Rafael
Ce récit véridique se passe dans un pays hispanisant, entre le moment où le dictateur, vieux fantoche à la cruauté légendaire (mais bénite par la sainte église) entame les dernières années de sa sinistre vie et le début de la démocratisation du pays. Les nouveaux gouvernants libéralisent à tout va. Cependant, les mentalités ont beaucoup de mal à changer. Les anciennes coutumes persistent.
Merci à Rafael de m'avoir raconté sa mésaventure et permis de la faire connaître à mon tour
En ce temps-là, l'homophobie était de bon aloi
. La capote, on n'en parlait pas
.
Aujourd'hui l'homophobie est presque hors la loi
La capote, pour se protéger, y'a que ça!
1978
Je savoure les muscles d'Antonio. Je glisse mes doigts sur la peau bronzée, velue. Je happe les lèvres gourmandes de baisers, enfourne ma langue dans la bouche offerte. Un ballet lingual complexe nous occupe, nous divertit. Nos mains palpent tout ce qui peut frémir de plaisir dans nos corps avides de sexualité. Les anatomies, collées l'une à l'autre, suent la luxure encore inassouvie, désireuses de se rouler dans le stupre, impatientes de forniquer.
On aperçoit une pâleur tremblotante poindre à travers les persiennes: l'aube se manifeste. Que nous importe! Nous achevons notre nuit d'orgies en se donnant une énième fois. Antonio, aux bras dits d'acier, s'empare de ma frêle personne qu'il triture, malaxe, bouge à son gré. Enfin, il plante sa verge dans mes entrailles: empalé, je gémis de bonheur. Après plusieurs minutes de pistonnage savant, d'autres désirs m'envahissent. Agile, nerveux, je repousse mon merveilleux et talentueux "tortionnaire" que je renverse sur le dos. Aussitôt, je prends les jambes que je lève et, sans ménagement aucun, j'enfourne ma longue bite dans le fourreau du baraqué qui ne regimbe pas, bien au contraire. Un long moment se passe en agitations et autres trémoussements plus sensuels les uns que les autres pour enfin amener le foutre à s'échapper en maigres filets, à l'occasion de la quatrième éjaculation consécutive.
Nous nous affalons sur la couche afin de prendre un repos bien mérité, tant nous avons uvré cette nuit. Il est cinq heures dix du matin.
La sonnette retentit en plusieurs coups répétés. L'intrus insiste, frappe à la porte. Somnambule ou tout comme, je me lève péniblement, grogne un "j'arrive", traverse la maison à poil, tourne la clé dans la serrure. Éberlué, je regarde deux mecs en uniforme. L'un d'eux demande:
<< - Vous êtes Monsieur Rafael R
? Veuillez nous montrer votre carte d'identité, s'il vous plaît. >>
Le ton est aimable, presque, même si la voix est assez forte. J'opine du chef, ce geste signifiant un oui à la question. Je me bouge jusqu'à mon portefeuille, en tire le document demandé, le tend. Je m'aperçois dans une glace: merde! Je suis à poil! Je présente de vagues excuses avant d'effec un rapide aller-retour pour revêtir une robe de chambre. À peine revenu devant mes visiteurs, j'entends l'injonction suivante:
<< - Veuillez nous suivre, Monsieur. Vous avez été condamné à un an de prison ferme et
500 000 pesetas d'amende par le tribunal correctionnel de L
, selon un jugement par défaut en date du
Vous pourrez faire opposition à ce jugement. Cela ne devrait pas prendre trop de temps. >>
Le sourire est franchement aimable. Je quémande:
<< - Juste le temps de me passer de l'eau sur la figure et de m'habiller, c'est possible? >>
Le pandore accepte. Il est 8h30!
Je réveille un peu brutalement mon apollon de la nuit, lui demande de quitter les lieux. Ce qu'il s'empresse de faire dès que je lui résume la situation. Aucune réaction malveillante de la part de la guardia civile qui me laisse procéder à mes préparatifs sans manifester une quelconque impatience.
Dans la voiture, je réfléchis à ce qui peut bien me valoir ces désagréments. Toutefois, je ne me fais guère de soucis: ma vie est un long fleuve limpide. Il me reste à passer le temps du trajet.
Au commissariat, j'apprends le motif de ma condamnation, en lisant un procès verbal du jugement. Bien entendu, je fais opposition. Mon flic préféré me propose de patienter encore un peu, se retire afin de transmettre l'opération au procureur. Cinq minutes plus tard, il m'annonce, la mine un peu déconfite:
<< - Vous devriez envisager la possibilité d'une arrestation: un mandat d'arrêt a été émis à votre encontre. On doit nous dire s'il y a ou non prescription
. >>
Et prescription il n'y a pas: il s'en faut de quelques semaines.
Ma contemplation du messager en tenue se transforme en abêtissement total. Je ne comprends pas ce qui m'arrive. Heureusement pour moi, les effluves mal nettoyés avant de partir, de la nuit passée entre les cuisses et les bras vigoureux d'Antonio, m'évitent de sombrer dans je ne sais trop quelle folie cauchemardesque. Je hume la vie à travers ces relents. Je ne me préoccupe nullement de savoir si l'entourage bénéficie ou non de cette faveur.
Toujours aimables, les gens de la maréchaussée me transportent jusque chez moi où je prépare un sac de voyage sous leurs regards vigilants. Nous voilà de retour à la gendarmerie. Un peu plus tard, ils m'autorisent un appel téléphonique pour que l'on m'amène à manger car, disent-ils, le procureur ne pourra me recevoir que vers 17h. Mon estomac, plus que noué, n'acceptera certainement pas la moindre miette.
<< - Je vais te trouver un bon avocat, t'inquiète. >>
*****
Neuf ans plus tôt
1969
Année de malheur s'il en fut! Mon horoscope prévoyait 365 jours durant lesquels je marcherai vers le bonheur! En réalité, ce furent 365 jours de descente en enfer!
Dès le mois de janvier, je perds mon travail suite à la fermeture de l'entreprise. Ayant peu d'ancienneté, les dédommagements se résument à une peau de chagrin. Difficile de trouver un emploi quand on n'a aucun diplôme, même si on exerce la profession depuis près de dix ans! Déjà la maladie des diplômés s'est emparée des employeurs oublieux des véritables compétences: celles données par la pratique.
Mon cher Paco, compagnon attitré depuis deux ans, toujours en équilibre entre plusieurs magouilles, plus amoureux des jeux que de moi, se résout (selon ses dires) à me rendre ma liberté afin que je puisse mieux m'en sortir seul. Ben voyons! Fallait la faire celle-là! Il se morfond en excuses, jugeant qu'il n'est qu'une charge intolérable pour moi. Ça, il aurait dû y penser depuis plusieurs mois déjà, avant de me dépouiller du peu que je possédais et de vendre les quelques misérables objets de valeur que nous avions acquits en commun! Le cher ange me quitte donc. Deux jours après son départ, j'apprends qu'il s'est installé chez une dame toute chagrinée de le voir dans le besoin et surtout béate et heureuse de mettre un pervers dans le droit chemin, celui de son lit bien entendu.
Quelques jours plus tard, faute de pouvoir honorer mes charges fixes, je décide de tout bazarder, d'aller quêter ailleurs mon croûton de pain. Le propriétaire ne renâcle pas, comprenant que si je reste, il ne verra aucun centime avant longtemps. Nécessité fait loi: il me laisse libérer le logement sans préavis de façon à ce que je n'aggrave pas ma dette envers lui. En cadeau, je lui laisse livres, disques, meubles et autres appareils ménagers, plus pas mal de vêtements qu'il s'empressera de fourguer à quelques fripiers et autres brocanteurs.
