19-20 Ans (4Ème Partie)

Bien obligé de céder! Près de huit fois que je trouve un prétexte pour refuser l'invitation de mon cher magnifique collègue et de sa non moins magnifique compagne. Lui fête ses 23 ans! J'assiste aux festivités. Charly est de la partie. Moi et lui, on s'évite. Rien à se dire ou si peu de choses.
Je regarde sans cesse ma montre, cherchant une excuse me permettant de m'esbigner. Mais pas question de filer avant la remise des cadeaux: cela ne se fait pas. Je passe le temps à admirer discrètement nos hôtes. Que du bonheur à les contempler. Je ne désespère pas de les rattr en matière de beauté. Mais j'ai pris du retard, semble-t-il.
À plusieurs reprises, je devine que Charly m'observe. Veut-il me parler? Moi je n'ai pas envie. Sait-il pour moi et son frère? Je ne crois pas. Olivier n'ira jamais chanter qu'on couche ensemble. D'autant que j'ai la réputation d'être "versatile", comme disent les anglo-saxons, pour parler du mec qui encule et se fait enculer. Alors avouer qu'on baise avec moi c'est reconnaître que l'on se fait aussi enculer. Le Charly serait-il inquiet de ce que je ne lui téléphone pratiquement plus, de ce que je ne réponde plus à ses messages? Possible! Ma vie actuelle accapare tout mon temps. Mon amour actuel m'accapare totalement. Finalement, il s'approche de moi, d'une voix douce annonce:
<< - S'cuse de t'embêter. J'sais bien que tu veux pas trop m'parler. Mais tes parents s'inquiètent. Tu réponds pas aux lettres, aux messages sur ton répondeur. Y m'ont appelé quatre ou cinq fois. J'sais plus quoi leur dire. Y voudraient savoir! >>

Merde! J'en suis là! Je laisse tout tomber dans l'espoir de tomber dans les bras d'un Olivier peu soucieux de mes sentiments. Je repousse hargneusement Charly, le priant de se mêler de ses affaires. J'ajoute:
<< - M'emmerde pas! Je les appellerai en rentrant tout à l'heure. >>

Je me sens dégueu, vraiment dégueu. Je vais prendre l'air à la fenêtre.

Une femme est là qui s'ennuie ferme. C'est mon impression. Elle attaque direct:
<< - Toi aussi tu n'as qu'une envie: partir?
- Y' a de ça, oui.
- Alors on est deux…. >>

Les confidences viennent naturellement, entre deux malheureux qui se comprennent. Similitude des cas: peines de cœur. Elle, enceinte, abandonnée par un mec trop lâche pour élever un môme, rumine ses chagrins d'amour, envisage son avenir douloureux. Moi, épris d'un porc magnifique, tremblant dès que je l'aperçois, tremblant dès qu'il s'en va. Moi et elle, on cause, on cause, ignorants de ce qui nous entoure. Finalement, quelqu'un nous distrait, nous sépare en quelque sorte. Je donne mes coordonnées à la demoiselle qui me donne les siennes. Je viens de trouver le prétexte qui me permettra de partir: l'inquiétude de mes parents que je dois appeler impérativement.

*****

Vautré dans le canapé, l'œil fixé sur le combiné, j'espère entendre la sonnerie. Il va m'appeler, il doit m'appeler. Promis, dans cinq minutes je bigophone à Maman et Papa.
Il n'appelle toujours pas. Encore cinq minutes et j'appelle mes parents.
Toujours rien. Tant pis, je fais le numéro de la famille. Reproches, inquiétudes, craintes, émanent de mon père qui me tance vertement, prétextant que je suis le désespoir de Maman. Il se garde bien d'ajouter que je suis le sien aussi. Je suis étonné d'apprendre que cela fait plus de quatre semaines qu'ils sont sans nouvelles de moi. Je n'y crois pas. Impossible! Je renaude, cherche des excuses. Papa comprend que je ne tourne pas rond. À ma grande surprise, je l'entends exiger:
<< - … Charly est très inquiet à ton sujet. Parle-lui! Si tu as un problème, dis-le nous ou à Charly pour qu'on t'aide. Tu entends? … >>

La litanie des reproches défile tandis que l'aiguille de la pendule file. Je dois raccrocher, Olivier va s'impatienter s'il appelle et que ça sonne toujours occupé. Un éclair m'empêche de commettre l'irréparable à savoir écourter la conversation brutalement.
Dix minutes! Papa et moi parlons durant dix minutes, les plus longues de ma vie, les plus stressantes, les plus…. Maman décide de ne pas prendre l'appareil, fâchée de ce que je les néglige. Je bredouille:
<< - Et Grand-pa'?
- Il se porte aussi bien que possible. Il t'attend en novembre, si toutefois tu te souviens que tu as une famille…. >>

J'ai posé la question comme par acquit de conscience, comme si le fait de ne plus donner de nouvelles pouvait causer la mort de Grand-pa' me rendant ainsi responsable de ce trépas. Je culpabilise sans faire quoi que ce soit pour que cela ne soit pas. Au moment de raccrocher, je pleure presque. Je sais que je les perds au profit d'un amour unilatéral, pour un amour unilatéral.
Je me couche tout habillé, sachant pertinemment qu'Olivier ne viendra pas. Je reste à l'écoute malgré tout. Que m'apporte-t-il? Quelques coups de queue, çà et là, accompagnés de caresses, de baisers. Mais à part ça? Rien! Le vide total. Et je languis après une telle relation. Je meurs d'envie de la continuer. Je crève de peur de la perdre. Au boulot, les remontrances s'ajoutent aux reproches. Je déserte mes amis, mes copains. J'ai même abandonné mon boulot nocturne dans la boîte. D'ailleurs, mon assiduité laissait à désirer au point que mon renvoi n'était plus qu'une formalité. Tel un zombie, je rôde autour du téléphone, inspecte minutieusement la boîte aux lettres comme s'il allait m'écrire un mot.
Je dérive.
Je débloque.
J'aime à en devenir dingue.
Je le savais! Je le savais! Le pourri m'a eu.
Combien de fois depuis la première? Six seulement, en onze semaines! Six visites dont quatre ivre comme un cochon. Durant ces six visites, nous n'avons baisé que trois fois et encore parce que j'ai insisté jusqu'à presque le supplier. La dernière fois, je l'ai allumé alors qu'il dormait. À la maison, c'est le roi. Je devance ses désirs, je le sers de mon mieux. Il prend, ne donne jamais rien, hormis son foutre quand il décide de me sauter.
Ses passages sont de plus en plus houleux. On s'engueule, il me secoue, me bouscule. Quand en arrivera-t-il à me bastonner? On n'en est pas loin. Il me parle comme si j'étais une femme, me reproche de l'avoir entraîné dans l'engrenage d'une vie de pédé comme il dit. Il ajoute:
<< - … Et maintenant, j'peux plus m'en passer... >>

