Rédemption
Après quelques histoires où lhumour prédominait, on attaque un autre genre : le mélo. Rien à voir. Mais jaime tellement ces portraits de femmes déchirées.
Cette histoire sappelle « Rédemption ».
On y va, vous allez voir, ça va bien se passer.
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- Dis-moi Carole, comment on sorganise ?
Paul, mon mari me fait face dans la cuisine au petit déjeuner :
- Comment on sorganise pour quoi ?
- Pour le divorce
- Le divorce ? Comment ça ? Qui divorce ?
Il me tend une enveloppe kraft. Elle contient une série de photos A4.
Moi avec mon amant dans des poses ne laissant place à aucune mauvaise interprétation.
Moi en train de lui faire une fellation. Pas de doute, on reconnait bien mon visage, même de profil. En missionnaire, en levrette, puis sur les dernières, manifestement il me sodomise :
- Mais
- Oui ?
- Je ne
- Tu ne ?
-
- Alors comment on sorganise ? Tu prends tous les torts pour toi, et on va vite ? Ou une procédure plus longue ?
- Mais non, cest ridicule, on ne va pas
- Oui, je te rejoins sur le côté ridicule de la chose. Ridicule et sordide dailleurs.
- Mais, chéri, non, je taime
- Tu maimes ? Ces photos le prouvent en effet !
-
Jaurais préféré des cris, un scandale, une scène. Là, la froideur de Paul, sa détermination mont tout de suite fait comprendre que la cause était entendue. Sa décision était irrémédiable, je le voyais dans son regard, fixé sur moi. Un regard de glace. Il ny aurait pas de retour en arrière, pas dexplication.
Un petit retour en arrière simpose pourtant. Oui, jai cédé à ce beau parleur. Il me baise deux fois par semaine depuis deux mois dans des chambres dhôtel.
Comment mon mari la découvert ? Je nen sais rien, mais les faits sont là. Et ces photos ? Il a engagé un détective, il ma suivie ? Jai été dénoncée ? Une lettre anonyme ? Peu importe, là nest pas limportant. Jai dû commettre une erreur à un moment donné, le mensonge de trop, il a eu des doutes. Les doutes se sont transformés en certitudes, puis en preuves accablantes. Moi sur ces photos, quelle honte. Je le comprends complètement. Mon adultère nest plus virtuel pour lui. Il ma vue. Il sait de quoi jai été capable. Ce que jai fait. Ce ne sont plus des mots.
Oh ce nest pas le premier. Il y en a eu dautres avant, plus ou moins longtemps. Deux autres pour être précise. Pour moi, tout ça nétait pas sérieux. Il ny a aucun amour là- dedans.
Comment lui expliquer ça ?
- Chéri ... je peux tout texpliquer.
- Non, je nen ai rien à foutre de tes explications. Tu me dégoutes au plus haut point. Et il ny a plus de « Chéri ». Épargne-moi ça. Comment as-tu pu ? Qui est ce connard ? Et puis non, je ne veux même pas le savoir, ça ne mintéresse pas. Ça ne mintéresse plus.
Un silence sest installé. Jy ai cru à cette fameuse explication, après ce début dénervement de la part de Paul. Mais il sest repris très vite et son regard est à nouveau redevenu glacial.
Je ne sais plus quoi dire. Jai honte bien sûr, je regrette cet écart de plus. Comme jai regretté les précédents à chaque fois. La différence avec les précédents, cest que Paul sait cette fois. Pourquoi je replonge à chaque fois ? Trois amants en vingt ans, ça peut paraître peu, ou beaucoup, cest selon. Beaucoup trop même, cest ce que jétais en train de me dire, trois de trop.
- Je veux juste savoir comment on sorganise
Voilà comment ça sest passé. Cétait il y a un an.
Maintenant, je suis seule.
Oui, je lai trompé. Pour moi ce n'était pas sérieux. Pas grave, je me disais même sur le moment. Pour lui ça la été. Et je peux le comprendre. ment et cest normal. Je me suis demandée comment jaurais pris le fait que lui me trompe. Mal surement, ça manque de crédibilité, mais je laurais mal pris.