Je quitte la ville. Mon humeur est à l'orage. Un ouragan tourbillonne dans ma tête alors que, balluchon sur l'épaule, je m'apprête à faire du stop direction le sud du pays. Je n'attends pas. À peine le pouce dans la position adéquate, déjà un véhicule s'arrête. Comme un malheur n'arrive jamais seul, je tombe sur un jobard. Tout en conduisant, il me toise, sourire narquois aux lèvres. Je tente un sujet de conversation, aimable que je suis tenu d'être. L'autre ricane:
<< - On ne me la fait pas à moi! Tu es une salope, ça se voit rien qu'à ta tenue vestimentaire. Petite pédale avec son corps d'adolescent et ses regards faussement candides. Oh! Tu joues très bien les effarouchés, sale pute! Je crois que tu me dois une petite compensation, là où tu veux que je t'amènes, ce n'est pas la porte à côté. En échange du voyage, je t'en mets plein les fesses, d'accord? >>
Coi, je suis coi! Pourtant, le monsieur est propret sur lui, à la limite du méticuleux. Il paraît un homme posé, ayant famille avec religion et pignon sur rue, probablement. Il continue:
<< - Tu verras, ce ne sera que du bonheur pour tous les deux. >>
Je crois bon de préciser:
<< - Ma tenue n'a rien d'exceptionnelle. Nous sommes en été. Je ne vous permets pas de me traiter de pute. Arrêtez-vous, je vais descendre. Je ne baise que parce que je le veux bien et avec qui je veux. Sûrement pas avec un satyre motorisé. >>
L'autre ne dit mot, se contente de conduire jusqu'à ce qu'il trouve un coin où s'arrêter, au bord d'un champ
Nous descendons de voiture. Je vais pour récupérer mon sac lorsque ce maniaque me vrille une giclée sur les fesses à l'aide de son ceinturon de cuir. Le pantalon très fin (et très moulant j'en conviens) n'amorti rien du tout. Le temps de pousser un hurlement et je me vois lançant mon pied dans les roubignolles du sieur dégueulasse puis mes poings lui asséner une raclée mémorable dont il narrera les effets nuisibles durant quelques décennies. Cette prouesse n'a pu se réaliser que grâce à mon premier coup qui a fait se plier la masse du bonhomme couinant sa souffrance, les mains apposées à l'endroit immensément douloureux de ses burnes. En temps normal, il m'aurait envoyé valser au pays de la pâmoison tant il est charpenté comme un véritable bagarreur professionnel. Je dois faire la moitié de son poids et environ deux dizaines de centimètres de moins que lui. Mais ma rapidité à lui piler ses joyeuses m'apporte une victoire incontestable.
Pour narrer cette triste épopée, le con la narrera
en portant plainte contre moi. En effet, pressé de quitter le malotru toujours bêlant, j'ai laissé choir une enveloppe, portant mon nom et mon ancienne adresse. Les enquêteurs n'ont guère eu de difficultés pour m'identifier.
Mais revenons à la fin de mon voyage. Pris par des soucis immédiats, l'urgence de trouver gîte et couvert, j'oublie cet événement, trop content d'avoir pu ramener à la raison un dingue, dangereux, de la bite. Les hasards de l'auto stop, les gracieusetés charnelles de deux chauffeurs, causent un léger changement de trajectoire et j'atterris au sud-est du pays, ne pensant plus au sud, dans un petit village où les maisons abandonnées s'ajoutent aux fermes délaissées, avec augmentation constante de leur nombre.
Malgré mon aspect chétif qui pourrait laisser croire à une incapacité totale aux travaux manuels, j'épate les gens du cru en décidant d'habiter ici, de retaper une de ces bâtisses.
Un couple très âgé consent à me laisser vivre dans une vieille baraque ayant jadis hébergé leurs ancêtres. Seuls toit et murs restent intacts ou à peu près. J'assure mes deux bienfaiteurs qu'ils retrouveront un véritable palais à la place de ce qui, de l'intérieur, se présente comme une épave. Tout heureux de mon enthousiasme, ils me guident dans un apprentissage de fabrication de poteries qu'eux-mêmes ont délaissé pour cause d'usure avancée de leurs artères: à plus de quatre-vingt dix ans, cela se conçoit aisément. Leur fils se targue d'écouler mes uvres, moyennant finances pour moi et sans commission aucune pour lui. Il faut dire aussi que je vais lui remettre son héritage à neuf à ce grandinet-là.
Plusieurs années sont nécessaires à mettre en place tout ce qui m'apportera une vie pleine de bienfaits. Oublié Paco et ses magouilles, oublié le vilain monsieur qui en voulait à mon cul de pute selon lui, oubliée les difficultés de la vie, je devrais dire de la survie. J'en arrive presque à oublier que ma peau voudrait bien se coller à une autre peau d'homme, que ma bite réclame après une main consolatrice autre que la mienne, que mon cul s'étiole à force de ne plus être honoré comme il convient par une verge turgescente qui le ramonerait à souhait. Le voisinage se compose essentiellement de couples très âgés, de bestiaux paisibles mais non habilités pour le genre d'exercices que j'aimerais pratiquer. Quelquefois, un jeune homme apparaît, venu constater l'état de ses géniteurs ou aïeux toujours résidents dans notre petit patelin, qui tardent à lui laisser bénéficier de l'héritage dont il a grand besoin.
Six années de privation côté quéquette. Mes doigts s'épuisent à rechercher la meilleure façon de me faire jouir. Mon corps se fatigue en positions les plus folles afin d'apporter un peu de nouveauté dans ma vie sexuelle.
Enfin, l'inimaginable arrive en la personne d'Antonio! Fils du maire, petit-fils de maire, arrière-petit-fils de maire, etc. il cherche une compagnie de son âge susceptible de contenter sa libido de mâle pour mâle. Marié d'autorité (selon les anciens usages) à la fille de l'instituteur, petite-fille d'instituteur, arrière-petite fille d'instituteur, il ne connaît pratiquement rien des joies salubres que procurent deux sexes virils ensemble. Pourtant, il en rêve tant et plus. Sa charmante épouse ignorant tout ou presque dans le domaine des prouesses coquines, ne lui est d'aucun secours, pas même une petite consolation en lui donnant quelques réjouissances hétéros. Aussi, depuis que nous avons fait connaissance, vient-il me rejoindre dans mon lit une ou deux fois par semaine afin de s'initier aux frémissements corporels. Il ne pense même pas à partager le résultat de ses études avec sa douce moitié, égoïste qu'il est. L'apprentissage s'est effectué sans aucune difficulté tant son besoin d'assouvir sa chair était impérieux. Il suffisait juste de le discipliner un peu afin qu'il n'expédie jamais en quelques secondes cet acte béni des dieux: l'amour charnel. Je l'estime beaucoup, il m'apprécie. Il m'apprend la campagne, je lui apprends l'amour entre hommes
enfin ce que j'en connais. Bien entendu, Madame croit que je l'éduque façon cours particuliers en math, anglais, histoire et autres matières scolaires qu'il a très peu apprises en sa jeunesse. Certes, il y a de ça, mais pas beaucoup. D'ailleurs, le gredin, est plus apte à définir une bonne pipe baveuse ou un bourrage de cul qu'à conjuguer le verbe nier au plus-que-parfait du subjonctif (exercice scabreux).
Trois années supplémentaires s'écoulent dans cette vie quasi-léthargique côté sentiment et cul. Rien de bien palpitant, mais rien de désastreux. Dans le fond, cette vie tranquille ne me déplaît pas. La justice des hommes me la fera regretter.
*****
1978
Le soleil se fait resplendissant en cette fin de journée. Je contemple mon uvre. Depuis mon installation dans cette vieille ferme quasi-abandonnée, que de travail accompli! Antonio m'a grandement aidé. Il a fourni la main d'uvre et pas mal de matériel. Tout l'intérieur est achevé, sanitaires compris. Reste le crépi extérieur à refaire entièrement. Mais aurai-je la possibilité d'effec ces travaux? Quand vais-je revoir mon amant? Quand dormirai-je à nouveau dans ma maison?
Monsieur le Procureur est expéditif: ce soir je couche dans la prison voisine, dès demain matin je serai convoyé dans la région où réside le plaignant: c'est la procédure, précise-t-il. Je demande à voir un avocat. Pas ici, mais là-bas, répond-il d'un ton presque joyeux. Il ajoute, sentencieux, moralisateur de bon ton:
<< - Les vicieux, les pervers de votre genre n'ont pas à bénéficier de passe-droit! >>
Cette fois, c'est du sérieux. Je signe un papier que me tend Monsieur le Procureur tout sourire à cause du devoir accompli, enfin je suis mes deux accompagnateurs devenus geôliers depuis quelques minutes. Ils ne me passent pas les menottes mais gardent une main à proximité de l'arme accrochée à leur ceinture. À la prison, ils ont un mot gentil pour moi, me serrent la main en me souhaitant bon courage. Finies les amabilités "gendarmesques", voici venu le temps du bagne, pensais-je.