Ben voyons! Je suis un véritable virus inoculant l'homosexualité, selon lui!
Et pourtant… sa main si douce sait faire palpiter ma queue. Sa bouche aux lèvres charnues m'impose de merveilleuses pelles. Ses doigts si agiles font tressauter mes entrailles dès qu'ils s'insinuent dans mon anus. Je le vois fragile entre mes mains lorsque ma bouche happe sa bite. Je le sais vulnérable au moment de lâcher son foutre dans mon cul. Preuve qu'il éprouve quelques faiblesses à mon égard. Comme tout homme en éprouve en baisant, évidemment. Mais j'ai du mal à le réduire à cela. Même si je le vois peu, il vient, il revient. Donc il a besoin de moi, de mon amour pour lui.
Tout cela vaut-il la peine que je délaisse ma famille, mes amis? Je ne sais pas, je ne sais plus, je ne veux pas savoir. J'en suis là de mes pensées, larmes aux yeux. Je me secoue: pas le moment de flancher mais celui de prendre une décision. Je me rassure. Je ne suis pas une mauviette, je sais mes défauts, mes carences. J'ai assez de courage pour me remettre sur pied.

Première décision, appeler Charly. Il n'est pas là, toujours à la fête d'anniversaire du collègue. J'anone dans son répondeur:
<< - Charly, désolé pour tout à l'heure. Je ne vais pas bien en ce moment. Je te dirai, plus tard. Mais t'inquiète, je vais remonter la pente. Allez, gros bisous sur ta bite. >>

Pas besoin de m'annoncer, il connaît parfaitement ma voix. À peine raccroché, mon téléphone sonne. Sera-ce déjà Charly? Ou, miracle, Olivier? Non, une voix féminine résonne à mon oreille:
<< - Dan? C'est bien Dan?
- Oui, c'est Dan.

- C'est Mireille. On a parlé longtemps près de la fenêtre, tout à l'heure.
- Ah oui….
- Je peux venir te voir?
- Je veux bien mais je ne suis pas en grande forme tu sais.
- Moi non plus.
- Je t'attends. >>

Voilà un dérivatif à mes misères actuelles.

*****

Qu'est-ce que je dis à Mireille ? Complètement barjo, le Dan ! Je me raconte, m'étale. Je parle, parle, sans jamais lui donner l'occasion de dire quoi que ce soit. Elle écoute vachement bien! Elle qui voulait que je l'écoute. Ce sera pour la prochaine. Depuis combien de temps je remets tout à la prochaine? Depuis Olivier! Je remets tout à la prochaine fois dans la mesure où cela ne concerne pas Olivier. Mireille écoute. Je la vois attentive, émettant de temps à autres un avis, une idée, mais très rapidement, comme pour ne pas gêner, comme par peur d'entrer dans ma vie privée alors que le fait de m'écouter la met en plein dans ma vie privée. Enfin je cesse mon flot de paroles. Je n'en peux plus! Putain que c'est dur de se confier! Mais que ça fait du bien. Je lui propose un café, ou un thé. Elle accepte seulement un verre d'eau. Tandis que je me dirige vers la cuisine, elle commence. À son tour de vider son sac. Moi, je suis tellement soulagé que j'accepte de l'écouter de suite, sans remettre à une autre fois. Un geste de remerciement comme un autre. Je lui dois bien ça. Quand on écoute les affaires de cœur ou de famille de personnes qu'on ne connaît pas, on comprend difficilement au premier abord. De nombreuses questions, demandes de précisions, s'avèrent nécessaires afin de piger de quoi il retourne exactement. Là, je ne pose aucune question. Je la laisse débiter son histoire, je ne pige rien. Mais je sais qu'on se reverra, qu'on aura maintes fois l'occasion de se dire toutes ces choses. Et alors, la lumière se fera automatiquement. Je crois indispensable de ne pas l'interrompre. Ce que l'on pourrait appeler une séance de psychanalyse réciproque à deux s'achève. Près de trois heures se sont écoulées. Nous sommes contents l'un de l'autre. On ne se le dit pas, on le sait. Je propose à Mireille de dîner avec moi. Elle refuse: ses parents l'attendent. Au moment où elle s'apprête à partir, la sonnette d'entrée tintinnabule. Une voix que je reconnais aisément annonce:
<< - C'est le traiteur! Le gueuleton de Monsieur est avancé! >>

D'un coup, oubliée la Mireille que je pousse presque vers la sortie en lui proposant de l'appeler très bientôt. Elle comprend que je cède, que je craque, que je me liquéfie, que je m'aplatis parce qu'il est là! Olivier s'annonce, Olivier est revenu! Olivier me veut de nouveau! Pourtant, un reste de dignité, de fierté, d'orgueil, me dicte l'attitude à prendre. J'ouvre la porte, n'ai aucun regard envers Olivier, m'occupant de faire mes adieux à Mireille que j'embrasse affectueusement. Dès qu'elle commence à descendre les escaliers, j'invite l'arrivant à rentrer, sans le regarder, comme si son arrivée me laissait totalement indifférent. Sa bonne humeur s'étiole quelque peu. D'un ton bougon il demande:
<< - Qui c'est c'te nana?
- Mignonne hein? Une jolie petite poitrine et de belles fesses.
- Oui, bon, pas d'détails, tu veux! >>

