Encore Des Souvenirs De Famille

Encore des souvenirs

Cette année-là, j'étais allée en vacances chez ma grand-mère paternelle. Je l'aimais moins que l'autre celle-là parce qu'elle n'était pas vraiment souriante. C'était dans la Somme, dans un de ces villages où les maisons mitoyennes s'étirent interminablement le long de la route principale. Les maisons toutes pareilles, en briques et couvertes de tuiles avec un jardin derrière.
Mes grands-parents vivaient au rez-de-chaussée et je me retrouvais dans une chambre à l'étage et qui donnait sur l'arrière. Je n'en sortais que pour aller dans le jardin ou le dimanche pour aller à la messe avec ma grand-mère puis passer à la boulangerie prendre un gros pain pour la semaine et deux petits gâteaux, un pour moi, un pour elle.
Je descendais aussi de ma chambre le matin pour déjeuner et me laver et pour chaque repas. Je n'avais pas envie d'aller ailleurs et d'ailleurs on ne m'en laissait pas le choix. C'était la maison ou le jardin !

J'avais mis huit jours pour regarder par la fenêtre de ma chambre parce que c'était la première fois que je me retrouvais dans cette maison. Ma grand-mère ne montait pas et je devais faire mon lit et mon ménage, ranger mes affaires qu'elle avait lavées dans son lessiveuse qui chauffait sur un poêle dans le cellier. C'était sur ce même poêle qu'elle faisait ses confitures avec ce drôle de baquet avec son thermomètre.
Je regardais le jardin de la maison d'à-côté et je me disais que le voisin devait cultiver les mauvaises herbes plutôt que les légumes quand je l'ai vu sortir dans le bout d'allée cimentée. J'avais déjà vu la voisine quand elle avait jeté une cuvette d'eau sur l'herbe. Le type était habillé d'une chemise de nuit, ce genre que portait à l'époque mon grand-père, chemise de nuit blanche avec des manches longues et qui arrive au-dessus des genoux.
J'ai tout de suite vu son bras gauche bouger, de manière saccadée et je me suis demandé ce qu'il pouvait faire puis il s'est tourné, à gauche et à droite comme pour vérifier si on pouvait le voir mais comme je le regardais au travers du volet, ces volets à lamelles de bois, il ne pouvait pas m'apercevoir et j'ai vu qu'il se masturbait.


Sa bite était toute raide et toute rose et ses doigts couraient dessus, d'en avant en arrière. J'avais aperçu une fois ma mère branler mon père, brièvement et sans qu'ils ne me voient et j'avais aussi entendu les garçons du collège et du lycée s'en vanter. Le type a continué à se masturber puis dans l'excitation, il s'est encore tourné vers moi et j'ai vu partir son sperme, un long jet qui est tombé à un mètre devant lui et puis un autre jet moins puissant et un autre
et... plus rien.
Le voisin a secoué son pénis et a rabattu sa chemise et il a fait demi-tour. Si je veux être honnête, je dois dire que ça avait été vraiment fascinant. C'est peut-être parce que je fantasme de temps en temps que j'aurais pu être de l'autre sexe et que j'aurais pu, moi aussi, éjaculer. Ça me manque parfois. Je suis une femme et j'ai des seins et une vulve et des petites lèvres et un clitoris mais mon clitoris est vraiment petit même s'il me donne quand même du plaisir.
D'avoir vu ça m'a laissée rêveuse et ce soir-là, je me suis masturbée comme d'habitude mais en plus en pensant ce que j'avais vu.

A côté de ma chambre, il y avait d'autres pièces emplies de meubles enfouis sous la poussière et dans lesquelles je m'étais mise à fouiller. Discrètement, sans que mes grands-parents ne le savent. C'est comme ça que j'ai trouvé un vieux pistolet et un vieux fusil, de vieux vêtements et tout un tas de vieux trucs qui auraient dû depuis longtemps partir à la décharge,et dans un tiroir des cahiers et un album de photos.
Ceux-là, au moins, je pouvais les emporter dans ma chambre pour les regarder. J'ai commencé par les photos. Sur les premières photos, c'était des femmes, assez jeunes pour la plupart, et qui posaient devant l'entrée d'un immeuble. Puis en tournant les pages, j'ai trouvé d'autres femmes posant avec des soldats français puis ça a été avec des soldats allemands. C'était comme ça jusqu'à la fin de l'album, avec des femmes plus ou moins habillées.
Puis ça a été avec des soldats anglais que j'ai reconnus grâce à leur casque plat.

