Abandons
Abandons.
Lune est blonde et lautre brune. Dressées à genoux sur un lit, elles sembrassent.
Elles sont dévêtues.
La brune est nue, corps chaud, seins généreux, un petit ventre bombé souligné dune perle bleue piquée au nombril.
La blonde, poupée diaphane, presque fragile, pose ses mains fines aux ongles courts peints de rouge sur les épaules de la brune, épouse son corps de son corps, sa dentelle blanche sur la broussaille noire de la brune.
Elles sembrassent bouches ouvertes, langues douces, yeux mi-clos.
Pas de passion ; de lamour ?
Du désir, de lattente, une tension.
Elles ont parlé longuement dans laprès-midi, au soleil du printemps à la terrasse dun café. La brune parlait, les yeux baissés sur ses doigts croisés autour dun verre, à voix basse, mots en suspens, repris, hésitants, ponctués de sourires nerveux. La blonde écoutait, suivait des yeux le garçon de café, puis un passant, chassait une poussière sur sa jambe dune main négligente et lente, regard calme. Elle écoutait, a tendu la main vers le verre de la brune ; les doigts se sont desserrés ; les regards se sont croisés ; elle a bu à petites gorgées, reposé le verre et pris les mains dans les siennes, les pressant entre ses doigts. Elle acceptait.
Quand elles font lamour, cest la blonde qui choisit. Le moment. Comment. Les gestes. Cest chez elle le plus souvent quelles se retrouvent.
Aujourdhui encore, cest sur son lit quelles sembrassent.
La brune sest déshabillée dans la salle de bains, a pris son temps, a attendu que la blonde la rejoigne et se déshabille à son tour. En passant dans le salon, elle a pris un tube dans son sac, la posé sur un oreiller à la tête du lit.
Elle a décidé. Envie de prouver ? De se prouver ? Aller plus loin, sur des chemins à peine empruntés, aller où la blonde navait pas voulu ? Pas osé ? Pour elle, surtout pour elle. Et parce que cest fini.
Dressées à genoux sur le lit, elles sembrassent, se caressent doucement, du bout des doigts, gestes lents, les mains de la brune dans le dos de la blonde, de la nuque aux reins, les mains de la blonde sur les seins de la brune, ses hanches, les doigts plongés dans sa toison épaisse, longs poils noirs entre les lèvres brunes, charnues, ouvertes dun doigt au bas des lèvres, plongés dans la douceur moite au chaud du sexe.
La brune sest écartée, cambrée, ses yeux dans les yeux de la blonde, a caressé le bras, est descendue sur le poignet qui continue sa lente caresse dun doigt en elle, qui masse lentement du bout du doigt la masse râpeuse et dure à lentrée du vagin.
Elle repousse le poignet, le garde un temps dans sa main, se retourne et se penche en avant, bras sous loreiller quelle attire sous sa joue, cambre les reins et ferme les yeux.
Dressée sur ses genoux dans son dos, la blonde la regardée sinstaller, lever ses fesses vers elle jambes ouvertes. Devant elle, les reins se sont creusés, exposant le sillon entre les fesses, le petit oeillet brun clair de chairs plissées, sillon soigneusement épilé jusquà lentrée du sexe, léclat rose pâle des voiles froissés entre les lèvres épaisses à peine entrouvertes couvertes de soies noires.
Dune main sur les reins, elle la repoussée, lexposant plus largement encore, a ouvert le sexe des ses deux pouces, étirant les lèvres sur les chairs roses, exposition anatomique des voiles tendus des petites lèvres à la base du sexe béant, des chairs dentelées, irrégulières, à lentrée du vagin, de lurètre à demi masqué dun repli de chair, de léclat vif et brillant du clitoris à peine visible sous le capuchon déformé par la traction des doigts.
Elle ouvre, écarte, sans caresser, sans intention de plaisir donné ; pour exposer, pour ouvrir ; une prise de possession, sans douceur.
La brune, immobile, respire lentement, le visage tourné sur un côté appuyé sur loreiller, passive et les yeux clos.
La pression des doigts satténue ; une main sur les fesses, main ouverte, doigts largement écartés, blanchit la chair brune de la pression du pouce. Lautre main, un doigt, puis deux, quelle a mouillés de sa salive, plongés, dun seul mouvement lent, pénètrent son sexe, profond, se retirent.