Je crois deviner une pointe de jalousie. Possessif l'Olivier. N'admet pas qu'on puisse aller vers d'autres amours que celles qu'il propose. Un frisson fort agréable parcourt mon échine tandis que ma queue se soulève sous mon pantalon. Je respire Olivier, le mâle Olivier qui pose sur la table de la cuisine un grand carton. Il se retourne, doute:
<< - M'dis pas qu'tu vires aux femelles.
- J'ai une vie quand tu n'es pas là, comme tu en as une en dehors de moi, pas vrai? Et puis, si c'était le cas, c'est toi qui m'a conseillé de virer aux femmes pour changer, se renouveler comme tu disais. >>

Il me regarde, l'œil noir, la bouche amère. Apprécie pas le petit Monsieur! Moi, je savoure. Bon, n'insistons pas. Je me colle contre lui, passe ma main sur sa braguette, tends mes lèvres. Il s'empare de mon menton avec deux doigts, continue de me fixer:
<< - T'es à moi, à personne d'autre, t'entends! Rien qu'à moi! Tu m'as fait virer pédé, alors tu m'dois bien ça! >>

Je ne réponds pas tout occupé à jubiler. Toujours cette petite voix qui sonne l'alarme. "Il ne t'aime pas l'Olivier, n'oublie jamais ça! C'est un dominant, un mec qui veut que tout plie devant lui, rien d'autre". Oui, je sais, la petite voix. Rentre dans un recoin de ma tête, là où je ne te trouverai pas. Moi, je veux croire qu'Olivier est amoureux de moi, à sa façon. Ça me console, ça me rend heureux, même si ça ne dure pas longtemps. Au demeurant, les lèvres d' Olivier se posent sur les miennes, sa langue envahit la mienne, ses bras entourent ma taille, ses mains empoignent mes fesses.
Nous reprenons notre respiration. La bonne humeur est de retour. D'une voix douce, charmeuse, charmante voire aimante, il décrète:
<< - C'est moi qu'invite. Un dîner aux chandelles. Tu vas voir, j'ai pas mégoté. >>

En effet, il n'a pas mégoté. Foie gras avec Sauternes, tournedos Rossini avec Nuits Saint Georges, panaché de girolles et ceps en fricassée, Saint Honoré avec Dom Pérignon! Le grand jeu, le grand luxe. Tout en dégustant le tournedos, je demande:
<< - On fête quoi, au juste?
- Ben rien! Comme ça, pour passer un bon moment tous deux. >>

Je n'y crois pas trop. Dans pas longtemps, je saurai de quoi il retourne exactement. Qu'importe! Il est là. Le dans pas longtemps arrive avec le champagne. On trinque, on se roule une pelle au dessus de la table, on avale une gorgée, il roucoule:
<< - Ça te dirait une dizaine tous les deux, ici. J'suis en congé. On pourrait se la donner rien qu'toi et moi. Qu'est-ce t'en penses? >>

Et la petite voix dans mon crâne de réapparaître: " Il cache quelque chose, c'est sûr. Tu ne sais même pas quel travail il fait, où il habite. Il y a un gros pépin en vue, gaffe, Dan.". Silence la petite voix! Le deal est important: passer une dizaine de jours avec lui, ce n'est pas rien. Tout! Pourvu que ça se réalise. D'une voix hésitante, Olivier demande:
<< - Y'a un problème?
- Non, pas spécialement. On a les vacances de novembre, ça tombe bien. Seulement j'avais promis à ma famille d'aller les voir.
- Ben on y va ensemble, ce sera chouette, juste pour deux ou trois jours!
- Impossible, enfin je veux dire pour toi. Ils savent que je suis pédé. Ils connaissent Charly et s'attendent à le voir lui.
- Là, évidemment…. J'tiens pas trop qu'on sache pour moi. Pour Charly?
- Je ne sais pas trop. Y doivent bien se douter. Peut-être même qu'ils croient que nous formons un couple. Je ne sais pas trop. Bon, d'accord, je ferai au minimum, là-bas. Deux ou trois jours, pas plus. Je leur dirai que j'assure la permanence des internes.
- T'es une chouette fiotte, la mienne à moi. >>

Ce compliment me va droit au cœur. Je lui suis reconnaissant de me consacrer son congé. Pour un peu, je demanderais qu'on le béatifie.