Je me suis demandé ce que faisait cet album de photo chez mes grands-parents. Je n'avais jamais vu ma grand-mère écrire quoi que ce soit, à part se faire une liste pour aller au marché et elle ne lisait pas puisque c'était mon grand-père qui lisait le journal à voix haute quand elle était avec lui.
Ne restait plus qu'à voir ce qu'il y avait d'écrit dans les différents cahiers, ce que j'ai entamé le lendemain. Au début, ce n'était que des sortes de comptes comme ceux-ci : 12 = 8 francs; 5 = 12 francs; 10 = 20 francs... Il y en avait des pages et des pages quand j'ai compris qu'il y avait aussi des dates et la première date était de 1936, et la dernière sur le dernier cahier de 1948.
La personne qui avait tenu ses comptes dans ces cahiers, avait ainsi inscrit l'année et puis les mois se succédaient et pour les jours, j'ai pensé que c'était les équations comme j'ai montré ci-dessus qui devaient correspondre à la recette pour trois jours. Me restait à savoir à quoi correspondaient ces prestations.
J'écris ça aujourd'hui, mais à l'époque, j'avais compris sans vraiment le comprendre. Dans une autre page, j'ai vu marqué "Officiers" pour une journée et ailleurs "Général" puis vinrent les "Boches", les "Américains" et les "Anglais".
Chacun avait son heure de gloire.
Le lendemain je suis retournée fouiller dans le grenier avec l'espoir de trouver quelque chose de plus croustillant, ce que j'ai trouvé dans un carnet où était écrit à peu près ça :
"Charleville, infanterie, fait douze avec deux copines; encore douze; dix à moi toute seule... C'était une vraie litanie et je commençais à soupçonner quelque chose. Je tournais les pages et c'était toujours les mêmes comptes quand je suis tombé sur une note dans une marge : "Ah, Berthe, ton con a déjà beaucoup servi !"
Je me suis rappelé à ce moment-là que ma grand-mère se prénomme Berthe. J'ai tourné d'autres pages.
"Départ en camion avec six filles; camp de manœuvre; de dix heures à deux heures du matin; épuisée." Puis : "Changeons de maquereau; un sergent; un régiment pour nous six." Et encore : "En camion toute la nuit; travail dans un bois; Ginette est malade et je la remplace."
Je n'en avais pas besoin de plus pour comprendre qu'il s'agissait de putains. Il y en avait toujours près de la gare quand mon père m'accompagnait quand j'allais chez des cousins. Il n'avait pas de mots assez fort contre elles et se demandait toujours quand est-ce que le gouvernement allait nous en débarrasser, qu'il était pourtant si simple de les enfermer. Moi même si je n'étais qu'une gamine, je les plaignais d'être là, été comme hiver et à moitié dévêtues.
J'ai retrouvé ensuite un autre carnet dans le tiroir d'un vieux buffet. J'ai tout de suite compris que ça avait été écrit par ma grand-mère. Il y avait sans arrêt des fautes d'orthographe et ça racontait sa vie de prostituée, de son début à seize ans après avoir fui ses parents jusqu'à la rencontre avec mon grand-père après la guerre.
Je n'arrivais pas à croire qu'il ait pu être au courant. Et je n'arrivais pas non plus à croire que ma grand-mère pu être une putain. Pourtant, quelques jours plus tard, alors que je suis descendue dans la cuisine pour boire un verre d'eau, je les ai entendus se disputer dans leur chambre et ça donnait à peu près ça :
- J'en ai assez ! Il y a longtemps que je ne suis plus une putain !
- Tu oublies que c'est dans un bordel que je t'ai connu ! Et que tu étais seule pour soulager toute la deuxième division !
- C'était il y a longtemps, a répliqué ma grand-mère et ça ne m'amuse plus !
- T'en prenais combien ?
- Vingt dans la nuit et j'aimais bien leurs dollars et ça ne me faisait pas peur ! Au contraire, je ne m'en apercevais même pas ! Je dégoulinais de foutre pourtant !
- Et t'as plus envie que je te baise !
- Tu ne me baises pas, tu m'encules ! Tu te conduis comme une brute et j'aurais moins mal avec un âne ! Je n'ai jamais fait ça quand j'étais putain !
- Je suis sûr que tu regrettes le bon temps, a insisté mon grand-père !
- Idiot ! Je t'ai déjà dit que c'était fini !
- Faudra pourtant que tu ailles chez le bougnat demain !
- Celui-là, il me dégoûte !
- T'as pas toujours dit ça ! Rappelle-toi quand tu voulais aller vivre avec lui !
- C'était plutôt pour sa femme ! Je l'aimais bien, elle ! Elle était gentille et j'aimais bien faire l'amour avec elle !
- Ça te changeait de tes souris grises, a fait mon grand-père !
- J'aurais jamais dû te raconter ça, a dit ma grand-mère !
- Oui, mais je t'ai quand même évitée d'être tondue !
- Ça aurait changé quoi ? Ça ne m'a pas empêchée de continuer à faire la pute !
- Alors, pourquoi tu m'as épousé, a demandé mon grand-père ?
- Pour ton fric et puis j'avais mal au con et il fallait que je me repose ! Hélas, les maisons ont été fermées et j'ai dû rester avec toi !

Je suis remontée.
Je ne comprenais alors, pas la moitié de ce qu'ils avaient dit mais depuis, j'ai appris mon Histoire.

Hélène

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