Du pouce elle écarte plus largement les fesses, plonge encore, en dessous, deux doigts entre les lèvres du sexe, main ouverte pour envelopper, presser, pouce sur lanus, défroissant la peau plissée des chairs contractées, patiemment, assouplissant dune lente poussée et de mouvements tournants.
Elles se sont aimées ; lamour les fuit, sans heurt. La brune la première en a pris conscience. Il leur reste le désir et lintimité, totale, sans pudeur où curieusement avec lamour les gestes étaient retenus.
Les gestes se sont libérés ; plus exigeantes, plus égoïstes ; moins de gestes ébauchés pour faire naître le désir et laissés en suspens pour un baiser ; du sexe ; du sexe assumé, aux limites, à la recherche des limites, celles de lautre, et les siennes.
Aujourdhui, elle donne, bien sûr, mais surtout elle prend.
Cest un adieu, pas un partage, ponctuation de la fin dune relation.
Elle veut ; elle a demandé. Pour elle. Pour une fin.
La blonde retire les doigts du sexe, les porte à sa bouche, lèche, revient et pousse son index tendu dans lanus dune poussée continue, autoritaire, sans concession au resserrement et à la crispation de lanneau, tourne, étire et se retire, joint le majeur à son index et plonge à nouveau, arrondit le sphincter, ouvre et distend le muscle. Le geste ne ménage rien ; ne cherche aucun accord ; il force. Son autre main sur une fesse élargit le sillon, comme la main que la brune a rejeté dans son dos pour écarter lautre fesse.
Penchée, bouche au-dessus de ses doigts, elle crache un long jet de salive qui coule sur ses doigts un temps immobiles et reprend son va-et-vient tournant entre les reins, croche les doigts à lintérieur, repliés au-delà du cercle qui se relâche, ne résiste plus, blanchit sous la traction, et la main à plat, verticale, cest quatre doigts quelle pousse de son bras tendu entre les fesses, doigts et poignet raidis de tension, en butée sur lélargissement de la dernière phalange, trop large, tourne la main, de droite à gauche.
Les sourcils de la brune se froncent sur les yeux fermés, bouche ouverte arrondie sur un « oh » muet.
La blonde ne la regarde pas. Elle garde les yeux fixés, attentifs, sur ses doigts, poignet ferme et muscles du bras raidis de la poussée exercée.
Dune main la brune saisit le tube posé sur loreiller et senduit les doigts dun lubrifiant épais et gras, rejette son bras en arrière et du bout des doigts étale sur le filet de chair blanchi, distendu, en haut de lanus, glisse sur les phalanges de la blonde, le dos de sa main, le poignet, quelle prend dans sa main, posée, doigts fermés sur le poignet, pour accompagner, encourager, exiger.
Elles se sont rencontrées dans une soirée, chez des amis communs. La brune était accompagnée, un garçon avec qui elle sortait depuis quelques mois, par épisodes ; la blonde était seule, sennuyait, buvait trop, parlait, caressait des yeux, ébauchait une danse.
Elles se sont croisées dans une boutique Boulevard St Michel, quelques semaines plus tard, ont déjeuné ensemble, et puis une autre soirée, en banlieue, finie tard ; la blonde est restée, a dormi sur un canapé ; le matin, autour dun café, après le départ dun garçon, elle a plaisanté sur les cris et gémissements entendus, de lenvie de les rejoindre, exprimée dun sourire, une envie refoulée finalement, se justifiant dune provocation : elle ne voulait pas la détourner de sa normalité. La brune la embrassée, dun long baiser gourmand, puis encore plus tard après leur toilette. Elle sest offerte.
La blonde guidait leurs danses, toujours. Elles nont en commun que quelques amis et le lit quelles partagent, souvent ; elles parlent peu, sortent peu.
Des hommes, elle voulait la douceur, lattention, se montrait réservée, pudique même, sans fantaisie.
Avec elle, elle accepte ; tout. Se laisse bousculer, se laisse forcer ; elle attend delle ; elle veut autant quelle accepte. Etre troussée dans une impasse en rentrant dune soirée, jouir delle dans la rue, appuyée des deux mains sur un mur.