Fouille de rigueur, presque à poil puisqu'on me permet de garder le slip. Je signe encore des papiers, subit la prise d'empreintes et la photo destinée à être diffusée si d'aventure il me prenait l'envie de vouloir reprendre ma liberté sans autorisation préalable du Ministère de la Justice. Mes effets me sont remis dans un sac poubelle, exceptés les papiers d'identité et l'argent. On me laisse les documents que m'ont donnés les gendarmes. Très vite je suis amené dans une cellule toute neuve, toute propre, avec douche fermée. Mon installation est rapide: je jette le sac dans un coin, me couche tout habillé.
Ma tête bouillonne, je n'arrive pas à comprendre, à me si dans le temps et dans un endroit. Tout à coup, je pense à Antonio. Voudra-t-il encore de moi, si j'en sors un jour? Car, même de sortir un jour de prison semble un très lointain avenir. Je revois son corps, ma main hésite à empoigner ma bite. Un bruit me distrait de mes pensées lubriques, un court moment. La porte s'ouvre: l'heure de la pitance a sonné. Le prisonnier chargé du service sourit en me voyant: il n'est pas mal le mec, peut-être me trouve-t-il à son goût. Je lui fais signe que je n'ai pas faim. Le gardien qui l'accompagne me conseille de ne pas me laisser abattre, ça va s'arranger comme on dit. Cette gentillesse me console un peu. La porte se referme sur la bouche gourmande, appétissante de notre "maître d'hôtel" du jour. Je ne touche pas à la pitance qui, au contraire de ce que je croyais, ne semble pas infecte. Mais mon corps refuse toute ingestion. Je jette la bouffe dans la poubelle.
Il est grand temps de lire les procès verbaux fournis par l'administration judiciaire. Je m'attèle à la tâche. J'ai l'agréable surprise de lire que la victime produisait un témoin de l'agression. En outre, elle certifiait que je lui avais proposé mon cul en échange de quelques menues monnaies dont j'avais le plus grand besoin. Devant son énergique refus, je l'aurais tabassé avant de lui voler son argent, sa montre, une chevalière et une gourmette: la totale quoi!
Longtemps avant que l'extinction des lumières ne soit en vigueur, je suis recroquevillé dans le lit, tout habillé, rêvassant au moyen de côtoyer le bellâtre qui nous a servi la gamelle. Ridicule puisque je serai transférer dès demain matin!
Peu à peu, une idée germe dans ma tête. Si je veux éviter de sombrer dans je ne sais trop quelle dépression, je dois focaliser mes pensées sur quelque chose de sain, que je connais bien, qui me permette de fantasmer. Ce doit être un geste que je peux faire ici, tout comme si j'étais à l'air libre. Évidemment, la réponse arrive d'elle-même: le cul! Une demi-heure plus tard, juste après avoir entendu le frottement du cache-illeton manipulé par un gardien venu vérifier si j'étais toujours là, j'active mon imagination aux fins de m'offrir une branlette majestueuse dans la douche. Le foutre macule le carrelage puis se laisse entraîner dans les canalisations.
Endormi, éveillé, rendormi, réveillé, je n'ai de cesse que de me masturber dans le lit, prenant bien soin que mon occupation ne soit découverte de l'illeton espion. Vers trois heures du matin je m'endors enfin, les mains plaquées sur mon ventre tout poisseux de sperme.
*****
Habitué aux levers très matinaux, je suis déjà douché, rasé, habillé, lorsque l'on vient me chercher pour le transfert.
Re-fouille, affaires rendues dans mon sac de voyage, me voilà dans une voiture, menottes aux poignets, entre trois gardes civils.
300 km de trajet assez sympathique si l'on excepte les circonstances ayant provoqué ce déplacement. Là encore, ces messieurs sont d'une correction exemplaire, trop heureux d'échapper à la routine coutumière. Ils envisagent un repas dans un bon restaurant, avant le retour chez eux. L'un d'entre eux me présente ses excuses pour avoir formulé des projets en ma présence et parlé de retour à la maison: il comprend. Un autre s'étonne de ce que je sois encore poursuivi pour un délit si vieux. Le troisième m'offre un café, lors d'une pause. Tous trois me certifient qu'ils ne me jugent pas, obéissent simplement aux ordres. La honte m'envahit quand un automobiliste s'arrête non loin de nous, me regarde étonné. Je me morigène: qu'importe, je ne verrais probablement jamais ce type et si tel était le cas nous ne nous reconnaîtrions certainement pas. Mes trois "gentils accompagnateurs" croient bon de ne plus parler que de femmes, pas des leur bien entendu (ils sont tous mariés), mais celles des autres. Cette conversation me déçoit un tantinet: elle ne m'aide guère à fantasmer donc à supporter l'épreuve du moment d'autant que l'un d'entre eux est un fringuant jeune homme que les deux autres taquinent sur son noviciat supposé en matière sexuelle (on ne couche pas avant le mariage!).
La masse imposante des murs sombres me rappellent à la réalité. Les lourdes portes métalliques s'ouvrent laissant passage au véhicule. Arrêt devant une porte beaucoup plus petite: celle de ce qui, je crois, deviendra mon ultime résidence. Car en cet instant, plus aucun doute ne subsiste: je finirai mes jours dans ce cloaque pour bagnards. Je craque, tout simplement, même si cela ne se concrétise pas par des tremblements de voix ou de jambes. Je retiens une envie de pisser des plus urgentes. En sortant du véhicule, j'entends un mec gueuler:
<< - Tu vas en chier si t'es une tantouze, gonze! >>
Les trois gendarmes ne retiennent pas une moue de dégoût qui s'accentue lorsque mes poumons hurlent à leur tour:
<< - J'aime les culs de mecs bien bâtis, connard! Ma bite, c'est pas pour toi! >>
Je ne sais pas ce qui m'a pris, j'ignore la raison de cette sortie stupide. Mais j'ai droit à un changement complet d'attitude de mes pandores envers moi. Le plus vieux grogne:
<< - C'est bien la première fois que je transporte une lavette dans ma voiture! >>
Et de me gratifier d'une grande poussée dans le dos afin de me faire avancer plus vite. Eux n'étaient pas au courant de mon procès. Les deux qui ont procédé à mon arrestation l'étaient: ils sont restés corrects du début à la fin. Comme quoi
Cette fois, pas de serrage de mains ou d'encouragement. Tout juste si ces messieurs ne vont pas demander à se désinfecter.
Je suis placé dans une sorte de cage avec un unique banc en ciment: salle d'attente en quelque sorte. On parle de moi. Je suis qualifié de tantouze qu'il convient de mettre à l'écart. Moi qui comptais draguer, c'est raté! Pourtant, ne vante-t-on pas les prisons qui regorgent de mecs aux bites fermes, toujours prêtes à empaler un joli (ou non) petit cul? Pour autant, je ne diverge pas de ma résolution afin de continuer à survivre: fantasmer à tout va, condition sine qua non de ma résistance. Je dois surmonter l'épreuve. Cependant, l'étau continue de se refermer sur moi. On m'attribue une cellule pour délinquant solitaire, assimilé à pute invétérée: aucun compagnon avec qui parler, pour le moins. La pièce est dégueulasse, signe des qualités hygiéniques inhérentes à mon prédécesseur. Le gardien me lance un regard méprisant en daignant préciser:
<< - On va t'apporter un matelas. T'en fais pas, ton joli cul aura le confort qu'il mérite. >>
La porte se referme. Je vais à la fenêtre. J'aperçois une grande partie de la bâtisse: horreur architecturale, construction destinée à activer les envies de suicide et surtout à les mettre en pratique sous réserve, bien entendu, de réussite. Les espaces dits verts sont jonchés de papiers, de plastique et autres cochonneries: il y a peu, une émeute secouait tout ce petit monde. Les humeurs s'en ressentent encore. Pourtant, ce charmant hôtel pour dépravés, ou estimés tels, est de construction récente, avec tout le modernisme possible. Dans ma cellule, le miroir au- dessus du lavabo n'est qu'un souvenir. Le lavabo ébréché montre que rien n'est solide en ce bas monde, pas même les équipements pénitentiaires. Le lit, solidement scellé dans le mur, présente des vides dans la partie sommier: que peut-on faire avec des bouts de fil de fer, je me le demande, naïf que je suis. Tout en procédant à cet examen des lieux, ma main s'incruste sous mon pantalon, se faufile entre ma peau et le slip, englobe ma pine qui se redresse comme pour me prouver que rien n'est perdu, que mon corps m'appartient, que personne ne pourra me l'enlever, pas même la justice! Comme dehors, je peux me branler, et c'est important de le savoir. J'agite doucement la chose, avec délectation, oublieux des affres de la vie. La jute s'écoule le long de ma cuisse. Je ferme les yeux, aperçois le visage flou de mon Antonio, son buste, son cul, sa queue. C'est bon d'avoir de telles images à se remémorer dans les moments difficiles. Je compatis au malheur de ceux qui n'en ont pas, pour qui rien ne vient apporter la moindre consolation. J'en arrive à m'imaginer consolant toutes les solitudes enfermées ici. Je sens quelques gouttes de foutre s'immiscer sous ma chaussette. Je souris: les heures passées à lire Jean Genêt me reviennent en mémoire. C'est un taulard français devenu écrivain dont j'ai pu apprécier la littérature interdite chez nous. Que n'acquiert-on pas au marché noir! J'en viens à me comparer à ce qu'il a vécu en son temps, à ce qu'ils ont vécu en leur temps. Connard de prétentieux que je suis! Revenons-en à ma petite réalité merdique.