*****

Trop mangé, trop bu! Les retrouvailles se déroulent sans prouesses sexuelles, tout juste quelques câlins anodins avant de s'endormir. Mais que c'est bon de se blottir dans les bras de celui que l'on aime, d'y attendre le sommeil, apaisé par une caresse. Depuis fort longtemps, je n'avais pas passé une nuit détendue, reposante, durant laquelle je dors à poings fermés.
Que dire du réveil? Deux mains qui vous palpent avec douceur, délicatesse. Une bouche qui dépose maints petits baisers sur votre corps. Une langue taquine léchant çà et là. D'habitude, je n'apprécie guère rouler des pelles au réveil pour cause d'haleine peu affriolante. Cependant, je réponds volontiers à celle que demande Olivier. Qu'importe si nos bouches sentent les restes d'alcool de la veille! On sent pareil, tous les deux, l'odeur de nos amours et de ce qui les accompagne. Il m'enveloppe de ses bras, me couvre de son corps. Je suis aimé, protégé. Ma queue s'abrite le long de la sienne. Nous ne bougeons plus, savourant cet instant de paix. On somnole de nouveaux, ainsi calés l'un à l'autre. Les yeux s'ouvrent pour la seconde fois pour cause de sonnerie téléphonique. Ma mémoire refait surface: le boulot, j'ai oublié que c'était le dernier jour de boulot avant les vacances de la toussaint! Merde! Quel con! Ma côte est déjà basse, ça ne va pas arranger la situation. Je réponds. Charly, d'une voix monocorde, triste:
<< - Qu'est-ce qui t'arrive, pourquoi t'es pas là?
- Je ne me suis pas réveillé. Je ne sais pas ce qui m'a pris mais j'ai dormi comme jamais depuis longtemps.
- Bon, ça va. J'ai arrangé l'coup. J'suppose que t'as pas entendu la radio: l'métro a déraillé, sur ta ligne, quelques blessés. J'ai dit que t'étais dedans, rien d'bien grave. L'dirlo va t'appeler, fais gaffe à pas dire d'conneries.
- Sympa, Charly. Merci. Je te revaudrai ça.
- Ouais, si tu y penses. Faut dire qu'tu penses à rien en c'moment. Bon, tu vas voir Grand-pa' ou non?
- Si j'y vais mais pour deux ou trois jours, pas plus.
- Dis-moi, Dan, t'es pas amoureux par hasard?
- Si, t'as compris. J'ai la tête nulle part quand il n'est pas là, je deviens fou quand il n'est là. Tu comprends, maintenant?
- Je l'connais?
- Je ne sais pas, je ne pense pas.
- Quand tu me l'présentes? On est toujours copains toi et moi, hein Dan?
- Ben oui, pourquoi ça changerait?
- J'sais pas! Bon, j'te laisse. On s'voit quand?
- Ben tu m'emmènes voir Grand-pa'.
- J'sais pas, tu m'as pas invité. J'pensais qu't'y allais sans moi.
- Toujours aussi nase Charly, mais je t'aime bien. On part le vendredi soir avant la reprise. Je serai chez toi vers 11h le matin. On rentrera dans la nuit du dimanche au lundi pour aller bosser. Ça te va?
- Ok! Bonne bourre avec ton mec.
- Ah, Charly! Un truc important. pour ma famille, je suis sensé travailler, de permanence pour les internes qui restent au collège. C'est le seul truc que j'ai trouvé pour expliquer le bref séjour avec eux.
- Tu d'vrais leur dire la vérité. Y vont bien s'rendre compte…. Quand on est amoureux, ça s'voit comme un nez sur la figure. Mais si tu veux dire ça, j'te suis. Bisou sur ta bite.
- Bisou sur ta queue et à plus. >>

Je raccroche. Olivier est là, debout, sourcils froncés:
<< - C'était qui?
- Privé!
- Y'a qu'à Charly qu'tu dis "bisou sur ta queue". Tu crois qu'j'ai pas compris.
- D'accord, c'était Charly pour le séjour dans ma famille. Voilà, t'es content? Et puis il y a aussi que j'ai oublié que je travaillais aujourd'hui. Il m'a trouvé une excuse. >>

Le sourire revient sur les lèvres d'Olivier qui s'écrie:
<< - C'est que j'fais tourner la tête de ma petite fiotte! Elle en a oublié d'aller bosser! C'est qu'ça m'aime, ça! Allez, viens, j'vais t'montrer qu't'as bien fait d'pas y aller. >>

Nous roulons sur le lit, enlacés, bouche contre bouche. Tout mon corps frémit dans l'attente de l'assaut qui ne saurait tarder. Mon impatience n'a d'égal que mon désir de me donner entier, sans réserve, de façon démente. Ses mains captent ma bite qu'elles masturbent lentement, avec brio. Les miennes se baladent sur sa peau, titillant, caressant. Je contemple sa pine que, très bientôt, j'engouffrerai dans ma bouche, je lècherai, sucerai. Ses fesses rebondies attirent mon attention. Par une sorte de réflexe irréfléchi, je tends deux doigts vers cet anus objet de mes convoitises secrètes. Je le masse doucement, tournant autour de la rosette qui s'humidifie. Olivier deviendrait-il sensible à cet endroit? J'imprègne de salive les doigts inquisiteurs que je renvois d'où ils viennent. Là, j'exerce une légère pression, comme si je voulais les faire pénétrer. J'obtiens une réaction de bien-être. J'insiste puis je me résous à changer de tactique. Je repousse Olivier, m'installe à quatre pattes derrière lui, fourre ma langue entre ses fesses. Séance de léchage conventionnelle avant une expérience inédite. Entre deux coups de langue, mon index palpe l'entrée quand lui et le majeur ne l'écartent pas afin de mieux la dilater. Olivier relève son fessier de sorte que l'autre main s'affaire avec sa queue. J'en profite pour donner quelques lichettes sur le scrotum, ramener le gland vers moi afin de lui appliquer certaines succions fort appréciées. Ainsi, Olivier peut croire que les attouchements anaux ne sont qu'une péripétie anodine et non une première approche en vue de le sodomiser. De temps à autres, mon pouce appuie un peu plus fort sur la rosette, pénétrant de quelques millimètres l'anus maintenant offert. Des soupirs de satisfaction prouvent que cette intrusion ne déplaît nullement. Je me garde bien d'aller plus loin. Une autre fois j'oserai. Je cesse ce genre de mignardises. Maintenant, je pompe de mon mieux cette queue objet de mes fantasmes journaliers. J'entends les grognements de plaisir, cela me rend le plus heureux des amants. J'active, je veux sentir son sperme couler dans ma gorge. J'atteins mon but, les jets assaillent mon palais, je déglutis, m'attachant à ne pas en laisser une goutte s'échapper. Quelques minutes plus tard, les lèvres d'Olivier enserrent ma bite, sa langue l'enveloppe. Il me taille une pipe comme jamais personne ne m'en a taillé. J'ai du mal à retenir mes cris de jouissance lorsque le foutre gicle sur mon ventre. Repus momentanément, je me blottis contre mon homme. Il murmure:
<< - Dis-donc, toi, qu'est-ce tu me faisais au cul? T'essaierais pas les approches pour m'enculer, par hasard? Y compte pas! Mon cul c'est pas un garage à bites.
- J'essayais juste de te faire connaître un truc. Tu as apprécié, d'ailleurs.
- J'reconnais que ça valait l'coup. Mais rêve pas que je vais aller plus loin. En parlant d'garage à bites, la mienne voudrait bien prendre sa place dans son parking. >>

Et de me retourner doucement, de frotter sa queue contre ma raie, un long moment. Ça coulisse tout seul, grâce à la mouille abondante que nos corps fournissent. Mon amant regrette:
<< - Dommage qu'on soye d'mettre c'te putain d'capote. La baise sans c'est l'pied! >>