Que dire de plus ? Que je regrette ? Bien évidemment. Et une fois quon a dit ça ?
Jai toujours eu ce besoin de séduire, de capter lattention autour de moi. Ça cest toujours arrêté là. Lintérêt des autres me suffisait. Puis la peur de la quarantaine ma rattrapée. Je craignais quon ne me regarde plus. Jai passé le cap à peu près à cet âge-là.
Ne plus plaire me foutait la frousse.
Pourtant mon mari me montrait tous les jours que pour lui, rien navait changé, quil maimait toujours autant, que je lui plaisais toujours. Je le savais, je men rendais compte au quotidien. Ça ne me suffisait pas.
Bien sûr, ce nétait plus les folles étreintes de nos débuts. Nos rapports ont évolué, vers plus de douceur, mais finalement vers plus de complicité aussi.
Cest à 39 ans que jai eu ma première expérience extraconjugale. Lors dun séminaire professionnel de trois jours, jai cédé à un collègue le dernier soir. Cétait, comment dire ? Différent. Mieux ? Non. Plus de plaisir ? Non plus
Cétait juste différent. Braver linterdit, être rassurée sur mon pouvoir de séduction. Plaire. Baiser, au lieu de faire lamour. Tout ça était nouveau pour moi.
Il y en a eu un autre un an plus tard que jai revu trois fois. Lenvie de goûter à nouveau à linterdit, au frisson que mavait procuré mon premier écart. Physiquement ? Pas mieux, juste ce fameux frisson.
Et puis mon dernier amant que je voyais depuis deux mois.
Pourtant, je laimais mon mari. Je laime toujours, même après plus dun an de séparation. Cest certain, aucun doute là-dessus. Il me manque tellement aujourdhui. Il était mon équilibre, celui sur lequel je mappuyais. Je men suis aperçue trop tard. Après
Aussitôt après mes coucheries à l'hôtel, je regrettais amèrement ce que je venais de faire. Javais honte. Honte de moi, honte de tromper mon mari. Jétais tout juste aimable avec mon amant, avant de menfermer dans la salle de bain pour nettoyer mon corps. Je partais sans un mot. Je trainais avant de rentrer pour me vider lesprit.
Pourtant, jy retournais à chaque fois. Même si depuis deux semaines, javais la ferme intention darrêter tout ça. Javais fait le tour des choses. Le plaisir que jy prenais était amoindri, éclipsé même par le mal être provoqué par mes écarts. Ce côté « salope », ce nétait pas moi. Oui, je voulais plaire, cest au plus profond de moi ça. Seulement le chemin emprunté nétait pas le bon. Ou bien, je me suis perdue en cours de route. Peut-être une relation plus conventionnelle ? Même pas. Je nen avais plus envie.
Cette décision de tout arrêter est arrivée trop tard.
Pour quelques séances de baise, jai foutu en lair vingt ans de mariage et très honnêtement, vingt ans de bonheur.
Quelle conne je suis
Mes deux s, ados, men veulent également. Même si jai la garde alternée, ils ont bien compris pourquoi leurs parents avaient divorcé. Ils me le font bien sentir, surtout Julia, ma fille de quatorze ans, qui a très mal pris ce divorce. Elle sest mise en opposition par rapport à moi. Lucas, mon fils de seize ans, plutôt du genre à intérioriser, a souffert également.
Pour ça aussi, je men veux. Jai fait souffrir mon mari, je fais souffrir mes s.
Oh Paul a été très bien, jamais il ne ma accablée auprès deux. Jai même surpris, juste avant le divorce, une conversation où il recadrait les s, leur disant que nous divorcions certes, mais que cétait juste un problème dadultes.
Depuis le jour de cet échange au petit déjeuner, je suis sous antidépresseurs. Je survis. Je tente au moins de reconquérir mes s. Je fais bonne figure, enfin la meilleure figure possible. Et je pense à Paul tous les jours. Jaimerai tant quil me pardonne.
