Coupable.
« - Coupable !
Les jurés avaient prêté serment. Ils ont décidé en leur âme et conscience, comme la loi le leur demande.
Le silence dans la salle est palpable.
Le Président de la cour dassises dEure-et-Loir va lire le jugement sous le regard dun public en mal de sensationnel, et des journalistes prêts à choisir le titre des journaux du lendemain.
De ma place, je vois tous les acteurs de ce microdrame : le Président juge suprême, le Procureur enfermé dans ses convictions, les avocats qui espèrent que leur plaidoirie a été la meilleure, les jurés impassibles qui prennent leur rôle très au sérieux, la famille de la victime partie civile attentive à la décision qui va être rendue, et dans le box des accusés, un homme dont la vie est en train de se jouer.
---o O o---
Tandis que le président poursuit la lecture du jugement
tout me revient en mémoire
Cétait il y a un peu plus de deux ans, à lépoque je devais aller toutes les semaines passer trois jours sur un chantier en Normandie.
Plus de 200 kms depuis notre maison de la banlieue de Chartres, trop de route tous les jours, le matin tôt, le soir tard, souvent très tard. A côté du chantier, jai déniché un petit hôtel, chambre et dîner, lidéal, je me sens en famille.
Cela fait cinq mois que je fais la navette, réservant les week-ends à Agnès ma petite femme chérie, aux réunions familiales et aux soirées entre amis.
Aujourdhui, une urgence me rappelle à mon bureau, la poisse. Jessaie de ne pas me coucher trop tard, sachant que le lendemain je devrais partir tôt pour arriver dans la matinée.
Malgré lheure matinale, la circulation est déjà dense. Je me sens sale, petit tour chez moi pour prendre une douche et me changer, je ferais la surprise à Agnès et qui sait jaurais peut-être le temps dune petite gâterie, avant un bon café.
La maison est silencieuse, les volets sont encore fermés.
Javance sans faire de bruit. Pourquoi dailleurs, il serait temps quelle se réveille :
« - Agnès, je suis rentré plus tôt, lève-toi.
« -
« - Ma chérie, je vais préparer le café.
Cest alors quAgnès apparaît en haut de lescalier, entièrement nue, un peu affolée. Elle bafouille :
« - Mais Laurent ? Tu es déjà rentré, quest-ce qui se passe ?
Surpris par sa nudité, elle qui dort toujours en nuisette même pendant les périodes de forte canicule, je nai pas le temps de me poser trop de questions, la réponse arrive derrière elle. La voix pâteuse dun homme à moitié endormi :
« - Que se passe-t-il chérie ?
Je vois alors un homme sortir de ma chambre, un homme entièrement nu lui aussi. Il a lair aussi étonné que moi. Je le reconnais, nous nous sommes croisés il y a trois mois chez des amis communs.
Agnès pousse un cri en se dirigeant vers lescalier pour venir à ma rencontre :
« - Oh ! Laisse-moi texpliquer mon chéri.
Pas besoin dune grande explication, je comprends au quart de tour que je suis rentré un jour trop tôt. Je suis cocu.
Nu en haut de lescalier, sans se cacher, son amant regarde notre canapé, je suis son regard. Je découvre dabord la robe dAgnès, ses chaussures, une culotte et un soutien-gorge sur le tapis, et à côté une veste, un pantalon, une chemise en vrac.
Je pense, à juste titre, que le caleçon négligemment jeté sur mon canapé doit appartenir à la bite qui se pointe en haut de mon escalier. Cest là quils ont dû commencer hier soir, et monter nus dans notre chambre. Je vois rouge en imaginant la scène, je serre les dents. Mon sang ne fait quun tour, sil était à côté de moi il prendrait mon poing dans la figure, mais voilà il est un peu trop loin.
A ce moment-là, mon regard est attiré par un pistolet qui dépasse de la poche de la veste, sans réfléchir je men empare.
Les yeux révulsés, jôte le cran de sécurité et dirige le canon vers ce salaud. Il crie :
« - Attention ! Ne faites pas le con, cest dangereux ces machins-là.
Ma femme sarrête dans son élan, sagrippe à la rampe et pousse un nouveau cri :
« - Non, mon chéri non !