Durant plusieurs secondes j'hésite, près de lui dire de me fourrer sans préservatif. Un reste de prudence m'empêche de franchir ce dangereux pas. Cependant, je pense qu'il ne proposerait pas d'éliminer le latex sans être sûr de nous deux. Je me promets de mettre la question sur le tapis, très prochainement. Pour l'heure, nous avons un autre débat, ou plutôt d'autres ébats à envisager. Il continue:
<< - Ouais, j'fourrerai bien c'petit cul sans capuche. Ça doit valoir l'coup. >>

Tout en parlant, il enfile sa queue dans une capote. Deux secondes plus tard, il me positionne sur le dos, s'empare de mes chevilles, lève mes jambes en m'obligeant de soulever mon cul. Aussitôt, je sens le braquemart pénétrer dans mes entrailles. Je pousse un soupir d'aise, de bonheur. Soupir qu'il interrompe par une pelle des plus sensuelles. Je suis à lui comme jamais je ne l'ai été jusqu'à présent. Il possède tous les droits sur moi, je me fiche de ce qu'il en fera pourvu qu'il ne me laisse jamais tomber. Je perds toutes notions raisonnables. Je m'enfonce dans une espèce de délire amoureux, sensuel, sexuel. Je tressaute à chaque poussée de la part de sa queue. Un geyser de foutre s'échappe de la mienne tandis que je sens la sienne se contracter afin d'éjecter son trop-plein. Je baisse mes jambes. Il s'allonge sur moi, ignorant le sperme qui macule ma poitrine. Il mordille mon oreille, me roule une pelle, promet:
<< - Tu t'rends compte: dix jours à s'envoyer en l'air! T'en as d'la chance, ma petite fiotte. >>

*****

Charly conduit sans mot dire. Je ne cherche pas à faire la conversation, trop accaparé à me remémorer ces dix derniers jours. Par ailleurs c'est le plus sûr moyen de ne pas me trahir. Pourtant, j'aimerais lui dire, à Charly, de qui je suis amoureux, qui prend toute mon énergie. Lui, il attend, serein, persuadé que je parlerai, que je ne pourrai me retenir de parler. Le paysage défile, je tente de compter les poteaux, comme quand j'étais gosse dans le train. Nous arrivons. Avant d'arrêter la voiture, Charly constate:
<< - Pour un voyage calme, c'était un voyage calme. J'suis pas soûlé par ta conversation. Heureusement que j'avais pas b'soin qu'on m'tienne le crachoir pour m'empêcher d'm'endormir au volant. Tu f'rais pas un bon auto-stoppeur, Dan. >>

Reproche gentiment lancé, sans aucune amertume dans la voix. Mais la suite vaut avertissement:
<< - J'crois que si on continue à faire comme ça, j'vais chercher un copain ailleurs. >>

En disant cela, il quitte la voiture. Je ne peux pas répondre, déjà ma mère sort de la maison. D'ailleurs, répondre quoi? Mais perdre Charly me chagrine d'avance bien que je m'y résoudrais dans la mesure où Olivier m'est acquit.
Grand-pa' dort. J'en suis soulagé, comme si je craignais qu'en me voyant, il lise en moi, devine mes sentiments actuels, mon quasi désintérêt pour ma famille et mes amis. Cela lui serait fatal, j'en suis persuadé. Je me secoue. Le pauvre vieillard y voit à peine, n'entend plus rien. Comment pourrait-il savoir ce que je traverse en ce moment? Et quand bien même le pourrait-il, je suis prêt à parier qu'il me dirait de foncer, de continuer à vivre mon grand amour.
Comme d'habitude, quand nous venons ici, moi et Charly on couche dans l'unique chambre d'ami chez Grand-pa'. Je réfléchis à trouver une raison pour aller dormir ailleurs. Pas de solution raisonnable qui n'engendrerait de polémique. Décidément, ce bref séjour s'annonce des plus difficiles à vivre. Mireille à peut-être raison, je devrais dire la vérité, cela m'éviterait de nombreux désagréments. Quant à Charly, il a raison de se chercher un autre copain que moi qui ne le supporte plus.
Toutes mes craintes, mes hésitations, mes supputations, s'envolent dès lors que Grand-pa' sort de sa chambre. Un peu plus avachi dans son fauteuil roulant, mais pareil à lui-même: le petit sourire sur ses lèvres ridées dès qu'il devine ma présence. Maman me laisse sa place de conducteur. Et nous voilà partis pour une petite virée dans le village. Afin de ne pas déroger à la coutume, Charly nous accompagne: on se relaye dans le rôle de "chauffeur". Le lien sacré entre nous trois se crée de nouveau. Mon bisaïeul réussit ce miracle, uniquement par sa présence. Je retrouve mon allant, mon amour pour cette famille, mon penchant un peu plus qu'amical envers Charly.
La soirée du vendredi s'écoule tranquillement, dans l'atmosphère des souvenirs que Papy fait resurgir en sortant ses albums photos. Tout le monde quitte la maisonnée, une fois Grand-pa' couché. Moi et Charly gagnons la chambre.
Tout en me déshabillant avant de prendre une douche, j'observe mon copain, à la dérobée. Bien foutu le mec! Et si gentil! Pourquoi le faire souffrir? Pour un amour dont je ne suis pas certain, que j'enjolive. Olivier, resté seul chez moi, m'aime-t-il un tant soit peu? Rien n'est moins sûr. Que fait-il de sa vie? Je n'en sais rien. Nombre de questions restent sans réponse, questions auxquelles toutes personnes éprises de moi auraient depuis longtemps donné des explications. Olivier, lui, parle de tout et de tous, sauf de lui. Une voix me sort de mes pensées:
<< - Alors, ces retrouvailles en famille, ça te fait quoi?
- Je ne sais pas trop.
- Pourtant, y m'a semblé qu'tu te décontractais. Surtout quand t'as revu Grand-pa'.
- C'est vrai.
- Tu sais, pour tout à l'heure quand on est arrivé, j'pensais ce que j'ai dit. J'continue plus à jouer la comédie, même avec ta famille. C'est la dernière fois. T'es amoureux d'un mec, je l'comprends. Mais y'a autre chose. Tu t'caches, on t'voit plus, on t'entend plus. Dès qu'on s'voit, tu t'débines ou tu m'expédies vite fait comme si j't'emmerdais. J'peux pas continuer à mentir à ton père ou à ta mère. À croire que j'te suis utile seulement comme excuse quand t'en as besoin. Dimanche, juste avant d'partir, j'leur dirai qu'moi et toi on a changé, qu'on s'comprend plus à cause d'la vie, quoi! >>