Le pire, cest que nous navons pas pu avoir de véritable échange. Il na rien voulu entendre. Mes explications ne lintéressaient pas. Les photos quil avait devant les yeux lui suffisaient. Il na jamais voulu savoir, qui, depuis quand, et surtout pourquoi. Il sest juste refermé, refusant mon contact, rejetant mes tentatives. Je le dégoutais, je le voyais dans son regard. Il voulait juste en finir le plus vite possible.
De mon côté, cest la déprime, les cachets qui vont avec, le sentiment de grande solitude. Je navais pas lenvie de voir quelquun dautre. Je crois que je n'aurais pas pu faire lamour avec qui que ce soit. Je navais pas non plus loccasion de le faire. Je ne sortais pas, je ne voyais personne. A part aller travailler et moccuper du mieux possible des s lorsquils étaient là, je ne faisais rien. Je navais plus de vie sociale. Jai coupé, à cette époque, les ponts avec mes connaissances. Les amis, pour la plupart, étaient des amis communs. Après un divorce, les liens ont tendance à se distendre. Je voyais mes parents, une amie denfance et cest tout.
Cest après une énième scène que ma faite ma fille, pour un motif tout ce quil y a de futile, que jai décidé de réagir. Elle venait de me lâcher à la figure « De toute façon, tu as foutu en lair notre famille, je ne te pardonnerais jamais ».
Jai voulu reconquérir Paul. Jétais consciente que cétait quasiment impossible. Je lui avais fait trop de mal. On nefface pas une trahison. Pour lui, cest bien ça. Je voulais au moins lui parler. Il fallait quil sache. Peut-être quil ne comprendra pas, peut-être quil ne me pardonnera pas, mais je devais crever labcès. Lui dire mes regrets, mes remords. Lui dire que je nai aimé que lui, que je laime toujours, que lui. Lui parler de mon mal-être, du dégoût que jai de moi-même.
Une année sétant passée, peut-être que ses sentiments se sont atténués. Peut-être
Nous échangeons bien sûr, au moins pour léducation des s et pour la gestion de la garde partagée. Cela se fait toujours par téléphone. Nous ne nous sommes jamais revus physiquement. Sa voix au téléphone est neutre. Jamais un mot plus haut que lautre, jamais un reproche, juste de la distance, de la froideur même.
Cest lui qui ma appelé la semaine suivante, le jeudi pour être précise.
Il devait récupérer les s le vendredi soir pour le week-end et la semaine suivante.
- Carole ? Bonjour, cest moi
- Bonjour Paul.
- Je ne pourrai pas prendre les s à 18 heures demain soir, jai un empêchement, je ne pourrai les prendre que vers 20 heures.
- Ce nest pas grave. Par contre, pourras-tu monter les chercher. Jai des documents à te faire signer pour le collège de Julia ?
- Quels documents ?
- Pour le voyage scolaire le mois prochain, il faut lautorisation des deux parents.
- Non, je préfère que tu lui donnes, je les signerai tranquillement ce week-end, Julia te les ramènera la semaine prochaine, ou les ramènera directement au collège.
Manifestement, il faisait tout pour ne pas me voir. La plaie nétait toujours pas cicatrisée.
- Cest que nous sommes justes en termes de délais. Julia a tardé à les donner. Si tu les signes demain, je peux les déposer samedi matin au collège, jai rendez-vous avec sa prof principale.
- Un problème avec le collège de Julia ?
- Non, rien dimportant. Sa prof souhaite juste voir les parents, enfin un des parents, une fois par semestre. Tu veux venir avec moi ?
- Non, mais tu aurais pu men parler
- Ten parler ? Mais on ne se parle plus !
- Pour les s, je suis prêt à técouter
- Écoute, Paul, viens me voir demain. Il sest passé ce quil sest passé. Notre divorce ne doit pas déboucher sur une guerre.
-
- On peut échanger tous les deux, tu ne crois pas ? Je peux comprendre que tu souhaites avoir le moins de contacts possible avec moi
- Ce nest pas une guerre
- Une guerre ouverte, non, mais une guerre froide si !