La porte s'ouvre, le gardien gueule:
<< - Prépare-toi la tantouze, t'as l'avocat d'service qui t'attend. On s'verra plus tard. >>
Je veux bien le voir, il est mettable le gars, petit mais à mon goût. Je les aime carrés, robustes, fait dans la pierre, doux et fragiles au lit. Mon grand plaisir, après m'être fait sodomiser à satiété par un de ces grands gaillards, c'est de le pénétrer. S'il résiste un peu, j'en suis encore plus heureux. Peut-être que ce macho apprécierait mon gourdin entre ses fesses.
Un brin de toilette vite fait: faut pas que je sente le sperme séché. Une chemise propre, cravate, un pantalon en tergal, chaussettes sombres, chaussures de ville comme on dit, blouson marron. Me voilà paré à faire bonne impression, la mine de l'innocence faite homme martyr. À moins que ce ne soit le contraire. Qui sait? Peut-être que depuis le premier procès ma victime a eu la bonne idée de rendre son âme au diable. La famille, aveuglée par le chagrin, cela va de soi, se sera probablement pourvue devant les tribunaux afin de percevoir une juste rétribution compensatrice en échange de l'affection perdue que leur distribuait généreusement le défunt.
*****
C'est incroyable le nombre de fouilles que l'on subit, toutes plus ou moins poussées mais quasiment jamais à fond!
Elle est toute mimi mon avocate d'office (je n'ai pas eu le loisir de choisir). C'est la première fois que j'entends dire qu'une femme exerce ce métier: les temps ont bien changés! Gentillette la dame qui m'assure d'emblée qu'elle représente son patron empêché par une crise de goutte (un sacré noceur le Maître, si l'on en croit les "people"). Elle précise:
<< - Je vois que l'on vous estime beaucoup dans votre région. Le fils du maire, le maire lui-même, sont intervenus pour que vous bénéficiez d'une bonne défense. Le hasard s'en mêlant, nous nous chargerons de régler son compte au plaignant. Nous avons de quoi, je vous l'assure.
Malheureusement, nous sommes vendredi. Le samedi, il n'y a pas de séance au tribunal. Toutefois, nous avons pu nous inscrire pour lundi. En conséquence, vous passerez devant le juge lundi dans la journée. Je vous garantis que le soir même vous coucherez chez vous. >>
Elle pose ses deux petites mimines sur mon bras, énonce d'un ton badin, comme si elle commentait les dernières mondanités:
<< - Ne vous en faites pas: Maître S
l'emportera haut la main. Vous n'aurez qu'une condamnation de principe pour coups et blessures avec circonstances atténuantes. Je ne puis vous en dire plus pour le moment. Surtout n'allez pas clabauder devant le tribunal que vous êtes de la jaquette. Votre petite altercation verbale à votre arrivée n'est pas passée inaperçue. Heureusement, ça peut être considéré comme la réponse à une bravade, sans plus. Soyez patient et tout s'arrangera. >>
Patient, d'accord! Mais je vais passer trois nuits dans cette prison où je suis estampillé comme un pestiféré, pire encore: comme une tapette perverse! Et avec quoi je vais payer le Maître à la réputation qui n'est plus à faire? La douce comprend mon angoisse. Son sourire genre baume apaisant s'évertue à me rassurer, outre ses paroles:
<< - On va vous transférer dans une cellule des préventifs. Je vais en discuter avec les gardiens. Leur chef est mon mari. Ne vous en faites pas, tout ira bien. Tenez-vous tranquille, soyez très discret. Concernant le règlement de nos honoraires, rien ne presse. À lundi au tribunal. >>
Trottinant, ce petit bout de bonne femme se dirige vers la sortie, se retourne vers moi pour me gratifier d'un clin d'il comme qui dirait complice. La porte fermée, je l'entends parler avec le gardien. Ils semblent intimes si j'en juge d'après le petit claquement qui ressemble fort à un bisou. Encore un de fichu! Moi qui pensais déjà à son entrejambes et à ses arrières
donc si je comprends, elle a pour époux le chef des gardiens, et pour amant un gardien! Pas mal la mignonne! Elle se débrouille! Elle pourrait partager
De retour dans ce qui va devenir mon ex-cellule, je cogite à nouveau
D'un coup, toutes mes résolutions, de ne penser qu'au cul, s'envolent. J'ai un espoir, plus qu'un espoir. Cela se confirme lorsque mon gardien arrive, presque aimable, passant du tu au vous:
<< - Mettez vos affaires dans le sac plastique et suivez-moi. >>
Fini l'espoir de le retrouver après, comme il disait. Durant le trajet entre le quartier des isolements et celui des préventifs, il daigne me faire un brin de causette, soucieux de se justifier:
<< - Vous comprenez, on n'aime pas beaucoup les tapettes ici. C'est pas qu'y soyent mauvais. Mais y foutent le trouble parmi les autres prisonniers, sont cause de bagarres. Vous voyez l'genre. Nous, ici, on sait pratiquement rien des procès mis à part le pourquoi d'l'accusation puis d'la condamnation. C'est dur de s'faire une opinion. Vous vous doutez bien qu'c'est pas possible de s'fier aux dires des prisonniers. Heureusement, certains avocats nous éclairent, quand y peuvent, bien sûr. C'était vot'cas. >>
Je vois en effet que certaine avocate éclaire sa vie amoureuse
la bienheureuse femme. Je suis content pour elle: une si gentille créature qui va me sortir de ce bourbier, je ne vais pas la vilipender, tout de même! Mais comment se fait-il que l'on soit si sûr de me sortir de là? Je n'ai pas le temps de répondre à cette question que déjà la porte de ma nouvelle "chambre" s'ouvre. Mon guide marmonne:
<< - Je vous amène d'la compagnie, fichez-lui la paix sinon vous l'regretterez. >>
Pas de férocité dans la voix, menace juste de pure forme, habituelle, routinière en somme.
J'avance de quelques pas, la clé s'agite dans la serrure signe que nous voilà en sécurité selon les normes du lieu. Un mec s'avance vers moi, affable:
<< - Martin et toi?
- Rafael. Je croyais qu'on était trois?
- T'inquiète, l'autre y s'branle dans les chiottes. Un vrai queutard le gonze. Toujours à s'toucher la queue. Tu t'y f'ras, p'tit. >>
Martin me montre l'endroit: luxe suprême, cette cellule comporte un WC particulier, si l'on peut dire. En fait, cet endroit était destiné aux VIP incarcérés. Toutes les bonnes intentions étant contrariées, vu le nombre croissant de délinquants, on a mis trois lits dans cet endroit privilégié s'étalant sur quelques mètres carrés. Je regarde dans la direction montrée par mon "colocataire". Une porte à mi-hauteur laisse entrevoir deux pieds qui font deviner par leurs mouvements l'occupation de leur possesseur. Un râle suivi d'un "putain qu'c'est bon!" et l'homme se relève. Une minute plus tard il apparaît la mine satisfaite. Très vite, son sourire béat se transforme en une sorte de rictus. Les yeux fixent mon bas-ventre, c'est sûr. La voix nouée par l'émotion réussit à déclarer:
<< - Toi ici! J'en crois pas mes yeux! Toi ici! >>
Ces sons familiers me ramènent des années en arrière: Paco! Mon Ex est là, bouche béante, bras ballants, larmes commençant à poindre aux coins des yeux. Ni lui, ni moi, ne prêtons attention au troisième qui s'étonne:
<< - Vous vous connaissez? >>
Paco met d'emblée les points sur les i et les barres aux t:
<< - C'était mon mec. J'l'ai laissé tombé comme un con qu'je suis. >>
L'autre croit bon de constater:
<< - Ah! C'est chouette alors! On va pouvoir s'troncher à trois! J'bande rien qu'à y penser! D'puis l'temps que j'manque de couple! Ça va m'rap'ler dehors. >>
Il n'avait certes pas besoin de penser au trio pour bander, le bougre. Son vaste pantalon n'arrive pas à cacher sa queue gonflée à bloc depuis mon arrivée.