Trop tard, mon doigt appuie sur la détente, Pan, Pan, Pan. Trois coups comme au théâtre.
Je vise encore bien, en plein dans le buffet. gicle de sa poitrine, il titube, son regard affiche de lincompréhension, il fait un pas et tombe dans lescalier entraînant mon épouse dans sa chute. Il aurait tout de même pu faire un effort pour léviter.
Tous les deux atterrissent à deux pas de moi, enlacés, nus, comme il devait lêtre cette nuit dans mon lit après avoir fait lamour.
Ma femme a sur elle, je suis certain de ne pas lavoir touchée, cest celui de son amant. Détail amusant, en voyant le sang qui a giclé sur les murs, jai une pensée pratique, comment vais-je faire pour nettoyer tout ça ?
Lui ne bouge plus, je nen suis pas étonné, je sais quil est mort. Agnès me regarde, hagarde, tout sest si vite passé. Je nentends que ses sanglots, et après quelques minutes, elle sadresse à moi, des hoquets dans la voix :
« - Quas-tu fait ?
Tu te rends compte ?
« -
« - Dis-moi quelque chose mon chéri
Pardonne-moi
Laisse-moi texpliquer.
« -
Rompant mon silence après quelques minutes :
« - Laurent, sil te plaît aide-moi
Je narrive pas à me relever.
Avec ce poids mort sur elle, ça ne me surprend pas.
Réveillés par les coups de feu assez rares dans notre quartier, les voisins ont alerté le commissariat tout proche.
Les sirènes de police retentissent, les pneus crissent. Je suis assis sur mon fauteuil préféré, sidéré, le regard fixe, le revolver encore chaud dans les mains, quand trois policiers font irruption, mempêchant de répondre à mon épouse qui me lance un regard suppliant.
Le lendemain, gros titre dans les journaux :
« Un policier abattu avec son arme de service »
Suivi dun chapeau en lettres grasses :
« Surpris au petit matin avec sa maîtresse au domicile conjugal, monsieur Christian Rossi a été tué par un mari jaloux ».
Moi jaloux, mais non, il ne me connaît pas. Je naime pas être pris pour un con, cest tout.
Le journaliste local, toujours à fouiner autour du commissariat a eu la primeur, il en a fait sa première page. Larticle précise que le mari rentrant chez lui plus tôt que prévu a tué de sang-froid la malheureuse victime avec son arme de service. Christian Rossi, policier de son état, avait eu la malencontreuse idée de ne pas conserver son arme à porter de main alors quil honorait, comme il se doit, sa maîtresse dans le lit conjugal.
En labsence dinformations précises, il sensuit toute une série de détails sortant de limagination du journaliste pour clore son article. Il prit soin de préciser que le policier et sa maîtresse étaient entièrement nus à larrivée des forces de lordre, détail qui espérait-il allait gonfler les ventes de sa feuille de chou. Ah ! sil avait pu prendre une photo.
---o O o---
Dans le tribunal, lattente a été longue. Enfin, les jurés ont fini de délibérer.
La salle daudience est pleine. Un coup de sonnette, tout le monde se lève, la cour entre, cest lheure du verdict.
Prenant son temps, regardant le box des accusés, le banc des journalistes, le public
Le président savoure ce moment, il va juger. Il prend enfin la parole :
« - Monsieur Laurent Belmont veuillez-vous lever, sil vous plaît.
Debout, jattends avec un peu danxiété la sentence qui va être prononcée. La salle retient son souffle :
« - Après en avoir délibéré, les jurés ont apporté les réponses suivantes.
A la question, laccusé Monsieur Laurent Belmont est-il coupable davoir à Chartres le 26 juin 2017, donné la mort volontairement à monsieur Christian Rossi ? La réponse est OUI à la majorité de six voix au moins.
A la question, monsieur Laurent Belmont a-t-il donné la mort avec lintention de la donner ? La réponse est NON à la majorité de six voix au moins.
Bingo, bravo maître Makarov, la préméditation na pas été retenue. Jévite les 30 ans pour assassinat. Certainement, la personnalité et le passé trouble de la victime a joué en ma faveur.