- Tu étais mon âme sur, on naccepte pas la trahison de son âme sur, cest définitif !
- Tu sais Paul, je me suis souvent posé la question de savoir comment jaurais réagi à ta place.
- Tu nes pas à ma place.
- Non, mais je peux te dire que jaurais sûrement eu la même réaction que toi. Oui je sais, je peux paraître gonflée de dire ça. Mais je mesure complètement la portée de mes actes. Je le regrette chaque jour. Jétais dans un engrenage. Il ny avait aucun amour. Tu parlais dâme sur tout à lheure. Tu étais mon âme sur aussi. Peut-être que je ne te lai pas assez dit à ce moment-là. Cest surtout que je ne men apercevais plus. Mais je peux te dire une chose Paul, tu es toujours mon âme sur. Et crois-moi cest terrible de vivre sans son âme sur, douloureux.
- Je sais.
- Tu maimes encore ?
- Je nai pas dit ça, je passerai signer tes papiers vendredi soir, mais nattends rien dautre de moi. A vendredi.
- La fin dun mariage nest pas une fatalité. Dune simple signature au bas dun document, on a fait exploser toutes les promesses que lon sétait faite, mais on peut
- On sétait surtout fait la promesse de saimer et de rester fidèles
Il a raccroché.
Pour la première fois depuis un an, nous venions déchanger, de parler de nos sentiments. Même si ça sest terminé en queue de poisson, javais enfin entrouvert une porte. une porte on va dire.
Ça ma aussi fait un bien fou dexprimer par des mots mes sentiments. Surtout de lui dire à lui.
Malgré sa froideur, malgré le fait quil mait raccroché au nez, quil avait encore fuit le dialogue, il avait exprimé, lui aussi ses sentiments, avec pudeur, certes, en essayant de les taire aussi. Mais ce quil a dit à demi-mot ma fait chaud au cur et ma redonné un semblant despoir. Il ne fallait pas que je menflamme, mais cétait un début.
Paul est passé le vendredi soir chercher les s. Il est monté à mon appartement pour signer le document. Il est reparti aussitôt après. Devant les s, je nai pas pu en rajouter, et reprendre notre conversation de la veille. Mais je lavais revu. Nos regards se sont à nouveau croisés. Son visage est resté fermé, mais ce que jai lu dans ses yeux, enfin ce que jai cru y lire, ma conforté. Peut-être que je me faisais des idées. Peut-être que jessayais de me persuader de choses qui nexistaient pas, mais dans son regard, jai vu du regret. Du regret, au moins, sur notre passé commun. Sur ce que nous avons été, sur notre couple avant.
Cest le dimanche que tout sest précipité.
Ma fille, Julia ma appelé en pleurs, catastrophée :
- Maman
- Quest ce qui tarrive Julia ?
- Papa a eu un accident !
- Quoi ? Quest ce qui sest passé ?
- Il a été renversé par un chauffard, Lucas était avec lui, il vient de rentrer. Les pompiers ont emmené Papa
Lucas dit quil était inconscient ... Il y avait partout ... Fais quelque chose Maman !
- Lucas est avec toi ?
- Oui
- Ne bougez pas, je vais à lhôpital. Je vous tiens au courant dès que je sais quelque chose. Ne bougez surtout pas
Non, allez chez vos grands-parents. Je vous tiens au courant dès que je peux
- Maman
Rappelle-nous vite
Sil te plaît
- Promis ma chérie.
Sur le chemin de lhôpital, jai grillé au moins trois feux rouges. Jai pu parler, en arrivant, avec le médecin qui avait pris Paul en charge lors de son admission, le Docteur Philippe Marchand :
- Il a un traumatisme crânien et de multiples fractures aux deux jambes. Il est dans le coma
- Mon dieu
- Ne vous inquiétez pas, cest un coma de stade 1, donc rien dirréversible.
- Il va rester combien de temps dans cet état ?
- Difficile à dire, un jour, deux jours, peut-être plus. Cest compliqué de prévoir lévolution dun patient dans le coma.