À suivre
2ème partie
Mes yeux se portent (allez savoir pourquoi?) sur la braguette de mon Ex: il n'a pas pris le temps de la reboutonner tant était pressante son envie de voir qui était le nouvel arrivant. Il ne cesse de rabâcher:
<< - Toi ici! J'arrive pas à l'croire! >>
Le troisième larron me contemple d'un il goguenard. Mon aspect physique ne le laisse pas indifférent. C'est déjà un point d'entente puisque lui non plus n'est pas désagréable à voir. D'après ce qu'il vient de clamer à l'instant, facile de conclure que les deux ne s'embêtaient pas avant mon arrivée et qu'ils comptent bien continuer dans la même voie. D'ailleurs il se confie:
<< - J'vois qu'on va s'amuser, surtout qu'on a l'gardien sympa pendant les trois prochaines nuits. Ça va chauffer dans la piaule! >>
Mon regard doit être interrogateur car Martin croit bon de préciser:
<< - Faut t'dire qu'les autres gardiens c'est des pourris. Y nous traquent sans arrêt pour voir si on s'touchent pas! Des vicieux ces mecs, dans leur genre. Y'en a qu'un seul qui s'en fout. Y dit qu'pendant qu'on s'fourre la bite dans l'cul on l'dérange pas! J'crois qu'y doit y goûter avec les jeunots, c'est sûr même! >>
Toujours figé telle une statue représentant un adonis, Paco tente de se secouer un peu. Il réussit, après maints efforts, à déclarer:
<< - J'sais pas si j'pourrais avec toi, Rafael, après tout c'temps et c'qu'on a vécu tous deux. >>
Martin, l'il franchement égrillard maintenant, se voit déjà me posséder en exclusivité. C'est du moins, ce que je suppose. Je crois indispensable de mettre les choses au clair:
<< - Je suis là à cause d'une connerie qui s'est passée il y a neuf ans. L'avocate m'a dit que je sortirai dès lundi après le tribunal. Je ne compte pas rester à me morfondre dans cette cage. Je me suis juré, pour passer le temps, de ne penser qu'au cul et de pratiquer dans la mesure du possible. Vu mon voisinage actuel, qui me convient fort bien pour exécuter ma promesse, j'espère qu'on ne va pas que se regarder dans le blanc des yeux. Cela dit, je n'accepterai pas n'importe quoi. >>
Et là, j'entends un homme sangloter puis s'effondrer carrément, pleurant tant et plus: le Paco craque. Martin tente de le consoler, mais le pleureur le repousse pour se jeter contre moi, poser sa tête sur mon épaule et laisser couler ses larmes sur ma chemise toute propre. Je lui tapote gentiment le dos, lui rappelant qu'il est avant tout un homme et que les hommes ne pleurent pas. De tapoter à caresser, la ligne est vite franchie, comme le constate Martin qui, derechef, se tâte la braguette dans un geste d'où ressort une certaine concupiscence. Le gredin espère que mes doux frottements sur les épaules de Paco ne sont qu'un préliminaire à des actes beaucoup plus jouissifs.
Les sanglots s'espacent, quelques reniflements annoncent la fin du gros chagrin. Entre deux hoquets de tristesse, mon Ex gémit:
<< - Alors ça veut dire qu'tu veux encore bien d'moi?
- Faut passer le temps et quoi de mieux que de faire ce que toute personne libre fait? >>
Il sourit, passe sa main sur ma joue puis va s'allonger. Il propose:
<< - Pour l'instant, faut qu'on reste tranquilles. Y'a toujours l'con d'gardien. L'autre arrive juste après la douche. Eh oui, Rafael, c'est jour de douche aujourd'hui.
- Ce gardien est correct avec moi. Enfin depuis que mon avocate lui a parlé.
- Qui t'as comme avocat?
- Maître S
- Ah! J'comprends pourquoi t'es sûr d'sortir lundi! Y connaît son affaire le drôle. Mais comment tu peux payer un mec comme lui: c't'un caïd qui vaut chérot. >>
Je conte ma mésaventure. Une fois le récit terminé, Paco croit bon de souligner:
<< - Juste après que j't'ai plaqué! C'est un peu d'ma faute alors! J't'avais foutu en boule. >>
Je hausse les épaules.
À son tour, Paco me narre sa vie depuis que nous ne sommes plus ensemble. Il s'est jeté dans les bras de cette femme au sein accueillant, au lit très chaud. Mais les galipettes en compagnie d'une personne du sexe opposé ont très vite lassé le mâle du couple. Il a un gros besoin de vit entre ses fesses, et du naturel s'il vous plaît! Certes, il ne néglige pas de perforer les anus virils, bien au contraire. Mais, pour lui, l'un ne va pas sans l'autre. On pénètre, on se fait pénétrer, c'est la loi égalitaire comme il le précise souvent. Donc il continue de satisfaire madame tout en quêtant quelques caresses auprès de messieurs. Las! Il tente d'embarquer un flic en civil venu chasser la pédale! Outragée dans sa dignité féminine, sa compagne le laisse froidement tomber, trop heureuse d'éviter la visite de policiers chez elle. Procès, taule durant quelques mois, grosse amende à payer. On parle même d'un enfermement psychiatrique aux fins d'expurger son vice. Il en réchappe grâce au décès précoce, mais naturel, de son tortionnaire de médecin. Le dossier, remisé aux ides d'on ne sait trop quel mois, ne ressortira plus pour cause d'égarement dans quelque carton probablement archivé.
Le coupable ayant payé sa faute, il repart vers d'autres cieux afin d'y fourbir ses armes pour une vie nouvelle. Si vice il y a chez Paco, c'est bien le jeu: aimer le cul n'étant pas un vice mais un devoir dans la mesure où cela ne porte tort à personne. De ce point de vue, Paco est sensible aux consentements de ses partenaires, évitant sans cesse de les forcer. Les dés, les cartes, nuisent à la bonne réalisation de ses projets d'installation dans une vie calme et sereine. Profitant de ce que son corps continue de porter beau (très beau devrais-je dire), il le loue au plus offrant. Les affaires marchent durant quelques années, l'argent durement gagné étant dépensé aussitôt dans quelques tripots tenant plus du bouge que du casino. Paco perd toute prudence, racole sans vergogne les ventripotents, les scrofuleux, les diminués en tous genres, les gâteux de tous âges, les frustrés de tous bords. Il réclame un maximum de pesetas, l'obtient. Pensez donc! Les pauvres mecs n'espéraient jamais s'envoyer en l'air avec une beauté pareille. Pour eux, leurs corps n'étaient plus qu'une éternelle inquiétude car trop souvent souffreteux, et plus un outil de plaisirs, leurs têtes un souffre-douleur psychique intolérable. Tout ayant une fin, le gigolo imprudent se fait pincer une nouvelle fois. Là, le juge le soigne: quatre ans de prison ferme non compris l'amende de 100.000 pesetas! Jamais le condamné ne pourra s'en sortir, c'est la seule raison de cette sévérité. Heureusement pour lui, un membre de sa clientèle ne l'oublie pas, lui sauve la mise en payant l'amende.
Le narrateur se tait. Je demande:
<< - Mais alors, cette cellule est réservée aux pédés, si je comprends bien?