Quatre doigts tendus, lentement entrés et sortis, elle guette le resserrement et la fermeture de lanus étiré avant de le forcer encore, sarrête et pousse plus fort dépasse cette fois la protubérance des phalanges, sent le sphincter se refermer au-delà, au creux entre le pouce et la paume, sent la crispation de la main sur son poignet, qui ne lempêche pas, accompagne seulement et remonte sur sa main, caresse le pouce qui est venu se plaquer à elle, collé au sillon entre les fesses, lenduit du lubrifiant qui reste sur ses doigts.
Elle se retire et replonge, plusieurs fois, avec chaque fois moins deffort, à chaque fois, une plainte retenue, un souffle plus quune plainte marquant le franchissement des phalanges, et à chaque fois lanus reste plus ouvert, plus longtemps, puits sombre ourlé du rouge des chairs maltraitées, si blanches quand elle entre sa main, la tourne dune torsion du poignet.
Elle replie le pouce contre les autres doigts, attirée dune main ferme sur son poignet, impérieuse, doigts crispés ; reins creusés ; respiration bloquée ; poussée des reins au-devant de la main.
Elle a une conscience aigue, totale, des doigts qui se referment en elle, appuient sur la paroi du vagin, et la douleur, de létirement et du poids, la sensation de masse qui lenvahit. Elle sagrippe au poignet, creuse les reins, résiste à la poussée du bras, tire le poignet et se relâche autant quelle peut malgré la brûlure, intense, et sent le passage, le ressent dun soulagement et se referme sur le poignet plus fin, souffle coupé de la dilatation à lintérieur de son ventre ; la plainte incontrôlée sarrête sur un soupir, elle retrouve son souffle, se rend compte quelle est en train de souiller les draps, incapable de maîtriser sa vessie.
La main ne bouge plus ; caresse des reins, du dos, main douce ; au creux des reins, doucement, les doigts fermés à lintérieur du ventre, le poing oscille lentement, droite, gauche, éprouve la douceur de la paroi ; sous ses yeux, le sexe se déforme du mouvement de son poing, gonfle.
Elle sort la main, lentement, repoussant les fesses de son autre main, rentre aussitôt avant de lavoir totalement sortie, fascinée par lanneau si blanc et si fin qui sétire sur son poignet, comme une gaine qui sétire, du tremblement des cuisses et des jambes, recommence, mouvement chaque fois plus facile, et une autre fois, retire complètement sa main, en gardant le poing fermé, doigts repliés sur le pouce, arrachant un cri aigu.
Plusieurs fois elle a encore poussé sa main entière dans lanus dilaté, prêt à souvrir. Elle a caressé le sexe, là aussi entrant ses doigts, chaque main suivant le mouvement de lautre au travers de la mince paroi interne.
Sur son poignet, la main de la brune accompagne, pour parfois interrompre ses mouvements, plus souvent pour linciter à sengager plus profond.
Elle a compris quelle ne déclencherait aucun orgasme, que dès le début, ce nétait pas le but. Plusieurs fois auparavant elle lavait caressée, là, provoquant des refus, puis lavait e, presque violée un jour de son gode.
Aujourdhui elle sait que cette demande, la première que la brune formule en six mois de relation, est un adieu. Peut-être un cadeau, pour une part, plus sûrement une volonté de douleur, davilissement ultime.
A plusieurs reprises, elle lui avait imposé les deux ; sans chercher son accord ; lui avait appris ces plaisirs.
Elle comprend quil sagit de lexpression de sa limite, que cette frontière établie, elles nont plus rien à partager.
Elle lavait compris dès laprès-midi à la terrasse du café.
Elles vivent leur dernier rendez-vous.
Après avoir subi, après avoir été e, bousculée, elle lui montrait quelle était capable de décider daller plus loin, delle-même, dexiger plus encore quelle navait su lui imposer.
La brune sest allongée, à plat ventre sur le drap humide, a effacé dun revers de doigt les larmes quelle navait pas su retenir. Elle a fermé les yeux, puis sest redressée, sest assise au bord du lit. Elle a attendu le retour de la blonde, est partie à son tour vers la salle de bains.
Elles se sont regardées, chacune à un bout du couloir, immobiles, nont rien dit.
Une fille brune, une poupée blonde, se sont croisées, se sont abandonnées.
Misa 05/2011
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