Je quitte la chambre en silence, ne sachant que répondre. Mes yeux larmoient, ma gorge se serre. Donc je vais perdre mon copain, le seul. Donc je vais décevoir ma famille au risque de provoquer je ne sais trop quoi chez Grand-pa'. La vie deviendra infernale au travail où je croise souvent le cuistot Charly. Mon imagination agit tandis que l'eau coule sur mon corps tout à coup fatigué. Et il a attendu qu'on soit là pour me dire ce qu'il avait sur le cœur. Je ne peux pas le lui reprocher, c'est la première fois depuis longtemps qu'on est en tête à tête. Je m'assieds à même le carrelage, bras sur les genoux, tête sur les bras. Je pleure ce que je perds comme quelqu'un qui part pour une autre vie. Je ne sais pas vers quelle autre vie.
La crise passée, je finis de me doucher, regagne la chambre. Charly me remplace dans la salle de bain. Ce qui me donne le temps de penser à tout ça. Ma vie future dans les bras d'Olivier sera-t-elle à l'image des 10 derniers jours passés ensemble? Certes pas! Une passion n'est pas éternelle, dit-on. De plus on ne peut vivre cloîtré, à s'aimer à tout moment. Viendront les soucis journaliers, les problèmes, petits ou gros. Et, honnêtement, Olivier ne semble pas le mec à affronter quoi que ce soit et surtout pas les problèmes. Une vie avec lui exigerait de ma part et de la sienne de gros sacrifices. Je me sais capable de les surmonter, de les consentir. Lui n'admettra jamais quelque concession que ce soit. Alors? Alors je ne veux pas le quitter. Je suis obligé de le reconnaître: il me tient par le cœur mais aussi par le cul. Dès que je revois nos ébats dans ma tête, je bande. Je suis incapable de me branler quand il n'est pas là. Sans lui, je n'existe plus, je ne suis rien.
J'aperçois Charly de retour, l'œil sombre. Il se couche dans le grand lit, arrange l'édredon de plumes puis les oreillers de plumes en marmonnant:
<< - Des comme ça on en fait plus, dommage! >>

Je me glisse contre lui, sans broncher. Il me prend dans ses bras. Alors la crise me reprend. Entre deux hoquets provoqués par les sanglots, je réussis à dire:
<< - M'en veux pas Charly, je suis dingue de ce mec!
- Calme-toi, j't'en veux pas. Mais j'veux plus mentir. Et te couvrir ne sert qu'à t'mettre plus dans la merde. J'arrête, c'est tout.
- Tu sais, je crois qu'il ne m'aime pas, que je ne suis qu'un passe-temps, une roue de secours. Je ne le vois que quand ça l'arrange. Et pourtant, on vient de passer 10 jours ensemble comme si on était amoureux fou l'un de l'autre. Je ne veux pas que tu m'abandonnes. Je ne veux pas faire de peine à ma famille. Pourtant, je sais que c'est ce qui arrive, qui va arriver à tous les coups. Je n'ai pas le choix. >>

Ma tête repose sur le ventre de Charly. Je vois sa bite en érection. Cependant il ne tente aucun geste sensuel. Ma queue à moi se raidit, mes mains caressent la poitrine et les jambes de Charly, il ne bouge pas, comme si son attention était réservée à mes paroles. Il finit par déclarer:
<< - Qu'est-ce tu veux que j'te dise! C'est ta vie. Mais t'as l'choix. Où tu nous laisses tomber ou tu fais en sorte de vivre avec ton mec, ta famille et moi. Pour ça, faut la vérité, faut parler et dire les choses comme elles sont.
- Je voudrais bien mais lui c'est un exclusif. Il ne veut pas entendre parler de copain, de famille, s'il ne peut pas être avec moi quand je les rencontre.
- Qu'est-ce qui l'en empêche? L'est difforme ton mec, au point de pas s'montrer?
- Non, bien sûr! Mais il ne veut pas qu'on sache qu'il est pédé, tu comprends.
- Et alors? C'est pas parce qu'il t'accompagne quelque part que vous couchez ensemble. C'est pas écrit sur vos visages.
- C'est vrai. Il lui faudra du temps.
- Eh bien qu'il en prenne pas trop de temps parce que sinon tu te retrouveras seul avec lui. Allez, arrête d'chialer! Ça sert à rien sauf à m'mouiller. Si tu veux mouiller, y'a d'autres moyens bien meilleurs. >>

Il sèche mes joues avec ses mains, appose ses lèvres sur les miennes. Je réponds à son baiser consolateur, laissant mes doigts effleurer sa queue au volume toujours grandissant. Deux doigts affleurent ma rosette, une langue visite mon oreille puis flirte du côté de mon cou. Je ferme les yeux, savourant la paix de cette maison, le bienfait de ces câlins sincères. Timidement, Charly murmure, juste après une pelle passionnée:
<< - J't'ai jamais dit, mais j'crois que j'suis dingue de toi. J'savais pas, avant. Maintenant, j'suis sûr. Mais t'en fais pas, je t'laisserai vivre ta vie, même sans moi. >>

Cette révélation me bouleverse au point que je voudrais la rejeter, croire qu'elle m'a jamais été faite. Du coup, je me couche sur Charly, je lui mords la poitrine, mes jambes serrent les siennes, nos queues se frottent l'une contre l'autre. Je grogne:
<< - Salaud! Je vais te baiser que tu en auras le cul en chou fleur! >>