- Oui, mais aux pédés d'marque, r'commandés aux bons soins de
Ton Maître S
tantouze s'il en est, s'y connaît en passe-droit. Un as à c'jeu là! >>
Tout de go, Martin croit bon de relater son histoire. Je ne veux surtout pas entamer notre belle future amitié en le rabrouant sous prétexte que je me fous grandement de ce qui l'a amené ici. Rien de bien exceptionnel au demeurant. Martin est un esprit compréhensif en matière de sexualité. Il baise Madame tandis que Monsieur le pine joyeusement puis on inverse les rôles: Monsieur baise Madame tandis que Martin pine Monsieur. Parfois, il lui arrive de jouer exclusivement avec Monsieur quand Madame regarde ou Monsieur contemple Madame se faire troncher par Martin. C'est un fana des trios composés des deux sexes. Cette propension à vouloir satisfaire tous les couples qu'il rencontre lui cause souvent des ennuis. Le dernier en date l'a conduit tout droit à la prison. L'imbécile a insisté pour fourrer sa bite dans le cul de Madame qui avait, ce jour-là, le repenti religieux tenace. Elle voulait bien se livrer à des excentricités amoureuses mais ne plus commettre le péché de sodomie qu'elle jugeait, depuis peu, être le péché délicieux pour homme mais mortel pour femme. Il y en a, comme ça, qui interprète les dites saintes écritures à leur façon, uniquement ce qui les arrange cela s'entend. Monsieur étant de l'avis de son épouse, car se voyant frustré de la pine qu'il espérait sentir entre ses fesses, a cru bon de manifester brutalement son avis en giflant le malotru bien trop insistant dans son exigence. Martin, la tête près du bonnet comme on dit, s'est permis d'envoyer l'impudent dinguer d'un coup de poing magistral. Non satisfait de son geste, il s'est payé mémère en l'enculant comme désiré ci-avant puis a déchargé tout son foutre sur la tête de Monsieur encore évanoui. Après quoi, content de lui, il s'est rendu à son domicile pour y satisfaire d'autres besoins naturels: manger, dormir. Dès potron-minet les hommes de loi faisaient procéder à son arrestation. La défense de Martin se résumait en deux phrases sans cesse serinées:
<< - J'vois pas pourquoi y f'saient tant d'histoires pisqu'à chaque fois j'lenfilais elle et lui après qu'lui m'l'avait mise! Même qu'y voulaient pas que j'la fourre d'vant pour pas qu'elle soye enceinte. >>
Précis, succinct, mais accablant pour le prévenu car le couple, toute honte bue, niait, parlant de viol durant leur sommeil. Résultat, condamnation pour le vicelard qui effectue dix ans de prison ferme.
Une question me turlupine. Je la pose dès la dernière parole de Martin prononcée:
<< - Comment ça se fait que vous soyez dans cette cellule, celles des pédés pistonnés? >>
Deux sourires entendus me répondent, accompagnés d'un:
<< - Tu verras que Maître S
trouve toujours d'quoi arranger les choses, sans tricher
ou si peu
Dans mon cas, et dans c'lui d'Martin, il n'a pu nous éviter l'maximum. On l'a connu après l'jugement. Dommage pour nous! Pour lui, c'est une façon d'militer comme on dit, si tu vois c'que j'veux dire. Il a limité les dégâts, comme il a pu, pour nous deux. >>
Je vois. Pourvu qu'il arrive vraiment à m'en sortir, c'est tout ce que je lui demande. S'il le faut, je passerais une semaine dans son lit pour le récompenser.
*****
La porte de la cellule s'ouvre. Un cri annonce:
<< - C'est l'heure de la douche! Et j'veux pas voir une seule bite raide! >>
C'est la plaisanterie du moment, paraît-il.
Sous l'eau quasi-glaciale, je peux contempler deux corps magnifiques, sculptés selon mes goûts. Je constate que Martin m'admire à la dérobée tandis que Paco comble visuellement son manque de chairs nouvelles dans ma direction. Cherche-t-il à revigorer ses souvenirs? Le garde-chiourme gueule sans cesse des injonctions visant à nous activer: pressé de rentrer à la maison le gars!
Les images enregistrées lors de ce lavage sont gravées dans ma mémoire et m'aident à patienter. Une heure plus tard, un petit bonhomme bedonnant se présente à notre porte: le gardien, que toutes les tantes du bâtiment vénèrent, nous gratifie d'un bonjour des plus courtois, s'efface pour laisser place au remplissage de nos gamelles puis se retire sans un mot. Nous voilà tranquilles jusqu'à demain!
Le brouet infâme avalé, le plat de résistance mâché péniblement (c'est lui qui résiste à nos coups de dents), nous prenons un moment de détente. Puis Martin me donne quelques conseils:
<< - Bon, faut pas qu'y nous voit quand y fait sa tournée d'inspection. J'veux dire qu'y nous voit baiser. On fait ça dans l'chiotte, sans bruit. Compris mec? Y veut bien fermer les yeux à condition qu'y soit pas obligé d'nous voir, comme y dit.
- On va être serrés! Et si le gardien ne nous voit pas dans nos lits?
- Y doit voir une bosse sous la couverture, ça lui suffit. Aut'chose: une tournée sur deux y rentre dans la piaule. Là faut qu'on soit au pieu. Pendant qu'on baise, si y'a du pétard ailleurs, faut vite arrêter et s'coucher. À part ça, y nous fout la paix. >>
Sans attendre une seconde de plus, il se précipite sur ma couche, se colle contre moi, murmure:
<< - Je rêve d'ce p'tit cul d'puis qu't'es là! J'vais l'éclater à en crever. >>
Pressé en paroles, attentionné dans les gestes. Maladroit dans ses rares caresses, en julot bon teint, il dépose deux petits baisers rapides dans mon cou avant que ses grosses mains n'aillent visiter mon fondement. En face de nous, Paco n'en perd pas une miette, effleure sa braguette en voie de développement. Me voilà à poil, en un tour de mains, c'est le cas de le dire: un expert en déshabillage le Martin qui siffle admiratif:
<< - Vise l'morceau, ça c'est d'la bite. J'vais bien la sentir quand elle visit'ra mon oignon. >>
J'entends Paco marmonner:
<< - J'connais. Bon, Martin tu t'pousses. J'ai la primeur! C'était mon mec quand même. >>
L'autre cède:
<< - Y'a du vrai là-d'dans. Mais faut aller aux chiottes, pas rester ici. >>
Tandis que Martin s'occupe de mettre nos vêtements sous les couvertures, créant la bosse visant à remplacer nos corps endormis, Paco me pousse délicatement vers le lieu des plaisirs interdits. Quelques secondes plus tard, je retrouve le goût de sa salive, l'odeur de sa peau, la douceur de sa pilosité fournie. En un instant je revis les deux années de sexualité passées en sa compagnie. Je dois l'avouer, c'est un amant du tonnerre. Il caresse, suce, se fait baiser: toutes choses assez rares chez nos congénères, tout au moins officiellement. Il sait admirablement enfiler un mec, lui donner matière à frissonner grâce à son pilon férocement ardent. Martin nous rejoint, grommelle:
<< - J'vais m'asseoir sur la tinette. J'veux sucer c'te bel engin tout nouveau pour moi. >>
Il procède comme annoncé. Encore une de ses qualités incontestables: il pipe merveilleusement. Paco s'occupe activement de mes arrières qu'il lubrifie avec sa salive puis plonge son braquemart au tréfonds de mes entrailles. Pour moi, c'est la délivrance: plus de soucis, plus de mésaventure, je suis libre de m'éclater et je n'attends pas. Le foutre gicle dans la bouche de mon suceur qui avale en grognant de plaisir. Paco pousse un peu plus fort: sa crème inonde mon trou. Gentiment, il propose:
<< - On a l'temps pour une aut' partie. >>
Comme dans un ballet, mes deux compères se déplacent: Paco se positionne sur la lunette des chiottes tandis que Martin se colle à mon dos. Une fois de plus, il croit indispensable de préciser:
<< - T'inquiète! Après la ronde ça s'ra ton tour d'nous enculer. >>
Est-ce dû aux circonstances, à l'endroit? Je ne saurais le dire. Toujours est-il que j'ai une énorme envie de jouir de la bite, du cul, de partout. Je me contorsionne afin que ma bouche rencontre celle de Martin qui semble vouloir se refuser. Ma main maintient sa tête, il cède. Nos langues se croisent, se lèchent. Maintenant il en redemande. Nous reprenons nos respirations tandis que Paco s'active sur mon vit, lèvres et langue veloutées sur mon gland de soie. Pas de gémissements tonitruants, tout se déroule comme dans un film muet. Mon enculeur procède à diverses caresses sur mon corps, plus élaborées que celles du début. Il s'y met, susurre à mon oreille:
<< - C'est la première fois que j'fais ça, caresser et rouler des patins. L'Paco y l'aime pas trop avec moi alors on l'faisait pas. >>
C'est vrai, je me souviens de ses hésitations au début de nos amours. Paco embrassait rarement sur la bouche, ne caressait pratiquement jamais se contentant d'enfiler son partenaire qu'il laissait toujours sur sa faim à partir du moment où, lui Paco, avait joui. Que de coups de gueule pour l'amener à plus de compréhension! J'y suis quand même arrivé. Le voilà qui marmonne, entre deux sucettes:
<< - Rafael est l'seul avec qui j'fais ça, c'est tout! >>
Je me sens flatté. Martin besogne mon cul avec maestria. Je l'en remercie par plusieurs coups de langue sur sa face, quelques attouchements sur le reste de son corps. Afin de prouver ses dires, Paco se lève et vient prendre gloutonnement mes lèvres qu'il suçote avec attention. Ma langue lui rappelle la totalité des mouvements à effec visant à réaliser ce que l'on appelle un baiser.