Comme lavait judicieusement fait remarquer mon avocat lors de sa plaidoirie, je nétais pas armé en rentrant inopinément ce matin-là chez moi. Il na dailleurs à aucun moment évoqué linfidélité de mon épouse, mais a insisté sur la personnalité de la victime, sa qualité de policier représentant de lordre et sa négligence davoir laissé traîner son arme de service. Les jurés ont été compréhensifs, le procureur avait réclamé 28 ans, beaucoup ont dû se mettre à ma place.
Le président continue :
« - En conséquence, la cour dassises dEure et Loir condamne monsieur Laurent Belmont à la peine de 18 ans de réclusion criminelle.
La sentence est accueillie en silence.
« - Monsieur Belmont, vous avez cinq jours pour faire appel de la décision de la cour dassises, ou pour vous pourvoir en cassation.
« - Gardes, faites sortir laccusé.
La salle commence à se vider. Jobserve sans les voir ces spectateurs du malheur quitter le tribunal. La représentation est terminée, le rideau vient de tomber.
Mon épouse au premier rang du public a les yeux braqués sur moi. Je lis sur son visage de la tristesse et de lamour. Peut-elle encore maimer ?
Son pâle sourire est la dernière image que jemmène avec moi. Je quitte le box entouré de deux gendarmes.
---o O o---
Dans le fourgon qui me conduit à la maison darrêt, je revois cette soirée maudite.
Ma femme nue en haut des marches
cet homme qui arrive derrière elle, nu également, et quil lappelle « Chérie » ... ce revolver qui dépasse des vêtements épars sur le canapé... Le coup de feu fatal
La dégringolade dans lescalier entraînant Agnès
Et le trou noir
la porte qui souvre brusquement
Quel tourbillon ! je nai opposé aucune résistance. Les policiers mont emmené après mavoir arraché le pistolet que javais encore en main. Immédiatement jeté dans une cellule du commissariat, mis en garde à vue, je nai appris que le lendemain que je venais de descendre un inspecteur de police. Inspecteur de police ou pas, il se tapait ma femme, bien suffisant pour moi.
Impossible de dormir dans cette cellule. Jétais effondré, Agnès infidèle ! La femme que jaime, qui partage ma vie. Mais, avoir tué cette enflure ne me causait ni remords, ni regret.
Première chose à faire, jai dû choisir un avocat pour assurer ma défense. Une amie, avocate daffaire, me conseille maître Dimitri Makarov, pénaliste de renom. Judicieux conseil, je me suis bien entendu avec lui, outre ses compétences juridiques, cest un homme humain et très compréhensif.
De suite, il ma informé ne pas vouloir plaider le crime passionnel, cela ne fera pas pencher la balance en ma faveur. Ce nest plus une circonstance atténuante, ce serait plutôt une circonstance aggravante, au temps où tout le monde senvoie en lair entre amis, démontrant une certaine étroitesse desprit de ma part.
Présenté deux jours après à un Juge dInstruction, jai tout avoué, sans omettre aucun détail. Il a été facile au juge de me mettre en examen. Il lui a tout de même fallu plus de deux ans pour clore son instruction et me renvoyer devant la cour dassises.
En lisant le dossier confié par mon avocat, jai appris quAgnès avait été soupçonnée. La victime était de la maison poulaga, les inspecteurs ont essayé de minimiser la faute de leur collègue. Je les ai entendus parler de partouze, de piège, je ne sais plus encore de quelle connerie. Agnès était coupable, mais pas du .
Il a fallu le zèle de la Juge dInstruction pour ramener cette affaire à sa juste valeur et linnocenter. Cétait pourtant simple, le mari tue lamant de sa femme, point.
Agnès est restée plusieurs jours à lhôpital pour soigner les bleus quelle sétait faite dans lescalier quand ce con lui est tombé dessus. Et sur demande de la juge, elle a dû subir un tas danalyses plus intimes, pour mettre en évidence son activité sexuelle cette nuit-là. Moi, je navais pas besoin de dessin pour le savoir, il faut croire que les policiers sont moins perspicaces.
En prison, je me suis retrouvé face à moi-même, des pensées narrêtaient pas de tourner dans ma tête. Jai beaucoup réfléchi comme le psy venu me voir me le demandait : « avez-vous pris conscience de lacte commis ? ». Bien sûr, jai pris conscience que ce connard baisait ma femme, je nallais pas culpabiliser de lavoir éliminé, aucun regret.