- Il y aura des séquelles ?
- Là encore, difficile à prévoir. Tout dépend du temps quil va y passer. Mais les séquelles éventuelles ne seront pas définitives, enfin en principe. Quand il sortira, il devrait être dans un état de grande confusion par contre.
- Il nous entend ?
- La possibilité de communication avec lui est plus que réduite. Toutefois, si on lui pose une question, il peut réagir. Le stimulus douloureux est légèrement actif aussi. Il peut tenter de repousser la main qui le pince par exemple. Cest surtout un réflexe d'auto-défense.
Par contre, après son réveil, et une fois remis de son traumatisme crânien, sa rééducation pour ses jambes va être longue. Il sera en fauteuil un bon moment. Il devra faire un séjour prolongé en centre de réadaptation avant de retrouver lusage de ses jambes.
Le Docteur Marchand partit, je me suis assise près du lit où Paul était allongé. Il était branché de partout et perfusé. Je lui ai pris la main. Seul le bip régulier des appareils troublait le silence de la chambre et du service de réanimation.
Je lui ai parlé :
- Reviens, Paul. Reviens
Tu me manques tellement. Même si on nest plus ensemble, même si tu ne reviens pas pour moi, reviens pour les s.
Jai pleuré à ses côtés. Je lui ai raconté. Tout. Depuis le début. Je lui ai dit tout ce quil ne mavait pas permis de lui dire.
Une fois cela fait, je lui ai raconté mon quotidien depuis un an. Comme une épouse raconterait à son mari sa journée le soir en rentrant.
Ça a duré deux jours. Jarrivais le matin, je repartais le soir, quand les infirmières devenaient insistantes. En principe, les visites cétait une personne à la fois et pas plus dun quart dheure.
De temps à autre, il tressautait légèrement. Jen ai parlé au Docteur Marchand. Il ma dit quil sagissait sûrement juste de réflexes. Peut-être entendait-il quelques bribes de ce que je lui disais, mais pas plus. Cétait à même de le faire réagir ? Pas sûr, peut-être. Le Docteur ne connaissait pas notre situation. Il pensait que nous étions toujours mariés. Javais peur que sils savaient que nous étions divorcés, léquipe médicale ne maurait pas permis de rester.
En fin daprès-midi le deuxième jour, Paul bougea de manière plus prononcée. Une fois, puis deux, puis trois fois. Il grogna aussi. Enfin il ouvrit les yeux avant de les refermer aussitôt. Il se réveillait :
- Paul ! Tu mentends ? Je suis là
Jai appelé linfirmière, qui est venue constater le réveil. Elle a appelé aussitôt le Docteur Marchand :
- Il va reprendre conscience progressivement, il va peut-être être angoissé au vu de ce quil va découvrir avec une conscience limitée. Il est possible quil y ait une perte partielle ou même totale de mémoire.
- Ça peut être définitif ?
- Non, pas dinquiétude, généralement, ça revient assez vite. La présence dun proche quil va reconnaître devrait le rassurer.
- Espérons-le !
Un doute ma envahi sur le fait que la personne proche présente à son réveil ce soit moi. Quelle sera sa réaction en me voyant ?
- Ne brusquez rien, parlez-lui doucement et calmement. De choses banales aussi.
- Il va souffrir en se réveillant ?
- Non, il est sous morphine, il ne sentira rien.
Paul ouvrit les yeux et les referma à nouveau aussitôt dans une grimace, comme si la lumière l'éblouissait. Il a aussi bougé la main. Il est à nouveau revenu à un stade dinconscience.
- Le processus de réveil peut être un peu long. Il va y avoir des phases de semi-conscience, parfois très courtes et dinconscience. Je dois partir. Restez près de lui et faites-moi appeler quand ça évoluera.
- Je ne bouge pas Docteur. Sûrement pas.
Je me suis assise près du lit. Jai pris sa main dans la mienne.
Paul bougeait de plus en plus souvent. Jai senti sa main serrer légèrement la mienne. Jétais prête à appeler le Docteur Marchand.