Nos oreilles captent un bruit de pas. Un prisonnier crie à plusieurs reprises le mot "gardien". Martin, toujours prêt à renseigner, expose à voix basse:
<< - C'est rien. Y z'ont encore oublié d'lui donner son calmant, sûr'ment. >>
Nous ne bougeons plus, ou presque (difficile de rester immobile quand on a une bite dans le cul et une bouche qui prend soin de sa pine à soi). Le silence revient, nos gesticulations reprennent pour nous amener à l'explosion finale. Paco a beaucoup de mal avec mon foutre qui dégouline de chaque côté de sa bouche. Celui de Martin déborde de mon anus déjà bien rempli par son prédécesseur, s'écoule sur mes jambes. Il conclue la première partie de nos ébats:
<< - J'croyais plus qu'ce s'rait possible! Putain qu'j'aime ça à trois! >>
Moins disert, Paco se contente de cracher le foutre dans le lavabo puis de se rincer la bouche. Nous regagnons notre lit respectif où nous mimons le "dormeur profond". Le frôlement du protège-illeton est caractéristique. Quelques secondes plus tard il se reproduit montrant ainsi que les regards curieux s'effacent par discrétion. J'attends un signe de la part de mes compagnons, peu au fait des habitudes de l'endroit que je suis. Une voix annonce:
<< - Bon, on peut passer à la deuxième partie. Allez p'tit, à ton tour d'nous la mettre. C'est une loi ici, on s'encule à égalité. C'est l'Paco qui dit toujours ça. >>
La maigre vastitude des chiottes permet tout juste à mes deux partenaires de se pencher afin de me présenter leur cul. Là, pas de préliminaires, droit au but. Je ne renâcle pas: j'ai besoin d'enfiler quelqu'un pour clore cette journée ô combien chargée. Ma bite va d'un trou à l'autre, lime, fouaille. Je me finis à la main, lâchant la purée sur les fesses tendues. Ensuite, je suce mes deux compères qui s'empressent d'inonder ma cavité buccale d'un sperme au goût âcre mais pas désagréable du tout.
Je me jette sur ma paillasse, la jambe flageolante, tant les émotions viennent à bout de ma résistance. Martin déclare:
<< - Salut p'tit! Salut Paco! C'était super, on r'commencera d'main soir, hein pas vrai? >>
Personne ne lui répond. Paco m'adresse un bonsoir, comme au temps où nous dormions dans le même lit, en amoureux. Je lui renvois la pareille, pensant qu'il comprendra ce que moi je crois comprendre.
*****
Ma tête va exploser, mon dos manifeste douloureusement son désaccord concernant le moelleux du lit. Ces maux sont-ils responsables de ma nouvelle vision? En effet, la cellule me paraît sordide, crasseuse, pouilleuse. Les chiottes, lupanar luxueux la veille, sont un véritable repoussoir: comme peut-on utiliser un tel local même pour y déposer ses déjections? Martin est occupé à la fenêtre. À l'aide d'une ficelle, il balance un papier sur lequel sont écrits quelques mots résumant ses besoins en cigarettes. Dans un moment, il recevra la réponse. Une fois le marché conclu, toujours par la même voie, il adressera le paiement demandé et obtiendra la marchandise désirée. Paco lui succèdera.
Moi, je ne demande rien. Je ne veux pas m'habi à cette vie, je veux m'en détacher. Cependant, hier soir j'étais en plein dedans, essayant, tout comme eux, d'oublier l'incarcération. Maître S
arrivera-t-il à me sortir de ce mauvais pas? Je n'en suis plus certain. Je ne dois pas douter de nouveau. Je dois en revenir à mon stratagème initial: penser cul, agir cul. Conscient de sombrer dans une marée de pensées plus noires les unes que les autres, je m'oblige à contempler les fesses de Martin toujours collé à la fenêtre. Paco devine mon regard. Il jalouse:
<< - T'en pince pour lui ou quoi? T'arrêtes pas de l'zieuter.
- Je cherche à pas tomber dans le dépressif, Paco. Pour ça, un seul moyen, penser cul, agir cul. Comment tu fais pour tenir le coup dans cette merde?
- J'fais comme toi, poussin! J'pense cul, j'agis cul! Ça m'rappelle dehors. Quand j'fais comme ça, j'crois que j'suis dehors. Tu vois, y t'a pas fallu longtemps pour comprendre comment résister. Chacun son truc, tous deux c'est l'cul et on s'en sort pas trop mal. >>
Je note qu'il a repris un de ses anciens automatismes en me parlant: il m'appelait toujours poussin. Martin, bien que fort occupé à ses achats, ne perd pas un mot de ce qu'on dit. Il tourne la tête vers nous, annone:
<< - T'as quel âge, p'tit?
- Bientôt quarante et un.
- Tu charries, allez dis-moi ton âge.
- Quarante et un, pas un de moins ou de plus.
- Ben merde alors! On croirait un môme à t'voir! T'es aussi solide qu'un mur de paille! Pour un peu, tu pourrais t'cacher derrière un seul barreau d'la f'nêtre! >> >>
Ce compliment arrive à me redonner un peu de chaleur au cur. Je souris. Paco prend ma main, la caresse avec son pouce, murmure, ému:
<< - C'est qu't'as pas changé. Toujours l'même! Pour tout d'ailleurs. Hier soir, en baisant, j'ai r'trouvé l'Rafael d'antan. Tu sais, j'crois qu'j'en pince d'nouveau pour toi.
- Non, tu n'en pinces pas pour moi. Tu es heureux de me revoir, c'est tout. Je te rappelle des souvenirs de dehors.
- Vraiment, j'en pince pour toi. >>
Notre conversation est interrompue. Paco va secouer Martin afin de le prévenir d'une future intrusion dans notre local. En effet, peu de temps après un gardien que je ne connais pas pénètre "chez nous":
<< - Martin, prends tes affaires, t'es libérable! >>
Pour une surprise, c'est une surprise! Le Martin baragouine:
<< - Mais j'ai encore deux ans à faire.
- Cherche pas! L'directeur dit qu't'es libérable alors on t'libère. Grouille! J'viens t'chercher dans dix minutes! >>
Fébrile notre ami! Il tremble tout en amassant ses quelques hardes et autres objets. Il cherche affolé, un sac pour les y enfourner. Je lui tends une de mes serviettes. Il me remercie d'un geste de la tête. Je vois des larmes couler sur ses joues. Déjà le gardien est de retour:
<< - T'es prêt? >>
Martin s'avance vers la porte, balluchon sur l'épaule. Il se retourne, jette:
<< - C'était chouette avec vous les gars: j'vous oublierai pas, juré! >>
La porte claque, la clé nous enferme de nouveau. Paco constate:
<< - Y'a un drôle de vide! J'ai plus qu'toi, maint'nant. J'l'aimais bien l'Martin.
- Surtout que vous avez pris pas mal de bon temps tous les deux, si j'en juge d'après nos exploits d'hier soir.
- C'est vrai qu'il aime l'cul, lui aussi. On s'aidait tous deux à oublier, comme on disait t'à l'heure.
- Dis-moi, Paco, pourquoi éprouves-tu le besoin de parler comme ça? Avant, tu parlais bien.
- Faut parler comme ceux avec qui on vit. Ici, pas d'chichis! Si j'en f'sais, les aut' comprendraient pas.
- Avec moi tu peux parler normalement.
- Non! J'tiens pas à perdre c'que j'ai mis tant d'temps à apprendre.
- Pourtant toute la taule sait que tu es pédé.