Je le retourne, ma force décuplée par les nerfs. J'enfonce ma bite dans cet anus déjà humide. Je le lime avec brutalité, avec méchanceté, enfonçant mes ongles dans sa peau, le mordant sans retenue. Il ne bronche pas, supporte les assauts en silence. Je sais qu'il ne prend aucun plaisir, il tient en horreur ce genre de péripéties sauvages. Je continue jusqu'à éjaculation. Mon foutre s'éjecte dans son anus. Là, seulement, il émet un gémissement. Un peu honteux de mon attitude, je m'affale sur lui, dépose plusieurs bisous sur son dos. Il me repousse doucement, se place en face de moi, me montre son ventre poisseux, susurre:
<< - Putain c'est bon, sans capote! À mon tour. Tu vas en baver, mec! >>

Il utilise son foutre comme lubrifiant, m'en badigeonne le fion, m'encule sans ménagement. Sa longue bite percute mes boyaux à les déchirer, c'est du moins l'impression que j'ai. Je ronronne de plaisir. L'engin empli mon cul. Lorsqu'il se retire, je râle ferme à cause du vide ainsi créé. Alors il me replante férocement tandis que ses doigts sillonnent mon dos. Demain, sûr et certain, je trouverai de longues estafilades causées par ses ongles. Moi non plus, je ne suis pas un fou de la baise SM, je déteste, même. Mais là, j'ai besoin de me sentir dominer, après avoir dominé, enfin je crois. Il éructe tandis qu'il gicle entre mes fesses. Mon foutre se répand sur les draps. Essoufflés, nous restons l'un dans l'autre.

*****

Samedi! Une journée d'automne resplendissante! Maman me trouve en pleine forme:
<< - Tu es mieux qu'hier à votre arrivée, mon chéri. Une bonne nuit à la campagne t'a fait le plus grand bien. >>

Papa opine, soulagé de constater que toute gêne entre moi et Charly a disparue. Car c'est un malin, Papa, il sent les choses. Avec lui, pas besoin de parler, seuls les regards suffisent.
Toute la famille est là, les connus, les inconnus. Je n'y prête guère attention me contentant d'un bonjour de politesse aux nouveaux venus. L'heure de promener Grand-pa' arrive et c'est avec précipitation que je m'empare du fauteuil afin de m'éloigner de cette foule. Charly me suit. Nous entamons une conversation. En fait, nous continuons celle d'hier soir. D'habitude, nous veillons à ne pas parler de sujet privé en présence de Grand-pa'. Toutefois, nous estimons qu'il y a urgence à se confier, faisant fi du respect dû au vieillard. Une fois encore, je me dis qu'il nous comprendrait, s'il entendait. Sans préciser de qui il s'agit, j'explique mon dilemme: j'aime mais ne suis pas aimé en retour (j'en suis certain), impossible de me raisonner pour le laisser tomber, je ne sais rien de lui pas même où il habite. Charly pose la question que je redoutais:
<< - Y t'a jamais parlé d'sa famille?
- Si. Je crois qu'il a un frère…. >>

Et d'aborder un autre point du sujet…. Je ne peux pas me passer de son corps, je me sens prêt à faire n'importe quoi pour lui bien que je sache pertinemment qu'il se fout de moi à moins qu'il n'en profite matériellement, bien que cela n'ai pas l'air d'être le cas jusqu'à présent. Charly précise:
<< - Pour le fric, c'est pas encore le cas, d'accord, mais sentimentalement si. Tu es son dépannage, dans un premier temps. Maintenant, y sait qu'tu feras tout pour lui…. >>

Je parle de ces 10 dernières journées passées dans les bras l'un de l'autre. Bien entendu, je ne donne pas de détails sur nos prouesses sexuelles me contentant d'essayer de transmettre verbalement le bonheur que j'ai vécu. Charly s'inquiète
<< - As-tu seulement r'gardé de plus près ces 10 jours.
- Qu'est-ce que tu veux dire?
- Simplement qu'le mec s'est gobergé pendant 10 jours, à tes frais. Pendant qu'tu jouais les ménagères consciencieuses, servant son petit mari, lui s'la coulait douce. Réponds-moi franchement: à part l'gueuleton de son arrivée, il a payé la bouffe pour les jours suivants, fait un geste pour payer en te donnant un biffeton?
- Non, c'est moi qui faisais les courses.
- Est-ce qu'il a mis la main à la patte pour la vaisselle, la cuisine, l'ménage?
- Sauf le fameux gueuleton, non.
- A-t-il fait au moins les courses pour les jours où qu'on est là et lui tout seul chez toi?
- Non, c'est moi qui ai fait les provisions pour trois jours.
- Il change d'linge comment?
- C'est vrai, il n'a rien amené à part ce qu'il avait sur lui. Remarque, on a passé tout notre temps à poil, en pyjama ou en robe de chambre.
- Bon, ben t'as plus qu'à rassembler tout ça et à tirer les conclusions avec ses sentiments pour toi… >>

Vu sous cet angle, Charly n'a pas tort. Seulement je me suis régalé à choyer mon petit mari, comme il dit. J'étais aux anges en m'occupant de lui. Le voir apprécier ma cuisine, savourer mon corps, quel jouissance pour moi! En plus, il n'a aucune exigence exorbitante, rien que de très normal. Par exemple, si je suis occupé à la vaisselle, il ne m'interrompe pas pour que je lui serve l'apéritif, il se sert lui même. C'est ce que je dis à Charly qui rétorque:
<< - Bon, d'accord, y dépasse pas les bornes, pour l'moment. Pendant ces 10 jours, y t'a dit c'qui f'rait après? Et avant ces 10 jours, ça faisait combien d'temps qu'tu l'avais pas vu? D'ailleurs, tu l'vois tous les combien?
- Je l'avais pas vu depuis des semaines, pas de nouvelles non plus. Il vient quand ça lui chante. Pour ce qui est de ce qu'il fera la semaine prochaine, je suppose qu'il reprendra son travail mardi, comme il me l'a dit.
- Et tu acceptes de vivre comme ça. Tu m'reprochais de ne pas m'confier mais tu tombes dans les bras d'un mec dont tu sais rien, pas même où il habite, son travail. Tu connais son prénom, son âge, au moins?
- Son prénom, oui, son âge non.
- Sauf à faire ta propre enquête, ce mec te dira rien. Y cache quelque chose de pas net. Peut- être qu'c'est pas grave pour toi, que c'est un truc qui te concerne pas. Peut-être que oui. Alors, si tu veux continuer avec lui, rencarde-toi et vite fait avant que tu t'retrouves dans la mouise. J'connais ce genre de type. Quand j't'écoute, j'crois qu'on parle d'mon frangin, l'Olivier. >>