Il a ouvert les yeux. Contrairement aux fois précédentes, il ne les a pas refermés. Il regardait autour de lui :
- Paul, tu mentends ? Tu me vois ?
- Carole ? Quest-ce que je fais là ? Je suis où ?
- Tu as eu un accident mon chéri, tu es à lhôpital, mais ça va aller maintenant.
Le « Mon chéri » est sorti tout seul. Paul na pas semblé réagir.
- Oui, je sais. Je viens de me souvenir. Jétais dans le coma. Javais des flashs, Jentendais certaines choses, diffuses. Tu étais là, ça je men souviens. Jétais content que tu sois là. Jai bien retenu ce sentiment-là.
- Ne te fatigue pas mon chéri.
Paul a refermé les yeux. Il ne bougeait à nouveau plus. Il est retombé dans le coma ? Affolée, jai appelé le médecin, qui la ausculté, a soulevé sa paupière et lui a mis sa loupiote dans lil.
- Ne vous inquiétez pas. Il va plutôt bien. Ce nest plus un coma, plutôt un sommeil profond maintenant. Il va alterner les phases de sommeil et déveil. Il va bien, soyez rassurée Madame. Ses constantes sont bonnes.
Cela prit, en effet, plusieurs jours. Paul retrouva un cycle plus normal dans ses phases déveil et de sommeil. Lorsquil était éveillé, nous communiquions un peu. Rapidement, il se fatiguait. Jeu la permission de faire venir les s le voir quelques minutes. Il les a reconnus et un sourire a illuminé son visage.
Nous étions enfin réunis tous les quatre dans la même pièce. Je me suis isolée près de la fenêtre pour laisser couler mes larmes. Paul sen rendit compte. Une fois les s repartis il me demanda de mapprocher et de m'asseoir près de lui sur le lit. Il ma pris la main :
- Tu sais, jaurais préféré que tu me dises la vérité quitte à me faire mal, plutôt que de tenfoncer dans le mensonge et la trahison. Jai eu mille fois plus mal.
- Je sais, jai tellement honte. De tavoir fait souffrir. Ma souffrance à moi, je men fous. Cest ma punition, je laccepte. Je naccepte pas celle que je tai causée.
Cette fois, je pleurais à chaudes larmes :
- Jai mal surtout de la distance que tu as mise entre nous. Jaurais préféré que tu me
- Que crois-tu ? Jai été incapable de réagir avec mesure, ni de gérer mes émotions. Je nai pas été à même de surmonter le sentiment de trahison. La douleur et le chagrin sont devenus impossibles à gérer.
La seule solution que jai pu trouver, cest de me cacher derrière cette froideur et surtout de fuir la confrontation. Je ne voulais pas entendre tes explications.
Tu me manques Carole, tu me manques tous les jours, tu mas manquée dès le premier jour. Jai dabord cru que cétait parce notre séparation avait généré un sentiment de solitude, que ma vie de célibataire retrouvée me pesait. Je cherchais à me rassurer. Je repoussais lidée que mes sentiments pour toi restent inchangés, que mon envie de partager le reste de ma vie avec toi est toujours présente. La fierté, lorgueil même, mempêchait de te lavouer, de me lavouer surtout. Jai mis de la distance entre nous. Sil ny avait pas eu les s, je crois que tu naurais plus jamais entendu parler de moi. Je serais parti faire ma vie ailleurs. Cétait une manière de me protéger. Dessayer doublier. Aujourdhui, je suis heureux que tu sois là. Soulagé aussi.
Il sa serré ma main plus fort, presque à men faire mal :
- Oh mon Amour !!! Je te promets, sur ce que jai de plus cher, toi, les s, je ne reproduirai pas les erreurs du passé.
Jai du mal à exprimer le sentiment de joie qui mhabitait quand jai poussé le fauteuil roulant de Paul pour sortir de lhôpital. Les ambulanciers étaient là, mais jai voulu le pousser moi-même.
Il fut transféré dans un centre de réadaptation fonctionnelle. Il devait y rester de longues semaines.