- C'est vrai. Mais j'suis un pédé qu'on craint, qu'on respecte: j'parle comme eux, j'agis comme eux. Y savent qu'j'aime l'cul et sont jaloux que j'sois pas complexé. Ils voudraient être comme nous, tout au moins pour l'temps qu'y passent ici. Eux aussi sont obligés d'baiser avec des mecs s'y veulent soulager leurs bites. Y'a pas d'aut' solution. Y sont comme nous! Mais y font ça avec la honte dans leur tête. >>
Il soupire, comme fatigué d'avoir donné ses explications. Il reprend:
<< - J'suis content qu'on soient tous deux seuls. J'sais qu'lundi j'vais en chier après ton départ: plus toi, plus Martin. Mais tant pis! J'veux profiter d'toi tant qu't'es là. >>
Et voilà que dans ce trou sordide, dégueulasse, je joue les mijaurées toutes frétillantes sous le compliment. Ces aveux provoquent des frémissements du côté de mon échine. J'en ai la croupe toute mouillée. Dommage que ce ne soit pas encore l'heure pour se livrer à des occupations cochonnes. Je lui donnerais tout, au Paco. Je sens mon gland s'humidifier lui aussi. Je glousse à l'attention de mon vis-à-vis:
<< - Faut que j'aille me soulager: tu me fais bander. >>
Sans me prévenir, il me pousse dans les chiottes où nous nous livrons à une branlette réciproque maison afin de soulager notre trop plein d'affection, imprudents que nous sommes. Heureusement, la ronde venait juste de passer quelques minutes avant le début de cette urgence.
*****
Selon Paco, personne ne remplacera Martin avant lundi. J'ergote:
<< - Pourtant c'est une cellule pour préventifs, ici?
- On l'appelle comme ça mais c'est pour la frime. C'est la cellule aux pédés et on n'ose pas lui donner son vrai nom. Tu vois bien qu'j'y suis. Y'a longtemps qu'la préventive est passée pour moi. Martin aussi il était là.
- Combien tu as encore à faire?
- Un an si tout va bien. On sait jamais, les rallonges sont pas rares ici, souvent sans vraie raison. C'est pour ça que j'me tiens peinard! Tu sais, les lois libérales ont pas encore passées les murs d'ce logement! Y'a d'la résistance chez nos protecteurs. D'ici ma sortie, tu pens'ras plus à moi, pas vrai Rafael?
- As-tu pensé à moi depuis que tu m'as lâché?
- Ouais, souvent. Crois-le si tu veux, mais j't'ai jamais oublié, surtout tes pipes savoureuses comme tout. Tu m'en f'ras une c'soir?
- Je te la dois.
- Tu vis avec quelqu'un dans ton bled paumé?
- Non, pas vraiment. Je t'ai parlé d'Antonio. On se voit plusieurs fois par semaine. Il passe la nuit avec moi, quelques fois.
- Tu m'as pas dit qu'il était marié?
- Par obligation, oui. Il baise sa femme une fois toutes les pleines lunes, si tu vois ce que je veux dire. Pour le reste, c'est avec moi que ça se passe.
- T'en pince pour lui et lui pour toi?
- Je ne sais pas trop. Peut-être. En tout cas, il me manque et je pense souvent à lui. C'est lui qui m'a trouvé l'avocat.
- Alors c'est qu'il en pince pour toi et t'en pince pour lui. J'suis au rancard, quoi! >>
Paco baisse la tête, chagrin de cette constatation. Son attitude de chien battu me pousse à m'asseoir à ses côtés, à le prendre par les épaules, à lui rouler une pelle affectueuse. Nos lèvres décollées, il bredouille, un tantinet sous le choc de l'émotion:
<< - Gaffe! L'gardien va plus tarder. On attendra bien c'soir, pas vrai? >>
Et déjà, il se pourlèche les babines en pensant à la pipe que je lui administrerai. Je me place en face de lui, passant ma langues sur mes lèvres, comme pour attiser son désir déjà fort important. Il sourit, m'apostrophe:
<< - Fais pas la pute ou j'te viole et ça m'vaudra perpète. >>
****
La présence de Paco, amant torride s'il en fut, m'aide à passer le temps. Nous discutons beaucoup du passé, jamais du présent, très peu de l'avenir, surtout du sien. Le dimanche, dans la matinée, un gardien m'apporte un paquet éventré, reste d'un colis expédié par Antonio. Paco ironise:
<< - Comme toujours, y z'ont laissé les miettes. Les salauds, y z'en profitent. >>
En effet, seuls deux carrés de chocolat gisent entre quelques cigarettes et une dizaine de bonbons à la menthe. Je veux faire cesser un flot de reproches que je sens venir. Je place les carrés de chocolat entre les lèvres rageuses de mon partenaire. Il se tait, sourit, content de savourer un mets dont il avait presque oublié la saveur.
Nous passons les deux nuits suivantes à nous sucer, nous enfiler, nous embrasser, nous caresser, nous lécher, l'oreille attentive aux moindres mouvements provenant du couloir. Le foutre oint nos corps, la sueur les lave. Nous vivons, respirons, aspirons, nos secrétions les plus intimes.
Dimanche soir, lors de sa dernière ronde avant l'extinction des feux, le gentil gardien renâcle en entrant dans la cellule:
<< - Vous puez, les mecs! Ouvrez-moi cette fenêtre! Lavez-vous, bordel! Y'a d'l'eau au lavabo, non! >>
J'obtempère. Se laver, certes, mais pas avant demain matin. Paco et moi voulons nous respirer encore, toute la nuit. Nous vivons nos dernières heures de complicité corporelle. Vers quatre heures trente, nous décidons de cesser nos ébats, trop épuisés pour les poursuivre: manque de sommeil, couilles à sec. Avant de m'endormir j'adresse un bonsoir, en forme de regret, à Paco:
<< - Dommage qu'on ne puisse pas dormir l'un contre l'autre. >>
Quelques instants de silence, puis il répond:
<< - On n'est pas encore morts, que j'sache! Y tient qu'à toi d'faire en sorte qu'on dorme tous deux ensemble, comme avant. >>
J'ai compris. Il me lance la perche, ne sachant pas où aller à sa sortie. Je ne réponds rien, même, et surtout, après l'avoir entendu dire:
<< - Tu sais, Rafael, j'en pince vraiment pour toi. >>
À suivre
3ème partie
Juste un petit signe de la main en guise d'au revoir à destination de Paco. De toute façon, je reviendrai ne serait-ce que pour chercher mes affaires. Mais déjà je sens comme un pincement au cur de savoir que l'on s'éloigne l'un de l'autre.
Fouille minutieuse, cette fois-ci, y compris le trou de balle que l'on examine avec attention: on parle de passage de drogue. Tout en subissant ces douceurs policières, j'entends parler de Martin: la démocratie vient de l'envoyer en hôpital psychiatrique afin, dit-on de tenter de le sauver. Officiellement, on appelle cela libérer le détenu. J'ai envie de vomir!
Avec un plaisir non dissimulé, un garde civil me passe les menottes aux poignets non sans estimer:
<< - C'est la règle, t'es pas encore sorti d'taule, Maître S
. est pas encore passé par-là. >>
Dire que les fourgons cellulaires sont d'un confort digne d'une Rolls serait exagéré! Ce que l'on pourrait appeler une "cabine" laisse tout juste la place pour s'asseoir, pas un centimètre carré de plus. L'endroit fait très boîte de conserve. En effet, la porte est percée de quelques trous afin de permettre à l'aire de se renouveler. Cela me rappelle les boîtes d'allumettes vides que l'on utilisait, étant , pour y enfermer un grillon. Afin de lui permettre de respirer, nous percions le dessus. Durant ce bref voyage mes pensées vont à ces grillons que j'ai martyrisés. À mon tour de subir ce calvaire. Heureusement, ma sensibilité ne m'a jamais lâché. Je rendais très vite leur liberté à ces petites bêtes. En sera-t-il de même pour moi aujourd'hui? Quoique, après tout, enfermé avec Paco n'est pas si désagréable que ça. On s'en donne à cur-joie! Voilà maintenant que j'en arriverais presque à désirer rester en taule! Ma tête ne va décidément pas! Le cul, je dois penser au cul! Au fait, les grillons, comment baisent-ils?
Je n'ai pas le temps de trouver la réponse. Le fourgon stoppe brusquement: mon front va caresser la paroi métallique: rien de bien méchant, tout de même. Les marches sont hautes pour descendre. C'est drôle comme l'équilibre devient fragile quand on est
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