Je me posais surtout des questions sur Agnès. Quavais-je fait pour quelle ait voulu me tromper ? Jétais sûrement coupable de quelque chose, la tête dans mon boulot javais dû la négliger. Pourtant toujours aussi amoureux lun de lautre, nous baisions comme dhabitude, peut-être même un peu plus, je mettais sur mes absences ce surcroît de libido.
A force de me r lesprit, jen suis arrivé à lexplication quil ny a pas dexplication. Cest la vie, les circonstances. Jai compris son remords, un peu par les évènements, mais un remords est un remords. Jai mis mon amour-propre de côté, et jen ai conclu que si je me posais tant de questions, cest que je laimais toujours et que je ne voulais pas la perdre, quen sortant si elle voulait toujours de moi, si elle avait le temps dattendre
Pendant ces deux années passées à lÉtablissement pénitentiaire de Chartres, accompagnée de notre avocat, Agnès est venue plusieurs fois me voir.
A chaque visite, après avoir évoqué mon dossier et comment se préparer pour le procès, il nous laissait en tête à tête, il voulait quon sexplique avant le procès pour ne pas nous déchirer devant les juges. La première fois, je nai pas voulu lui parler, je me sentais trahi, que pouvait-elle me dire ?
Elle a beaucoup pleuré, ma supplié de lui pardonner son petit écart comme elle lappelait, ben voyons. Elle regrettait, elle maimait, avec lui il ny a jamais eu de sentiment, elle ne comprenait pas pourquoi elle lui avait cédé, elle sen voulait. Elle naurait jamais cru que je laimais au point de pour elle.
Comme un imbécile, ou plutôt comme un amoureux, jétais prêt à lui pardonner. Dautant, quelle navait pas lair très affectée de la disparition de son amant. Les hommes se font toujours avoir.
Le temps passait entre la promenade, les auditions chez la juge, la solitude et lennui dans ma cellule, et lattente dun nouveau parloir avec Agnès. Le pardon nétait plus à lordre du jour, Agnès me manquait voilà tout.
En maison darrêt, ce nest plus comme dans les films, les prisonniers alignés les uns à côté des autres, derrière une vitre. Maintenant les parloirs sont individuels, une table deux chaises. Maître Makarov accompagnait toujours Agnès et nous laissait seul, enfin sous la surveillance dun membre de ladministration pénitentiaire. Celui-ci, bon bougre, se retournait, il savait ce dont nous voulions après nous être embrassés.
La première fois, nous avons été gênés tous les deux, puis lenvie a été trop forte. Toujours la même technique :
Ma chaise à côté de celle dAgnès, je lenlace, on sembrasse. Je la caresse, ma main remonte sous son chemisier, je lui dégage les seins pour lui embrasser la poitrine, lui sucer ses tétons qui rapidement deviennent durs. Elle ouvre ma braguette, se saisit de ma queue et se penche pour me prendre entre mes lèvres, vérifiant dun il si notre surveillant nest pas trop curieux. Agnès sait que jattends ce moment, cest long en prison entre deux visites. Une petite branlette de temps en temps ne remplace pas la bouche dune femme, le sexe dune femme. Elle sapplique, lèche ma bite, me pompe le gland, quelques va-et-vient, jéclate rapidement dans sa bouche. Ne pouvant faire autrement, elle avale en se blottissant contre moi.
Ma main remonte sur sa cuisse, Agnès a tout prévu, elle a une jupe ample qui recouvre ses jambes. Des détenus mont prévenu, certains gardiens en profitent pour mater, petite compensation de leur bonne volonté. A la longue on sen fout, mais sil se retourne, il ne verra rien dautre que la poitrine légèrement dénudée dAgnès, sa pudeur sera sauvegardée.
Ma main sous la jupe écarte sa petite culotte, lui effleure la chatte déjà bien humide, je joue avec son clito. Écartant ses lèvres, jenfonce deux doigts en elle, caresse intime. Ma queue dans la main, elle continue de me branler. Nous nous regardons, je lis toujours son amour dans ses yeux, sa peine de mavoir fait souffrir. Nous jouissons ensemble, elle se mord les lèvres pour ne pas trop attirer lattention du maton qui na pas bougé, un brave type celui-là.