La rééducation fut longue. Les conséquences de laccident, la période de coma même si elle a été courte ont laissé des séquelles.
La rééducation a été aussi lourde et douloureuse. Une jambe entièrement plâtrée, lautre seulement au mollet, elle a surtout été lente et laborieuse.
Jallais le voir tous les deux jours, après le travail, malgré les cinquante kilomètres qui me séparaient du centre. Le weekend, jy amenais les s.
Quel bonheur de voir la joie dans leurs yeux à nouveau briller. Revoir leur père déjà et constater de semaine en semaine ses progrès. Nous revoir ensemble aussi. Jai pu mesurer le mal être qui les a habités pendant cette année. Jen étais la responsable bien sûr. Paul, un jour, ma dit quil sen sentait tout aussi responsable, quelque part :
- Cest moi qui ai voulu cette rupture brutale. Jaurais pu faire les choses plus en douceur pour préserver les s. Je ne voulais pas les séparer de toi, faire de toi une méchante à leurs yeux, mais cest ce jai fait. Inconsciemment, cest certain, cest ce que jai mis en place. Par vengeance peut-être, toujours inconsciemment pour te faire mal, pour te rendre la monnaie de ta pièce.
- Oh, mon chéri
Après quelques semaines, il a pu remarcher un peu, lorsque sa jambe gauche a été déplâtrée. Seulement avec des béquilles et pour un temps limité. Il passait le plus clair de son temps en fauteuil roulant ou sur son lit.
Très rapidement, nous avons refait lamour. Nous nous cachions dans sa chambre, ou à lécart dans le parc de létablissement. Nous étions comme deux ados amoureux. Cest cet état desprit qui a permis que nous puissions retrouver rapidement notre complicité.
Ce fut tout de même compliqué pour lui, comme pour moi.
Pour lui bien évidement, à cause de son état physique, bien sûr, mais moralement surtout.
Je mimaginais bien les images qui lui passaient par la tête dans ces moments-là. Moi, même si ça me bloquait un peu au début, je me suis faite douce, attentionnée, à lécoute de mon mari. Ma gêne et la sienne ont finalement rapidement disparu.
Au début, vu sa faible mobilité, nous nous contentions de simples caresses. Je lui faisais des fellations sur son fauteuil, il me caressait sous ma jupe et dans mon décolleté. Puis au fur et à mesure de lavancée de sa rééducation, et de la récupération de ses capacités physiques, nos rapports ont évolué. Nous en sommes revenus à des situations plus classiques. Les positions possibles restaient toutefois limitées. Je le chevauchais sur son lit, après avoir pris soin de bloquer la porte de la chambre au cas où une infirmière ou une aide-soignante nentre. Je masseyais sur lui dans le parc, alors quil était dans son fauteuil, ou sur un banc, quand il a commencé à pouvoir réutiliser ses jambes
Le côté interdit, le risque dêtre surpris, le caractère improvisé, voire le côté légèrement exhibitionniste sur les bords nous stimulaient. Bon, honnêtement, cétait parfois plus que légèrement exhibitionniste sur les bords. Il y avait un côté aventure, piment et aussi limpression de revenir à nos 16 ans. Parfois il me disait « Chuuuttt, on va se faire repérer, sois discrète». Ça nous provoquait généralement des fous rires. Juste après, on avait limpression davoir fait une bêtise et de devoir la dissimuler.
Ses multiples fractures aux jambes lui avaient fait perdre sa motricité, par contre son membre, lui, fonctionnait plus que normalement.
Cest quand il est sorti et que nous sommes rentrés, que nous avons pu vraiment faire lamour normalement. Plus question de se cacher (les s étaient chez les grands-parents pour les vacances dété en plus). Nous étions chez nous, nous pouvions exprimer notre plaisir, faire du bruit, nous lâcher, prendre notre temps. Cest ce que nous avons fait. La première chose après avoir ouvert la porte de lappartement. Il ma amené dans la chambre, ma embrassée devant le lit, puis sur le lit. Nous nous sommes déshabillés mutuellement, et nous nous sommes aimés en douceur, longtemps.