Charly ne prête guère attention à moi, préoccupé à éviter une ornière, soucieux du bien-être de Grand-pa' qui somnole peu attentif au paysage. Je déglutis, tourne la tête afin qu'il ne remarque pas la rougeur de mon visage. Péniblement, sur le ton le plus innocent possible, je questionne:
<< - Pourquoi, c'est un truand, ton frangin?
- Non! Mais un fainéant, doublé d'un menteur. À part ça, c'est l'meilleur frangin qu'on peut avoir. J'laime bien malgré tout. Mais on sait jamais avec lui. Y ment sans arrêt. Mais j'peux pas m'empêcher de penser… Y m'défendait toujours quand nos parents s'en prenait à moi pour un oui ou pour un non. On m'envoyait en pension toute l'année, sauf pour les vacances scolaires. Ça l'foutait en rogne et y leur f'sait une vie pas possible pour que j'passe un peu d'temps à la maison au lieu d'aller en colonies d'vacances. Pour ça que j'dis que c'est l'meilleur frangin. D'puis, bien sûr, c'est plus pareil. Y m'a un peu volé et beaucoup menti. Mais j'le corrige sans lui en vouloir. C'qui craint l'plus, c'est que j'lui parle plus… >>

Tout ça colle bien avec le personnage qui gîte actuellement dans mon lit. Charly conclue:
<< - Ton mec, ça à l'air l'genre du frangin. Peut-être pas méchant mais pas fait pour vivre avec lui. Faut vite l'croiser, pas l'fréquenter longtemps. >>

Oui, mais que faire quand le croiser suffit à devenir accro au bonhomme?
Nous regagnons la maison. 19h sonnent au clocher de l'église. Grand-pa' ouvre les yeux à l'approche du jardin dans lequel tout le monde se trouve, babillant. D'un geste de sa main, il me fait comprendre son désir de ne pas s'attarder parmi tous ces gens. Nous l'emmenons près de Maman, comme il se doit. Je lui dis que Grand-pa' voudrait se retirer dans sa chambre. Elle acquiesce, l'annonce à haute et intelligible voix. On s'apitoie, on s'émeut, on le manifeste vocalement. Maman s'empare du fauteuil mais Grand-pa' refuse, me montre. Elle cède, trop heureuse de notre complicité. Elle recommande de le coucher après la toilette. Charly vient me donner un coup de mains.

*****

Propre, revêtu de son vieux pyjama préféré, celui à rayures de bagnard, Grand-pa' pousse un soupir de satisfaction à peine posé dans son lit. À croire qu'il ne devient heureux qu'ici, allongé, persiennes ouvertes afin de ne pas perdre une seule seconde de la lumière du jour comme celle de la nuit. D'ailleurs, il interdit qu'on les ferme, jour comme nuit. Quand il parlait, il déclarait:
<< - On les fermera quand je serai mort, comme c'est l'usage, pas avant. >>

Je lui donne son médicament du soir, qu'il avale sagement. Un , presque un . Mais jamais boudeur, jamais grognon. Peu d'exigences, pas de caprices. Souvent, je lui tiens la main afin qu'il s'endorme. Son sommeil ne durera qu'une heure ou deux. Ensuite, il gardera les yeux ouverts, fixés sur je ne sais trop quoi, attendant patiemment le matin qu'on vienne s'occuper de lui, aux environs de 6h30. Combien de fois je suis venu, la nuit avant de me coucher, voir s'il n'avait besoin de rien! À chaque fois, je l'ai trouvé éveillé, couché sur le dos, calme, serein pourrait-on croire. Que peut-on espérer à son âge, quasi grabataire, sourd et pour ainsi dire aveugle? J'ai la prétention de croire qu'il veut me sentir grandir, devenir un homme. Depuis ma naissance, il me voue un culte, une adoration sans borne. Selon ma mère, il ne vit que dans l'attente de mes visites, guettant les périodes de vacances scolaires avec impatience mais sagement. Pour le reste, il se laisse faire sans jamais quémander quoi que ce soit. Chaque mois, il reçoit sa retraite. Ma mère se charge de gérer son argent. Il ne demande aucune explication, ne veut pas savoir ce dont il dispose comme argent, n'exige aucune précision sur son compte bancaire. Qui est véritablement cet homme? Je le connais à peine, l'ayant toujours vu vieux, très vieux. Pourtant, il me parlait, dans le temps. Il me prenait par la main et nous allions faire quelques pas dans le village, lui appuyé sur sa canne, moi emportant un jouet quelconque. Je me suis contenté d'apprécier ces moments sans jamais m'inquiéter de savoir rien sur sa vie. Il ne "radotait" pas, genre exploits à l'armée et autres amours de jeunesse. Discret, secret même, mais aimant les siens.
Je devine qu'il ne va pas tarder à sombrer dans le sommeil. Charly, selon l'usage pris depuis quelques temps, se retire après un bisou à Grand-pa', me laissant seul avec lui pour une ou deux minutes. J'éteins la lumière du plafonnier, allume le chevet. Je regarde si tout va bien, m'empare d'une main de Grand-pa', la caresse un peu, murmure:
<< - Je te laisse, dors bien. Je t'aime, tu sais Grand-pa'. >>

Doucement, je gagne la porte.
Une voix chevrotante s'élève, aiguë sans être criarde. Je la reconnais, comme si je l'entendais depuis toujours, comme si je l'entendais chaque jour:
<< - Reste un moment, petit. J'ai des choses à te dire. >>

À SUIVRE…

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