Elle sessuie la main avec une serviette quelle a lhabitude de porter avec elle, et se rajuste comme elle peut. Nous nous embrassons comme deux amants après lamour.
Plaisir rapide, mais vu les circonstances, cest la seule solution. Après le procès, je pense que je serais en Centrale, jaurais accès à une Unité de Vie Familiale, sorte de petit appartement dans lenceinte de létablissement où Agnès pourra venir passer quelques jours, juste tous les deux, comme dans la vraie vie. Ce sera mieux que maintenant, cette seule idée me permet de tenir.
Reprenant notre souffle, nous discutons en attendant le retour de notre avocat qui ne tarde pas à nous rejoindre. Nous savons tous les deux quil va falloir attendre au moins un mois avant de nous revoir.
Comme à chaque fois, je dois affronter les railleries de mes compagnons de cellule qui savent très bien ce qui vient de se passer, chacun son tour. Nous sommes six dans une cellule de quatre, impossible de se cacher quoi que ce soit.
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Quelle semaine je viens de vivre ! Cinq jours de procès, notre vie disséquée, les témoins, les experts. Jai tout avoué, cest pourtant simple.
Maître Makarov me soutient, mencourage à faire bonne figure, si je pouvais regretter mon geste ce serait un plus, mais cest au-dessus de mes forces. Il connaît bien mon dossier, son but est clair, minimiser la peine au maximum.
Après le tirage au sort des jurés, et un mot dintroduction du Président, le procès commence par la lecture de lacte daccusation par le greffier, voix monotone. Tout est dit, linfidélité dAgnès, le de sang-froid.
Avant dentendre les témoins et les experts, le Président résume une nouvelle fois les chefs daccusation retenus contre moi.
Au premier rang du public, Agnès essaie de garder un peu de dignité, elle baisse les yeux en entendant les mots accablants du Président, elle se sent coupable. Elle men a parlé à plusieurs reprises au parloir, cest elle qui devrait être dans le box des accusés, cest sa faute à elle. Femme fidèle et aimante, comment a-t-elle pu se laisser r par ce baratineur ? Elle a fait de moi un assassin, faut-il que je laime.
Mon avocat me secoue le bras pour me sortir de ma torpeur, le Président vient de sadresser à moi, « Non monsieur le Président, je nai rien à ajouter ».
Premier témoin, le directeur denquête vient résumer comment il a mené ses investigations. Linspecteur dresse un portrait des plus élogieux de la victime, policier exemplaire, une grande perte pour la société, un mari irréprochable, père de deux orphelins.
Au premier rang de lautre côté de la salle, Laura, son épouse en pleurs me fait pitié, ses s sont là, deux charmants ados un peu paumés ils ne comprennent pas pourquoi ils ont perdu leur père. Cest la première fois que je prends conscience que Christian Rossi, amant de ma femme, avait une famille, une femme, des s. Serais-je en train de regretter mon geste ?
Après cet éloge un peu trop idyllique, linspecteur essaie encore de jeter le trouble dans lesprit des jurés en évoquant un éventuel piège dun couple diabolique, ou une soirée à trois qui aurait mal tourné. Lenquête a depuis longtemps balayé cette éventualité, pourquoi y revenir. Mon avocat me calme, cest le jeu, demain mes experts mettront cette thèse par terre.
Enfin, le policier raconte comment ils ont été prévenus par un voisin, comment ils mont trouvé le pistolet en main devant ma victime enlacée par terre avec ma femme. Sur une question, il confirme « oui monsieur le Président, ils étaient nus tous les deux, à lexception du prévenu ».
Petit brouhaha dans la salle, la scène est facilement imaginable, elle excite les esprits.
Le lendemain, cest le tour des experts.
Un spécialiste balistique confirme que larme utilisée est une arme à feu de poing de catégorie A, calibre 38. Les fonctionnaires du commissariat avaient dailleurs reconnu larme de service de leur collègue. A laide de schéma, lexpert explique que trois balles ont été tirées de bas en haut, à plus de 2 mètres de distance, deux ont atteint la victime, la troisième a été retrouvée ficher dans le linteau de la porte de la chambre. Cette indication est la preuve que Christian Rossi venait juste de sortir de cette chambre quand il a été touché.