Nous avons repris notre vie normale, celle davant. Il a fallu cet accident pour pouvoir dépasser cette épreuve. Sans cela, nous serions nous retrouvés ? Jen doute parfois. Mais au fond, nous étions faits lun pour lautre. Autre chose nous aurait certainement réunis à nouveau. Je me rassure ainsi. En suis-je si sûre que ça ? Quand ?
Surement que ça a aussi ren notre couple. Chacun a été ensuite plus attentif à lautre. Je suppose que Paul na jamais oublié, quil se posait de temps à autre des questions, que des images lui revenaient, bien quil mait pardonné. Nous nen avons jamais reparlé.
Telle a été ma rédemption. Parce que sen est une. Pas une métamorphose, je suis restée Carole, celle que jai toujours été. Mais une Carole qui a pu évoluer, qui sest remise en cause, qui a vraiment assumé, moins centrée sur elle-même. Autre question que je me suis posée, si Paul navait pas découvert ma liaison avec mon dernier amant, même si à lépoque je métais lassée et que javais lintention darrêter, est-ce que quelques mois après je naurais pas replongé ? Encore et encore ? Je nai pas la réponse. Ce que je sais, cest que cet épisode ma changée, guérie aussi. Jai vite regretté mes actes. Je les regrettais même avant que Paul ne me mette ces photos sous le nez. En revanche, je ne regrettais que les conséquences de mes actes à lépoque, pas de les avoir commis. Le pardon que Paul ma offert na été possible quà cette condition-là.
Jai aujourdhui 75 ans. Les s sont loin, ils ont fait leur vie.
Julia est une femme épanouie, mère de famille. Jai de beaux petits-s. Elle a choisi le plus beau métier du monde, sage-femme. Elle donne la vie. Sa révolte vis-à-vis de moi, cette période dopposition, voire daffrontement sont passées aussitôt notre réconciliation avec Paul. Je me suis aussi réconciliée avec ma fille. Ca correspondait aussi avec sa crise dadolescence, mais cest la façon quelle avait trouvé pour montrer son mal-être.
Lucas, mon fils aîné, parcourt le monde. Il est ingénieur dans les travaux publics. Sa société lenvoi partout pour concevoir et bâtir des ouvrages. Il est actuellement à Dubaï pour la construction dun énième gratte-ciel « le plus haut du monde ». Juste avant, il rentrait du Chili, où il avait conçu les plans dun pont, le plus long du continent. Il est toujours célibataire et il ne sest jamais fixé. Mais cette vie lui plait. Il est bel homme, ses conquêtes sont nombreuses. Peut-être na-t-il pas lenvie de fonder une famille. Malgré le temps passé, cette année de séparation, la situation imposée aux s me ronge toujours. Je men sens toujours responsable. Et je me dis que le célibat de mon fils est peut-être dû à ça. Lucas a toujours intériorisé ses sentiments et je nai jamais osé lui en parler. Ces longues absences me pèsent un peu, ment, mais je le sais heureux de cette vie. Ça, il men parle souvent.
Paul, mon époux est décédé il y a cinq ans. Pas dune longue maladie, il est partit dun seul coup. Jen suis heureuse pour lui, pas de souffrance, mais jai perdu mon âme sur. Comme je lui avais promis sur ce lit dhôpital il y a plus de trente ans, je nai jamais reproduit mes erreurs. Je lui suis restée fidèle. Je lui suis encore fidèle. Aujourdhui, je vais le voir une fois par semaine. Je lui parle, je lui donne les dernières nouvelles des s, des petits-s, je lui raconte ma semaine, je lui dis que je laime. Je passe pour une vieille folle auprès des gens qui fréquentent le cimetière. Mais ça mest égal.
Je ne suis pas ment pressée de prendre ma place à côté de lui, mais le jour où ça arrivera, je partirai lesprit tranquille.
Jai eu une belle vie, tu mas rendue heureuse, tu mas comblée.
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