand on aime ? Je crois. Autour de nous, même si je ne voyais pas très bien qui nous croisions, qui nous regardait, je devinais les sourires, les regards ; le soleil davril était plus lumineux, la lumière plus chaude, la brise plus légère. Elle pressait mes doigts et je caressais les siens ; elle riait dune rue traversée en courant devant les voitures, je la tirais à ma suite.
Jai fouillé dune main fébrile à la recherche des clés. Elle a monté les étages devant moi, pressée où jhésitais. Sur le palier du second, je lai retenue devant ma porte alors quelle continuait dans son escalade frénétique. Je mappuyais à la porte claquée dans mon dos ; elle a lâché ma main et jeté son sac sur le canapé, dénoué le foulard de son cou. Retournée vers moi au milieu du salon, elle a fait glisser ses escarpins quelle a repoussés sous la table basse, et bras le long du corps, immobile, elle mattendait, visage lumineux légèrement incliné vers lépaule, sérieuse et confiante.
Dessous assortis de fin voilage orné de dentelles, gris comme ses bas dont les élastiques mordent les cuisses un peu fortes, seins comprimés, bombé du ventre sous le nombril souligné de la perle bleue dun piercing, ombre sous la taille du slip sous les fleurs de dentelles, elle soffre en souriant à mes yeux gourmands de sa blondeur et de chairs blanches soulignées de gris.
- Je mappelle Lisa.
Elle sappelle Lisa, doux comme sa voix, doux comme ses lèvres.
Je fais le pas qui nous sépare et enfin je la touche. De mes lèvres sur le ventre doucement bombé, du bout des lèvres sur le fin duvet blond qui sépaissit sous la marque un peu rougie laissée par les dessous, dun souffle au pli de laine, enfin je lenlace, fermant mes bras sur ses jambes, joue contre sa blondeur, et ses mains plongent dans mes cheveux, me serrent plus fort contre son ventre.
Elle a enlevé mes vêtements, un à un, très lentement, embrassant chaque partie dénudée, parcourant tout mon corps de ses lèvres et de ses mains, de ses doigts, de ses yeux, de son souffle.
Corps chauds mêlés, de baisers en caresses, de soupirs en cris sourds, jusquau soir, au cur de la nuit, la journée du dimanche, nous avons voyagé sans nous quitter un instant, sans que dun geste nous ne puissions nous toucher, du lit à la douche, de la cuisine au lit ; elle, collée dans mon dos, ses bras autour de ma taille quand je me brossais les dents, moi, jouant des ses boucles blondes quand elle buvait son thé, vêtements oubliés sauf pour, main dans la main, pour acheter nos croissants.
Dans laprès-midi du dimanche, je lai accompagnée chez elle ; dans un sac, une valise, sa trousse de toilettes, je lai aidée à préparer les jours où il faudrait bien nous quitter et les nuits à partager.
Et la vie est douce ; douceur de ses seins chauds et lourds que jembrasse, douceur du duvet soyeux de son ventre où je noie mon visage, douceur de ses mains qui font naître mon désir, douceur de sa bouche qui boit mon plaisir ; des jours, des nuits ; avril est passé sans changer léclat de ses yeux, sans que mon cur ne se calme. Et son corps maffole. Elle est si douce parfois et si exigeante dans linstant suivant.
Jai peu dexpérience de lamour et du sexe et elle me surprend très souvent, par la violence de ses orgasmes, par lincroyable quantité de sécrétions de son sexe qui coule littéralement sur ma bouche. Et je découvre avec elle tant de choses jamais imaginées, jamais osées, que je trouvais honteuses, et que je réclame maintenant.
Mon père a toujours su, compris. En quelques mots échangés au téléphone il savait que jaimais. Ce que lui a toujours compris, et accepté, ma mère ne la jamais admis. Nous irons déjeuner chez eux début mai. Je leur présenterai Lisa. Mon père laimera, maman préparera deux chambres et refusera de voir lévidence, comme il y a deux ans, quand Claire était venue au début de lété. Lisa sait. Pour Claire, pour ma mère ; et je sais quelle na aucun effort à faire, elle plaira à mon père. Jai 24 ans et cest la seconde que je leur présente, la seconde que jaime, la seconde avec qui je nai jamais eu une relation. Jai toujours su ; toujours étouffé mes envies. Claire a changé ça ; un peu ; un peu seulement ; et puis Lisa
Mon père mavait dit quil était heureux pour moi.
Maman avait serré les lèvres, sétait enfermée dans le bureau pour téléphoner à sa sur, et je pleurais en écoutant derrière la porte, ses mots durs.
Aujourdhui je sais que je ne pleurerais plus. Aujourdhui il y a Lisa. Peut-être quenfin je men moque.
Papa souriait, heureux du bonheur quil voyait dans mes yeux ; Maman pinçait les lèvres et levait les yeux au ciel. Bien sûr elle avait préparé deux chambres ; quand jai posé nos deux sacs dans mon ancienne chambre, elle a tourné les talons, poings serrés, marquant sa réprobation du claquement sec de ses mules roses sur le carrelage.
Par provocation, un peu, et parce que pas un jour je ne peux men priver, parce quelle le voulait, nous avons fait lamour cette nuit, et je savais que ma mère nous entendait, au début, et puis je ny ai plus pensé, et comme très souvent, Lisa a feulé de plaisir, corps arqué contre le mien. Et bien sûr Maman nous entendait.
- Alice, je préfèrerais que vous ne veniez plus.
Elle rangeait nos bols à peine finis, ne regardant ni Lisa ni moi, et Papa est parti vers son atelier où depuis toujours il se réfugiait, résigné.
Comments:
No comments!
Please sign up or log in to post a comment!