Puis le médecin légiste, qui a pratiqué lautopsie, expose les causes de la mort. Une seule balle est responsable du décès, elle a atteint la victime en pleine poitrine. La mort a dû être instantanée. Une deuxième balle a touché la victime à lépaule.
Tous ces éléments corroborent mes aveux. Bien sûr, jai dit la vérité.
Le Président veut définitivement tourner la page de la théorie des enquêteurs, savoir si Agnès est coupable ou non. Tout est dans le dossier, mais comme dhabitude, lenquête se poursuit devant le public, surtout devant les jurés qui nont pas accès aux expertises, et qui pourraient douter.
Un expert avait été diligenté pour effec quelques analyses sur Agnès. Le docteur Jeanne Delas est appelée à la barre, auréolée de ses diplômes, elle vient apporter les preuves scientifiques nécessaires à la cour.
Après une longue introduction que personne nécoute, elle en arrive enfin à lessentiel. Elle a ausculté la personne, ma femme Agnès, à lhôpital le lendemain des faits, sur commission rogatoire du Juge dInstruction désigné dans la nuit par le procureur.
Elle détaille minutieusement ses constatations, le grand nombre dhématomes sur tout le corps, pouvant être le résultat de sa chute, Agnès sétant cognée brutalement sur les marches de notre escalier. Des photos sont projetées afin que les jurés se fassent une idée, des bleus sur les fesses, sur le ventre, sur les seins. Photos cliniques, mais photos intimes, dans le public plusieurs hommes sont contents dêtre venus suivre les débats.
La demande nétait pas que médicale, lexpert devait répondre à une question précise des enquêteurs. Ayant constaté des traces de sperme sur les cuisses et les seins, la juge voulait savoir avec qui Agnès avait eu des relations sexuelles avant les faits.
Le rapport est froid, scientifique. Premier constat, elle note des rapports sexuels récents, non violents, la thèse du viol doit pouvoir être écartée, la dame devait être consentante.
Elle a ensuite effectué des prélèvements dans la bouche, le vagin et lanus, ainsi que sur ses cuisses et ses seins. Lanalyse des sécrétions intimes a révélé de nombreuses traces de sperme aussi bien dans la bouche que dans les deux autres orifices.
Je comprends que je les ai dérangés en pleine action.
Lanalyse ADN a montré que ce sperme provient dune seule et même personne, Christian Rossi. La thèse du trio est donc à exclure. Sur une question de mon avocat, elle précise quaucune trace de sperme de monsieur Laurent Belmont na été trouvée.
Il est donc légitime de conclure que la personne a eu de nombreux rapports avec la victime avant larrivée du mari. Les explications données par ce dernier ne peuvent pas être mises en doute.
A larrivée de la police, la nudité de la victime et de la femme, devant le mari habillé, corrobore cette version des faits.
Agnès est innocentée du , pas de son infidélité qui éclate au grand jour.
Pendant la déposition de lexpert, des murmures se sont élevés du public, enfin des détails croustillants. Agnès baisse les yeux, la honte détaler ainsi sa vie intime. Les journalistes imaginent déjà les gros titres du lendemain.
Le journal local avait augmenté son tirage et tous les soirs, une grande partie des informations régionales étaient consacrées aux débats de la journée, les journalistes rajoutant leurs commentaires les plus accrocheurs pour retenir les téléspectateurs. Parfois leur sujet était relayé sur les chaînes nationales au journal de 20 heures.
Le soir, dans ma cellule, je regardais les informations à la télévision.
Lorsque Agnès a été appelée à témoigner, le journaliste sest complu à détailler sa déposition, déclenchant le rire gras et les réflexions salaces de mes codétenus en entendant comment ma femme mavait fait cocu. Heureusement que les caméras sont interdites dans lenceinte du tribunal.
A lappel du Président désirant lentendre raconter sa version, Agnès sest approchée, timide, tremblante. A lexception des autres témoins, en qualité dépouse du prévenu, elle na pas à jurer de dire la vérité toute la vérité.
Laura, la femme de la victime, fait sortir ses s pour quils nentendent pas, pour ne pas ternir limage du père.
Agnès ne mavait jamais donné de détail sur sa relation, je ne lui en avais pas demandé. Le Président de la cour lui veut tout savoir, ses questions sont directes, précises. Sans le vouloir, je vais maintenant tout savoir.
Après avoir relaté les faits, dans une version très proche de la mienne, ma femme doit faire face à un flot de questions du Président, de lavocat général, de lavocat de la partie civile, seul maître Makarov ne dit rien par respect pour nous.
« Depuis quand ? », « Combien de fois ? »
Je retiens mon souffle, quelle est la longueur de mes cornes ?
A aucun moment, Agnès ne tente de minimiser sa faute, sa faute vis-à-vis de moi. Elle ne se cherche aucune excuse. Japprends comment ils se sont connus. Lors de cette soirée entre amis, voisins de table ils avaient discuté ensemble, je navais rien remarqué de particulier. En rentrant, elle mavait juste fait la réflexion que son voisin était sympa, pas de là à imaginer.
Pourtant, elle a accepté de le revoir, seule, quand il la invité à déjeuner la semaine qui a suivi. Elle jure quelle ne voulait pas me tromper, pourquoi avoir accepté son invitation ? Pourquoi ne pas men avoir parlé ? Ils se sont revus. Il était charmeur, il a été persuasif. La gent féminine est faible quand parlent les hormones. Jétais si souvent absent, je naurais jamais rien dû savoir.
Le Procureur sinsurge :
« - Tout de même, madame, dans le lit conjugal.
Gênée du sacrilège contenu dans cette question, Agnès se trouble, elle explique :
« - Les premières fois, nous sommes allés à lhôtel, mais javais peur dêtre reconnue. Chez nous cétait plus simple, plus discret.
Elle avait juste à changer les draps avant mon retour.
Agnès a honte, baisse la tête pour répondre aux questions dune petite voix, le Président est obligé de la faire répéter. Juste trois fois chez nous, trois nuits dans mon lit, une liaison qui a duré un peu plus dun mois.
Enfin son supplice sachève, elle peut rejoindre sa place sous les murmures du public qui déjà juge la femme infidèle.
Après ces aveux circonstanciés, mon avocat veut frapper fort, il a prévu quelques témoins clés pour ma défense.
Arrive à la barre un homme qui raconte comment sa femme a été la maîtresse de la victime pendant 2 ans avant quil ne sen aperçoive. Il a demandé le divorce.
Suivent deux jeunes femmes qui expliquent avoir eu une liaison rapide avec la victime lors de soirées coquines, dans un club à Paris.
Les témoins cités par mon avocat se suivent, ils dressent le portrait dun coureur de jupons qui a multiplié ses conquêtes depuis de nombreuses années. Laura, son épouse, est en pleurs, elle découvre son mari en même temps que les jurés.
Je comprends la remarque de son collègue qui est venu marrêter « ça devait lui arriver un jour ».
Dernier témoin, un ancien collègue, Richard même âge que la victime, son meilleur ami, ils faisaient équipe il y a plusieurs années. Personne na jamais compris pourquoi il avait demandé sa mutation il y a six ans.
Richard connaît bien Laura, avant daller à la barre il va la saluer, elle lui tombe dans les bras les larmes aux yeux, ils se font la bise.
Après avoir juré de dire toute la vérité, Richard explique que lorsquil a appris la liaison de sa femme avec Christian Rossi, ils se sont disputés, ils en sont même venus aux mains dans le commissariat. Ce nétait plus tenable, il a demandé sa mutation pour ne plus le voir, mais sa femme était partie, pour continuer à voir son amant. Cest clair, il lui en veut encore davoir détruit son ménage.
Laura comprend pourquoi ils ne voyaient plus ce couple damis. Son mari lui avait raconté des salades. Elle lui faisait confiance.
Maître Makarov veut aller plus loin pour me défendre en enfonçant un peu plus ma victime. Il interroge Richard sur une affaire ancienne.
Richard reconnaît que par amitié pour son ami, il a couvert une plainte contre lui.
« - Christian avait été contrôlé par une patrouille qui ne savait pas quil était de la maison. Un soir, sur les quais, il a été surpris dans une voiture avec une très jeune fille qui lui pratiquait une bonne pipe, excusez-moi du terme monsieur le Président, mesdames messieurs les jurés, jai lhabitude dappeler un chat un chat.
Il avait son pantalon aux chevilles quand il a dû présenter ses papiers. La jeune fille était entièrement nue. Non, elle nétait plus mineure, mais pas depuis longtemps.
Il aurait pu être poursuivi pour attentat à la pudeur sur la voie publique, difficile pour la suite de sa carrière. Le lendemain, il est venu me voir, jai étouffé laffaire, cétait un ami, je nai pas hésité
Laura sursaute. Elle se lève et linterrompt :
« - Tu me dis à quelle époque ? Mais jétais enceinte.
« - Oui, tu attendais Géraldine, ta première.
Laura siffle entre ses dents :
« - Le salaud.
Lavocat de la partie civile, représentant la veuve de moins en moins éplorée, intervient :
« - Monsieur le président, fait-on le procès de la victime. On oublie qui est la personne que lon juge aujourdhui.
« - Maître, pour une bonne justice nous devons connaître la personnalité de laccusé, comme celle de la victime.
Le Président remercie Richard pour son témoignage. Je croise son regard alors quil quitte la barre. Un regard de satisfaction, jai limpression quil me remercie. Avant de quitter la salle, il serre à nouveau Laura dans ses bras.
Le dernier jour, après le réquisitoire du procureur, les plaidoiries des avocats qui font des effets de manches pour impressionner les jurés et les journalistes présents, jai la parole en dernier.
Je me lève.
Sans madresser à la cour, je me tourne vers Agnès, elle peut lire sur mes lèvres :
« - Je taime.
Le Président déclare clos les débats et invite les jurés à se retirer pour délibérer.
---o O o---
ÉPILOGUE
Dernière nuit dans ma cellule de la maison darrêt de Chartres, demain je serai transféré en dans une prison réservée aux longues peines.
Fresnes, une des plus grandes Centrales de France. Jai une cellule individuelle, et comme prévu, jaurais accès aux Unités de Vie Familiale pour nous retrouver une fois par mois, Agnès et moi, pour quelques jours
Il nous faudra des années de patience pour oublier, et nous retrouver comme avant.
La vie est ainsi faite, personne ne mesure les conséquences de ses actes. Qui est fautif ? Comment dun simple dîner entre amis, je me retrouve ici, entre quatre murs.
Jai une pensée pour deux s qui grandiront sans leur père, et pour Laura leur mère, une belle femme encore jeune, je lui souhaite de trouver lhomme avec qui elle pourra refaire sa vie.
Je commence à compter les jours. Maître Makarov ma expliqué en détail : grâce au crédit de remise de peine, ma condamnation de 18 ans est réduite à 15 ans avant même de rejoindre ma cellule. Si je reste tranquille, il est possible de demander une libération conditionnelle à mi-peine, soit au bout de 9 ans, avec les deux ans que je viens de faire en préventive, et les remises de peine pour bonne conduite, une lueur despoir, jespère être libéré dans 6 ans.
Elle est belle la justice, je ne vais pas men plaindre.
Je pense à ma femme, je sais quelle va venir me voir rapidement elle en a fait la demande. Dernière image lorsque je sors du box emmené par les gendarmes, Agnès regagne la sortie aidée par mon avocat qui pousse son fauteuil roulant.
Elle mavait demandé « Laurent, sil te plaît aide-moi
Je narrive pas à me relever », je nen avais pas eu le temps, les policiers avaient fait irruption et mavaient menotté.
Je nai su quaprès quelle ne pouvait plus marcher. Sa colonne vertébrale avait heurté violemment les marches de notre lescalier quand son amant sans vie lavait entraînée dans sa chute. Le constat des médecins a été terrifiant, paraplégique. Depuis elle ne se déplace quen fauteuil, mais je ne peux pas laider de là ou je suis. Elle paye cher son infidélité avec ce don juan de pacotille.
Depuis, Agnès suit une rééducation dans un institut spécialisé. Les médecins sont optimistes, cela prendra du temps, certainement des années, mais elle a lespoir dabandonner un jour son fauteuil roulant.
Quand je sortirais, les plaies seront cicatrisées. Avec un peu de chance, elle remarchera pour venir me chercher à la porte de la prison.
Seule satisfaction, lautre ne sortira jamais de sa boîte.
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